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Le point de départ de cette réflexion se situe dans la littérature catholique. En effet, elle agit comme un repoussoir et comme une source d’inspiration renouvelée pour les auteurs

1 Myriam Watthee-Delmotte, Littérature et ritualité, enjeux du rite dans la littérature française contemporaine, Bruxelles, P. Lang, « Comparatisme et Société́ », 2010, p. 76-77.

2 Serait-ce l’occasion de citer cette célèbre phrase de Maurice Agulhon : « À défaut d’un Tout inaccessible, ces divers Quelque Chose valaient sans doute mieux que Rien » ? Dans Maurice Agulhon, Marianne au

pouvoir : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, « Histoires Flammarion », 1989, p. 15. L’auteur souligne.

35 anticléricaux qui souhaitent parler au peuple ou l’évoquer. Celle-ci connaît un mouvement interne de sécularisation de la figure du saint qui favorise les phénomènes de reprises non-religieux. À côté d’une veine aristocratique et élitiste de l’écriture hagiographique qui continue de privilégier des destins exceptionnels et des capacités qui mettent leurs détenteurs bien au-dessus du commun des mortels, se développent, à l’intention principalement du peuple – artisans et ouvriers – des récits hagiographiques plus courts qui, en insistant sur l’humilité et la soumission, rendent la sainteté plus accessible, en somme plus commune. Les grands extatiques trouvent leurs succédanés dans les petits saints de tous les jours ; les premiers encouragent à la dévotion personnelle, les seconds assument bien plus une fonction de simples modèles, de figures exemplaires qu’on aurait en partie dépouillées de toute dimension miraculaire (chapitre 1). Outre cet aperçu d’ensemble d’une production de masse, notre étude s’attache également à montrer que dans les œuvres de deux grands auteurs – Balzac et Chateaubriand – destinées à un public plus bourgeois, la sainteté traditionnelle est sujette à caution. Tandis que l’Enchanteur semble signer l’avis de décès de cette sainteté dans Vie de

Rancé en l’enfermant dans un passé obscur, mais aussi en la liant aux affres d’une individualité complexe (chapitre 2), Balzac, dans ses romans de charité, l’offre comme récompense à des parcours pour le moins étonnants (chapitre 3) : les fautes – adultère ou abandon – ne constituent plus des preuves à charge contre ceux qui semblent vertueux. C’est dans ces failles, qui sont la matière même de l’humanité, que le romancier découvre la raison d’être de la sainteté. Ainsi, c’est bien dans les deux cas à une humanisation du modèle qu’on assiste, soit par le renvoi aux mystères du cœur, soit par l’élucidation romanesque des tenants et aboutissants de la perfection morale. Ayant posé ce constat, cette première partie ouvre la voie à une reprise laïque qui profite d’une forme d’abaissement du modèle, qui n’équivaut pourtant pas à un avilissement.

Le second temps de notre réflexion s’attache d’abord à faire le partage des saints catholiques acceptés et des saints catholiques rejetés par les auteurs du romantisme social (chapitre 4). Ce criblage permet de souligner à la fois continuité et rupture. Continuité car tous ne sont pas rejetés et certaines figures constituent des références constantes dans la création de figures exemplaires laïques ; rupture car il est nécessaire de souligner un écart sans lequel la rémanence serait une pure allégeance et perdrait tout caractère polémique. C’est à de nouveaux procès de canonisations – cette fois-ci anticléricaux – que sont convoqués les saints. Ce n’est pas la moindre des surprises que certains les remportent, passant de fait d’un héritage à l’autre. Ce tri des figures permet de préciser les valeurs auxquelles sont attachés ces auteurs – en lutte contre le pouvoir présumé des jésuites dans les années 1840 – et de dessiner le patron de futurs élus qui apparaîtront notamment dans l’écriture de l’histoire (chapitre 5). Cette dernière ne fait

36 pas montre d’un renversement des valeurs ; elle prône bien plutôt un retour à leur véritable sens qui permet alors de faire surgir de nouveaux personnages jusqu’ici oubliés ou mal considérés. Le rejet préalable de l’institution catholique devient un gage de la véritable sainteté. Quant au sixième chapitre, il enquête sur les avatars fictifs de ces nouvelles figures et montre la spécificité du traitement romanesque qui réfléchit plus avant le phénomène même de la reprise : le palimpseste hagiographique est une occasion de mettre en scène les conditions adéquates de la transmission réussie d’une idéologie égalitariste.

Enfin, la dernière partie rend compte d’un changement de signification de l’imaginaire hagiographique en régime laïque : il ne reste plus rien de la fonction exemplaire que prônait le romantisme social au milieu du siècle. Les bribes des souvenirs religieux ne semblent être présentes que pour dire l’échec d’une réforme (celle de la société) et la survie opiniâtre de ceux que Hugo appelait les misérables. Les échecs politiques – 1848 et sa récupération bourgeoise, le Second Empire, les massacres qui ont suivi la Commune, etc. – rendent caducs les anciens projets de réforme et d’éducation. Ne restent du palimpseste étudié que les motifs de la souffrance et surtout la séquence narrative du martyre évidée au maximum (chapitre 7). Le dernier chapitre de notre étude, qui s’inscrit dans la continuité du précédent grâce au fil rouge que constitue l’étude de l’œuvre d’Émile Zola, accentue ce constat en étudiant la mise en scène d’un remplacement de modèle : le saint laïcisé laisse la place à d’autres figures religieuses connues mais dont l’aspect bien plus apaisant entre en harmonie avec une vision vitaliste du monde.

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PREMIÈRE PARTIE : RÉÉVALUER LA SAINTETÉ