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P REMIÈRE PARTIE : RÉÉVALUER LA SAINTETÉ AU SEIN MÊME DE L ’ÉGLISE ?

I. La sainteté selon les siècles

Participant à la vérité immuable de la religion aux yeux du fidèle, le saint n’en est pas moins un objet culturel, un support de dévotion qui a connu des évolutions historiques importantes. Du martyr souffrant à l’intercesseur divin, en passant par la figure du religieux exemplaire, c’est un personnage protéiforme qui a été fructueusement adapté aux différentes situations politiques et culturelles qu’a connues le christianisme. Son actualisation moderne, qui a permis son retour en grâce au début du XIXe siècle, est le fruit d’une longue histoire qu’il est nécessaire de rappeler pour souligner la spécificité de notre période d’étude.

a. LES ÉVOLUTIONS DUN TERME : LA PERSONNIFICATION DE LA SAINTETÉ

À ses débuts, le qualificatif de « saint » est un terme qui n’est pas utilisé pour qualifier les hommes. Dans son ouvrage La Sainteté, André-Jean Festugière expose le processus métonymique qui a permis d’« anthropologiser » le mystère1. En effet, l’adjectif grec hagnos désigne tout d’abord la crainte et la stupeur ressenties devant un évènement naturel mystérieux, dont on ne perçoit pas directement la cause, et qui nous paraît étranger. Par glissement sémantique, il va ensuite désigner l’objet de cette crainte. C’est ainsi que les lieux vont devenir « saints » : les lieux naturels tout d’abord, comme les grottes ; puis les autres espaces où pouvaient se produire des phénomènes inexplicables aussi appelés « miracles », comme les

41 temples et les espaces consacrés1. Le lieu saint où s’est déroulée la manifestation divine va alors être mis à part ; seuls certains adeptes seront autorisés à le fouler. Ils le pourront en vertu de leur pureté, non essentielle mais acquise par un travail constant sur leur propre personne. La sainteté antique établit une ligne de démarcation entre le pur et le souillé (appelé miasma comme le note André-Jean Fustigière2). Par la suite, le lieu devient lui-même purifiant. Au tournant des

IVe et Ve siècles, son caractère de sainteté devient transférable à la personne qui est considérée digne de le fouler. La sainteté épouse dès lors des formes humaines et peut, par-là même, désigner l’individu. Est saint celui qui est pur de souillures physiques, mais également morales. Toutefois, cet adjectif qualifie rarement les hommes dans l’hellénisme païen, mais souvent les divinités étrangères (considérées comme saintes car séparées du monde connu)3.

Dans les Écritures Saintes et la tradition judéo-chrétienne, l’adjectif sert d’abord à qualifier Dieu lui-même qui est « le Saint ». Ce « Saint » a un pouvoir de sanctification envers ses fidèles4 (les croyants), cette opération ayant d’abord une définition par défaut (être saint, c’est n’avoir pas de souillure) puis positive (être saint, c’est tout faire pour éloigner la souillure et encourager la pureté dans son propre corps et dans son esprit, puis dans celui des autres). Toutefois, bien qu’il se nourrisse du héros grec ou du sage antique, le saint tel qu’il est vu par la Bible diffère d’eux en un point essentiel : il n’est pas un homme indépendant. Il a une réalité intérieure qui dépend étroitement de sa relation à Dieu. « Rien ne peut être sacré s’il n’est en relation avec Dieu5 », écrit Claus Westermann. Par la suite, dans la religion catholique, ce lien de dépendance à la transcendance le constitue en intermédiaire entre les fidèles et Dieu.

b. HISTORICISER LA FIGURE DU SAINT

Outre cette archéologie antique du terme, au sein même du christianisme, la composante majeure de ce qui constitue la sainteté d’un personnage historique évolue selon les contextes politiques et les époques.

1 À l’origine, le templum est l’espace où l’on guette les signes annonciateurs. Au premier livre de l’Histoire

romaine de Tite-Live, c’est par le mot templa que sont désignés les espaces respectifs choisis par Rémus et Romulus pour observer les augures qui devront leur dire qui sera le gouverneur de la ville qu’ils souhaitent fonder.

2 André-Jean Festugière, La Sainteté, op. cit., p. 11. Il est important de le noter car, dans des récits ultérieurs, le saint se situe souvent dans un schéma adjuvants/opposants ; son devenir est toujours agonistique.

3 Ibid., p. 22-23.

4 Qu’on pense au verset 44 du chapitre 11 du livre du Lévitique.

5 Claus Westermann, « Sacré et sainteté de Dieu dans la Bible », La Vie spirituelle, janvier-février 1989, no 683, t. CXLIII, p. 13-24, p. 13.

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Du récit de la mort à celui de la vie : mettre en avant la persistance

Dans les premiers temps du christianisme (IIe-IIIe siècles), c’est la souffrance qui marque le caractère religieux exceptionnel. Tant que le christianisme est une religion persécutée, la forme la plus répandue et la plus reconnue de l’exemplarité humaine est le martyr. Les souffrances endurées in odium fidei sont le signe de la validité et de la puissance de la nouvelle croyance. Par leur mort, les fidèles affirment l’existence d’une transcendance, d’une entité dont la valeur excède le prix de leur vie. L’image du martyr est la pierre angulaire de la communauté en constitution. Par son influence et sa signification politique – celle d’une opposition au pouvoir romain – elle favorise la cohésion des fidèles et l’accroissement de l’Église, l’efficace de son aspect spectaculaire se révélant dans une logique prosélyte. Les actes des martyrs s’attachent donc à décrire la fin du saint.

Ces récits présentent une unité temporelle très resserrée. La trame est très simple : il s’agit de décrire les derniers moments d’un homme ou d’une femme1 qui, grâce à son attitude face à la mort et à ses persécuteurs, va accéder à la sainteté. L’écriture se focalise alors souvent sur les dernières paroles du personnage qui contiennent une exhortation à suivre son chemin. Ces derniers moments se composent d’épisodes très distinctifs répétant le modèle christique : torture et confrontation aux persécuteurs, persévérance, éventuelles manifestations surnaturelles dans la souffrance, discours et mort. La proximité de cette dernière confère au personnage une gloire divine et le fait déjà participer, en quelque sorte, au mystère religieux. Dans cet instant-limite, le saint touche au néant (la kénose évoquée par Paul dans sa lettre aux Philippiens) et acquiert dans cette proximité une grandeur particulière.

Avec l’institutionnalisation et la généralisation du christianisme qu’entraîne la conversion de Constantin au IVe siècle, le modèle du martyr, qui témoigne d’une situation politique agonistique, perd de sa légitimité. Le rapport de forces n’étant plus le même, la forme privilégiée que revêt la sainteté change. Le christianisme n’est plus menacé ; ce n’est plus celui qui a résisté avec force à l’oppression qui est mis en avant mais celui qui a mené la bonne vie, et ce à partir du IIIe siècle selon Michel de Certeau2. La sainteté n’est plus attachée à un acte ponctuel, circonscrit dans le temps. Elle trouve toujours une manifestation privilégiée dans la

1 La faiblesse des femmes est censée rendre encore plus visible la puissance divine.

2 « Une deuxième étape s’ouvre avec les Vies : celles des ascètes du désert (cf. la Vie de saint Antoine par Athanase) et, d’autre part, celles de “confesseurs” et d’évêques – Vies de saint Cyprien († 258), de saint Grégoire le Thaumaturge († vers 270) ou de saint Martin de Tours par Sulpice Sévère. Suit un grand essor de l’hagiographie, où les fondateurs d’ordres et les mystiques occupent une place croissante. Ce n’est plus la mort, mais la vie, qui fonde. » Michel de Certeau, « Hagiographie », Encyclopædia Universalis [en ligne].

43 mort, mais celle-ci doit être précédée d’actes vertueux réitérés. Selon André-Jean Festugière, cette nouvelle conception qui offre au personnage du saint un temps long, celui de l’existence, se nourrit d’une évolution parallèle de la conception de l’héroïsme païen : le héros, qui était par définition tourné vers la mort, puise désormais sa gloire dans le fait de supporter une vie difficile. Il n’est plus seulement cet être qui court volontiers à la mort pour l’honneur et la renommée, refusant de vivre une vie sans éclat1 (la bios abiotos) ; il est aussi l’homme qui accepte de rester en vie malgré l’adversité. L’action est abandonnée au profit de la persévérance. De plus, les mortifications prennent le relais de la persécution, permettant de conserver l’idée d’une souffrance sanctifiante.

La persévérance permet également d’étendre le champ de ceux qui peuvent prétendre à la sainteté, car si elle demande toujours des qualités exceptionnelles, ces dernières ne sont plus physiques et élitistes. L’exception est spirituelle avant toute chose. Dans le christianisme, cette notion va rencontrer celle de l’humble débonnaire tel que le décrit le Sermon sur la montagne2. En résumé, le saint chrétien est un homme qui embrasse la volonté de Dieu par sa persévérance et son humilité manifestée chaque jour de sa vie, c’est-à-dire par le caractère héroïque de ses vertus.

L’appellation littéraire de « vie » est éloquente : le lecteur suit désormais un homme dans son activité évangélique, dans son parcours qui le mène de ville en ville pour exercer sa charité. Ce modèle se rapproche des Actes des apôtres qui présentent les pérégrinations de Paul, de Pierre ou de Timothée prêchant hors de leur pays. Du point de vue de la narration, ce type de récit est très différent de celui dont le martyr est le protagoniste : le temps est beaucoup plus distendu (du fait de la succession d’épisodes sans marques chronologiques précises) et les épisodes souvent moins dramatiques. C’est moins l’intensité ponctuelle d’un moment qui importe que la répétition des mêmes actions, des mêmes gestes généreux et éloquents, répétition qui apporte la preuve de la sainteté du personnage3.

Les différentes actualisations de ce nouveau schéma de sainteté sont explicitées par l’Église catholique en 1234 lorsque Grégoire IX, dans la bulle annonçant la canonisation de saint Dominique, définit les différentes sortes de saints. Il affirme que Jésus « renouvelle

1 André-Jean Festugière, La Sainteté, op. cit., p. 28.

2 Évangile de Matthieu, chapitre 5, verset 11 : l’endurance face à la souffrance est une qualité fondamentale dans la nouvelle Loi.

3 « La simplicité du récit légendaire renvoie à une vision dense de l’existence qui laisse hors champ les temps faibles, l’insignifiance. Ne restent dans le champ de vision que les traits saillants, hautement signifiants, du saint et de l’anti-saint, du Bien et du Mal. » Claude Millet, Le Légendaire au XIXe siècle : poésie, mythe et vérité, op. cit., p. 39.

44 sagement ses prodiges à cause de l’instabilité des esprits et varie ses merveilles pour remédier aux méfiances de l’incrédulité1 », c’est-à-dire que, selon les siècles, la gloire divine ne s’exprime pas à travers les saints de la même façon. Poétiquement, le pape va désigner les catégories de saints comme des attelages, dont les chevaux ont des couleurs de robe spécifiques. Ils sont envoyés successivement sur la terre pour défendre la cause du christianisme. Les chevaux du premier char arborent une robe rouge :

Sans crainte du glaive de ce monde, en vue de la joie de la gloire future, ils sont devenus des martyrs [les princes des peuples et les puissants de la terre], je veux dire des témoins, et par leur confession, ont souscrit au livre de la loi nouvelle, cependant que par la démonstration publique de leurs miracles ils donnaient un surcroît de force à leur engagement. […]

Mais parce que la présomption a suivi de près l’arrivée de la multitude et la malice la liberté, Notre-Seigneur a envoyé, dans le second char, sous la couleur qui convient à tous ceux qui pleurent et qui font pénitence […], tout un escadron de chevaliers, poussés au désert du cloître par l’Esprit-Saint2 […].

Le désert inaugure l’entrée dans un temps plus long, tant il est vrai que, dans la tradition judéo-chrétienne, il constitue le lieu d’une épreuve qui dure3. Selon Grégoire IX, le troisième char apporte les ordres de Cîteaux et de Flore. Le quatrième char, celui qui contient saint Dominique, promeut les prédicateurs et les évangélisateurs qui, par leurs actes et par leurs paroles, continuent le travail des précédents. La temporalité ponctuelle qui fait le saint est abandonnée au profit de plusieurs temps longs : celui de la vie retirée, celui de l’existence monastique et celui des actes répétés du prosélyte.

Dans cette évolution qui rapproche le saint d’une forme de quotidienneté, le Moyen Âge n’abandonne pas pour autant l’élément surnaturel. Au temps long de la vie ne correspond pas une vertu banale puisque, durant toute cette période, et en particulier durant l’époque mérovingienne4, le saint exerce une fascination sur les fidèles en raison de « l’efficace5 » de sa sainteté, c’est-à-dire du pouvoir surnaturel qu’il possède et qu’il manifeste par le miracle ou par sa capacité d’intercession. Selon Francesco Chiovaro, c’est notamment pour cette raison que le saint thaumaturge est le plus populaire du IVe au XXe siècles6.

1 Grégoire IX, « Bulle de canonisation de saint Dominique », dans Marie-Humbert Vicaire, Saint Dominique de

Caleruega, d’après les documents du XIIIe siècle, Paris, Cerf, 1955, p. 255.

2 Ibid., p. 256.

3 Qu’il s’agisse des quarante ans dans le désert du peuple juif ou des quarante jours de tentation de Jésus dans les Évangiles.

4 André Vauchez, « L’Efficacité de la sainteté, Réflexions sur le rôle des saints dans la piété chrétienne des origines au Moyen Âge », dans Saints d’hier et sainteté d’aujourd’hui, Paris, Desclée, 1966, p. 13-23, p. 17.

5 Ibid.

6 Francesco Chiovaro, « Typologie de la sainteté chrétienne », La Vie spirituelle, mai-juin 1989, no 685, t. CXLIII, p. 425-436, p. 433.

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Les métamorphoses d’une figure

Le schisme protestant au XVIe siècle est un jalon décisif dans l’évolution de la sainteté catholique à l’époque moderne. C’est à cette période que des prédicateurs comme Luther et Calvin s’attaquent au culte des saints tel qu’il est pratiqué par l’Église catholique. D’une part, ce culte est réprouvé car il éloigne les fidèles des enseignements de l’Écriture, c’est-à-dire qu’il va à l’encontre du monothéisme affirmé par le deuxième commandement du Décalogue1 et du christocentrisme qui parcourt les Évangiles2. Selon eux, ce culte excède les justes proportions qu’il devrait garder : celle d’une simple exhortation à imiter des vertus dans la vie de tous les jours. Au lieu de cela, les protestants voient dans les prières aux saints une substitution de ces personnages à la voie unique que doit être le Christ et donc une forme de polythéisme qui n’est pas loin du paganisme. D’autre part, le culte des saints enrichit grandement les paroisses, notamment à travers le commerce des indulgences3, ce qui est fortement condamné.

Néanmoins, comme le rappelle Yves Krumenacker, ce refus du saint comme divinité de substitution et comme prétexte à l’enrichissement débridé de l’Église ne veut pas dire que la sainteté est récusée par le protestantisme :

Les saints, selon Luther qui se réfère à saint Paul, ce sont les chrétiens qui sont saints par la Parole et par la grâce de Dieu. Les véritables saints sont donc des vivants dont il faut s’occuper, qu’il faut servir, qui sont choisis par Dieu, et non des morts ou des gens qui veulent se sanctifier eux-mêmes par leurs œuvres4.

La conception protestante est décisive car elle inaugure la possibilité d’une sainteté contemporaine qui n’a pas besoin du temps long de la procédure pour être accréditée et, surtout, d’une sainteté universelle qui a pu influencer l’Église catholique. Qui plus est, la critique protestante insiste sur un aspect de la sainteté catholique qui sera fortement nuancé par la suite : son caractère surnaturel. Dans l’espace catholique, cette critique favorise une certaine définition de la sainteté basée sur l’exemplarité et non sur le pouvoir, qu’il soit miraculaire ou intercesseur.

Face à ces accusations, l’Église catholique réagit par un plus grand contrôle du culte des saints, repensé notamment durant le Concile de Trente. Par la suite, en 1588, Sixte Quint « institue la congrégation des Rites afin de réguler l’exercice du culte divin et de traiter la cause

1 Exode, chapitre 20, verset 3.

2 Par exemple, évangile de Jean, chapitre 14, verset 6.

3 Dans la pensée catholique, ces indulgences peuvent être remises au fidèle car le Christ, la Vierge et les saints, par le nombre incroyable des bienfaits qu’ils ont dispensés, peuvent supporter les écarts des chrétiens.

4 Yves Krumenacker, « Sainteté catholique et sainteté protestante (XVIe-XVIIe siècles) », communication prononcée lors du 21e congrès international des sciences historiques, 22-28 août 2010, Amsterdam, p. 1-19, p. 2. Voir aussi p. 4. URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00528313/document (consulté le 14 mai 2016).

46 des saints1 ». Parallèlement à ce début de codification du parcours de sainteté, un changement s’opère dans l’écriture qui tend à normaliser les récits de vies de saints, jusque-là très différents. Au XVIe siècle, on commence à écrire des vies de saints historiques et à refuser les vies de saints entièrement ou partiellement fictives des folklores traditionnels. À l’accréditation de la sainteté confirmée par un titre officiel répond un contrôle dans l’écriture. L’odeur de sainteté ne suffit plus à faire le saint.

La normalisation trouve son apogée au siècle suivant avec le commencement de l’entreprise des Bollandistes qui parfait cette régularisation. En 1643 paraît le premier tome des

Acta sanctorum par Jean Bolland, dont l’écriture est basée sur des recherches historiques précises. Cette période est également celle qu’on a appelée significativement « le siècle des saints ». Et pour cause : elle a connu une intensification de l’activité religieuse perceptible à travers la naissance de nombreuses congrégations, l’activité janséniste et l’influence de certaines grandes figures comme Barbe Acarie ou encore saint François de Sales2. La sainteté réside alors principalement en la personne des grands fondateurs d’ordres qui sont les sujets privilégiés des béatifications et canonisations de ce moment de l’histoire religieuse. Le récit de leur vie est justifié par l’importance historique que représente, pour la religion catholique, la création de ces différentes communautés.

Au XVIIIe siècle, deux courants se dessinent. D’une part, une certaine sainteté se sépare d’une image par trop compassée que voudrait entretenir une partie de l’institution. Apparaissent alors des figures qui ont pu être considérées comme extrêmes dans leurs pratiques religieuses comme Marie Alacoque. Les saints « recherchent la pauvreté, non la pauvreté pauvre et décente, mais la pauvreté misérable, sale, haillonneuse et mendiante3 ». L’extrême dénuement, les sacrifices et les mortifications du corps contrastent avec l’image plus auguste que présentait la sainteté des grands fondateurs du siècle précédent. De ce point de vue, le processus de béatification d’un Benoît Labre est exemplaire. Marina Caffiero montre qu’à travers lui affleure

1 Marie-Hélène Colin, Les Saints lorrains : entre religion et identité régionale : fin XVIe-XIXe siècle, Nancy, Éditions Place Stanislas, 2010, p. 31.

2 Voir Robert Darricau, « La sainteté en France au XVIIe », dans Histoire et sainteté, actes de la 5e rencontre d’Histoire religieuse tenue à Angers et Fontevraud les 16 et 17 octobre 1981, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1982, p. 65-94.

3 Jean de Viguerie, « La sainteté au XVIIIe », dans Histoire et sainteté, ibid., p. 119-130, p. 126. Selon Jean-Pierre Albert, cette sainteté de l’extrême, réactualisée au XVIIIe siècle, remonte à des figures plus anciennes, comme celles de « “l’homme sans honneur” du Haut Moyen Âge byzantin ou du “fou de dieu” typique du monde slave. […] Les mystiques, tant par leurs énoncés doctrinaux que par la conduite de leur vie, multiplient de tels passages à la limite. Les potentialités subversives de la parole du Christ ou les paradoxes que la doctrine a préféré soustraire à l’analyse rationnelle en les classant sous la rubrique des mystères trouvent chez eux une expression vécue qui côtoie sans