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Monsieur X est venu me voir le soir (sans aucune demande de ma part) pour m’indiquer : « ce n’est

2. Le genre comme principe de détermination du discours

2.3. Synthèse et bilan

2.3.3. Dynamisme et historicité des genres

Si ce dernier aspect me semble de fait particulièrement stimulant dans la littérature anglo-saxonne sur le genre, il est également pris en compte à des degrés divers par les théories francophones, dans le sillage de Bakhtine pour qui le caractère mouvant et dynamique des genres en constitue en effet une propriété essentielle :

La richesse et la variété des genres du discours sont infinies car la variété virtuelle de l’activité humaine est inépuisable et chaque sphère de cette activité comporte un répertoire des genres du discours qui va se différenciant et s’amplifiant à mesure que se développe et se complexifie la sphère donnée. (1984 : 265)

Ainsi J.-M. Adam et U. Heidmann mettent-ils en avant depuis quelques temps la notion de généricité : appuyant leur démonstration sur une analyse des contes de Perrault et de Grimm (édition de textes et phénomènes d’écho entre certains contes et d’autres textes), ils définissent la généricité par le fait qu’un texte « est mis, à la production comme à la réception-interprétation, en relation avec un ou plusieurs genres » et « n’appartient pas en soi à un genre » (Adam et Heidmann 2004 : 61). La généricité constitue donc une catégorie dynamique : « il s’agit d’aborder le problème du genre moins comme l’examen des caractéristiques d’une catégorie de textes que comme la prise en compte et la mise en évidence d’un processus dynamique de travail sur les orientations génériques des énoncés. » (2004 : 62) On peut se demander cependant si ce qui est caractérisé ici ce n’est pas plus le caractère dynamique des textes que celui des genres.

Chez J.-P. Bronckart, le dynamisme et le caractère évolutif des genres en constitue une dimension constitutive, dans la mesure où ces propriétés découlent de sa conception du genre comme « stabilisation » provisoire de choix « relatifs à la sélection et à la combinaison des mécanismes structurants, des opérations cognitives et de leurs modalités linguistiques de réalisation » (2004 : 104). On comprend dès lors que

En raison de ce statut, les genres changent nécessairement avec le temps, ou avec l’histoire des formations sociales. En outre, à l’instar des autres œuvres humaines, ils sont susceptibles de se détacher des motivations qui les ont engendrés, pour s’autonomiser et devenir ainsi disponibles pour l’expression d’autres finalités (la finalisation actuelle d’un genre constituant généralement un mixte dépendant et des décisions originelles d’une formation sociale, et de processus ultérieurs de « récupération » ou de « travestissement »). (2004 : 104)

Mais cette instabilité constitutive des genres rend difficile pour Bronckart leur appréhension formelle, et c’est pour lui au niveau des types de discours que se fait la caractérisation

linguistique. Je reviens plus loin sur cette question du niveau d’analyse, déjà rencontrée à plusieurs reprises.

Quoi qu’il en soit, on aura noté que pour Bronckart la possibilité pour un genre de « passer » d’une sphère d’activité à une autre constitue une des formes de son évolution :

la transmission historique fait en sorte que des genres initialement élaborés en rapport à un champ pratique peuvent se trouver empruntés et réélaborés ultérieurement dans d’autres champs ou dans d’autres pratiques singulières. (2008 : 43)

Sur ce point, il est en désaccord avec Rastier (voir p. 112), chez qui je n’ai d’ailleurs pas trouvé d’éléments permettant de penser la « dynamique » des genres. Il retrouve en revanche les thèmes principaux des recherches nord-américaines.

Pour ces dernières en effet, la question des relations entre genres, qu’ils soient produits dans la même sphère ou non, semble constituer une thématique importante. Ces relations prennent différentes formes, qui ne sont pas superposables mais dont la juxtaposition permet de cerner la congruence des préoccupations de ces chercheurs. Pour Muntigl et Gruber (2005) c’est une des caractéristiques communes aux recherches sur le genre :

Genres are related to other genres in the same social field (« systems of genres », Bazerman 1994 ; « interdiscursivity”, Fairclough 1992 ; « Genre Families », Martin 2002) and the same genre may be used in various social fields (« genre colonies », Bhatia 1999). […]

Genres do not stand independently of each other, but are meaningfully related to other genres in the same or a different field of social action. They may form networks of genres within a field or discipline. For example, the field of science is constitutive of different genres such as procedure, explanation and report (Veel 1997). Genres may also have « interdiscursive » relations to other genres (Fairclough 1992), i.e. new (« hybrid ») genres may emerge which combine elements of existing genres with new elements as a result of new communicative demands in a society (cf. Gruber 2000 for an investigation of the hybrid genre of scholarly e-mail communication). On the other hand, a genre type may be used in different social fields and then be adapted to the special demands of these fields. For example, the genre «procedure » may be realized as a cooking recipe, instruction manual, scientific procedure or furniture assembly directions (see Martin 1999:33). Another example includes the differences and commonalities between newspaper reports, business reports, and police reports ; Bhatia (1999), coined the term « genre colony » for this phenomenon. (2005 : 8-9)

De même pour Prior (2009)

Over the last 15 years, in different terms and with somewhat different emphases, but with increasing clarity, genre analysts have been moving from a focus on genres as isolated phenomena to a recognition of how specific types of texts are formed within, infused by, and constitutive of systems of genres. Genres have been described in terms of chains (Swales, 2004 ; Fairclough, 2004), colonies (Bhatia, 2002), repertoires (Orlikowski & Yates, 1994 ; Devitt, 2004), sets and systems (Bazerman, 1994, 2004a ; Devitt, 1991, 2004), and ecologies (Spinuzzi, 2004). (2009 : 17)

La description des familles, réseaux, répertoires de genres permet de penser leur transformation83. On retrouve ainsi l’idée présente chez Bronckart de la « migration » possible

83 Dans la citation de Muntigl et Gruber on voit apparaître le genre « procédure » à côté du genre du « rapport » : il s’agit de nouveau de la non-distinction entre « type » de texte et genre.

d’un genre d’une sphère sociale à une autre. La proximité des genres au sein d’une sphère d’activité permet également de penser « l’hybridité » des genres. Dans la perspective de Fairclough, K. Ervajec (2004) s’intéresse au genre hybride de l’article promotionnel , « entre promotion et information ». D’autres recherches s’intéressent aux transformations des genres d’un point de vue diachronique, permettant de saisir l’historicité des genres. On peut citer ici l’étude de J. Yates sur l’émergence du genre du mémo et sur l’influence de ce genre dans la structuration du courrier électronique (Yates 1989) ou celle de L. Mozdenski sur le genre du « Legal Booklet » au Brésil (2009). Nous verrons comment cette dimension historique constitue un des aspects sur lequel nous avons commencé à nous pencher dans la recherche menée en collaboration avec C. Mellet (cf. [18]).

Nonobstant leur intérêt, les recherches menées dans le domaine anglo-saxon auxquelles j’ai eu accès se caractérisent, comme je l’ai indiqué plus haut (p. 111), par leur relative indifférence vis-à-vis de la prise en compte des formes linguistiques dans ces transformations, question qui intéresse au plus haut point en revanche un linguiste : en quoi les formes et les valeurs d’emploi des formes se transforment-elles au cours de l’évolution d’un genre ? C’est à ce type de questions que pourrait répondre une étude en diachronie des rapports éducatifs, qui permettrait en outre de mettre en relation les observations recueillies avec les évolutions juridiques et sociales.

Les chercheurs nord-américains travaillant dans le domaine des « work-places studies » ont également fait émerger, à l’instar des nombreux chercheurs gravitant autour du réseau « Langage et travail », l’existence de genres « cachés », qui constituent des médiateurs de l’activité plutôt que des réponses à des consignes explicites (voir l’opposition entre genres prescrits et genres réels reprise par Boutet aux travaux des ergonomes), ainsi que les « chaînes de genres » qui existent dans les sphères professionnelles entre genres oraux et genres écrits84 :

Theorists have also begun to highlight ways that genre theory has privileged public texts whose primary functions are informational, rhetorical or aesthetic. For example, Swales (1996, 2004) has identified the category of occluded genres, and Spinuzzi (2004) has highlighted the way many workplace genres are designed primarily to mediate activity (e.g., to work as aids to thinking and action rather than as means of interoffice or external communication). Attention to modes other than writing has also grown. Räisänen (1999), for example, has examined the chains of written and oral genres involved in presenting at academic conferences. Analyzing topological and typological dimensions, Lemke (1998) has argued that scientific texts are, and long have been, routinely

multimedia genres, whose mix of modalities plays a crucial role in the construction of meaning.

Situated genre analyses in specific sites (e.g., Bazerman, 1999 ; Berkenkotter, 2001; Kamberelis, 2001 ; Prior, 1998) have also highlighted ways that literate activity involves multimodal chains of genres. For example, a group may engage in planning « talk » (which might include written notes, drawings, diagrams, and so on as well as presentational and conversational talk); that planning talk may lead to a series of written drafts that are perhaps reviewed through a series of oral and written responses (with annotational genres including textual editing, marginal comments, and extended comments); and all of this activity may culminate in a final written text that is then read

in certain typified ways and prompts other responses. Many of the genres in such chains are both relatively occluded and more oriented to mediational or processual purposes of individuals or groups than to wider public exchange. More and more, we understand that the rhizomatic threads

of genre spread just about everywhere we might look into human societies. (Prior 2009 : 17,

souligné par moi)

Cette dernière dimension est bien entendu cruciale pour comprendre la production des genres dans l’entreprise, par exemple, et difficile à rendre accessible aux étudiants qui s’initient à la maitrise des genres professionnels (voir cependant le dispositif imaginé par Russell et Fisher 2014). Elle l’est également dans la sphère du travail social : comme le montre pertinemment Rousseau (2007), l’écriture d’un rapport éducatif ne peut être dissociée des notes prises au jour le jour par les éducateurs, des réunions de synthèse, mais aussi des conversations de couloir, non plus que des réécritures et corrections. Cette dimension est souvent évoquée par les travailleurs sociaux avec qui nous collaborons dans le cadre du projet Ecritures. Elle n’a pas pu être jusqu’à présent prise en compte autrement que par l’enregistrement des réunions de synthèse préalables aux rapports fournis par les éducateurs.