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P REMIÈRE PARTIE : RÉÉVALUER LA SAINTETÉ AU SEIN MÊME DE L ’ÉGLISE ?

II. Les saints catholiques : juger les hommes, jauger l’histoire

Le XIXe siècle présente un catholicisme en restructuration. Une volonté réactionnaire, exprimée à travers la Restauration, puis perpétuée dès le début des années 1840 par un catholicisme intransigeant, trouve dans l’hagiographie une tradition littéraire très ancienne à même de légitimer le retour à un ordre ancien et d’affirmer la pérennité de ses valeurs auprès d’une population en voie de sécularisation. Une partie du corpus hagiographique est constituée de textes qui sont subtilement polémiques. Faisant majoritairement référence à des saints médiévaux, ou du moins à une sainteté ancienne, et exaltant un âge d’or du christianisme, ils dessinent en creux une critique de leur siècle. Le modèle du saint est l’étalon auquel mesurer la décadence du monde contemporain. Il permet d’évaluer les efforts à produire pour pallier les dégâts infligés par la Révolution. Il s’agit bien sûr de réparer la société après la coupure infligée au temps long de l’ordre, mais également de faire affleurer clairement les lignes de partage axiologique.

Dans cette première partie de chapitre centré sur les caractéristiques de l’hagiographie catholique, on s’intéressera plus volontiers à des hagiographies savantes dont la fonction exemplaire cohabite avec une dimension polémique. Le discours exhortatif s’amenuise au profit d’une condamnation, dont on ne sait si elle pourra être effacée. L’éloge du saint est un blâme de l’incroyant. Ainsi, le corpus catholique prend deux directions bien distinctes. D’une part, il s’intéresse à des hagiographies longues, très renseignées qui revêtent une dimension panégyrique à l’égard de l’Église et polémique à l’égard de la société contemporaine. D’autre part, il contient des hagiographies beaucoup plus courtes, écrites dans un langage très simple, qui s’inscrivent dans une pratique dévotionnelle et qui visent à entraîner une imitation des vertus (elles seront l’objet de la deuxième partie de ce chapitre). Le combat est le propre des premières. Les rédacteurs en sont les plumes catholiques les plus connues de l’époque : Charles de Montalembert, Louis Veuillot, Henri-Dominique Lacordaire2 ou encore Frédéric Ozanam.

1 Auguste Riche (abbé), Fioretti ou petites fleurs de Saint François d’Assise, chronique du Moyen Âge traduite de

l’italien pour la première fois, Bruxelles, Vanderburgh, 1847.

2 Il est intéressant de noter que certains auteurs ont conscience de participer tous ensemble à une entreprise de réhabilitation des saints catholiques. C’est le cas de Louis Veuillot qui dans son « Histoire de saint Bernard » salue leurs efforts communs : « Je n’ai, Dieu merci, nul besoin de dire avec quelle joie profonde je vois l’histoire des saints sortir enfin de cette route fâcheuse […]. C’est assez de rappeler ici la monographie admirable de sainte Élisabeth de Hongrie, l’éloquente vie de saint Dominique, la pieuse et savante histoire de saint François d’Assise

54 a. DÉFENSE ET ÉLOGE DES SERVITEURS DE LA RELIGION CATHOLIQUE

L’hagiographie n’est pas seulement un texte exemplaire ; elle revêt également une dimension encomiastique. Pour les auteurs, il s’agit de glorifier le saint qui peut être soit méconnu, soit injustement accusé de quelques maux. Le registre épidictique évolue par la suite insensiblement du personnel hagiographique à l’actualité politique.

Ce mécanisme est à l’œuvre dans la Vie de saint Dominique de Henri-Dominique Lacordaire. En 1841, ce dernier propose une vie du saint qui veut, dans un premier temps, faire acte de réparation. La « vie du saint patriarche1 » est sujette à des approximations ou à des erreurs – on lui attribue l’invention de l’Inquisition et la responsabilité de la guerre contre les Albigeois – qu’il faut dissiper selon l’auteur. Au siècle précédent, cela a donné lieu à une importante littérature qui fustigeait, dans le premier cas, l’aveuglement et la folie sanguinaire de l’institution, et, dans le deuxième cas, la férocité des guerres de religions. Dans la préface, l’auteur regrette même de ne pas être allé plus loin dans la réhabilitation du saint : « Peut-être, un jour, si je rencontre des adversaires sérieux, sera-t-il nécessaire que j’entre dans l’examen de cette question, et que je montre l’origine et le progrès des causes qui ont changé dans l’oreille de la postérité l’harmonie du nom de saint Dominique2 ». Rétablir une bonne réception de la figure est nécessaire. Il faut effacer un travail de sape qui, bien qu’à peine qualifié, peut être rattaché à l’esprit rationnel du XVIIIe siècle, le mot de « progrès » n’étant pas anodin ici. La calomnie – les critiques étant désignées comme telles3 – vise à être annihilée par l’hagiographie. Dans cette optique, l’écriture équivaut à une entreprise de réparation et de promotion.

Toutefois, cette entreprise n’est pas pleinement considérée comme polémique : le récit de vie prend part au combat de manière indirecte dans la mesure où il resserre le cadre sur un seul personnage. La nature plus exhortative qu’accusatrice des hagiographies en fait des espaces qui médiatisent la critique en la déléguant à une voix et un être étrangers (qu’on pense à la distance temporelle, voire culturelle). Dès lors, l’entreprise de réparation n’est pas assumée comme but unique de l’œuvre. La prendre en charge équivaudrait aussi à assumer le nivellement du saint avec le commun. C’est pour cette raison qu’au seuil conclusif de la Vie de saint

Dominique, tout en réaffirmant l’éloge à travers une rhétorique superlative, Lacordaire tempère

[…]. », dans Louis Veuillot, « Histoire de saint Bernard », dans Portraits de saints, Raphaël, philosophe et

théologien, brochures militantes et biographiques, op. cit., 1929, p. 43.

1 Henri-Dominique Lacordaire, Vie de saint Dominique, Paris, Debécourt, 1841, p. 7.

2 Ibid., p. 7-8.

55 l’aspect polémique. On pourrait même aller plus loin : l’éloge entier, indiscutable, lié à la perfection de son être, est ce qui permet au saint de subsumer la polémique et de l’emporter sur ses adversaires.

Tel fut, dans la vie et dans la mort, Dominique de Gusman, fondateur de l’ordre des Frères Prêcheurs, l’un des hommes, à le considérer même humainement, le plus hardi par le génie, le plus tendre par le cœur qui ait existé. Il posséda dans une fusion parfaite ces deux qualités qui ne sont presque jamais possédées ensemble au même degré. Il exprima l’une par une vie extérieure d’une activité prodigieuse, et l’autre par une vie intérieure dont on peut dire que chaque souffle était un acte d’amour envers Dieu et envers les hommes. Son siècle nous a laissé sur lui des monuments courts, mais nombreux. Je les ai lus avec admiration, à cause du talent simple et sublime dont ils sont pleins, et avec étonnement, à cause du caractère qu’ils attribuent à leur héros. […] L’apologie est une injure dont ce grand homme n’a pas besoin. Je clos donc sa vie sans la défendre. J’imite ses enfants, qui ne mirent sur sa tombe aucune épitaphe, persuadés qu’elle parlerait toute seule, et assez haut. Mais puisque ses premiers historiens, avant de se séparer de lui, ont pieusement rassemblé les principaux traits de sa physionomie, je les imiterai aussi, et, me reconnaissant incapable d’égaler la force et la naïveté de leur pinceau, j’emprunte au plus ancien et au plus illustre d’entre eux le portrait vénéré de mon père1.

Le refus de s’inscrire dans une logique de combat apparaît comme un repentir, au sens esthétique, ultime. Il permet de sauvegarder la dimension édifiante qui serait autrement dégradée par un dialogue trop à découvert. Or cette affirmation apparaît davantage comme une prétérition dans la mesure où le dernier portrait du saint est une apothéose et où l’écriture, bien que déléguée à d’autres voix hagiographes, n’en reste pas moins unanimement louangeuse2.

L’éloge n’a pas simple fonction de réhabilitation littéraire et morale. Il entretient un lien fort avec le moment de l’écriture. Dès 1838, son auteur entreprend de rétablir en France l’Ordre des prêcheurs et la règle de saint Dominique. L’hagiographie est également un vecteur de légitimation spirituelle et politique des ordres religieux, et plus précisément de celui associé au saint. Le saint choisi est un personnage qui épouse une forme d’actualité, et s’inscrit dans un combat interne. Dans un jeu de miroir, par l’éloge du saint advient l’éloge de ses défenseurs contemporains. Cet éloge, Henri-Dominique Lacordaire l’inscrit lui-même en filigrane dans son travail puisqu’il met volontiers en parallèle dans sa préface « le livre » (l’hagiographie) et l’« œuvre » (le rétablissement de l’ordre de saint Dominique), le premier n’étant qu’une émanation du second :

Voici pour le livre ; parlons de l’œuvre.

J’étais parti de France, le 7 mai 1839, avec deux compagnons. Nous allions à Rome prendre l’habit des Frères Prêcheurs, et nous soumettre à l’année de noviciat qui précède les vœux. L’année finie, nous nous agenouillâmes, deux Français seulement,

1 Ibid., p. 347-346.

2 La citation donnée mentionne également les calomnies proférées contre Henri-Dominique, réinscrivant, dans un autre niveau énonciatif, la dimension polémique.

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au pied de Notre-Dame de la Quercia, et, pour la première fois depuis cinquante ans, saint Dominique revit la France au banquet de sa famille1.

L’hagiographie est justifiée en ce qu’elle constitue une explication et un soutien pour le temps présent. Elle marque un retour en grâce, le rétablissement d’une continuité qui avait été perdue. Le petit nombre des fidèles, qui pourrait pourtant faire de cet acte un moment dérisoire, est associé à toute une nation et à la réintégration de celle-ci dans le giron du catholicisme romain. Écrire la vie du saint, c’est légitimer, par l’histoire, les actions du temps présent et se faire également héritier de son action. L’aura du saint rejaillit sur l’auteur qui, fidèle au processus d’imitation, reproduit ses actions et s’inspire de son ethos. Par la suite, ce mécanisme récursif évident est souligné dans les nouvelles éditions de l’œuvre – notamment celle des œuvres complètes de Lacordaire – qui sont précédées d’une autre vie : celle de Lacordaire lui-même. La préface à son œuvre devient elle-même une vie qui pose la personnalité de l’auteur en véritable saint :

Maintenant sa vie est en Dieu — Mais ses œuvres nous restent : et en les parcourant, soit qu’on médite ce qu’il a écrit, soit qu’on pèse ce qu’il a fait, on voit peu à peu, au milieu de ces choses si diverses, se recomposer son image, comme une statue que la distance grandit et achève. Les angles trop saillants et les lacunes inévitables qu’une critique plus ou moins juste signalait dans ce bloc de granit disparaissent, tandis que les grands traits s’accentuent et que la figure surtout devient plus belle.

La foi répand sur son front une sérénité inaltérable ; car il fut catholique et fils de l’Église, avant tout, et malgré tout. Dans son regard, où la puissance se mêle à la tendresse, on mesure la profondeur de sa pensée comme la bonté de son cœur ; ses traits sont fermes sans violence, grands sans orgueil ; et sur ses lèvres closes le caractère de son éloquence paraît encore écrit. À ces dons, les joies de la vie claustrale et les pâleurs de la pénitence ajoutent leurs reflets venus d’en haut, et l’homme nous apparaît tel qu’il fut : un grand serviteur de Dieu2.

Même rhétorique superlative qui transforme l’écrivain et le façonne à l’image de son objet. Significativement, Lacordaire se fait statue, c’est-à-dire qu’il se fait image sainte. La réification est le signe de l’accession à un sacré de l’objet qui est celui des images pieuses. La vie du saint, éloge métaphorique du pouvoir de l’action catholique sur le monde culturel, religieux et politique, inscrit en son sein et dans ses paratextes une parole d’éloge sur des militants qui se conçoivent comme de nouveaux combattants.

1 Ibid., p. 8-9.

2 « Notice sur le père Lacordaire », dans Henri-Dominique Lacordaire, Vie de saint Dominique, dans Œuvres du

57 b. LA FORCE CENTRIFUGE DE LHAGIOGRAPHIE

L’éloge du saint a pour corollaire plus ou moins explicite une déploration de ce qui n’entre pas en résonance avec son essence. La figure présentée devient une grille de lecture axiologique de son chronotope direct (la période et l’espace géographique dans lesquels elle évolue), tout comme de l’environnement du lecteur, qu’elle les valide ou qu’elle les récuse. Pour ainsi dire, elle acquiert une force de jugement centrifuge : les vies de saint commencent très souvent par un état de la chrétienté contemporaine de l’époque du saint qui souligne la dimension politique intrinsèque de ce type de texte. Deux possibilités s’ouvrent : soit le saint est le signe métonymique d’un âge d’or dont l’auteur souhaite le retour ; soit, dans une logique de rachat, le personnage qui deviendra saint naît dans un monde qui lui est profondément antithétique. Dans le second cas, c’est dans cette opposition que s’installe la dynamique d’imitation et que le lecteur prend conscience de l’effort à faire pour rétablir une perfection, qui concerne tout aussi bien sa propre personne que la société dans laquelle il vit.

Le saint : figure symbolique d’un Moyen Âge regretté

Les saints mis en avant au XIXe siècle permettent à leurs hagiographes de souligner des périodes-clés du développement d’un catholicisme fort dans l’histoire. Les personnages goûtés par les élites sont de deux sortes : beaucoup d’entre eux appartiennent au tournant des XVIe et des XVIIe siècles (Gérard Cholvy compte parmi eux sainte Thérèse, Louis de Grenade, Alphonse de Liguori, mais surtout saint François de Sales1) et, par-là, mettent en valeur le Grand Siècle conçu comme le moment d’institutionnalisation de la sainteté par les ordres. La pérennité des structures inscrit la sainteté catholique dans une logique de la longue durée. Dans une telle perspective, la mise en avant de certains saints répond souvent à une actualité de leur ordre au

XIXe siècle. En ce cas, les saints sont des figures de proue de courants théologiques contemporains. Ils ont une valeur de réclame.

Toutefois, le Moyen Âge est un temps privilégié qu’on réinterroge volontiers pour tenter de rétablir une continuité par-dessus la cassure imposée par la Révolution. Les saints qui sont associés à cette période sont particulièrement représentatifs d’un courant politique réactionnaire. Dans le discours hagiologique, la vie de saints, la relation de ses acta, est souvent associée au Moyen Âge elle-aussi. Les recueils de légendes sont souvent étiquetés comme recueils de légendes médiévales, ce qui a tendance à nouer intimement dans l’esprit des lecteurs cette période à l’expression de l’exemplarité religieuse. Bien que non catholique, l’œuvre d’un

58 érudit comme Alfred Maury confirme cet accord, lui qui publia en 1843 un Essai sur les

légendes pieuses du Moyen Âge qui s’intéresse aux vies de saints et aux martyrs. Le saint est un être médiéval, c’est une évidence. Le convoquer dans la littérature du XIXe siècle, c’est convoquer tout un imaginaire positif. Il apporte avec lui l’aura du Moyen Âge, elle-même en relation avec des représentations politiques réactionnaires.

Dans La Vie de sainte Élisabeth de Hongrie, comme le souligne Guilhem Labouret1, Montalembert met en avant la spécificité des saints de cette période, particulièrement resplendissants dans l’exercice de leur mission. Ainsi, « ce sont surtout les saints du moyen âge qui ont témoigné aux lépreux un dévouement sublime2 ». De même, à l’occasion d’un chapitre sur les croisades dans lequel les sentiments nobles des différents personnages sont exaltés (notamment ceux d’Élisabeth et de son époux croisé), l’auteur affirme que

ce qui caractérise surtout la vie morale et intérieure de ces temps, c’est l’union inséparable des affections les plus ardentes et les plus vives avec leur consécration légitime ; c’est d’y voir le devoir, l’obligation religieuse, devenir comme un élément essentiel des tendres épanchements du cœur. Ici encore […] Élisabeth a été une personnification admirable et complète de son siècle3.

L’union des époux dans leur but d’exaltation de la foi chrétienne (lui par les armes, elle par les actes et par la prière) exprime une harmonie à la fois politique et sociale. Le bras qui frappe s’accorde avec la main qui donne. Il est aisé de comprendre en quoi ce constat s’oppose à la réalité contemporaine telle que la perçoivent les catholiques du XIXe siècle : leur temps s’ouvre sur une disjonction profonde, qui ne sera annihilée que ponctuellement durant tout le siècle.

Cet imaginaire d’une réunion presque organique est porté par d’autres saints durant la période qui nous occupe. Saint Louis cristallise ce désir d’un retour de l’influence politique et spirituelle catholique. Selon Bruno Foucart, « il témoigne pour une iconographie nationale, illustrant les valeurs civiques4 ». Cette figure a déjà été l’objet de nombreuses analyses critiques. Guilhem Labouret a montré que des auteurs tels que Henri-Dominique Lacordaire ou encore Joseph de Maistre en font « une référence historique indépassable, le Moyen Âge s’incarnant même dans [s]a personne5 » ; dans un article qui traite de la place de ce saint chez

1 Guilhem Labouret, « Lectures du Moyen Âge chez les catholiques romantiques : mythe de l’âge d’or ou temps de l’erreur ? », dans Élodie Burle-Errecade et Valérie Naudet (dir.), Fantasmagories du Moyen Âge, actes du colloque international du 7 au 9 juin 2007 à l’Université de Provence, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, « Sénéfiance », 2010, p. 89-97, p. 90-91.

2 Charles de Montalembert, La Vie de sainte Élisabeth de Hongrie [1836], Paris, Cerf, « Sagesses chrétiennes », 2005, p. 313.

3 Ibid., p. 228.

4 Bruno Foucart, Le Renouveau de la peinture religieuse en France (1800-1860), Paris, Arthéna, 1987, p. 100.

5 Guilhem Labouret, « Lectures du Moyen Âge chez les catholiques romantiques : mythe de l’âge d’or ou temps de l’erreur ? », art. cit., p. 91.

59 un apologiste reconnu comme Chateaubriand, Jean-Paul Clément montre à quel point le personnage a été déterminant pour le retour de l’écrivain à des convictions monarchiques ; la figure ne réintègre pas simplement Chateaubriand dans un groupe socio-politique, elle participe d’une stratégie offensive : « en 1814, avec le fameux pamphlet De Buonaparte et des Bourbons, […] Chateaubriand utilisera le mythe du saint roi comme une arme au service de la dynastie tombée et qu’il s’agit désormais de restaurer sur le trône de France1 ». Les partisans du rétablissement de la maison des Bourbons vont même jusqu’à être appelés à l’époque « fils de saint Louis ». Bien que la vertu, le discernement politique, la douceur du saint et surtout sa grandeur dans le martyre final soient mis en avant dans les différentes vies qui lui sont consacrées, c’est bien sa double fonction de roi et de saint qui séduit ses apologistes. Ils y voient l’image d’un pouvoir fort, semblable à celui de l’Ancien Régime. Bien sûr, dans le cadre de l’hagiographie, qui est un récit censé être soumis à des enjeux spirituels et non séculiers, cette visée est quelque peu atténuée. Il en est ainsi d’une Vie de saint Louis, roi de France republiée en 1855 par Ardant Frères à Paris et datant vraisemblablement des années 1820. Le titre dans lequel coexistent fonction religieuse et fonction politique résume toute l’ambiguïté qui pèse sur cette vie de saint. Son auteur, tout en présentant une certaine dimension politique, sent bien à quel point elle peut faire dériver la vie du saint du côté de la contingence. Voici l’incipit de son texte :

Ce n’est point l’histoire du règne de saint Louis, c’est sa vie que nous voulons écrire.