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A. Schéma général du modèle lipman

Le schéma suivant est donné par Lipman pour expliciter la démarche de discussion philosophique en communauté de recherche. En lien avec des habiletés doubles relevant pour l’une de compétences langagières (le dialogue), pour l’autre de compétences sociales (l’appartenance à une communauté de recherche) une double voie cognitive s’engage. La première mentionne 1) l’appui comme 2) le recyclage (flèches en boucle) des habiletés10 cognitives. Ces dernières sont à mettre en rapport bien sûr avec l’âge des sujets. La seconde constituée de la « pensée d’excellence » est définit comme suit : « il s’agit d’une pensée fructueuse, cohérente, et toujours en recherche » (Lipman, in Decostre, 1995, p.37). Critiquant lui-même le flou de cette définition et les contre arguments que l’on pourrait associer à chacun de ces termes (« fructueuse », « cohérente » et « en recherche »), Lipman précise que la « richesse », la « cohérence » et la « curiosité » seraient les trois traits auxquels la pensée d’excellence « revient sans cesse, sans pour autant qu’elle n’en dévie jamais » (Id, p.37). Lipman indique par là même qu’une praxis, fondée en théorie, n’en dévie pas pour autant d’un ancrage théorique strict. La théorie sert justement comme référence, en terme de garde fou, pour mieux déterminer la finalité de l’activité. Mais nulle praxis ne sera jamais déterminée à 100% d’adéquation à la théorie qui la pense. Elle reste seulement représentative.

1. La raisonnabilité comme finalité

Deux pôles de la cognition (progrès des habiletés cognitives générales et pensée d’excellence) sont présentés comme fonctionnant en interrelation constante. Ces deux parties du même objet sont elles-mêmes reliées par l’exercice du jugement qui est central. Celui ci pour s’édifier, se fortifier, est relayé par 1) les compétences à dialoguer et 2) les compétences sociales à s’intégrer dans une communauté de recherche. Ces éléments –dialogie et inscription dans une communauté de recherche- sont ceux repérés par Wells comme les meilleurs qui puissent contribuer à installer une médiation sémiotique de qualité dans l’évolution phylogénétique de la connaissance humaine (Wells, 2004). Pour Lipman, le jugement ne peut émerger que lorsque l’on active des algorithmes (moi mon papa, moi ma cousine), des heuristiques (ben si on écrase mon doudou je pleure), des critères (le banc c’est dur, les tomates c’est mou), des valeurs (si on écrase le doudou de Clément c’est pas pareil que si on écrase du pain), une pensée critique (je ne suis pas d’accord avec…), une pensée créative (ben non c’est pas obligatoire si on regard bien où on marche…). Il y a interdépendance de ces facteurs dans l’activité de discussion en communauté de recherche.

10 Nous reprenons le terme « américain » peu usité en France que l’on désigne plus souvent sous celui de compétences ou capacités.

Ce qui sur ordonne l’activité est alors la notion de « raisonnabilité » qui s’appuie conjointement sur 1) la vérité et 2) le sens. On ne raisonne que si on peut produire de la logique formelle approchant d’autant mieux la vérité que l’on dispose d’outils logiques, mais aussi de la logique naturelle (voir notre chapitre n°3 sur l’opposition formelle vs naturelle), qui fasse sens au niveau de l’humain, ce qui suppose l’appui sur des valeurs extraites de cheminements de découverte. On repère bien la symétrie où dans l’espace schématisé à gauche de la figure la vérité s’édifie plutôt par pensée critique interposée basée sur l’émission de critères issus d’algorithmes du type (si… alors). En revanche sur la partie droite du schéma, l’édification d’une pensée sensée passe par l’extraction d’heuristiques posant les valeurs (humaines) comme centrales (voir notre chapitre n°3).

Au final, ce dispositif, s’il conduit théoriquement à une forme d’apprentissage est explicitement désigné comme celui de la « raisonnabilité ». L’apprentissage n’est pas disciplinaire, il est transversal… Difficile de définir le transversal. Mais qui parvient à désigner clairement ce qui se joue entre pensée et langage ? Et, il faut faire une distinction entre la « raisonnabilité » et les « raisonnements ». La raisonnabilité est bien la faculté cognitive qui permet de faire fonctionner sa pensée dans un but productif. Alors qu’actualiser des raisonnements n’aboutit pas nécessairement à quoi que ce soit. Ainsi pour Lipman c’est le jugement qui reste central : « Le sens du raisonnable, que l’on voudrait inculquer aux élèves est, à n’en pas douter, le produit du raisonnement et du jugement, combinés de manière

réciproquement (…) C’est grâce à l’action combinée du jugement critique et du jugement créatif que l’on a prise sur les choses. » (Lipman, In Descostre, 1995, p.197).

Nous en resterons là dans la présentation du dispositif du fondateur, dans la mesure où un nombre suffisant de pistes de recherches émergent, selon nous, de cet exposé. Nous évoquerons alors pour notre part les éléments qui sont susceptibles d’en faire un objet de recherche scientifique dans le champ de la psychologie, du point de vue de la pragmatique (voir ci-après).

Le programme de Lipman a cependant fait l’objet de recherches, point qui retiendra notre attention. Nous rappellerons les éléments contradictoires acquis outre-atlantique (Leleux, 2005) à propos du programme Lipman, et situerons en regard le contexte des pratiques effectives de ces discussions en France. Ceci nous permettra d’ouvrir sur les choix qui ont présidé à nos propres investigations et aux perspectives possibles correspondant à une exploitation dans le domaine réservé de la psychologie.

2. Les recherches visant l’évaluation du programme Lipman

On doit à C. Leleux d’avoir assez récemment (2005) coordonné une vue d’ensemble sur le modèle Lipman. Ceci prouve l’intérêt grandissant de cette référence de base, ignorée au départ de bon nombre de pratiques pédagogiques visant la discussion comme moyen de développement cognitif ou langagier. Ceci, cependant indique aussi le souci actuel de devoir conjuguer des points de vue critiques idéologiques et scientifiques parfois différents, qui concourent paradoxalement tous à aborder une définition du philosopher avec des élèves. Des pratiques associées à des théorisations s’enchevêtrent et créent aujourd’hui, selon nous, de la confusion.

La mise en pratique dans les classes américaines (New Jersey) des principes et méthodologie de Lipman a donné lieu, dans les années 80, à une série de recherches appliquées visant à mesurer les impacts des programmes de philosophie avec les enfants (PAE). Mortier (2005) dresse un tableau critique assez éloquent. Selon lui, les recherches n’ont pas permis de générer des résultats à tous les niveaux du système habituel de recherche de validité et de fiabilité. Ainsi, il note que la PAE bénéficie surtout à l’évidence de confirmations de « niveau inférieur » basées sur « l’opinion commune et majoritaire d’enseignants expérimentés ». Il indique aussi qu’« il est regrettable que les chercheurs impliqués dans l’évaluation de la PAE aient tendance à publier leurs résultats dans les revues (…) éditées par Lipman lui-même ou par des cercles proches de lui, et donc par et dans le monde des croyants ». Paradoxalement, il note que « la PAE n’a rien à craindre des tests méthodologiques les plus rigoureux ».

Mortier instruit alors le dossier en tentant de mettre en rapport différents niveaux de validité croissante, et en vient à s’appuyer sur des études davantage référées. Il n’en retient que 3 qu’il compare aux 8 retenues et jugées sérieuses, sur la base des méthodologies statistiques utilisées comme du seuil de population concernée (< 100) parmi les 28 ciblées au départ. Au final, en regard des différents secteurs qui ont donné lieu à des mesures objectives (raisonnement, estime de soi, comportements coopératifs, compétences linguistiques et mathématiques), Mortier conclut que ce qui est confirmé de façon la plus consistante et systématique c’est « l’effet considérable sur l’intelligence générale, telle qu’elle apparaît dans

la compétence à raisonner et dans les compétences linguistiques et mathématiques » (Mortier, In Leleux, 2005, p. 68). Le raisonnement touche ainsi et les compétences verbales et les compétences logiques (voir notre chapitre n°3).

Il nous semble important de rappeler ce contexte qui, encore en 2005, et en raison d’une expansion assez « sauvage » -pardonnez l’expression- des pratiques en France dans un petit monde de convaincus (voir ci-dessous), situe la difficulté de choisir le « bon grain » et le « bon niveau » pour poser des programmes de recherche concernés par cette pratique de discussion. Nous situerons les deux tendances majeures qui se dessinent, en regard de notre connaissance dans le domaine, sous l’égide d’une équipe -et d’un laboratoire- québécois, et sous l’impulsion d’un chercheur en sciences de l’éducation en France qui regroupent depuis 10 ans maintenant les pratiques québécoises, belges et françaises.

3. Le courant québécois

Des chercheurs québécois, issus pour une part de la didactique des mathématiques (Pallascio & Lafortune, 2000, Pallascio, Daniel & Lafortune, 2004), pour une autre part de la philosophie logique (Slade, 2004) ou pragmatiste (Daniel, 1992/1997), pour un dernier volet de la psychologie morale (Schleifer, 1992) ont travaillé de manière interdisciplinaire (CIRADE) sur cet objet de dialogue philosophique, depuis plus de 20 ans. Ils ont alors poursuivi, complété, adapté le travail de Lipman en construisant de nouveaux outils pour la pratique du dialogue philosophique en classe. La constitution de romans supports et de guide d’accompagnement des enseignants, dans l’optique de Lipman, sert des objectifs amenant cependant quelques variations que l’on doit commenter.

A notre connaissance, les travaux québécois se sont orientés vers une double piste. Pour une part, la construction de livrets servant de support à la discussion a investi la voie pédagogique : c’est la facilitation de l’enseignement des mathématiques et des sciences qui fut, pour exemple, visé (Daniel & al, 1996). Ces travaux concernent le primaire et le collège. Pour un autre volet, plus récent, c’est dans une approche que nous qualifierons de psychosociale appliquée à la prévention de la violence dès l’école maternelle (Daniel, 2003) que l’élaboration de livrets spécifiques s’est poursuivie.

4. Les recherches menées autour de la philosophie pour enfants

Concernant les investigations pédagogiques dans le champs des sciences et des mathématiques, on notera que les recherches s’appliquent à faire apparaître les liens entre cognition et affectivité (Lafortune, Mongeau, Daniel, & Pallascio 2000, par exemple) et s’intéressent à la construction des croyances à propos des savoirs disciplinaires scolaires (Lafortune, Mongeau & Pallascio, 2000). Ce n’est donc pas la didactique qui est directement visée. Le souci est davantage pluridisciplinaire, et on notera à l’instar des analyses de Mortier concernant l’évaluation du programme Lipman (voir plus haut) que ces travaux, après ou en résonance avec d’autres (nous pensons aux programmes pédagogiques issus du PEI, ARL, etc.) tentent finalement de déterminer les composantes du « facteur intelligence » (voir notre

Huteau, 2001). Dans le champ de la psychologie sociale de l’éducation, les chercheurs comme les enseignants sont comme piégés lorsqu’ils tentent de faire dépasser l’idée d’une représentation stable de l’intelligence pour adopter une conception plus malléable (Croizet & Neuville, 2005). La question de l’évolution des modèles de développement cognitif qui achoppe sur une définition plus ou moins culturelle de la cognition (Meljac, Voyazopoulos, Hatwell, 1998, Troadec, 1999) se pose à tous, et tous les psychologues, actuellement. Et, finalement, le souci d’application pédagogique conduit à renouveler la manière dont on peut – ou on doit- tester l’intelligence, et là finalement le contexte devient déterminant. Il est très difficile, et ceci était déjà rappelé pour les modèles de développement du langage, de s’engager autrement aujourd’hui que dans des modèles plus locaux et moins généraux (Beaudichon, 1989).

Concernant le deuxième volet, l’application de programmes visant la réduction des phénomènes de violence sociale concerne bien entendu la psychologie sociale. Ce courant s’est cependant développé en conjuguant les soucis d’une psychologie morale (Shleifer, Lebuis, Caron, 1987) aux récents engagements à ne point délimiter trop strictement cognition et émotion (Damasio, 1994/2001). Les travaux auxquels nous avons participé (Schleifer, Daniel, Auriac-Peyronnet, Lecomte, 2003) s’intéressent à détecter les moteurs non de la stricte réussite scolaire mais aussi du développement des compétences citoyennes. L’avantage d’élargir au champ de comportements déjà étudiés (Piaget, 1932, Kohlberg, 1956), est cependant pour les mêmes raisons qu’invoquées plus haut, suspendu à savoir/pouvoir circonscrire un contexte d’élaboration et de traitement de données qui contribuent à l’accroissement des connaissances et non à une nouvelle dilution dans une cognition au sens trop large, fut-elle morale (voir notre chapitre n°3). C’est pourquoi dans un premier temps l’âge des sujets s’est limité à 5 ans, et c’est le champ d’étude de la reconnaissance des émotions –contexte porteur actuellement- qui a servi de cible privilégié (voir Auriac & Daniel, 2006 par exemple).

Dans chacun de ces deux pôles on voit bien poindre comme une difficulté. Il s’agit de penser et élaborer de manière opératoire l’articulation sereine des contraintes de prélèvement des données de terrain -éthique écologique- avec les contraintes scientifiques liées à la validité de ces recherches. On ne peut d’autre part séparer radicalement les résultats attendus en termes de retombés pédagogiques des délais généralement nécessaire pour conduire des recherches qui ne peuvent viser trop tôt les applications (Espéret, 1995b). Le temps de débat contradictoire nécessaire au bon fonctionnement de la communauté des chercheurs n’est pas, selon nous, pleinement respecté.

5. Tour d’horizon des pratiques françaises

Depuis les années 96 environ en France, se sont développées, à l’instigation d’acteurs très divers (chercheurs en psychologie, en sciences de l’éducation, en sciences du langage, enseignants, didacticiens des mathématiques, du français, etc.), des pratiques de classes qui faisaient la promotion ou l’expérimentation de la pratique du dialogue ou du débat à la visée philosophique. Indépendants pour la plupart du modèle de Lipman, ces essayages de pratiques émanent d’un élan qui quelques années après peut être relu en montrant la diversité des intérêts. Nous avons nous-mêmes très tôt mis en garde les enseignants face aux dérives

possibles (Auriac-Peyronnet, 2002b) et à la confusion probable entre des genres d’activité potentiellement différents sous des appellations apparemment proches : philosophie pour enfants, philosophie avec des enfants, dialogue philosophique, discussion philosophique, ateliers de philosophie, etc. Nous écrivions alors : « S’il est un espace fragile et porteur de fascination, c’est bien actuellement le lieu de pratique de la PPE. Venu du Québec, sur les traces d’un programme très rigoureux (Lipman, 1980, voir Daniel, 1992, 1997, Decostre, 1999), la PPE déferle aujourd’hui en France (Minassian, 2000a/b), avec parfois peu de garde-fou. Or, il faut savoir envisager le meilleur comme le pire. » (Auriac-Peyronnet, 2002b, p. 42) Nous mettions particulièrement en avant le croisement simpliste opéré entre finalité citoyenne et langagière, augmenté du flou qui accompagnait, à l’époque, la mise en place d’une didactique de l’oral à l’école (Nonnon, 1999). Nous tentions aussi d’imposer le travail sur des corpus réels de discussion (Auriac-Peyronnet, 2002b) et non sur l’idée d’un dialogue socratique présent comme modèle fantasmé par bien des enseignants. La présentation effectuée par Tozzi (2001) est à cet égard aussi éloquente que le rapport de Mortier (2005) portant sur les recherches évaluatives du programme Lipman. Tozzi (coord. 2001), et ce n’est pas un hasard, présente les différentes activités pratiquées en France en les associant à quatre grands courants : le courant « philosophique », le courant « maîtrise de la langue », le courant « éducation à la citoyenneté » et le courant « psychanalytique », augmenté d’un chapitre traitant de l’adaptation à un public particulier : celui des élèves en difficultés. Ces courants complémentaires posent à la recherche des questions fondamentales. Qu’étudier ? Pourquoi ? Et pour qui ? Est-ce que tout le monde étudie la même chose ? Est-ce que la discussion à visée philosophique peut- être délimitée comme objet de recherche ?

Le choix scientifique que nous avons opéré qui consiste à se centrer sur la langue, au plan de la recherche en psychologie ou comme direction de centration proposée aux enseignants (Auriac-Peyronnet, 2002b, Auriac & Maufrais, 2006) provient, à la fois de notre ancrage en psycholinguistique, mais aussi comme on le verra du fait que la discussion s’impose, selon nous, nécessairement comme l’objet central d’étude à privilégier. C’est ce qui justifie à rebours l’analyse empirique de corpus proposée.

6. Des pratiques en tous genres

Actuellement la littérature pédagogique sur le sujet des pratiques en classe de discussions à visée philosophique est assez importante (Laurendeau, 1996, Daniel, 1997, 2003, Tozzi, 2001, 2002a/b, à paraître, Lalanne, 2002, Brenifier, 2001, 2002, Bour, Pettier & Solonal, 2003, Trovato, 2004, Leleux, 2005, pour exemples), et remet partiellement en question les différentes tentatives de comparaisons pour caractériser le genre de ces activités (Auriac-Peyronnet, 2003d, Auriac-Peyronnet, Lyan, Mastellone, Maufrais, & Torregrosa, 2003, Auriac-Peyronnet & Daniel, 2005, Connac, 2004). Sans doute, la question des ingrédients (supports, durée de l’activité, fréquence, conformité à un modèle, disposition des élèves) définit davantage l’activité que l’appartenance à un courant. Ce sont ces ingrédients qui permettent d’opposer plus finement les différents types de débats que l’on peut trouver à

tous les supports ? En fait derrière la question des supports, se déguise celle de l’existence d’une intention chez l’enseignant d’amener les élèves à produire des idées correspondant à un champ défini au préalable. Pour notre part, rapportée au seul plan langagier, la question est : quel étayage langagier l’enseignant peut-il mettre en place ? Chaque étayage enseignant peut induire une circulation, et une mise en mot (François, 1994) corollaire, fort différentes. On constate que la catégorisation des supports susceptibles de déclencher de l’intérêt chez les élèves aboutit assez fréquemment à un tri par thème : langage, communication, esprit critique, rêve et réalité…etc. (Tozzi, 2001, pp. 105-124 pour exemple). Or la pratique ne peut plus viser le philosophique lorsque la parole est confisquée chaque fois qu’elle ne répond pas aux attentes de l’enseignant en vertu d’un thème à maintenir dans la discussion. Tout se passe comme s’il suffisait d’aborder un thème moral (voir notre chapitre n°3) ou profond (voir la collection des goûters philo lancé par Labbé & Puech, 2002 par exemple) pour améliorer la qualité de pensée… humaine. Est-ce le cas ? Ne confond-t-on pas ici finalité thématique et processus d’élaboration d’une pensée ? C’est le même problème qui se profile lorsque des auteurs proposent des titres sous forme d’opposition logique. Or, faut-il au préalable définir une ligne de pensée et de fracture entre l’opinion et la vérité (Brenifier, Clamens, Coclès, Million, 2002), le temps et la mort (Brenifier, Coclès, Million, 2002), la raison et le sensible (Brenifier, Coclès, Million, 2001) ? Nous ne le croyons pas. Ce genre d’anticipation rompt justement la possibilité de laisser germer par et dans la discussion ces lignes de fractures logiques qui dessine la conceptualisation cognitivo-langagière. Notre analyse empirique tend au contraire à illustrer et montrer, croyons nous, que c’est davantage la qualité de l’enchaînement interlocutoire qui fixe les seuils possibles de progrès et d’efforts intellectuels. Ce sont d’ailleurs ces seuils critiques qu’il convient, selon nous, de pister, de caractériser et d’étudier dans une dimension tant microstructurale et langagière que longitudinale et cognitive si on en attend des effets. Au final, ce qui ressort comme l’objet central de recherche c’est l’exercice de la discussion, ce qui ressort implicitemlent du dernier titre donné à l’ouvrage de Tozzi (2007a) : Apprendre à philosopher par la discussion. Pourquoi ? Comment ? (C’est nous qui soulignons). Quel que soit le « courant » pédagogique invoqué, on trouve systématisé, associé, l’exercice au sens fort du terme, de la discussion. L’objet de recherche est donc pour nous délimité parce que l’on peut nommer « discussion » « à visée » « philosophique » (voir notre chapitre n°2).

7. Vers la locution consacrée de discussion « à visée » philosophique

La discussion s’installe actuellement comme paradigme référent, présenté comme central, voire incontournable (Tozzi, 2007a). Longtemps piégée à l’instar du sort réservé à l’oral et sa didactique (Dolz & Schneuwly, 1998, Boissinot, 1999) soumis au double objectif de « vivre ensemble » et de « maîtrise de la langue » (Instructions ministérielles du primaire 2002), l’exercice de la discussion semble s’imposer comme modalité particulière de mise en œuvre des compétences langagières, ainsi considérées dans leur totalité et leur complexité.

C’est pourquoi la locution « discussion » remplace actuellement celle de dialogue initialement portée par les continuateurs de Lipman (Daniel, 1997) évacuant ainsi le dialogue socratique (modèle fantasmé) comme référent. D’autre part, suite aux différentes querelles de style touchant principalement à la définition du philosopher, indéfinissable d’ailleurs (voir

Raffin, 2003 pour exemple), la discussion est envisagée comme correspondant non pas à un exercice philosophique en soi, mais comme un moyen d’articulation du langage et de la pensée porteur d’une progression possible vers les objectifs portés traditionnellement par la discipline philosophie. Nous emploierons ainsi dans les chapitres suivant la locution qui s’est peu à peu forgée dans la communauté des chercheurs et praticiens qui est celle de « discussion à visée philosophique ».

Il semble que le courant « maîtrise de la langue » permet d’engager de nombreuses