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LE DEVELOPPEMENT DES COMPETENCES SOCIOCOGNITIVES A L’ECOLE

B. Le positionnement du problème

On l’a vu précédemment la discussion, comme exercice, permet d’aborder le monde d’un point de vue plurilogique. L’examen plurilogique, grâce à la pratique d’écoute des points de vue d’autrui permet théoriquement au sujet d’investir un mécanisme interne de dialogie (François, 1994, voir citation) propre à révéler les désaccords comme les raisons des désaccords. Est-ce alors que la discussion conduit à une intercompréhension de type consensuelle à visée universelle ? Ou est-ce qu’elle conduit à seulement mettre à jour la pluralité ? Qu’est-ce qu’il y a de mieux entre le consensus (vérité supposant l’accord) et la survie en pluralité (désaccords relevés)?

On notera qu’en discussion, s’il y a des raisons à détecter, c’est a fortiori qu’il y a bien des raisonnements pour les mettre à jour. On ne peut discuter sans raisonner même a minima. Ceci ne dit pas si le raisonnement est conscient : c’est un autre problème que nous ne traiterons pas ici. Ceci ne dit pas non plus si le raisonnement est correct. C’est cette question de la correction, qui ouvre sur l’idée d’une vérité ou validité sous jacente au raisonnement qui nous guidera. Car, on notera que s’il y a désaccord -ou accord- c’est qu’il y a toujours, en contexte culturel une forme de doxa, un consensus admis, souvent implicite et préalable, convoquant des normes sociales, qui donne le ton et permet de fixer ce qui est Juste, voir pour

certains ce qui est Vrai. La question centrale sera de se demander si se positionner face au juste, au vrai -en considérant le phénomène de la norme- ressort du domaine de la moralité ou de celui de la socialité ? S’il est question de morale, les normes seraient pré-établies, s’il est question de socialité, les normes seraient construites et révisables par tout groupement humain pour assurer la vie du groupe.

A ce propos, nous reprendrons l’exemple récent de Ferry (In Leleux, 2005, p. 158) qui permet d’interroger les liens entre le langagier, plus particulièrement l’univers d’usage des modaux (voir notre chapitre suivant n°4) et l’édification de la moralité. Ferry indique, à propos de ce qu’il nomme les symptômes et dérives actuelles détectés sous l’emploi de locutions telles « l’affirmative action » ou « discrimination positive » que « nous avons tendance aujourd’hui à nous fixer davantage sur les objectifs substantiels que sur les principes formels : à préférer, autrement dit, le téléologique au déontologique (…) Ainsi en va-t-il du « droit inégalitaire ». Non seulement le succès est douteux, mais une telle désinvolture vis-à-vis des formes dans lesquelles s’exprime une conception exigeante du Juste fait réellement souffrir une personne vraiment structurée au plan moral, et qui, par conséquent possède authentiquement le sens du droit, des Droits fondamentaux (…). Cette tendance repose, à mon avis, sur un phénomène de dégrammatisation de la raison publique telle qu’elle est prise en charge par le discours médiatique. On peut faire des procès à des gens pour des petites phrases que l’on aura bien isolées de leur contexte illocutoire, de telle sorte qu’elles apparaissent scandaleuses. On peut alors confondre une constatation avec une évaluation ou un appel à l’émeute » (…) « Il n’y a plus de différence modale. On « oublie » la grammaire des modes modaux, et cet escamotage est une atteinte à l’intelligence critique, laquelle repose sur la

modalité ». (Ferry, 2005, p.158).

Bref, parler est bien affaire de contexte, et ne peut être dégagée de l’emploi consubstantiel des modalités qui indiquent d’où « ça » parle, de « comment » il convient d’interpréter ce qui est dit, et prévient à l’aide de précautions ou précisions locutoires: généralité, particularité, relativité… La discussion, pour autoriser cet exercice de la modalité, paraît a priori utile comme espace de déploiement du monde interlocutoire. Le contexte permet justement de fixer les limites de ce qui est dit (exemple, contre-exemple, illustration, délimitation du champ de questions) dans l’espace pluriel et conjoncturel où la discussion de déroule. Mais on aimerait au plan scientifique sortir du cercle vicieux, ne serait-ce que momentanément. Car si la discussion permet grâce à l’exercice de compétences langagières -reposant donc sur le maniement de la langue- l’avènement de structures de raisonnement qui conduisent à l’émergence possible d’un point de vue critique, lui-même garant de cet état en raison du maniement des modaux, ceux qui usent de modaux seraient alors les mieux placés : mais qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Comment se sont-ils formés ? Et, en substance, que penser de cette idée de certains qui « souffrent » lorsqu’ils sont « moralement structurés » ? Qu’est-ce qu’être moralement structuré ?

et juger serviront en préliminaire d’illustration assez fidèle de cette nécessité de concilier l’intérêt scientifique de la psychologie sociale avec l’espace institutionnel d’une école laïque, peu ouverte de fait et de principe à la question des croyances. Ce sera notre premier point.

L’exposé de ces deux études préliminaires ( prévention de la violence et nécessité de la mise en mot) sera l’occasion de repérer les différentes niveaux d’appréhension du phénomène reliant le déploiement langagier (via les discussions) et le raisonnement cognitif : on évoquera la question de la parole, de la logique, du relativisme, du positionnement de la philosophie quant au champ des représentations sociales, des valeurs et de la morale, des prédispositions d’esprit à l’engagement et la nécessité du positionnement. On évoquera aussi le problème de l’autonomie du jugement face à la question de l’influence sociale, du développemnt de l’estime de soi, du facteur d’anxiété et de la place que l’on peut accorder à la notion de compétence au sein de la communauté de recherche.

Ce tour d’horizon des différents niveaux d’appréhension possibles du phénomène moral sousjacent à l’entreprise du discuter en classe nous permettra de revisiter, de manière critique et constructrice les modèles de Piaget et Kohlberg qui ont servi historiquement d’appui (voir Moessinger, 1989, Vandenplas-Holper, 1999) pour conduire des recherches sur l’édification du jugement moral chez l’enfant (Fontaine & Jacques, 1997, 2000, par exemple). Parce que nous avons plutôt choisi d’investir le champ moral à partir de la discussion et non l’inverse, nous montrerons en quoi ce parcours augure d’une contribution au renouvellement des problématiques dans ce champ d’étude particulière, avec une visée pragmatique forte. Nous exposerons la teneur et la finalité de deux programmes de recherches auxquels nous sommes associés qui associent discussion, prévention primaire de la violence et évolution des représentations sociales des élèves dans le champ restreint des émotions.

La question de la structuration des représentations sociales, qui débordent l’axe habituel des savoirs, au développement ou à la transformation desquels l’école œuvre en priorité, sera alors envisagée. La question très actuelle d’édification d’une batterie de tests possibles des compétences pragmatiques des élèves, au plan langagier (Piérart, 2005) mais aussi au plan du raisonnement dans le cadre d’une cognition sociale intégrative s’en dégagera comme une perspective de recherches quasi obligées.

II. TERRAINS D’INSCRIPTION DES TRAVAUX EN PSYCHOLOGIE

SOCIALE

Nul, fut-il chercheur, ne peut s’extraire du temps présent, soit éventuellement du phénomène de mode relayé actuellement par des appels d’offres privilégiant certains domaines de recherche (les émotions, la prévention de la violence en sont deux bons exemples qui convienent à notre époque), soit aussi d’une inscription de la recherche au sein des débats politiques et sociaux des sociétés qui emploient les chercheurs (la montée des extrémismes en matière religieuse et des faits de délinquance sont encore deux bons exemples contemporains). Aussi nous ferons référence à deux communications récentes, ayant pour l’une seulement d’entre-elles donné lieu à actes (Auriac & Daniel, 2006). C’est davantage le cadre d’inscription de ces communications dans un univers dépassant a priori l’exercice

scientifique de la psychologie qui importe. L’une fut proposée dans le colloque « Education, Religion, Laïcité. Quels enjeux pour les politiques éducatives ? Quels enjeux pour l’éducation comparée ? » (Auriac & Daniel, 2006) et la deuxième (Auriac & Maufrais, 2006) fut prononcée dans la récente contribution de l’UNESCO renouvelant son soutien aux « nouvelles pratiques de la philosophies ». Ce dernier colloque s’intitulait alors : « La philosophie comme pratique éducative et culturelle : une nouvelle citoyenneté ». Que peut avoir à dire, et à faire, un psychologue social sur la question de la religion et de la laïcité ? Que doit pouvoir dire un psychologue social pragmaticien à la communauté des praticiens en tous genres dans le monde entier sur le lien entre Philosophique et Démocratie ? A-t-on intérêt à ainsi comme s’expatrier de son champ d’origine ? Est-ce conjoncturel ou scientifique ?

A. La discussion à visée philosophique et la structuration