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Approches pragmatiques et fonctionnelles du genre

Monsieur X est venu me voir le soir (sans aucune demande de ma part) pour m’indiquer : « ce n’est

2. Le genre comme principe de détermination du discours

2.2. Le genre : une cartographie

2.2.2. Approches pragmatiques et fonctionnelles du genre

Du côté nord-américain, on va le voir, les paradigmes sont autres, même si la recherche sur le genre est tout aussi florissante78. Globalement, on peut dire que dans le champ de recherches

78 Plusieurs textes, qui présentent de façon synthétique les diverses traditions de recherche sur le genre (Muntigl et Gruber 2005, Swales 2009 reprenant en partie un article de Hyon 1996, Prior 2009, Poudat 2006), permettent de prendre connaissance de ce paysage. Comme je l’ai dit plus haut, je laisse ici de côté les traditions ancrées dans les travaux des chercheurs germaniques, évoqués par Muntigl et Gruber.

anglo-saxon, le genre est d’emblée et plus directement envisagé dans sa fonction sociale et par rapport aux buts sociaux qu’il accomplit :

Most approaches to genre have emphasized that genres are goal-directed or purpose-driven. Furthermore, these goals or purposes are socially and culturally shared. In other words, genres are used by social groups (discourse communities) to fulfill social purposes. Individual’s communicative aims and intentions are always interpreted against the available inventory of culturally shared forms of communicative interaction. (Muntigl and Gruber 2005 : 10-11)

La notion de genre est présente dans le champ de l’ethnographie de la communication à travers les travaux de Hymes (1972) sur la « compétence de communication » : on sait que le genre constitue un des aspects d’un évènement de communication. La postérité de Hymes est à chercher dans la notion de « speech event » ou de « speech communities », que l’on retrouve dans les travaux de Swales. Ces catégories sont reprises en France par les chercheurs qui travaillent sur les interactions orales :

Les G1 [genres au sens 1] correspondent à des types d’interactions ou d’événements de

communication attestés dans une société donnée (colloques, entretiens d’embauche, interviews,

etc.). Ce sont des unités qui relèvent du niveau macrotextuel, et que l’ethnographie de la communication (principal courant interactionniste à accorder une place importante à cette problématique des genres) appelle speech events ou communicative events, lesquels sont associés à la fois à des speech situations et à des speech communities (les événements de communication sont en effet culturellement spécifiques). (Kerbrat-Orecchioni 2003 en ligne n.p.)

ou par des chercheurs qui se situent dans une perspective d’« ethnolinguistique de l’écrit » (Beacco 1992 par exemple)79.

Mais les trois principales traditions recensées par les auteurs consultés sont l’ESP (English for special purpose), la Nouvelle Rhétorique (New Rhetorics) et l’approche systémique-fonctionnelle (Systemic Functional Linguistics).

L’ESP, représentée par les travaux de Bathia et Swales, pour ne citer que les plus connus, conçoit les genres, dans la filiation de Hymes, en relation avec les « communautés de discours » (par exemple la communauté scientifique) : « ils représentent des instruments permettant à la communauté de poursuivre ses objectifs », de telle sorte que ce courant considère « le genre comme fondateur de la communauté de discours » (Poudat, 2006 : 47). Pour Hyon, cité par Swales, l’ESP se caractérise, relativement aux autres approches, par une attention particulière portée aux caractéristiques formelles des genres. Les chercheurs de ce courant s’intéressent avant tout à la structuration des textes en relation avec les genres : ainsi les travaux sur le genre

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Comme l’explique Moirand : « Mais ce n’est pas la composante ‘genre’ du modèle de Hymes que les modèles ultérieurs ont retenue : ce sont plutôt celles de ‘cadre’, de ‘participants’ et de ‘finalités’, qu’il s’agit d’affiner dans les réflexions sur les genres de l’oral, ainsi que les notions d’événement de communication, et surtout de communauté langagière (speech community) que l’on retrouve sous des formes et des acceptions quelques peu différentes mais toujours liées à celle de genre chez Beacco (pour une ethnolinguistique de l’écrit), chez Maingueneau (à propos des genres constituants) et chez Swales (à propos des genres académiques). » (Moirand, 2003 en ligne : 7)

de l’article scientifique en ont-ils mis en évidence les différents « mouvements » (« moves » ou « mouvements rhétoriques ») (cf. Swales 1990 et Poudat 2006 : 49-50 pour une présentation). Pour les tenants de la Nouvelle Rhétorique, dont le nom phare est sans doute celui de Bazerman, « le genre est un moyen d’action sur le monde » (Poudat 2006 : 29). Les chercheurs de ce mouvement, d’après Hyon (1996) cité par Swales (2009), se focaliseraient plus sur la situation que sur les repérages formels, se rapprochant d’une démarche ethnographique : ce courant s’est de fait illustré par ses recherches dans le domaine de la littéracie80 et met l’accent sur l’historicité des genres (cf. les travaux de Bazerman sur la naissance du genre de l’article scientifique, par exemple Bazerman 1988).

La Systemic Functional Linguistics enfin propose une approche fonctionnelle du genre dans la lignée de Halliday (voir les travaux de J. R. Martin) : les genres actualisent les fonctions du langage. De ce fait sont appelés « genres » dans ce courant des catégories comme « la narration », que j’analyse comme des types de textes (voir la discussion en 4.3., p. 137-142). Plus précisément, ce courant distingue les « genres » et les « registres » : le genre est cantonné dans l’organisation rhétorique du texte (par exemple l’ouverture et la clôture d’une lettre, les gros titres des journaux, etc.) tandis que la matérialité du texte relève du registre et est envisagée dans une perspective fonctionnelle. Les travaux de D. Biber, lequel propose un classement des textes basé sur des corrélats de traits obtenus « grâce à un traitement statistique de textes étiquetés » (Haber et al. 1997 : 29), relèvent explicitement du courant de la SFL :

In this framework, genre and register are said to be on différent « semiotic planes » (Martin 1985). Genre is viewed as a social process in which participants within a culture use language in predictible sequential structures to fulfill certain communicative purposes ; Couture 1986 calls genres « conventional instances of organized text ». Register, on the other hand, has been characterized as the « expression-plane » of genre (Martin 1985) and is more concerned with the typical linguistics choices within different genres. […] The distinction between register and genre made in this book clearly shares some characteristics with the use of concepts in Systemic Functional Linguistics, especially with respect to the genre perspective emphasizing the conventional features of whole texts while the register perspective emphasizes variation in the use of linguistic features. (Biber et Conrad 2011 : 22)

La SFL s’intéresse particulièrement aux genres professionnels et plus généralement aux genres produits en situation de travail (courant des « workplace studies »). Les recherches menées dans ce cadre peuvent avoir des applications didactiques.

Outre un ancrage social, les recherches nord-américaines se caractérisent en effet par une dimension pratique voire « applicative », propre à la recherche anglo-saxonne (cf. Poudat 2006 : 50) – mais avec des distinctions dans les objets étudiés et les publics visés selon les traditions, comme le montre de façon intéressante l’article de Hyon cité par Swales :

a broader, more rhetorical mode definition of genre for the Australians, and a greater interest in applying genre studies to high schools and workplaces; a concentration on post-secondary academic and professional genres for the other two traditions; a greater interest in ethnographic methods among the New Rhetoricians, perhaps especially those working in Canada; and a greater

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reluctance to commit to the pedagogical relevance of genre studies among these scholars. As Hyon notes, one possible explanation for these disparities lies in the target audiences of the three groups. For the systemicists, these are students who are either acquiring English as a second language or whose English L1 literacy skills need considerable scaffolding. For ESP specialists, the primary audiences are students in EFL situations or who need to acquire specialized EAP discourses as part of their professionalization. And for New Rhetoricians, a primary audience consists of undergraduates taking composition or rhetoric courses as part of a Liberal Arts education. (Swales 2009 : 3)

Si cette cartographie permet de dessiner un état des lieux, elle n’établit pas pour autant des frontières étanches entre ces différents courants : comme le remarque Swales, en 2007, les divisions entre ces traditions se sont atténuées, même si elles n’ont pas complètement disparu :

However, by 2007, what had become known as the genre movement had coalesced somewhat, with the result that the divisions among the three traditions have become much less sharp - even if they have not entirely disappeared. (2009 : 4)

Au-delà de l’état des lieux, ce qui m’importe ici c’est de montrer ce que ces différents approches apportent à la caractérisation de la notion de genre, et en quoi elles me permettent de préciser, d’affiner ma propre conception, en cours d’élaboration.