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Monsieur X est venu me voir le soir (sans aucune demande de ma part) pour m’indiquer : « ce n’est

4. Questionnements autour de la circulation et de la reprise d’un segment textuel [1], [5], [11], [30]

5.2. Figement et extériorité discursive

5.2.1. Des segments répétés aux patrons

Les explorations textométriques sur les rapports éducatifs ont porté pour l’essentiel sur le corpus constitué par les états finaux de ces rapports, mais la visualisation des modifications d’un

état à l’autre rendue possible par le logiciel Allongos (voir note 47 plus haut), a permis d’observer les modifications portant sur les patrons mis au jour par l’analyse.

La focalisation de la recherche sur la question du figement est née d’une interrogation des travailleurs sociaux eux-mêmes, nous interrogeant, lors d’une restitution, sur leur sentiment d’avoir parfois recours à une sorte de « langue de bois » ainsi que d’un sentiment diffus de répétition que nous avions à la lecture des textes. Cette partie de la recherche a bénéficié des apports d’E. Mac Murray et de S. Fleury dans l’utilisation des outils textométriques.

D’un point de vue méthodologique, nous avons abordé la question par la fonctionnalité permettant de faire apparaître de la façon la plus évidente les répétitions dans un texte, à savoir la liste des segments répétés. Après avoir éliminé les segments de nature grammaticale (de la) nous avons décidé de laisser de côté également les segments renvoyant à des réalités propres au domaine, relevant d’une terminologie ou d’un jargon : famille d’accueil, (droit) de visite, au

service, assistante familiale, (pris/prennent/pris) en charge, au abcd, le service, placement familial, de placement... Notre objectif était en effet de centrer l’analyse sur les segments dont

nous avions fait l’hypothèse qu’ils pouvaient s’inscrire dans la visée explicite de ces textes, à savoir décrire et évaluer une situation. Cette hypothèse a été renforcée par l’examen de l’évolution des segments répétés état par état qui, mené sur certains dossiers, a permis de montrer que la plupart des segments répétés ainsi repérés, présents dès les premiers états du texte, voyaient leur densité s’accroître au fur et à mesure de la rédaction. Les segments ainsi identifiés sont

– une série de segments autour de « nous » : nous avons (en 8è position donc très frèquent), et

nous…

– une « famille » de segments autour des prédicats être et avoir à la 3è personne : il a, a été, elle

a, il est, elle est, a pas…

– une famille autour des prépositions « dans » et « en » : dans la, dans le, dans un, mais aussi est

en

– une famille autour de « difficultés » : ses difficultés, est en difficultés pour – des segments autour de « pouvoir » : il peut, elle a pu…

– un segment répété le groupe inclus vraisemblablement pour la plupart des occurrences dans le segment plus long sur le groupe

– une famille autour de « cadre » : le cadre, dans le cadre…

Nous avons alors procédé – avec la collaboration d’E. Mac Murray et S. Fleury – à des explorations textométriques (concordanciers, spécificités, cooccurrences, extractions de patrons) qui, accompagnées de retours systématiques au texte, ont permis d’identifier des segments plus ou moins figés. Voici les séquences sur lesquelles j’ai personnellement travaillé :

sur le groupe

sur le groupe --> patron : « sur + (det +) N »

depuis qu'il est arrivé sur le groupe

« dans [det] cadre » bilan de ces 6 mois d'accueil de emmanuel au abcd dans le cadre du placement familial séquentiel met en relief la persistance des difficultés de emmanuel qui

en juin 2007 et septembre 2007 madame gillouard l'a reçue dans le cadre d'entretiens individuels.

en charge en orthophonie le 02 février 2008 suite à des difficultés repérées dans le cadre du collège ceci à raison d'une séance par semaine

monsieur seyvet se promène avec sa fille dans le cadre du centre commercial proche de son domicile un samedi sur deux pendant quelques heures

« X est dans + [adj] +N » tel que N soit un N prédicatif

abstrait, le plus souvent un déverbal ou un dérivé d’adjectif

il est dans la dissimulation de ses devoirs ou mots à faire signer

est toujours dans une recherche d’intérêt de la part de la famille d’accueil est dans une demande de pouvoir se rendre

B est dans l’évitement du conflit il peut être ensuite dans la réparation est dans un conflit de loyauté très important reste dans une grande difficulté

il reste encore dans le besoin de satisfaction immédiate la confusion dans laquelle A est dans sa propre histoire

« X est en + [adj] +N » tel que N soit un N prédicatif

abstrait, le plus souvent un déverbal ou un dérivé d’adjectif60

T est en recherche affective de la part de sa mère T est en attente de gratification

Elle est en grande demande affective M est en demande auprès du service ne nous semble pas en capacité d’élaborer Houria est en grande difficulté pour jouer seule elle est toujours en difficulté pour se concentrer61

« [et] + [circonstant] + X peut/a pu +

[adverbe/circonstant]+ [nous] + Prédicat ‘difficile à dire ou à faire’»

il a pu nous faire part de ses réticences

Il peut aujourd’hui partager certains moments agréables avec les autres sans être envahi par ses peurs

prédicats associés à « nous » travail en cours

60

La formule qui rend compte de toutes les variétés observées pourrait être la suivante : « [il/elle/monsieur/madame/NPr/qui] est en +[adj] +N/dans + [adj] +N », tel que N soit un N prédicatif abstrait, le plus souvent un déverbal (recherche, demande, dissimulation, vérification, attente, évitement,

soutien réparation, recherche) ou un dérivé d’adjectif (capacité, difficulté) mais pas seulement (relation, conflit, besoin). On pourrait proposer une formule du même type pour « X est dans N ».

61 Le patron « X est [adverbe] en [adjectif] difficulté pour », sur lequel a travaillé E. Née, constitue un sous type du précédent. Voir ci-dessous p. 80.

Du point de vue terminologique, nous avons choisi d’appeler « patrons » les séquences ainsi identifiées, désignant de la sorte non seulement des constructions syntaxiques avec combinatoire lexicale, mais aussi des séquences plus larges, dépassant éventuellement le cadre de la phrase, avec une combinatoire lexicale étendue et l’insertion possible d’éléments entre les constituants de la séquence. Voici la définition que nous en avons donnée dans [28] :

Définition des patrons : moule syntaxique avec une combinatoire lexicale plus ou

moins restreinte. Les patrons peuvent être de l’ordre du syntagme ou de la proposition (patron syntaxique), voire avoir un empan inter-propositionnel (patron séquentiel). Ils peuvent comporter des places qui ne sont pas toujours toutes actualisées. Nous posons l’existence d’un continuum entre des séquences très figées et d’autres qui le sont moins. Le moindre degré de figement est représenté par des associations notionnelles.

Le caractère « inter-propositionnel » des patrons peut être observé dans les travaux de M. Veniard sur « évolution » ; il permet d’intégrer des recherches que je compte entreprendre sur des « configurations » séquentielles récurrentes, dans lesquelles un énoncé visant à caractériser la personne est suivi d’un énoncé de RDA (à valeur de preuve ou d’illustration) (voir p. 175). Les « patrons » au sens où nous l’entendons constituent en quelque sorte des « moules » sous-jacents à la production de réalisations plus ou moins variées présentant un « air de famille ». Sur le plan méthodologique, j’aimerais souligner que la mise en évidence des patrons récurrents dans le texte ne peut se faire que par tâtonnements successifs : attribuant cette difficulté à mon statut de néophyte dans le domaine de la textométrie, j’ai pu constater qu’il était partagé à la lecture par exemple de Fleury et Branca-Rosoff (2010) sur les formes de futur dans le corpus CFPP, décrivant les étapes d’une exploration textométrique qui suppose et permet un va-et-vient constant avec les données ou de Legallois (2012), qui indique également la difficulté de la saisie de ce qu’il appelle des « motifs complexes (c’est-à-dire non limités par des empans, prenant en compte plusieurs dimensions à la fois) » (201 : 47) et fait état pour ce faire d’une collaboration avec des spécialistes de la fouille de données.

Les résultats cumulés des investigations des différents membres du groupe ont permis de faire apparaître le caractère « imbriqué » des patrons identifiés à partir de points de départ différents (SR, co-occurrences, lexique, catégorie grammaticale), patrons qui présentent de plus des degrés de figement variés. Ainsi le patron « X est en difficulté pour + INF » identifié à partir du lexème

difficulté constitue-t-il un sous-type lexicalisé du patron « X est en N ». Ce système

d’emboîtement successif avec plus ou moins grande latitude dans la combinatoire participe sans doute de l’effet de répétition produit par ces textes sans qu’ils soient pour autant réellement répétitifs : « il ne s’agit pas de formulaires administratifs », mais ils ont entre eux un « air de famille » [29 : 2119].