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Monsieur X est venu me voir le soir (sans aucune demande de ma part) pour m’indiquer : « ce n’est

4. Questionnements autour de la circulation et de la reprise d’un segment textuel [1], [5], [11], [30]

5.2. Figement et extériorité discursive

5.2.2. Différents parcours interprétatifs

Décrire et évaluer

On peut noter tout d’abord que ces patrons s’inscrivent dans la double visée des rapports éducatifs, qui ont pour objectif de caractériser une situation familiale et ici plus précisément la

situation d’un jeune placé en famille d’accueil ou en foyer pour évaluer cette situation et aboutir à une préconisation (maintien, adaptation ou fin de la mesure).

Sur le groupe

Le groupe dans le groupe prépositionnel sur le groupe réfère quasi-exclusivement au groupe des

jeunes accueillis au foyer (le GP est donc absent des rapports portant sur les jeunes accueillis en famille d’accueil). L’examen des contextes d’emploi montre qu’il a une fonction de localisation62 :

(37) Son envie de rester sur le groupe ; Il a pu exprimer son désir de venir sur le groupe de

l’Orangerie en raison surtout de la mixité et des différentes tranches d'âge..

Cette localisation s’inscrit souvent dans un bornage temporel :

(38) Il a passé une semaine sur le groupe

(39) Durant cette deuxième année sur le groupe de l'Origami, Jade a davantage pris une place d'adolescente, tant dans ses préoccupations que ses demandes d'autonomie.

(40) A pris quelques kilogs depuis son arrivée sur le groupe

Ainsi le GP scande la temporalité de l’enfant, le temps du groupe étant opposé au temps de la famille ou au temps de l’école :

(41) Au retour sur le groupe le dimanche soir, elle racontait aux autres jeunes, les aventures amoureuses qu'elle aurait eues pendant les week-ends avec des détails très sexualisés.

On a ici un emploi conforme aux remarques sur le caractère « transitoire » de la localisation avec

sur (Franckel et Paillard 2007, Hernandez 2008). Mais le GP apparaît en outre fréquemment dans

un contexte évaluatif :

(42) Sa place sur le groupe a évolué. elle est devenue une des plus grandes et accepte ce statut. Evolution sur le groupe constitue ainsi un titre de rubrique « endogène » (c’est-à-dire émanant

des scripteurs eux-mêmes).

Ainsi la description et l’observation du comportement de l’enfant sont-ils repérées par rapport au « groupe ». L’emploi de sur manifeste le caractère transitoire de la localisation, mais induit sans doute aussi une vision « surplombante » : ce qui est observé c’est « l’enfant sur le groupe », et cette observation ainsi localisée constitue une des facettes de l’évaluation. Parallèlement, il est possible que le trait [+ hum] de groupe soit moins visible, le groupe effaçant en quelque sorte les enfants qui le constituent en devenant un « lieu d’observation ».

« X est dans », « X est en »

Ces patrons participent explicitement à la caractérisation de la personnalité de X, en le situant par rapport à un état psychologique ou à un affect dans lequel le sujet est « plongé ». Avec « X

est dans », tout particulièrement, le sujet n’est plus acteur comme il le serait s’il était sujet du

prédicat équivalent ; il est identifié par son appartenance à une catégorie : on peut ainsi comparer il peut être dans la réparation avec il répare (ou il peut réparer) ou il est dans la

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dissimulation de ses devoirs ou mots à faire signer avec il dissimule ses devoirs. Pour les

professionnels, interrogés sur la question lors d’une restitution, l’emploi de cette tournure est « moins négative » que celle du verbe simple équivalent dans la mesure où elle marque le caractère transitoire de l’évaluation.

« dans [det.] cadre »

Dans les rapports éducatifs, on n’observe pratiquement pas d’emplois cadratifs de cette expression, et peu d’emplois anaphoriques ; elle sert essentiellement à préciser le cadre juridique et légal de l’intervention des travailleurs sociaux (43) ou les modalités ou les circonstances de la prise en charge (44) :

(43) bilan de ces 6 mois d'accueil de emmanuel au abcd dans le cadre du placement familial

séquentiel met en relief la persistance des difficultés de emmanuel

(44) en juin 2007 et septembre 2007 madame gillouard l'a reçue dans le cadre d'entretiens

individuels.

Dans le cadre situe ainsi le texte dans un « cadre » institutionnel. Mais l’expression peut

également circonscrire un « cadre d’observation » comme dans les deux extraits suivants :

(45) prise en charge en orthophonie le 02 février 2008 suite à des difficultés repérées dans le cadre

du collège ceci à raison d'une séance par semaine

(46) monsieur seyvet se promène avec sa fille dans le cadre du centre commercial proche de son domicile un samedi sur deux pendant quelques heures

Il s’agit en même temps de « situer » l’observation dont fait état le rapport dans un cadre légal, mais aussi de « situer » le sujet observé dans un cadre. L’espace dans lequel évolue le sujet est découpé en « cadres » qui organisent l’observation.

« X peut/a pu »

Les patrons en pouvoir se caractérisent par une restriction sur le prédicat, qui évoquent « quelque chose de difficile à faire ou à dire » mais qui est valorisé dans le champ éducatif, comme « exprimer ses désirs » par exemple. Ils sont fréquemment accompagnés de compléments prépositionnels ou d’adverbes qui indiquent un changement (désormais,

aujourd’hui …). Comme je l’ai montré dans [27] les énoncés qui comportent ce patron

présentent souvent une oscillation entre une valeur de capacité et une valeur de réalisation sporadique. Ils disent à la fois que « quelque chose se produit » et que « le sujet est capable d’accomplir ce quelque chose ». Ce faisant ils s’inscrivent bien dans la double visée de description-narration et d’évaluation qui est propre au genre.

Ces patrons s’inscrivent donc dans la visée pragmatique propre aux rapports éducatifs. Leur figement partiel les constitue en ressources disponibles pour les scripteurs, ce qui explique leur répétition et donc leur fréquence dans le corpus. Peut-on dire pour autant que leur caractère figé ne s’inscrit que dans la dimension pragmatique du genre ? Une analyse plus poussée, pourrait permettre de complexifier un peu l’analyse.

Dimension interdiscursive

On peut ainsi noter que la caractérisation « surplombante » des patrons « X est dans »/« X est

conflit, demande affective, recherche affective, soutien, difficulté …) « résonnent » comme en écho au discours clinique. Or on a eu l’occasion, en analysant l’emploi des guillemets, de noter la « porosité » du discours des éducateurs avec ce discours clinique qui bien souvent « outille » l’observation (voir p. 53). Il n’y a pas cependant à proprement parler « emprunt », étant donné la diversité et le caractère créatif des tournures : ce qui est emprunté, c’est bien un patron c’est-à-dire un moule syntaxique caractéristique d’une « façon de parler ».

Avec cadre et pouvoir, on touche aussi à des dimensions propres au champ éducatif. On a ainsi pu mettre en relation les résultats de l’analyse du patron « dans [det.] cadre » (E. Née et F. Sitri,

« Dans [det.] cadre (+ spécification )» : de la locution à la routine discursive », exposé au congrès

Wrab 2014, [36] en préparation) avec l’importance du « cadre » dans le discours des éducateurs, importance mise en évidence par exemple par le travail de Cambon 2006 : les éducateurs sont « cadrés » par les textes de loi qui contrôlent leur activité, mais en même temps le « cadre » est la « norme » qu’ils doivent imposer aux sujets dont ils s’occupent, qu’il leur faut donc « cadrer » ou « recadrer »…

La mise en évidence de capacités nouvelles avec les patrons en pouvoir quant à elle suppose on l’a vu la valorisation de certaines activités par rapport à d’autres (parler, être autonome…) et relève donc de normes d’évaluation sous-jacentes. Les changements sont dès lors valorisés comme étant des « progrès » et l’acquisition de capacités nouvelles s’inscrit bien souvent dans un mouvement argumentatif (travaux de M. Veniard sur les emplois de évolution). On pourrait parler ici du « thème » du progrès ou du « thème » du cadre, en reprenant cet emploi de « thème » à Guilhaumou et Maldidier. A propos du « thème » des subsistances au moment de la Révolution, ils expliquent :

Plutôt que de parler de question des subsistances, nous avons recours à la notion de thème des subsistances. La notion de thème ne renvoie ici ni à l'analyse thématique telle qu'elle est pratiquée par les littéraires, ni aux emplois qui en sont faits dans la linguistique. Elle suppose la distinction entre « l'horizon d'attente » – l'ensemble des possibles attestés dans une situation historique donnée – et l'événement discursif qui réalise un de ces possibles, inscrit le thème en position référentielle. L'événement discursif ne se confond ni avec le fait divers, ni avec le fait désigné par le pouvoir, ni même parfois avec l'événement construit par l'historien. Il est à saisir dans la consistance d'énoncés qui font réseau à un moment donné. (1986 : 44)

Nous ne travaillons pas, certes, comme Guilhaumou et Maldidier, sur l’émergence d’évènements discursifs. On pourrait cependant concevoir le « thème » du progrès comme sous-jacent à un certain nombre d’énoncés ou de patrons que l’on met en réseau (patrons autour de pouvoir,

évolution…). Dans les rapports éducatifs, les manifestations de ce thème jouent le rôle d’un

« topos » c’est-à-dire d’une loi de passage dans l’argumentation vers la préconisation formulée en conclusion. En même temps, le thème du progrès constitue une composante de ce que l’on pourrait appeler un « éthos » professionnel (peut-on éduquer si on n’est pas persuadé que l’action éducative fait progresser ceux à qui elle s’applique ?) et à ce titre on pourrait, par une mise en corpus, en saisir la formulation dans les discours de la formation ou les discours des éducateurs sur leur métier. C’est ce type d’enquête, menée par Cambon, qui nous a permis de saisir l’importance du « thème » du cadre dans ce discours, thème qui se manifeste dans l’emploi routinisé du patron « dans [det.] cadre ».

Mais au-delà même de caractéristiques qui relèvent d’un genre en tant qu’il est situé dans une sphère d’activité, on a noté aussi que le suremploi des patrons « X est dans/en » pourrait participer de la tendance à la nominalisation observée dans les discours professionnels (Blanche-Benveniste 1997 : 62 par exemple), c’est-à-dire s’inscrire dans un changement en cours dans une sphère plus large. Dans le même ordre d’idées, et comme je le montrerai de façon plus détaillée dans le chapitre 3 (p. 161-162), la généralisation de la préposition sur avec le N groupe pourrait également s’inscrire dans des changements en cours dans l’emploi de la préposition, avec une extension d’un emploi de localisation (travailler sur Paris) et des emplois spécifiques dans des sphères d’activité bien précises (aller sur les obligations en économie, aller sur des touches plus

minérales dans le discours spécialisé des cavistes).