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Monsieur X est venu me voir le soir (sans aucune demande de ma part) pour m’indiquer : « ce n’est

3. Identifier et caractériser des genres

3.2.1. Le genre du compte-rendu

Le travail sur le genre du compte-rendu s’inscrit dans deux types de collaborations :

– une recherche menée avec C. Mellet sur la relation entre formes de RDA et genres, et basée sur des comptes rendus produits dans la sphère universitaire (cf. [25]),

– la mise en place avec F. Rinck d’un cours intitulé « Pratique des écrits professionnels », dont la méthodologie prend en compte à la fois les genres professionnels dans leur diversité, le discours des guides rédactionnels (papier et en ligne) ainsi que les écrits produits par les étudiants et leurs défaillances.

Ces réflexions s’insèrent depuis 2012 dans les thématiques développées par le groupe « Représentations du Dire et du Discours » (RDD), qui s’intéresse particulièrement à l’interaction entre formes de RDA et contraintes génériques dans les genres du « tenant lieu » et spécifiquement dans le genre du compte-rendu.

86 Plusieurs séances du séminaire « L’hétérogénéité dans les langues et les discours » ont été consacrées aux « mots lourds ».

Définir le genre « compte-rendu »

On note tout d’abord que le nom de genre « compte-rendu » ne désigne pas nécessairement le compte-rendu d’évènements de parole (verbaux) : les comptes-rendus d’hospitalisation, ou plus largement les comptes-rendus d’intervention visent à « rendre compte » des actions accomplies (généralement par celui qui rédige le compte-rendu mais pas nécessairement). Il s’agit de genres relativement normés, comme semble l’indiquer un rapide survol des résultats fournis par le moteur de recherche Google à l’entrée « compte-rendu d’intervention », qui permet d’accéder à un certain nombre de documents préformatés dans lesquels le scripteur n’a qu’à remplir des cases. Je m’intéresse ici à un type de compte-rendu, le compte-rendu de « paroles », parfois spécifié sous l’appellation « compte-rendu de réunion ».

Les discussions menées au sein du groupe RDD ont permis de dégager un ensemble de genres appartenant à des sphères d’activités différentes, dans lesquels un discours D2 « tient lieu » d’un autre discours D1. On peut organiser ce champ à partir de différents critères tels que le canal propre à D2 et à D1, le statut du locuteur de D2 et de D1, la temporalité de D2 par rapport à D1, l’étendue de D2 par rapport à D1, la co-présence de D2 et de D1, la présence de marques évaluatives du scripteur de D2 (L2) et le statut de D287. Dans ce champ, on peut tenter de spécifier le genre du compte-rendu de parole de la façon suivante : D2, le compte-rendu, est un texte écrit qui est postérieur au discours oral D1 dont il rend compte et qui est nécessairement moins étendu que lui. Par ailleurs, on peut faire l’hypothèse que la visée de D2, en tant qu’écrit, est de « garder une trace » de ce qui s’est dit – des informations transmises, des décisions prises voire des positions soutenues dans le débat. Le critère du statut du scripteur de D2, du statut de D2 lui-même et des destinataires de D2 permettent d’introduire des différenciations à l’intérieur de ce genre. Ainsi L2 peut être un participant, un témoin (secrétaire par exemple), ou un professionnel (cas des comptes-rendus de l’Assemblée nationale ou des sociétés qui « vendent » des comptes-rendus aux entreprises). D2 peut avoir une valeur d’information (de communication), d’enregistrement des décisions, ou une valeur légale – et dans ce cas il devient procès-verbal88. La diffusion de D2 peut être restreinte aux participants à l’échange D1 ou étendue à une communauté plus large : les membres d’un laboratoire pour un compte-rendu de conseil de laboratoire, de la communauté universitaire pour les comptes-rendus des grands conseils universitaires disponibles sur l’intranet ou de l’ensemble de la communauté nationale dans le cas des comptes-rendus de l’Assemblée nationale – lesquels, à partir du moment où ils sont publiés au Journal officiel, qui est disponible en ligne, peuvent acquérir une diffusion maximale…

On pourrait ainsi définir par son dispositif énonciatif et sa visée un genre « compte-rendu » spécifiable en « compte-rendu de parole ». Le « compte-rendu » devient « procès verbal » quand il acquiert une valeur légale, et englobe le « relevé de conclusions » qui peut n’en constituer qu’une partie.

87 Les discussions ont été synthétisées dans un document de travail rédigé par J. Lefebvre.

88

Diversité formelle des comptes-rendus

Les comptes-rendus (désormais CR) ainsi définis revêtent des formes très variées, variété qui peut être mise en relation avec les critères énoncés ci-dessus et avec le degré de normalisation des CR dans la sphère considérée. Étant donné qu’il s’agit de rendre compte, par écrit, de paroles, les principales différences formelles portent sur les modes de représentation du discours autre, et ce sont celles sur lesquelles nous nous sommes penchées : présence ou pas de formes de RDA, et dans le cas où les formes de RDA sont présentes, diversité de ces formes, ces variations étant plus ou moins normées. Ainsi, dans la sphère universitaire, les CR des « grands conseils » (Conseil d’Administration, Conseil Scientifique, Commission Mixte d’Établissement…), pris en charge par des « témoins » que sont les secrétaires, semblent plus normés que les CR des conseils d’UFR, généralement rédigés par des participants (enseignants-chercheurs la plupart du temps). Ainsi, pour ce qui concerne l’université Paris Ouest, le « relevé de conclusions » du Conseil Scientifique [devenu Commission de la recherche] est-il généralement – mais pas exclusivement – rédigé au DD, l’intervention de chaque orateur étant précédée de son nom (47) tandis que les CR des Commissions Mixtes d’Établissement sont eux au DI (48) :

(47) 5 – Représentants au Bureau de la Commission Recherche

Ph. G-L au Bureau de la Commission Recherche il faut élire un représentant des doctorants et un représentant de professeurs. Les candidatures sont à transmettre avant le 09 septembre (BCR). Ces élections auront lieu à la CR du 23 septembre. (CR)

(48) M. A souhaiterait que soit inscrit au procès verbal de cette séance qu’il y aura une réunion supplémentaire en septembre pour étudier la suite du mouvement et que Mme B continue son activité au sein de l’UFR Z à la rentrée mais qu’elle reste prioritaire sur le mouvement à venir. M. C répond qu’il est nécessaire de dégager un poste et de prévoir le remplacement. (CME)

Les normes peuvent varier d’un établissement à l’autre, ce qui pourrait indiquer qu’elles sont le fruit de traditions non écrites se perpétuant au sein d’un service.

Il faut noter que les CR du Conseil de Laboratoire que nous avons étudiés (MoDyCo) ne comportent aucune forme de RDA, le texte se donnant d’une certaine manière comme la voix de l’institution et évacuant toute trace de discussion entre les participants :

(49) Informations générales : – Au niveau CNRS

Les Instituts nationaux ont été créés, et ils remplacent les départements scientifiques. Toutes les unités CNRS ne sont pas des unités dites «stratégiques» des Instituts. X est une unité stratégique de l’Institut SHS, ce qui signifie que le laboratoire sera géré par le CNRS en tant qu’opérateur de recherche.

Pour les unités qui relèvent d’un autre établissement ou d’un organisme de recherche, le CNRS aura un rôle d’agence de moyen.

Le directeur de l’Institut SHS sera nommé dans les prochains jours. (CL)

Les CR des conseils d’UFR en revanche présentent un vaste empan de formes de RDA – discours direct, discours indirect, modalisation d’assertion comme seconde, modalisation autonymique d’emprunt, ou formes non marquées explicitement :

(50) M. Z, suite à ce courrier, souhaite apporter «une motion» (texte ci-dessous) et proteste contre la décision de fermeture de première année LLCE/Russe. (UFR)

(51) La non fongibilité entre la formation et la recherche remet en question l’avenir des UFR et des Ecoles doctorales et remet implicitement en cause l’adossement de la recherche à la formation selon P. J. (UFR)

Dans la sphère de l’entreprise, des normes sont mises en place par les sociétés spécialisées dans la rédaction de CR dont les « produits » sont disponibles sur leur site. Ces sociétés distinguent ainsi différents types de documents en fonction de leur degré de reformulation, ce qui se traduit par un nombre de pages différent par heure de discussion et par un coût différent de la prestation : la transcription, le compte-rendu exhaustif, le compte-rendu révisé, la synthèse standard, la synthèse brève et la note de synthèse (dénominations de la société Ubiqus : http://www.ubiqus.fr/). Dans tous les cas de figures, on a affaire à du DD introduit par le nom du locuteur.

Représentations du genre « compte-rendu »

Les représentations que les scripteurs ont du genre du compte-rendu peuvent permettre d’en affiner les caractéristiques pragmatiques et linguistiques. Ainsi, au cours de différents exposés au sein du groupe RDD, D. Mazzuchetti, rédacteur à l’Assemblée nationale, a-t-il pu, en retraçant l’historique des comptes-rendus des assemblées depuis les États généraux de 1614, faire apparaître un mouvement plus ou moins explicite de la part des représentants de la nation vers « l’objectivation » – mouvement qui conduit en 1795 à la constitution d’un corps de fonctionnaires dédiés et qui, à l’heure actuelle, nourrit chez certains le fantasme de l’enregistrement vidéo comme document « objectif ».

Or il est intéressant de noter que les guides et manuels ainsi que les sites consacrés aux écrits professionnels mettent en avant le caractère « objectif » du compte-rendu, comme en témoignent les quelques extraits suivants (c’est moi qui souligne en gras) :

(52) Caractéristiques de rédaction : Les pronoms personnels "je" et "nous" sont à bannir. La voix passive est employée. Le rédacteur ne s'exprime jamais en son nom. Il doit retranscrire avec

neutralité, objectivité et fidélité les propos pris en note lors de la réunion.

http://www.commentfaiton.com/fiche/voir/6227/comment-rediger-un-compte-rendu-de-reunion (53) Le compte-rendu de réunion obéit à des règles très strictes. Il doit adopter un ton neutre,

impersonnel et ne pas prendre position. En effet, le compte-rendu ne fait que restituer par écrit

les décisions ou points abordés lors de la réunion. Il est purement factuel. […] Le compte-rendu de réunion étant neutre, il convient d'employer la 3e personne du singulier. Ainsi, il faudra écrire : « la société xxx recommande de... » ou « suggère de... » ou « préconise de... », « le client fait observer que... », « A l'issue de cette réunion, il a été décidé de... ». Exit donc les « nous recommandons... ». http://www.top-assistante.com/redac/cr.php

(54) Le ton de vos notes est informatif et vous devez faire preuve d’une parfaite objectivité. Même si l’avis du chargé de clientèle vous exaspère, vous devez en prendre note sans le déformer ou le réduire à zéro. C’est un point très important. (I. d’Humières, Communiquer par écrit, Paris, Larousse, 2005)

L’exigence d’objectivité qualifie d’une certaine manière le statut de L2 comme témoin « neutre » plutôt que comme participant actif. Tous les comptes-rendus ne répondent pas bien entendu à ce critère. En particulier, des participants peuvent diffuser des comptes-rendus de réunions comportant des marques explicites de leur position subjective. Ainsi sur la liste des enseignants

de Paris 10 a-t-on pu recevoir pendant un certain temps des comptes-rendus du Comité National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CNESER) rédigés et diffusés par un délégué syndical, comportant de nombreuses marques évaluatives :

(55) Sur le CNAM, le ministère prétend que si des modifications statutaires sont envisagées, elles viendront au CNESER, mais que pour l’instant le débat est dans l’établissement (pour nos adhérents CNAM qui liraient ce compte-rendu, nous sommes preneurs d’informations). […]Le deuxième point de l’ordre du jour portait sur la modification du concours de certaines écoles, il s’agissait du concours TSI. On crée une épreuve de projet de science industrielle (encore) mais là, il y a une définition, il s’agit du regroupement de la mécanique et de l’EEA (électronique, électrotechnique et automatisme). Je ne sais pas pourquoi on n’appelle pas ceci sciences pour l’ingénieur … Mais bon,

cela pose moins de problèmes idéologiques que dans le cas précédent.

Il est à noter cependant que le rédacteur de ces comptes-rendus les présente explicitement comme la manifestation d’un point de vue particulier sur les débats, et pas du tout comme un compte-rendu doté d’une valeur officielle.

Quoi qu’il en soit de la réalité des textes identifiables comme des comptes-rendus, on peut peut-être considérer que le critère d’objectivité ou de neutralité, instituant le rédacteur du compte-rendu en témoin, même s’il est un participant de la réunion, constitue une sorte d’horizon d’attente du genre – qui pourrait correspondre à la factualité de « rendre compte ». Dans le monde professionnel, ce critère oppose le compte-rendu au rapport, qui constitue le deuxième genre sur lequel nous avons jeté quelques bases d’une recherche future.

Les remarques développées ici ne visent pas à l’exhaustivité ; elles pourraient constituer les préliminaires à un programme de recherche qui pourrait se donner comme objectifs :

– de poursuivre le travail, mené avec C. Mellet et au sein de RDD, sur la diversité des formes de RDA en relation avec variations dans les critères définitoires du compte-rendu,

– d’affiner les caractéristiques définitoires du genre, par exemple en prenant en compte les usages oraux spontanés des locuteurs, ou ceux relevés sur le Web.

Les retombées didactiques du travail sur le genre du compte-rendu ne sont pas à négliger : elles permettent de mieux guider les étudiants dans cet exercice difficile mais extrêmement fréquent dans le monde professionnel qu’est la rédaction d’un compte-rendu de réunion, et de mieux cerner leurs difficultés.