• Aucun résultat trouvé

ARGUMENTER : UNE CONCEPTION « PLURILOGIQUE »

C. Le passage de l’inter- à l’intra-

1. La confusion entre polygestion et dialogie

Il nous semble que l’étude de l’accession progressive à la capacité à considérer cognitivement le point de vue d’autrui (dia-logie) est davantage étudiée par les psychologues dans les conduites monogérées à l’écrit (Coirier & al, 1990, 2000, 2002, Golder, 1996a/b, Gombert & al, 1993, Gombert, 1997, Coirier) : or ceci pose problème. L’étude du passage fonctionnel de l’oral à l’écrit est épineuse. On confond en permanence ce qui relève du dia-logique et ce qui relève de la monogestion dans l’accession à l’écrit. L’âge des élèves concerné par ces études en production écrite en porte le sceau : c’est seulement auprès d’élèves âgés souvent de 10 ans (ou davantage) que les études mettent en évidence des résultats. Or cette confusion ici supposée entre dia-logie et contrainte de la situation monogérée de l’écrit n’est pas effective puisque les chercheurs en psychologie se répartissent justement généralement en deux classes : ceux qui étudient l’oral et ceux qui étudient l’écrit ! Les travaux de Golder (1992 à 1996), à cet égard, auguraient d’un pont possible qui n’a pas été réellement investi par d’autres. A notre connaissance peu de ponts sont alors établis entre des modèles de l’oral tels que ceux de Levelt (1989) ou Clark (Clark & Wilkes-Gibbs, 1986, 1992, Clark, 1996/2002), ou E. Clark, Nelson sur les actes de langage enfantin (Bernicot, 1990) par exemple, et les modèles d’études des écrits tels que ceux d’Hayes & Flower (1980) ou de Bereiter & Scardamalia (1987), par exemple (voir Alamargot & Chanquoy, 2001, pour une revue des modélisations concernant la production écrite). Il nous semble qu’il y a là un espace mal abordé, et trop souvent sous l’angle de la différence (Grabowki, 1996, Jisa, & Strömqvist, 2002, Bonin, 2003), sauf dans des tentatives d’ordre plutôt didactique (Boré, 2003 par exemple), alors que l’idée d’un continuum est peut-être à envisager (Fayol, 1997). Il est clair que les ponts entre oral et écrit, s’il sont le fait quotidien des enseignants et des élèves comme ils font la préoccupation des chercheurs en didactique du français par exemple (Nonnon, 1999, Halté, 2005, Schneuwly, & Dolz, 1999), sont moins le fait coutumier des recherches en psychologie, fussent-elles conduites d’un point de vue pragmatique, à l’exception des études récentes dans le champ des sciences du langage par Jisa et Stömqvist (2002, cf. plus haut) et des travaux de Stein (Stein & Bernas, 1999) qui s’approchent de nos préoccupations.

2. Le système pronominal comme exemple

Nous rapprocherons les données (analyse Tropes) que nous avons présentées concernant le système pronominal (nous reproduisons les données déjà portées plus haut ci-dessous pour faciliter la lecture) d’une étude que nous avons menée à l’écrit pour mettre en valeur l’intérêt qu’il y aurait à scientifiquement coordonner, de notre point de vue, les deux champs oral et écrit. Le système pronominal, comme l’a bien montré Ghiglione (Ghiglione & Trognon, 1993), permet largement de détecter la présence ou non de styles argumentatifs associés. Sur la base de ces données issues de l’écrit nous avons pu explorer les liens fonctionnels entre l’utilisation des pronoms « je », « tu », « il », et « on » dans des écrits argumentatifs contraints de CE2 Auriac, accepté en révision a/). Or la distribution de l’usage de ces pronoms varie significativement avec le thème d’écriture, selon qu’il porte ou non une intention (forte vs neutre vs faible) de conflit cognitif (distance de vue avec les parents provoquée expérimentalement) avec le destinataire. Si l’on accepte de rapprocher ces résultats avec les

tendances issues des données à l’oral (ci-dessous) ou peut envisager d’aménager un comparatif oral-écrit de ces tendances, ne fut-ce qu’en principes.

Rappel de l’usage des marques des pronoms (analyse comparative Tropes)

Corpus de Grande Section maternelle Corpus CE1 Corpus CE2 Le système pronominal: pourcentage de fréquence

Écraser Écraser Choisir Intérieur Grimaces

"Je" 17.6% "Tu" 21.4% "Nous" 8.0% "On" 34.2% "Je" 34.4% "Tu" 15.3% "Vous" 3.2% "On" 23.4% "Je" 21.2% "Tu" 15.5% "Nous" 3.5% "On" 32.3% "Je" 11.9% "Tu" 7.0% "Nous" 6.0% "Ils" 14.1% "On" 26.7% "Je" 26.8% "Tu" 8.7% "Nous" 4.0% "Ils" 8.3% "On" 19.6% * Relativement à ces données, l’usage des pronoms à l’oral est marqué dès le jeune âge par la variété (quatre marques utilisées dès 5 ans) comme par la diversification progressive (cinq marques à partir du CE1 dans ce corpus). Le régime dominant du « on » (plus haut), que l’on pourrait considéré comme la marque caractéristique du genre de la « discussion argumentative à visée philosophique » doit alors être réinterprété dans cet espace d’usage du système des pronoms. Qu’est-ce qui fait exactement système ici ? On appelle système la cohérence des appuis entre chacun des pronominaux (je, Tu, Il, On) au sein d’un espace plurilogique (voir plus loin) en terme de co-variation de fréquence (Auriac, accepté, en révision a/). On remarquera que l’usage du « je », dans deux corpus oraux sur les cinq, entre en compétition en taux d’usage avec le « on ». Cet effet de compétition de fréquence entre les usages du « je » et du « on » était effectivement aussi détecté dans les écrits d’élèves de CE2 (Auriac, accepté en révision a/). Si on touche là aux limites d’une utilisation trop simpliste du logiciel Tropes (cf. notre présentation), on voit aussi l’avantage qu’il y aurait à conduire de manière systématique des étude sur les emplois concomitants ou décalés (entendu sur un axe dévelopemental) des pronoms dans les discours oraux et écrits des élèves dès le primaire (voir étude de Caillier –ci-après- et l’opération en projet : Auriac, Chanquoy et Favart, 2008, en fin de chapitre).

Car paradoxalement, si dans les corpus oraux de jeunes élèves (GS à CE1) le « on » domine, rien ne distingue la répartition de l’ancrage pronominal dans les discussions naturelles –début d’année- ou expertes -fin de l’année de pratique philosophique- telles que nous les avons aussi étudiées avec des élèves de 11 ans (Auriac-Peyronnet & Daniel, 2002). Nous reproduisons les données de l’époque ci-dessous.

Ego-centrisme Décentration altruiste Décentration intégrative Généralisation Extrapolation L’auteur déclarant constitue sa propre source et cible. Le discours s’appuie sur les propos d’un autre qui est reconnu. Le groupe est ciblé comme référent au lieu du « je ». Les propos du groupe servent de référence.

Des propos extérieurs ou un consensus social

sont pris comme

référence.

Légende : Catégorisation pour analyser les discussions sur le plan de la portée « sociale » (reproduit et traduit de Auriac-Peyronnet & Daniel, 2002)

15,90% 51% 23,40% 1% 6,30% 0,00% 10,00% 20,00% 30,00% 40,00% 50,00% 60,00% 1 2 3 4 5 24,20% 37,90% 11,40% 2,70% 5,50% 0,00% 10,00% 20,00% 30,00% 40,00% 50,00% 60,00% 1 2 3 4 5

Début d’année (Septembre) Fin d’année (Mai)

Légende : Les histogrammes présentent dans l’ordre : 1) Je, 2) tu, 3) nous/vous, 4) on (coll.), 5) on (Gen)

Le taux d’emploi, dans ces discours oraux, étudiés comparativement entre septembre (discours naturel) et mai (discours expert), donne la part belle à l’emploi du « tu », et ne réserve au « on » qu’une place très minimale. Il y a là contradiction avec les tendances des données orales présentées plus haut. Or, nous avions à l’époque fait l’hypothèse que le « on » était un indice de marquage de la généralisation et serait davantage le fait des discours experts (fin d’année). Il nous semblait que cette tension vers ce que les philosophes nomment la « généralisation » (la Mit-Sein de Maisonneuve, 1952/2002), les psychologues sociaux le régime de « on-vérité », les linguistes l’usage de « l’indéfini » pouvait ressortir comme caractéristique de visée philosophique de la conduite de ces discussions. Il n’en est rien (cf. Auriac-Peyronnet & Daniel, 2002). Pourtant c’est la raison pour laquelle nous avions distingué les emplois du « on » à valeur collective (proche d’une référence au « nous »), des usages d’un « on » plus générique (extérieur à la communauté des interlocuteurs). On évoquera ici comme hypothèse centrale la différence d’âge des élèves concernées GS à CE2 pour la première étude (ci-dessous) et 6ème pour la seconde (Auriac-Peyronnet & Daniel, 2002, rapportée ici). Il paraît évident qu’il convient d’affiner, à chacun des âges, les contextes d’emploi particularisés du « on », pour éviter d’en faire une clef de lecture quasi-sociologique, comme c’est parfois le cas. Les travaux de Bauthier ont pu conduire à conforter l’interprétation d’un déterminisme social dans l’usage de l’indéfini (« on ») ou de l’implication (« je ») qui consiste à considérer les emplois du « je » comme des formes d’implication excessive ou affective des élèves. Nous restons assez réservés sur cette idée, en l’absence de recherches plus fouillées ou détaillées sur la question. Si le comptage automatisé (cf. l’utilisation que nous faisons nous mêmes ici de Tropes) parce qu’il sert une comparison exploratoire dégage des pistes, en revanche l’assignation directe d’un effet de sens à un marquage sociologique (caricaturant du type l’usage du « je » au collège prouve une inadaptation) nous paraît dangereux. Si nos travaux ne nous ont pas donné l’occasion, pour l’heure, d’entamer des études poussées sur cette question, nous pouvons cependant avancer de manière théorique, que l’un des freins à l’identification des fonctions cognitives de l’oral scolaire (voir plus bas) en lien avec l’activité de production écrite tient parfois à un manque de repères fiables sur ces questions de liens entre traces énonciatives, schéma et effet de sens des marqueurs (Caron, 1988b), et opérations cognitives sous jacentes à l’oral (voir chapitre 4). Les travaux déjà cités de Jisa autour de l’emploi pronominal du « on » en contexte de

production orale ou écrite (Jisa & Strömqvist, 2002, Jisa & Viguié, 2005) augurent en revanche de l’édification d’un cadre théorique renouvelé à considérer.

3. Le pluri- et non le dia-

Il nous semble que l’oral déploie, pratiquement par voix interposées des interlocuteurs (20 à 30 dans une classe) bien davantage que l’écrit un espace que nous avons nommé plurilogique (Auriac & Daniel, 2002). Chez Batkhine, c’est le concept de dialogie qui permet d’expliquer la pluralité des voix des textes qui font référence pour l’individu. Pour nous, l’espace de l’oral est nécessairement moins fixé/figé que celui des textes qui font référence, puisque ce ne sont que des voix qui déterminent au pas à pas ce qui peut se constituer logiquement dans l’espace éphémère de l’inter-. La logique est plurielle parce qu’elle est justement imprévisible, capricieuse : et on sait bien que n’importe qui peut à l’occasion dire n’importe quoi ! Comment donc concilier cet espace pluriel, distribué non pas sur l’axe du double (dia- je/tu), mais sur celui du possible « il » qui a un avis encore différent (pluri-je/tu/il) et qui sera alors pris en charge au nom d’une variété de possible (pluri- on/nous/vous) lorsque l’on étudie le discours ?

4. Les paramètres de l’interaction sociale

A notre connaissance il n’y a que dans les travaux de l’équipe de Bronckart (Bronckart & al., 1985) que les chercheurs se sont risqués à faire la jonction systématique entre des modèles linguistiques de type énonciatif (Benvéniste, 1966, Culioli, 1990, 2002), étudiant les emplois au sein de la langue considérée comme système –les pronominaux par exemple-, et la qualification globale des discours -oraux comme écrits- en se centrant sur les sujets psychologiques –locuteur/scripteur-. Cette jonction est assurée en faisant appel à la notion de paramètres de l’interaction sociale. Les travaux qui ensuite reprennent ces acquis ratent, selon nous, quelque peu l’opportunité d’accroître davantage encore les connaissances sur le système d’emploi des différents marqueurs (cf. Caron, 1979, 1983, 1984, 1987a/b/c, 1988a/b, 1989). En fait le problème majeur semble davantage méthodologique que théorique : il provient, selon nous du « grand écart » à résoudre -problème épineux s’il en est ! (voir notre chapitre 4)- entre macrostructure d’ensemble d’un discours et microstructure dégagée au niveau du marquage de surface des traces énonciatives. Pourtant des travaux déjà anciens ont déjà cherché à sérier ces phénomènes de « discours rapporté » et dégager les modalités d’organisation fonctionnelle des désignations provenant « des déterminations sociales » qui s’intègrent à « la structure linguistique » (Ebel & Fiala, 1981). Dans ce travail assez ancien d’Ebel et Fiala, on voit comme une métaphore possible de ce qui nous occupe. Les auteurs présentent dans le cadre d’un modèle hérité et de la conception énonciative de Benvéniste et de la conception dialogique de Bakhtine la mise à plat du réseau argumentatif qui a pu se tisser entre différentes lettres adressées à un journal populaire à grand tirage. Les dix lettres analysées « forment une chaîne ou plus exactement, un réseau de discours qui se répondent. En effet, toutes ces lettres, sauf la première, comportent un renvoi implicite ou une référence explicite à un autre » (Ebel & Fiala, 1981, p. 60). Or ce qui nous intéresse c’est la manière

expulsera ») (…) on voit qu’une même marque peut renvoyer à plusieurs catégories », où encore « « je » apparaît cinq fois dans le voisinage « ouvrier étranger », six fois dans le voisinage « étranger ». » (Ebel & Fiala, 1981, pp.69-71). Les auteurs de commenter, à propos de ce dernier emploi : « fondée sur les deux marques énonciatives « je » et « nous », l’argumentation oscille ainsi entre deux pôles désignés l’un par « ouvrier/travailleur étranger », l’autre par « pays/ressortissant étranger ». » (Ebel & Fiala, 1981, p. 71). Ce qui est ici décrit et analysé sur la base de la structure fonctionnelle des marques de la personne montre en quoi le réseau argumentatif ne fonctionne jamais sur une seule opposition cognitive (par exemple : « oui » vs « non »), mais sur une rhétorique (sauvergarde de face), sur une grammaire assumée (soumission aux normes de la langue de tout le monde), correspondant au renvoi perpétuel des multiples voies impliquées. De lettres multiples qui fonctionnent en réseau aux discussions pratiquées et enchaînées d’une semaine à l’autre en classe, il y a comme un écho parfait. Tout le problème méthodologique en revanche entre marques énonciatives (les marques de la personne par exemple) et désignation (les références enchaînées sur de multiples voix) reste intact (voir notre chapitre n°4). Mais il est quasi certain que c’est bien à partir d’un repérage effectif et portant sur les discussions antérieures effectuées par les élèves en classe que l’on pourrait sérier, à chacun des âges des élèves (de 5 ans à 17 ans) la capacité à organiser dans la langue cette « structure de l’interaction sociale » interaction sociale qui est fondamentalement polylogale.

5. Polylogal et plurilogie

Nous proposons de définir le polylogal (polygestion des voies effectivement entendues) en référence à l’oral. L’oral n’est pas seulement dialogal, mais réellement polylogal. Si le tour de parole peut servir d’unité de base à l’analyse conversationnelle (Kerbrat-Orecchioni, 1990, 1992, Traverso, 1999) dans certains cas, l’analyse des actes de langage distribués en conversation oblige à passer le cap du dialogal. Bouchard (1998) parle à dessein de polylogue praxéologique lorsqu’il étudie les discours en classe qui sont fortement distribués. Schubaueur-Leoni (1988, 1994, 1997) de même, étudie cette distribution de la parole dans l’espace classe où certains élèves représentent des appuis pour les enseignants pour ne point rompre le contrat didactique. Or, au plan intrapsychique, on peut avancer que le plurilogique se surajoute donc (de la même manière que le dialogique) au polylogal et ne saurait être confondu. Seul le régime polylogal provient des caractéristiques ou paramètres de l’interaction sociale (Bronckart & al., 1985) représentant cette facette de l’inter-. En revanche, le plurilogique définit les limites possibles des mondes cognitifs qui se créent lors de toute interaction langagière chez un même individu au plan intrapsychique. La discussion, à plusieurs interlocuteurs crée un espace d’interlocution (Brassac & Trognon, 1992) qui permet, en tant que monde symbolique détaché des phénomènes strictement sociaux (un, deux, trois, quatre ou vingt interlocuteurs) d’être le lieu d’inscription d’idées différentes (ou non : dialogue de sourds) éventuellement divergentes (logique plurielle). C’est alors la divergence d’opinions qui définit théoriquement le plurilogique, non le nombre de participants. C’est alors bien la négation, dialogale « je ne suis pas d’accord », ou cognitive « un chat c’est pas pareil qu’un chien » (voir plus haut) qui trace des frontières (au sens Culiolien, 1990) entre ces différents mondes cognitifs. Ces frontières structurent l’espace cognitif. Le polylogal est

illimité là où le plurilogique est nécessairement limité par les capacités des sujets (mémoire de travail). Ce traçage de frontière crée l’alternative, la génération d’autres voies, enfin permet l’hypothétique. La frontière n’implique pas le contre. Au contraire, elle conduit à l’émergence du doute.

Cette plurilogie peut alors prendre différentes formes : celle du débat, sorte de caricature où le pluriel s’opposerait de manière stricte (conflit), et celle la discussion où le pluriel des voix permet au contraire de nuancer, d’organiser un propos collectif sans nécessairement s’opposer (logique de l’examen, voir plus bas).

6. Logique plurielle et modalité de doute

Peut-on douter seul ? Sans doute… que non. Mais peut-on douter à deux ? Sans doute que non… non plus. C’est certainement dans l’espace du polylogal –espace social inter- et du plurilogique -espace cognitif intra-, qu’il faut selon nous interpréter correctement la présence de traces de doutes présentes au sein des discussions à visée philosophique. Pourquoi ? Parce que le doute est une stratégie essentielle pour servir l’examen d’un dossier. En revanche le doute est une figure quasi impossible dans un débat : c’est souvent la certitude de chacun des opposants qui oriente le jeu de langage et donc bloque la créativité. Ne pas savoir, douter sont des stratégies peu recommandées en milieu scolaire. L’attitude de doute serait pourtant une des attitudes importantes pour accéder à une pensée critique qui rentrerait comme une forme de prédisposition en terme d’ouverture d’esprit (Facione, Giancarlo, Facione, 1995, Facione, Facione, Giancarlo, 2000, Facione, 2007, Facione & Facione, 2007, et voir plus loin la présentation du projet Daniel, Schleifer, Auriac & Pons, soumis, 2007). A l’habitude pourtant et effectivement les savoirs sont tendus vers la vérité, même provisoire, et le doute est plutôt négativement perçu par l’élève, comme par le professeur. Mieux vaut savoir à l’école. L’analyse comparée de corpus acquis au collège nous a permis de constater cette tendance à rechercher le juste, le vrai auprès de l’enseignant (Auriac, 2004f, 2007a). Pour discuter en revanche, il vaut mieux ne pas savoir et se renseigner auprès des autres. Est-ce possible en classe ?

Les constantes extraites des données de l’étude comparative entre les cinq corpus présentées plus haut font apparaître dans les exemples extraits de l’analyse logistique de Tropes que c’est davantage l’adulte qui porte ces doutes dans les discussions à visée philosophiques. Mais… parfois certains élèves aussi.

Exemple : GS :

 Elève : je pourrais peut-être

 Enseignant : ou peut-être P pourra poser une question

 Elève : parce que si on xxxx les pieds tout petits eh ben on va peut-être pas voir  Enseignant : et pourquoi elle a mangé pas beaucoup c'est peut-être

 Enseignant : toi tu penses que les sauterelles elles piquent pas forcément elles sont

peut-être gentilles rires M:

 Enseignant : Il a peut-être une idée

 Elève : le vote ne nous donne pas la réponse peut être peut-être par exemple tout le monde a pris la phrases n°2

C’est le marqueur linguistique peut-être (voir chapitre n°4) qui est ici emblématique de la figure du doute. On le voit sur ces exemples, on peut laisser planer le doute indifféremment dans l’espace du social (il a peut-être –ou pas- envie de parler) ou comme élément cognitif (les sauterelles sont peut-être gentilles – ou pas). C’est en fait le régime général du doute… qui s’installe. Il a peut-être raison a autant d’importance que c’est peut-être un chat ou un chien. C’est en ce sens que la discussion d’ailleurs ne peut s’interpréter correctement qu’en considérant « la double dimension sociocognitive de l’interlocution » (…) La discussion accomplit à la fois des « évènements cognitifs et des rapports sociaux » (Trognon, 1999, p.78, voir plus bas, cf. Lipman dans sa conception d’une communauté de recherche associé à l’heuristique cognitive, voir notre chapitre n°1).

L’analyse de production de questions effectuée par des élèves rôdées ou non à la discussion à visée philosophique (Auriac, 2006d) indique que les positionnements cognitifs ne sont pas tous égaux quant à l’émergence possible du doute et de l’examen pluriel d’alternatives. Après la lecture d’un conte « la poupée » (Contes d’Audrey-Anne, cf. Daniel, 2003), les élèves proposaient leur questionnement. Le positionnement de Lucas en « je sais » s’oppose à celui de Théo en « je ne sais pas » (Auriac & Maufrais, 2006) à propos de l’histoire où l’amie d’Audrey-Anne ne lui prête pas sa corde à sauter.

Exemples :

Lucas : « un garçon c’est un garçon et une fille reste une fille ».

Théo : « si elle lui aurait prêté sa corde à sauter est-ce qu’elle lui aurait tiré les cheveux ? ».

Lucas n’a pas de doute et ne produit pas de questionnement. La certitude bloque la génération d’alternative. Pourtant l’alternative est bien présente : un garçon n’est pas une fille. Pour Théo, le doute organise le questionnement. Le conditionnel (si…aurait) trace les contours de l’alternative produite (ici dans l’espace de l’imaginé, mais surtout du probable dans le quotidien) qui cadre la production du questionnement. La négative l’emporte donc sur le fait présenté dans l’histoire lue en support : peut-être que l’on ne tire pas les cheveux dans tous les cas ? Le questionnement est réel.

Douter n’est donc pas une question d’âge, c’est un procédé cognitif qui met simplement en présence deux univers en aménageant un comparatif de type alternatif. Il n’y a pas de