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Limites d’une approche « fonctionnaliste »

Monsieur X est venu me voir le soir (sans aucune demande de ma part) pour m’indiquer : « ce n’est

I. LES PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DU SYSTÈME ÉDUCATIF FINLANDAIS A. QUELQUES REPÈRES CHIFFRÉS

2. Des patrons aux routines : formes et significations

2.2. Limites d’une approche « fonctionnaliste »

De fait, la plupart des recherches qui portent sur les unités phraséologiques s’attachent à catégoriser ces unités selon leurs fonctions, en s’appuyant sur le modèle fonctionnel tripartite du langage proposé par Halliday. Ainsi en est-il de la synthèse que proposent Granger et Paquot :

Phraseological units are assigned to one of three major categories: referential phrasemes, textual phrasemes […] and communicative phrasemes. Referential phrasemes are used to convey a content message: they refer to objects, phenomena or real-life facts. They include lexical and grammatical collocations, idioms, similes, irreversible bi- and trinomials, compounds and phrasal verbs. Textual phrasemes are typically used to structure and organize the content (i.e. referential information) of a text or any type of discourse; they include grammaticalized sequences such as complex prepositions and complex conjunctions, linking adverbials and textual sentence stems. Communicative phrasemes are used to express feelings or beliefs towards a propositional content or to explicitly address interlocutors, either to focus their attention, include them as discourse

135 Cf. Banks (2011) : « l’aspect social est primordial dans cette approche [la Linguistique Systémique Fonctionnelle développée par Halliday]. On peut citer Halliday à nouveau : ‘Language is a part of a social system’ » (en ligne n. p.).

participants or influence them. They include speech act formulae, attitudinal formulae, commonplaces, proverbs and slogans. (Granger et Paquot, 2008 : 13)

Se situant au croisement de la linguistique de corpus et de la phraséologie lexicale, les travaux récents sur l’article scientifique et les textes scientifiques en général (voir pour le domaine français en particulier les travaux d’A. Tutin et les publications autour du projet Scientext) s’intéressent de plus en plus aux fonctions – rhétoriques, pragmatiques, argumentatives – des « expressions polylexicales » (Tutin 2007) ou « unités phraséologiques » (Pecman 2004 citée par Tutin 2007) de ces textes. Tutin (2014) propose une typologie tripartite « à la fois inspirée de Burger (1988), Granger & Paquot (2008) et Mel’çuk (2011) » dont « le paramètre le plus saillant est le rôle fonctionnel que les expressions remplissent dans le discours scientifique » (Tutin 2014 : 29), auquel elle ajoute un niveau, celui des « routines sémantico-rhétoriques », sur lequel je reviendrai :

La typologie proposée aboutit à quatre types d’expressions, qui seront détaillées dans la suite de la section :

1. Les séquences polylexicales à fonction référentielle, collocations ou expressions figées, (Ex : faire

une hypothèse ; point de vue)

2. Les séquences polylexicales à fonction discursive (Ex : en d’autres termes ; pour conclure…) 3. Les séquences polylexicales à fonction interpersonnelle, essentiellement des expressions à fonction modale (Ex : il est probable ; contre toute attente…)

4. Les routines sémantico-rhétoriques, propres au discours scientifique (Ex : comme on peut le voir

sur la figure/le tableau X). (2014 : 30).

La perspective fonctionnelle constitue donc une composante importante des travaux sur les unités polylexicales, avec une influence forte du modèle hallydéen. Malgré le problème de la non univocité de la relation forme-fonction signalé par Sandor 2007, certains travaux, en particulier quand ils ont une perspective didactique, aboutissent fréquemment à la mise en place de tableaux de correspondance entre formes et fonctions136.

Ces approches, qui relèvent de la linguistique de corpus, s’appuient sur une conception explicitement « syntagmatique » du discours défini comme : « a field which centres on the organisation of language above the sentence or above the clause, and therefore studies larger linguistic units, such as conversational exchanges or written texts (Stubbs 1983 : 1). » (Granger et Paquot 2008 : 7) Dans le modèle que je propose, le discours n’est pas conçu comme linéarité, enchaînement de séquences ordonnées par l’appartenance à un genre aux contraintes clairement identifiables, et dont les « fonctions » s’articulent à ces contraintes. Le discours, constitutivement hétérogène, se déploie dans un espace à plusieurs dimensions, où les déterminations génériques sont elles-mêmes prises dans des relations avec d’autres genres ou d’autres sphères d’activité (voir les chapitres précédents).

De fait, dans les travaux menés en collaboration, pour la plupart d’entre eux, avec E. Née et M. Veniard, nous ne cherchons pas à rendre compte, comme je l’ai dit (chapitre 1, p. 78), de l’ensemble des expressions phraséologiques présentes dans les rapports éducatifs. D’une part

136 Ces tableaux peuvent susciter le même type de réserves que celles émises par exemple à propos des listes d’actes de langage quant à l’indistinction des valeurs ou des effets liés à telle ou telle réalisation.

nous avons isolé des figements plus longs et plus diversifiés, proches des « formulaires » identifiés par Branca-Rosoff ou des « motifs » de Longrée et Mellet, et d’autre part nous avons montré que les parcours interprétatifs, les « significations », associés à ces patrons sont de natures différentes et mettent en jeu les différentes dimensions du discours (chapitre 1, p. 81-84). Notre conception est dès lors assez proche de celle de Branca-Rosoff qui met en évidence une pluralité de « fonctions » attribuables aux patrons lexico-syntaxiques qu’elle identifie comme des formulaires : situés à des endroits précis du texte, ils « fixent à la fois les règles du jeu, le type de discours dont il s’agit et le positionnement des sujets énonciateurs » - fonctions pragmatiques si l’on veut mais articulées à l’histoire et au sujet. Je me propose de regrouper ici des éléments développés tout au long des pages qui précèdent.

On peut d’abord rendre compte de la présence de ces patrons en les reliant à la visée explicite du genre « rapport éducatif », qui est de décrire et d’évaluer une situation familiale pour aboutir à une préconisation. Ainsi description et évaluation sont-elles au service de l’argumentation en faveur d’une préconisation : ces patrons s’inscrivent dans une perspective argumentative. L’évolution du jeune et tout particulièrement l’existence de progrès est un argument pour préconiser le maintien ou la modification de la mesure137. Dans le texte des rapports éducatifs, le « thème » du progrès joue ainsi le rôle d’un « lieu commun », d’une loi de passage soutenant une conclusion.

La description/évaluation et la préconisation sont prises en charge par un scripteur inscrit plus ou moins explicitement dans son texte. Avec E. Née ([31]), nous nous sommes intéressées aux prédicats associés à nous, en annotant les formes nous, nos, notre à l’aide de catégories sémantico-pragmatiques correspondant aux activités de l’éducateur (« faire », « dire », « éprouver des sentiments », « penser/interpréter », « constater », « préconiser »)138. On a ainsi fait apparaître deux types de phénomènes récurrents.

D’une part on a constaté que certains prédicats sont très fréquemment accompagnés de formes de modalisations/auxiliations : ainsi avec « faire » on observe une prédominance de modalisations de type « obligation » : nous a amené à conduire Léa aux urgences, nous ont

conduit à stopper les rencontres… et de type « décision » : nous avons fait le choix d’un changement de famille d’accueil, nous avons donc décidé un changement d’école… Comme on le

constate avec ces quelques exemples, ces deux types de modalisation/auxiliation portent fréquemment sur des prédicats qui correspondent à des décisions modifiant les conditions de vie du jeune (changement de famille d’accueil), à des actes pris en urgence ou signalant un échec de la prise en charge qui se réduit alors à la répression ou au contrôle. Tout se passe comme s’il y avait alors dans le texte soit un moindre engagement du scripteur soit au contraire une mise en relief de l’acte de décider.

137 De fait on n’observe jamais, dans les rapports que nous avons eus entre les mains, de préconisation en faveur de la levée de la mesure de placement.

138 Les travaux menés à Grenoble autour des routines associées aux verbes de constat dans les écrits scientifiques (voir entre autres Grossmann 2013, 2014 ou Kraif, Tutin et Hatier à paraître) pourraient donner lieu à des approches comparatives intéressantes sur les usages de ces verbes dans des genres et des sphères d’activité différentes.

D’autre part on a également mis en évidence des associations cooccurrentielles entre certaines catégories de prédicats et certains connecteurs139 et mis au jour le patron lexico-syntaxique « Connecteur Concessif + nous + prédicat sentiment (peur/inquiétude) » : en_revanche nous

restons inquiets en ce qui concerne les relations amoureuses de jade, nous restons toutefois attentifs à l’évolution d’Elise dans la mesure où elle présente un retard de langage important. Ces

patrons dont nous est le support donnent ainsi à voir la façon dont le scripteur représente, de façon plus ou moins consciente140, ses activités ou ses prises de position mais ils soutiennent également la ligne argumentative du rapport.

Il faut en dernier lieu souligner que certains patrons s’actualisent à des « endroits » précis du texte (certaines rubriques par exemple), revêtant une dimension textuelle.

On voit dès lors que l’on peut mettre en relation les séquences phraséologiques que nous avons identifiées avec des fonctions au sens courant du terme : fonctions pragmatiques, argumentatives voire textuelles. Mais comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, les patrons prennent également sens comme manifestations de déterminations interdiscursives qui ne relèvent pas seulement du genre mais aussi de la sphère d’activité dans laquelle il s’inscrit, renvoyant, on peut le supposer, à des constantes du discours des éducateurs (porosité avec le discours clinique psy, importance du thème du « cadre », du thème du « progrès » dans la représentation du métier d’éducateur).

On peut même ajouter que certaines formulations, comme je l’ai montré plus haut, doivent être rapportées à des extensions d’emploi qui s’inscrivent dans des changements en cours : c’est le cas de l’emploi de la préposition sur et de la locution dans le cadre. Pour cette dernière construction, il faudrait vérifier, et c’est à quoi vise [36], que son emploi dans les rapports éducatifs ne peut pas être mis en relation avec des emplois analogues dans le discours juridique. Le tableau ci-dessous tente de rendre compte de ces différentes dimensions interprétatives :

139

Ainsi la catégorie de prédicats nous_sujet_dire attire la conjonction « lorsque », la catégorie

nous_sujet_constat, des connecteurs d’exemplification (notamment, par exemple), tandis que la catégorie nous_sujet_sentiment s’associe à des marqueurs concessifs (connecteurs en revanche, mais, toutefois).

140

Contrairement aux consignes explicites du juge, qui recommande, comme nous l’ont indiqué les éducateurs, que la « préconisation » soit formulée de la façon la plus directe possible, elle se manifeste le plus souvent par des formes modalisées : il nous semble/paraît judicieux/souhaitable, X nous

paraît/semble judicieux/souhaitable, nous pensons que X est judicieux/souhaitable/adapté, il y a lieu selon nous de (une mesure d’aemo nous semblerait être une mesure adaptée, une orientation en famille d’accueil nous semblerait une bonne indication, il nous paraît opportun de maintenir un accompagnement, nous paraît être la solution la plus adaptée…).

INTERPRETATION PATRON décrire/évaluer (fonction pragmatique) se positionner argumenter (fonction argumentative) dimension interdiscursive évolutions en cours ? « être dans »

X est dans + [adj] +N tel que N soit un N prédicatif abstrait, le plus souvent un déverbal ou un dérivé d’adjectif

il est dans la dissimulation de ses devoirs ou mots à faire signer

« être en »

X est en + [adj] +N tel que N soit un N prédicatif abstrait, le plus souvent un déverbal ou un dérivé d’adjectif

T est en recherche affective de la part de sa mère Caractérise les personnes en les situant par rapport à un affect, un comportement, caractériser en vue d’une conclusion discours clinique « psy » « sur le groupe »

Sa place sur le groupe a évolué. Décrit et évalue le comportement de l’enfant par rapport au groupe extension de l’emploi de sur

« dans [det] cadre »

en juin 2007 et septembre 2007 madame gillouard l'a reçue dans le cadre d'entretiens individuels. Situe l’action (raconter) et caractérise les personnes par rapport à un cadre d’observation thème du « cadre » dans le discours des éducateurs extension de l’emploi de dans le cadre « pouvoir »

[et] + [circonstant] + X peut/a pu + [adverbe/circonstant] + [nous] + Prédicat « difficile à dire ou à faire »

Il peut aujourd’hui partager certains moments agréables avec les autres sans être envahi par ses peurs

« Raconte » les actions de X et en même temps ses capacités saisies sous l’angle de leur évolution (patron « X peut désormais ») soutenir une conclusion thème du « progrès » dans le discours des éducateurs

patrons avec nous

nous sujet FAIRE + modalités obligation/décision

« connecteur concessif + nous + prédicat

sentiment (peur/inquiétude) » : en_revanche nous restons inquiets en ce qui concerne les relations amoureuses de jade,

se positionner face à une décision exprimer son inquiétude soutenir une conclusion

Comme on le constate, il est impossible d’établir une relation bi-univoque entre patrons et fonctions : un patron peut « servir » plusieurs fonctions, tandis qu’une même fonction est actualisée par différents patrons. De même un patron peut à la fois remplir une fonction pragmatique et être déterminé par l’interdiscours.