• Aucun résultat trouvé

LE DEVELOPPEMENT DES COMPETENCES SOCIOCOGNITIVES A L’ECOLE

A. Distinguer les discussions de manières approfondie au sein de l’institution scolaire

Les animateurs de discussion à visée philosophique, souvent enseignants à l’école primaire et titulaires des classes dans lesquelles ils proposent cette innovation, ont montré à plusieurs reprises qu’il y avait lieu de distinguer, au plan pratique, les conseils d’enfants, le conseil coopératif hérité du mouvement Freinet et les discussions à visée philosophique (Go, 2002, Connac, 2002, Brenifier, 2003). Connac, enseignant du premier degré propose une distinction au plan pratique entre le « conseil coopératif » de « la discussion philosophique », dans la mesure où il met en place ces deux espaces d’oraux dans sa classe (Connac, 2002). Pour Yasmina, élève de 8 ans, la discussion à visée philosophique, « c’est presque comme un conseil mais au conseil on critique » et « c’est un conseil où on discute » (Connac, 2002, p.51). Pour l’enseignant, qui propose une analyse « le conseil de coopérative est souvent considéré comme étant « la clef de voûte du système puisque cette réunion a pouvoir de créer de nouvelles institutions, d’institutionnaliser le milieu de vie commun » (en référence à Oury & Vasquez, 1966, cité in Connac, 2002, p. 55). « Avançons l’idée qu’avec l’appui de la philosophique, de son essence et de son histoire, les discussions philosophiques deviennent « les fondations de cette voûte ». (Connac, 200, p. 55). Et d’ajouter « ce que le visiteur non averti ne voit pas, c’est ce qu’il n’entend point. La principale différence entre un conseil et une discussion philosophique n’est pas de l’ordre du fonctionnement » (Connac, 2002, p.56). Est-ce si certain ?

« fondements » de l’activité d’interaction (voir Sbisa, 1990, plus haut), soit aussi celle de la discussion à visée philosophique. Dans un article récent Tillema & Orland-Barak (2006) étudient la manière dont des adultes se positionnent au sein de groupes de discussion professionnelle, au regard de leur système de croyances concernant le bénéfice possible à tirer d’une collaboration professionnelle. Or la discussion n’est pas investie de la même manière selon les convictions des enseignants. Si leur modèle repose 1) sur celui du praticien réflexif (Shön) –système de connaissances personnelles de type autoréflexives-, 2) se base sur l’existence de connaissances de type enactive soit générés dans/grâce à l’expérience située (Lave & Wenger, 1991), et 3) s’étaye sur une modélisation de type constructiviste où les connaissances seraient culturellement générés et partagées grâce à des mises en situation qui font fonctionner une culture commune –cognition distribuée- (Bereiter, 2002), les enseignants ne se représentent pas de la même manière le bénéfice qu’ils peuvent tirer d’une interaction avec leurs pairs. En somme les croyances (ou prédispositions) personnelles –fondement- sont des médiateurs puissants pour investir de manière différentielle l’espace d’interaction. Alors est-ce que l’interaction se base (ou non) sur des fondements ?

Concernant l’élève, nous avancerons qu’il est nécessaire de distinguer clairement ce qui se passe dans une interaction au sein d’un conseil coopératif, de ce qui se passe dans une interaction au sein d’une discussion à visée philosophique. Le conseil coopératif est moralement ancré, et prédispose à découvrir à travers le mode de fonctionnement autour du du thème proposé comme de la régulation des paroles, que l’issue des échanges coopératifs se situent en conformité avec le fondement des institutions démocratiques telles qu’elles peuvent s’illustrer dans d’autres espaces : débat parlementaire comme conseil de discipline au collège, par exemple. Le conseil est ainsi un révélateur car il est « un lieu de construction de la loi, de l’élaboration des responsabilités, de l’appropriations des rapports sociaux dans la recherche désirée du bien commun » (Go, 2002, p.37). En ce sens justement le conseil est orienté moralement vers ce « bien » commun : s’y définissent implicitement (médiat de la régulation des échanges) des rapports sociaux qui ne sont pas ceux du psychologue social, mais ceux du politique. On devrait pouvoir vérifier cet état de chose grâce à une simple analyse de contenu. C’est en ce sens que nous rejoignons la distinction pratique qu’opère Go : « il y a entre le débat coopératif et l’entretien philosophique la même différence de nature que l’on trouve entre la politique et la philosophie politique, entre la science et l’épistémologie, entre l’art et l’esthétique ». Aussi, bien que tendu vers la démocratie comme règle de fonctionnement, le débat coopératif n’en dégage pas moins un modèle qui stipule « la formation d’une conscience civique dont l’objectif est l’obéissance à l’ordre établi » (Loeffel, 1997, in Pagoni, 1999, p. 102). Loeffel pose comme un impensé cette contradiction qu’il y a dans l’éducation civique entre l’objectif et les pratiques.

Que se passe t-il par distinction au sein des discussions à visée philosophique, d’un point de vue moral ? Rien ! Justement rien ! Et paradoxalement tout, effectivement tout ce qui contraint l’individu à construire pratiquement son rapport à l’autre soit instituer pour son propre compte (dimension intrapsychique) la raison de l’intersubjectivité. La discussion à visée philosophique n’est pas alors en apesanteur de toute moralité (c’est le principe social qui la fonde) : mais elle ne se propose d’instituer rien d’autre qu’une modélisation de construction de la relation intersubjective, sans fondement autre que celle de l’échange. Ce que Sbisa, de

notre point de vue, saisit remarquablement quand elle dit à propos de l’acte de compréhension en interaction : « la compréhension apparaît comme un procès de construction de la subjectivité (de l’autre) et en même temps de définition de sa propre subjectivité par rapport à l’autre, soit de la relation intersubjective dans son ensemble. C’est ce procès là qui, réunissant les aspects cognitifs et les aspects pratiques du langage, réalise le langage comme action » (…) « la compréhension dépend d’hypothèses à propos de la subjectivité du locuteur, mais il n’y a pas de règles pour sélectionner ces hypothèses, pour décider quelle hypothèse doit être considérée comme valable, et en quelle situation » (Sbisa, 1990, p. 80) C’est cette simultanéité du résultat englobant la compréhension de l’autre et de moi-même qui définit le principe de la discussion à visée philosophique, bien plus qu’une régulation orientée des rapports humains. C’est aussi l’absence de règles qui justement conditionne l’échange à visée philosophique. On ne recherche pour exemple aucune affiliation, rapprochement avec le « règlement intérieur » de l’école, qui serait là une visée de conseil coopératif. Car le résultat de l’inférence n’est pas décidé par avance. Il n’y a point de validité. Point de validation possible. La discussion pourrait même, si l’on omet de réguler les comportements de débordements affectifs qui se produisent nécessairement en cas de contradiction trop frontale, « tourner mal » ! L’exercice de la relation intersubjective passe justement par cet effort non seulement intellectuel mais aussi comportemental, affectif, physique, émotionnel de rester associé à la communauté tout en sachant être déviant. C’est au final encore plus contraignant, car c’est la meilleure façon d’éviter de mettre l’élève à la porte ou dans le couloir, à l’école. La contrainte sociale est poussée à son maximum. On est sommé de rester en communauté. L’isolement, l’isolation ne sont plus possibles.

A travers cette comparaison entre débat coopératif et discussion à visée philosophique, nous voudrions illustrer le fait que l’étude des conditions de production de la parole, et des conditions de construction d’une identité discursive (Agnoletti, 1990) ou celle de sujet parlant (Bromberg, Georget & Masse, 2003) doit être effectuée dans le contexte effectif des oraux scolaires. Comme en témoigne le tableau suivant, les approches pédagogiques existent grâce à leur différence.

TABLEAU COMPARATIF DE CINQ APPROCHES PEDAGOGIQUES POUR PHILOSOPHER AVEC DES ENFANTS

Extrait de Connac, S., (2001). La Discussion philosophique comme institution de la pédagogie institutionnelle, D.E.A., Université de Montpellier 3.

METHODE LIPMAN PREALABLES A LA PENSEE ATELIERS DE PHILOSOPHIE DISPOSITIF COOPERATIF METHODE DE LINTERVENANT

Auteurs M. Lipman I. D. Sénore – A. Pautard J. Lévine – A. Lalanne – O. Brenifier A. Delsol J.F. Chazerans – M. Sautet Fréquence

1 heure, 2 fois par semaine

II. 10 min puis 10 à 20 min par semaine

1 heure par semaine ¾ d’heure par semaine ¾ d’heure par semaine

- Présence d’un questionnement philosophique III. - expérience du cogito - Réfléchir : savoir ce que l’on pense, savoir d’où on tient ce que

Articulation dans le discours des exigences Présence d’un philosophe qui présente un modèle à

dialogue critique formation rigoureuse du concept

VI. - débat d’idées avec prise en compte des ambiguïtés, des incompatibilités, du lien entre le même et le contraire. aux exigences du philosopher - conceptualiser intellectuelles à susciter est possible par imitation / distanciation.

Penser par soi-même

Intentions éducatives

Emergence d’une pensée multimodale qui articule les pensées logiques (critique), créative, responsable et métacognitive.

- Faire l’expérience d’une vie pensante. - Se découvrir membre de la communauté humaine par la pensée - Réfléchir sur les grands problèmes de la vie

- Exprimer une pensée qui est sienne et identifier les sources des représentations - Questionner la validité de ces sources - Valider son discours à un dialogue avec les autres.

- Permettre aux enfants d’exercer leur pensée réflexive (geste mental) avec le soutien d’un groupe de pairs. - Permettre aux enfants d’occuper des fonctions d’animation de la discussion - Aider à philosopher ensemble en faisant débattre le groupe. - Permettre de compléter une discussion entre pairs par la rencontre avec un philosophe.

Place de l’adulte

Intervention sur la forme des idées et pas sur leur contenu. 1- gère la lecture collective

2- collecte et traite les questions

3- anime la discussion et veille à ce que les enfants parviennent à un dialogue critique

1er temps : énonce la question, gère l’enregistrement, est silencieux mais reste garant du

fonctionnement 2ème temps : accompagne les réactions du groupe, suscite un regard méta sur la discussion

Fonction d’animation et de guidage,

d’accompagnement bien précis : établir des liaisons conceptuelles, reformuler, relier les idées énoncées aux enjeux du thème abordé, synthétiser les arguments. Concepteur et garant du dispositif démocratique Animateur « philosophique » des échanges En mesure de faire évoluer le dispositif en fonction de l’évolution du groupe.

Il est celui qui libère. Il permet à l’élève de se détourner de ses anciennes opinions et d’adopter une attitude rationnelle. Il est « ignorant » au sens où il n’est pas un intermédiaire entre l’apprenant et le savoir. Ferment catalytique Formation de l’adulte A la méthode et au matériel construit A la méthode et à l’analyse de pratiques professionnelles - Formation philosophique permettant d’établir les principales distinctions conceptuelles et jeu - Préparation des séances. Formation à la gestion coopérative d’une discussion par des enfants et maîtrise didactique des exigences intellectuelles du philosopher

L’adulte n’est pas perçu comme un professeur mais comme une sorte de pair à qui ils peuvent s’adresser. Le rôle de l’animateur est de programmer son autodisparition. Présence d’un dispositif

Oui pour permettre à la communauté de recherche d’exister.

Non sauf une disposition en cercle

Oui par l’intervention de l’adulte.

Oui, central Oui pour la circulation de la parole

Fondements Dewey - Piaget Freud – Rogers - Lévine - Descartes

Socrate – Platon – Aristote – Descartes – Hegel – Kant – …

Freinet - Oury - Tozzi Socrate – Platon – Aristote – Descartes – Hegel – Kant – … Mots clés Expérience - construction Affirmation de soi – conscientisation - expression Exigences intellectuelles - dialectique Coopération - démocratie - responsabilisation Rencontre – autorégulation – attitude philosophique

Opposer ces différents styles serait stérile, la pédagogie ayant nécessité à se constituer dans des essayages qui conviennent au rythme d’une quasi incessante adaptation aux nouveaux programmes. Mais les distinguer est nécessaire. Les étudier en faisant ressortir ce qui fait la spécificité de chacun des oraux nous paraît être une voie importante de clarification des genres oraux qui actuellement composent le paysage des interactions scolaires. Cela suppose d’édifier des épreuves clefs (étude des impacts sur la dimension morale par exemple) et de retenir des indicateurs particuliers (mise à jour des modalités de raisonnement à l’occasion des discussions).

2. L’obligation de distinguer les différents espaces de débats au sein de l’institution scolaire

Comment procéder ? Lamarre (2005) interroge récemment la question des « débats dans le champ des valeurs à l’école primaire » dans cette période de transformations des textes officielles où le terme de « débat (« débat réglé », « débat argumenté ») absent des programmes de 1985 et de 1995, fait une entrée massive et significative dans les nouveaux programmes (en particulier ceux du cycle 3) et quasiment dans toutes les disciplines : éducation civique, français, et littérature, mathématiques, sciences, histoire » (Lamarre, 2005). On ne peut effectivement penser actuellement le renouvellement, la transformation des programmes, et à l’heure où nous écrivons les recommandations établies maintenant au plan européen dans ce qui constitue un socle des compétences, avec la perspective de la professionnalisation des enseignants. Comment les enseignants peuvent-ils se situer, comparer leurs pratiques anciennes, essayer de nouveaux dispositifs, sans qu’on leur donne des repères intelligibles sur les occasions où l’enfant exerce sa parole en classe ? Sans doute que l’un des freins majeurs à l’évolution des pratiques enseignantes tient à ce que les enseignants ne peuvent adhérer facilement à des thèses seulement présentées au plan théorique. Si Wells évoquant les liens entre la participation individuelle et l’engagement à construire ses connaissances en communauté de recherche constate qu’« Unfortunately, many educators do not understand these fundamental relationships and sot their instruction is not conceptualized and planned in ways that are optimal for student’s development » (Wells, 2004, p.27, nous soulignons), c’est selon nous que la théorie, fut-elle sociale et bien présentée, ne peut permettre à des adultes responsables de l’éducation de s’engager comme à l’aveugle. Et, nous avons déjà insisté sur l’impasse possible que représente la notion de débat, telle qu’elle se décline actuellement dans les instructions de l’école primaire. Nous voudrions alors insister davantage sur la nécessité de produire des résultats, concernant les espaces d’oraux réellement mis en place à l’école aujourd’hui. Peut-on mettre à jour ce qui ressort directement du processus de mise en discussion, de ce qui ressort de l’habillage dialogal ? Peut-on vérifier si l’exercice de la discussion à visée philosophique engendre chez tous les élèves suffisamment d’estime de soi, de fonction de responsabilisation pour transférer dans les autres moments d’interaction scolaire. Peut-on vérifier si dans les pratiques innovantes certaines dérives de type élitiste ne viennent pas déjà miner le terrain ? Cela suppose de s’interroger 1) sur le type d’indicateurs langagiers à privilégier pour conduire ces études comparatives, 2) sur la manière de connecter des effets au plan de l’apprentissage (moral, cognitif, pragmatique) chez les élèves, 3) d’étudier comparativement les modes de cohérence discursive privilégiée par les enseignants animateurs de discussion au sein des autres interactions langagière dans leur classe (chapitre n°4). Le programme est immense. Nous proposons dans notre dernier chapitre de revenir sur ces aspects en problématisant la question des indicateurs langagiers, pour faire le pont entre une perspective psycholinguistique et une perspective sociale. Pour l’heure, nous allons présenter ce qui constituent nos principales idées pour progresser dans l’étude psychosociale de l’impact de la discussion à visée philosophique sur l’édification d’une