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Monsieur X est venu me voir le soir (sans aucune demande de ma part) pour m’indiquer : « ce n’est

1. La notion de « formation discursive », une notion opératoire ?

1.4. La formation discursive aujourd’hui

D. Mayaffre, analysant d’un point de vue lexicométrique les discours de « quatre locuteurs représentant quatre familles politiques couvrant l’essentiel du spectre politique français » met en évidence, à plusieurs niveaux de la matérialité langagière (vocabulaire, catégories grammaticales, énonciation), en diachronie et à travers plusieurs genres, la distance opposant le discours des représentants du PCF à ceux des partis « bourgeois ». Pour lui, la conclusion s’impose :

Il est clair que c’est ici que la notion de formation discursive nous semble pertinente en posant que le positionnement idéologique de classe d’un locuteur instruit, en dernière instance, la production discursive. (2004 : 10)

Nonobstant l’intérêt des faits observés, on voit que l’auteur conçoit ici les formations discursives « communiste » et « bourgeoise » comme des « blocs » homogènes et antagonistes, sur le modèle des définitions initiales de l’AD, et non comme des entités hétérogènes et traversées par la contradiction. La distance observée est-elle l’effet de l’appartenance à une formation discursive ou ne peut-elle être attribuée à un style d’écriture, à une rhétorique propre à marquer une distinction par rapport aux autres partis ?

D. Maingueneau propose quant à lui d’insérer la notion de formation discursive dans une réflexion plus générale sur les différentes « façons de faire de l’AD », c’est-à-dire sur les « unités » sur lesquelles travaillent les analystes de discours (objets et corpus). Il oppose ainsi les unités topiques – « censées être imposées au chercheur par les pratiques langagières, elles sont en quelque sorte transverses » ( 2011 : 91) – et les unités « non topiques » « construites par les chercheurs, qui ne se conforment pas aux découpages préétablis par l’activité verbale » (op. cit. : 92). Font partie des unités topiques les « parcours » (illustrés par les travaux d’A. Krieg-Planque) et les « formations discursives ». Ces dernières « construites par les chercheurs indépendamment des frontières établies […] regroupent des énoncés profondément inscrits dans l’histoire » (2012 : 8). Ces unités « se construisent autour d’un foyer, dont la nature est très variable », tels que « le discours raciste », « le discours colonial » et donnent lieu à la constitution de corpus hétérogènes dans leur constitution mais dont « à un niveau supérieur on peut réduire l’hétérogénéité […] en considérant que ses multiples constituants convergent vers un foyer unique, quelque ‘mentalité’ du patronat, du racisme ou du colonialisme, qui, à des degrés et selon des stratégies diverses, serait inconsciemment partagée par les multiples

locuteurs du groupe concerné » (ibid.). La formation discursive serait alors assimilable à une identité « productrice d’énoncés » marqués idéologiquement, comme le « discours raciste », le « discours libéral » ou le « discours post-colonial » : on est proche ici de la conception, développée par D. Mayaffre, d’une « formation discursive » homogène très marquée idéologiquement, que l’on retrouve dans les travaux menés au sein de la CDA71. Dans un tel cadre, tout se passe comme si la formation discursive était posée a priori, comme un principe permettant de découper des corpus certes hétérogènes, entre autres du point de vue générique, mais construits pour y retrouver ce même principe.

Cependant D. Maingueneau indique que l’on peut également concevoir la formation discursive « comme un espace de dispersion irréductible, qu’on ne peut ou ne doit unifier sous un principe unique » (2011 : 94). Dès lors, d’une part la formation discursive permet de penser « les interactions […] entre les secteurs de l’interdiscours » (op. cit. : 95), et d’autre part elle est l’objet d’une construction du chercheur qui « donne forme » à la configuration sur laquelle il travaille :

La question de la représentativité du corpus reste évidemment incontournable mais elle est elle-même intégrée dans un espace d’intelligibilité plus vaste, celui où s’établissent les relations entre les ensembles textuels rassemblés dans un corpus constitué pour une recherche déterminée. (op.

cit. : 96)

Ces deux derniers aspects, celui d’une entité permettant la « circulation » entre des objets discursifs hétérogènes d’une part, et celui d’une entité « construite » et non donnée a priori par l’analyste me semblent de fait importants à retenir pour une caractérisation opératoire de la notion.

Pour compléter et préciser cette caractérisation, il faut reprendre l’approche de P. Achard telle qu’elle est présentée par M. Sassier dans un article de 2008. Mettant en œuvre les concepts de genre et de registre tels que développés par Achard – sur lesquels je ne reviens pas ici –, M. Sassier oppose la définition de la formation discursive d’Achard à celle de Pêcheux, la première prenant appui « sur ce que la formation discursive fait » plutôt que « sur ce par quoi elle serait engendrée ». Elle définit la formation discursive, en quelque sorte, comme la matrice de production d’un sens donné comme « allant de soi » : « une structure d’attracteurs qui exerce sa contrainte sur le genre, le registre et le sens », « une structure implicationnelle des affectations d’effets de sens » (2008 : 55). La formation discursive, qui se situe à l’interface entre l’espace discursif et l’espace social (c’est « l’instance par laquelle se co-construisent l’espace discursif et l’espace social » (ibid.)), n’est pas de l’ordre de l’attesté : elle « se structure dans et par le discours mais n’est pas représentable en termes d’attestés », elle « n’est pas superposable à un corpus » ; « ce qui, appartenant à la mémoire discursive, va de soi, et qui par conséquent n’est généralement ni dit, ni même vu, est du domaine de la formation discursive » (ibid.) ; la formation discursive est donc un « être abstrait » : en effet « il n’existe pas d’objet empirique

71 Maingueneau (2012) mentionne par ailleurs qu’une formation discursive peut également être construite par un corpus défini « autour d’un critère thématique » comme « les demandeurs d’asile », « les attentats du 11 septembre » (2012 : 8).

facilement appréhendable que l’on puisse étiqueter formation discursive. Nous n’en déduirons pas qu’il n’a pas d’existence réelle […] » (ibid.).

Les lignes qui précèdent, comme les citations de D. Maingueneau, reposent sur la thèse qu’il n’y a pas superposition entre formation discursive et corpus, que la formation discursive peut être appréhendée à partir de ce qu’elle « fait », c’est-à-dire des contraintes sur les formes et les effets de sens qu’elle permet de reconstituer, et non pas posée a priori.

On pourrait dès lors, si l’on cherchait à dégager le niveau de la formation discursive comme un niveau pertinent pour l’approche des principes de détermination du discours, retenir les caractéristiques suivantes : la formation discursive ne peut être conçue comme

– une entité homogène – posée à priori

– un principe de constitution du corpus Par conséquent,

– elle n’est pas superposable à un corpus – elle n’est pas superposable à de l’attesté

– elle fait l’objet d’une construction ou d’une reconstruction à partir de ses « effets » dans le discours. Ces effets, ajouterons-nous, peuvent être saisis à partir d’une analyse des formes et des configurations attestés dans le discours, et leur mise en relation au sein d’un corpus ouvert. La question non peut-être tant de la pertinence de la notion de formation discursive comme principe de détermination du discours que de son opérativité me semble ouverte. Cette notion, qui a été mise en œuvre en AD, pour des raisons conjoncturelles sans doute, sur des discours politiques, doit-elle être restreinte aux discours politiques, « idéologiques » au sens restreint du terme ? Est-elle seulement opératoire, comme se le demande S. Branca-Rosoff à propos de la théorisation qu’en propose Foucault, pour des « objets stabilisés, institutionnalisés en lien avec les mécanismes du pouvoir et ayant fait par conséquent l’objet de techniques de conservation » :

Quand l’analyse de discours s’intéresse à d’autres voix, moins légitimes, quand elle prend en compte d’autres matérialités (l’oral qui met au premier plan la dimension interactionnelle du discours) est-il encore possible de travailler avec la notion de formation discursive ? (2008b) version française : 5)

Rauline (2013) donne cependant comme exemples de la diffusion actuelle du « discours » néo-libéral les énoncés « ordinaires » suivants :

J’ai investi dans un nouveau téléphone portable. Est-ce que tu peux gérer les enfants ce soir, chéri ?

Faut-il y voir comme elle le propose des exemples de la domination de la « formation discursive » néo-libérale ? Cette diffusion ne correspond-elle pas aussi à une extension de l’emploi des verbes « investir » ou « gérer », favorisé par le discours publicitaire ? Les deux phénomènes sont-ils liés ?

En fin de compte, pour moi, à partir du moment où l’on ne postule pas a priori l’existence d’une (ou de plusieurs) FD, où on la saisit à partir de ses effets, se pose la question des procédures permettant de la définir, d’en circonscrire la « consistance » – en la nommant par exemple. Par ailleurs, postuler la détermination du discours par une ou des FD n’implique pas de négliger le niveau de détermination que constitue le genre.