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Chateaubriand et la littérature hagiographique : une évidence trompeuse

Rancé de Chateaubriand (1844)

II. Chateaubriand et la littérature hagiographique : une évidence trompeuse

Questionner le traitement de la littérature hagiographique chez Chateaubriand au seuil de notre étude n’apparaît pas, de prime abord, comme une nécessité. Or, bien que l’auteur fût le pourfendeur d’une richesse esthétique du christianisme, ce statut cache un traitement très inégal, dans son propre travail, des multiples genres et types d’écritures associés à la religion.

a. LA PLACE THÉORIQUE DE LHAGIOGRAPHIE DANS LŒUVRE DE CHATEAUBRIAND

Le saint est un personnage qui est évidemment loin d’être étranger à l’auteur qui nous occupe. Comme le rappelle Olivier Catel, « Chateaubriand a reçu sous l’Ancien Régime une éducation religieuse traditionnelle : l’accent y étais mis sur la foi, la dévotion personnelle et, dans le cadre de la réforme tridentine, sur l’exemplarité des saints3 ». Ceux-ci sont donc des

1 L’échec de Vie de Rancé ne cesse d’être associé, dans la critique, à une sénilité de l’écrivain qui ne parviendrait plus à assurer la conduite claire de son récit. On peut penser à la critique de l’Illustration du 21 août 1844 que cite Maurice Regard : « Ce sont les restes d’une voix éloquente qui s’éteint, ce sont les années finissantes du génie […] ». Maurice Regard, « Accueil de la critique », dans François-René de Chateaubriand, Œuvres romanesques

et voyages, t. I, op. cit., p. 984.

2 Philippe-Irénée Boistel d’Exauvillez, Histoire de l’abbé de Rancé, Réformateur de la Trappe, op. cit., p. XI.

3 Olivier Catel, « De la refondation du culte des images à une révolution des formes de la spiritualité chez Chateaubriand », Travaux de Littérature, 2008, no XXI, p. 252-263, p. 251.

106 éléments fondateurs de son imaginaire religieux mais aussi esthétique. Le critique souligne, par exemple, que Les Vies des saints pères des déserts d’Arnauld d’Andilly, écrit au XVIIe siècle, l’inspire pour la rédaction de ses propres textes, notamment Les Martyrs.

Toutefois, il faut souligner, toujours à la suite d’Olivier Catel, que cette référence n’est pas dénuée d’ambiguïté. Elle trouve certes sa place dans la restauration religieuse et esthétique du temps, mais elle ne peut, telle quelle, s’inscrire dans la littérature du XIXe siècle1. Entre l’époque de d’Andilly – le Grand Siècle – et celle de Chateaubriand, est advenue une révolution qui ne permet plus de reproduire trait pour trait l’idéologie et les formes classiques : par son aspect inattendu et radical, elle a brisé l’intelligibilité, la transparence de l’ancien monde, et a conséquemment disqualifié ses formes trop univoques. La littérature morale de l’Ancien Régime semble être le reliquat d’un monde où le sens de l’univers était arrêté. Comme l’écrit Henri Meschonnic :

Dans la religion, et dans le religieux, comme inclusion de l’éthique, et de l’histoire, le sens a lieu parce qu’il y a un sujet, et un seul. Le super-sujet. Même les ersatz modernes procurent, ou ont procuré, cette certitude, ce fanatisme du sens. Peut-être quelque chose de la modernité commence là où il n’y a plus de super sujet. Là où le sujet se cherche. Et où il est traqué2.

Pour un écrivain catholique du XIXe siècle, conscient de cette forme d’échec de l’édification, la reprise d’une tradition religieuse ne peut faire l’économie d’une réflexion sur sa compatibilité avec le monde moderne.

Du point de vue théorique, le saint est partie prenante du cortège des « êtres surnaturels3 » que l’auteur examine dans Génie du christianisme publié près de quarante ans avant Vie de Rancé. Dans le chapitre intitulé « Des saints4 », le premier modèle considéré digne d’admiration est celui du martyr : « Et sans doute ce sont des héros, ces martyrs qui, domptant les passions de leurs cœurs et bravant la méchanceté des hommes, ont mérité par ces travaux de monter au rang des puissances célestes5 ». Il est l’actualisation la plus évidente que recouvre le mot « saint » notamment parce que c’est à travers lui que le saint chrétien naît

1 Voir notamment la citation des Mémoires d’outre-tombe sur La Légende dorée que le critique analyse, qui tout en la désignant comme modèle, expose les modèles concurrents, et non moins séduisants, que sont les textes des philosophes des Lumières, ibid., p. 252.

2 Henri Meschonnic, Modernité modernité, Paris, Verdier, 1988, p. 48.

3 François-René de Chateaubriand, « Du merveilleux ou de la poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels », livre IV, dans Essais sur les révolutions. Génie du Christianisme, Maurice Regard (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1978, p. 717.

4IIe partie, livre IV, chapitre VII, ibid., p. 734-737.

107 historiquement1. Contrairement au récit de vie déjà pratiqué par Plutarque entre autres, il est perçu comme spécifiquement chrétien car l’idée d’un sacrifice gratuit, s’accomplissant dans une passivité totale contrevient à la mort glorieuse antique, qu’il s’agisse de celle du héros ou de celle du sage. Qui plus est, dans l’optique de défense d’un merveilleux et d’un sublime chrétien, le récit de la mort, avec son cortège de discours sublimes, de souffrances exacerbées et de contrastes moraux, est le plus apte à porter la rénovation esthétique et à susciter l’intérêt des écrivains contemporains. Il est d’ailleurs réactivé à cette époque à travers un imaginaire victimaire lié à la Révolution, imaginaire qu’entretient la noblesse.

Le second modèle est celui des pères du désert comme le montre la description de la beauté de « ces solitaires de la Thébaïde2 ». Or significativement, l’image esquissée ne renvoie pas tant à l’imaginaire traditionnel catholique qu’à l’imaginaire biblique : par son exotisme, la figure décrite n’est pas loin d’évoquer un saint Jean Baptiste, et les noms des prophètes de l’Ancien Testament qui lui sont associés confirment ce recul temporel du modèle de la sainteté. Chateaubriand ne cesse de faire référence à des textes hagiographiques tels que la Vie de saint

Paul l’Hermite écrite par saint Jérôme qui prend bien pour sujet un saint des premiers temps3

(IVe siècle) et non un disciple médiéval. L’incursion du côté de la vita est bien vite interrompue puisque le chapitre se referme sur une nouvelle évocation des martyrs qui présentent « au pinceau le genre tragique dans la plus grande élévation4 ». L’auteur assure qu’il reviendra par la suite aux vies. Il n’honore pas réellement sa promesse si ce n’est dans un chapitre court sur « Les pères de l’Église » dans lequel l’analyse de leur puissance rhétorique prend la place de l’analyse de leur vita. Chateaubriand entretient donc une fascination pour les saints ermites, les saints retirés mais dont il semble reconnaître, en creux, le moindre pouvoir de séduction à l’égard des lecteurs. Le martyre est, pour ainsi dire, le genre hagiographique à la mode, comme le démontrera l’œuvre de 18095. Il est d’ailleurs significatif d’observer que, même dans le cadre du récit de la vie de Rancé, il est convoqué pour auréoler de son parfum sulfureux le récit d’une vie retirée et monotone. Béatrice Didier remarque que la visite de Jacques II à la Trappe,

1 Outre les personnages bibliques dont la sainteté est liée à l’appartenance au récit du texte sacré, les premiers saints furent les martyrs de la foi.

2 François-René de Chateaubriand, Génie du Christianisme, op. cit., p. 735.

3 Le fait que les corbeaux nourrissent le saint confirme cette parenté biblique puisque ce phénomène n’est pas sans faire penser au séjour d’Elie dans le désert dans l’Ancien Testament (premier livre des Rois, chapitre 17, versets 1 à 6).

4 François-René de Chateaubriand, Génie du Christianisme, op. cit., p. 736.

5 S’il remporte un succès critique, ce premier livre de Chateaubriand qui annonce de façon programmatique une inspiration hagiographique ne sera « qu’un succès de salons » selon l’expression de Maurice Regard. Les critiques religieux attaqueront le livre pour son immoralité et son traitement de la religion chrétienne. Voir François-René de Chateaubriand, Les Martyrs ou le triomphe de la foi chrétienne [1809], dans Œuvres romanesques et voyages, Maurice Regard (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1969, p. 26.

108 racontée dans le livre quatrième, est un « habile moyen de rapprocher deux révolutions, celle d’Angleterre dont Rancé est contemporain et celle de France qui obsède son biographe » et donc, à travers l’évocation du « bruit des révolutions », de rappeler les martyrs d’un camp politique. « Ainsi l’écrivain parvient à créer autour du personnage cette aura de miracles et de martyres qui a pendant tant de siècles été le fondement même des récits de vie de saints » 1. De même, la souffrance physique qui s’empare de Rancé peu avant sa mort fait l’objet d’une description détaillée qui la rapproche des textes chrétiens magnifiant la douleur. Lorsque la vie de personnages religieux est évoquée dans Génie du Christianisme, il ne s’agit en rien de la vie comme genre littéraire codifié : le mot n’annonce pas une catégorie esthétique, mais le contenu d’un récit2. En somme, la vita ne semble pas être pour Chateaubriand le genre hagiographique le plus attrayant. Il confesse lui-même près de quarante ans plus tard dans Les Mémoires

d’outre-tombe cette insuffisance dans sa réflexion théorique :

Du reste, sous le rapport des arts, je sais ce qui manque au Génie du christianisme ; cette partie de ma composition est défectueuse, parce qu’en 1800, je ne connaissais pas les arts : je n’avais vu ni l’Italie, ni la Grèce, ni l’Égypte. De même, je n’ai pas tiré un parti suffisant des vies de saints et des légendes ; elles m’offraient pourtant des histoires merveilleuses : en y choisissant avec goût, on y pouvait faire une moisson abondante. Ce champ des richesses de l’imagination du moyen âge surpasse en fécondité les Métamorphoses d’Ovide et les fables milésiennes3.

À cet aveu d’un impensé des textes critiques répond un traitement ambigu des saints dans les textes fictionnels ou historiques.

1 Béatrice Didier, « Écrire une vie de saint ? », dans Christine Montalbetti (dir.), Chateaubriand, la fabrique du

texte, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Interférences », 1999, p. 173-181, p. 179. Claude Reichler a également montré l’importance du motif de la décollation (à travers l’anecdote de la mort de la duchesse de Montbazon) qui ramène Chateaubriand à la Révolution française. Claude Reichler, « Des enfants dévorés par leur siècle », L’épreuve du temps, Nouvelle revue de psychanalyse, printemps 1990, no 41, Paris, Gallimard, p. 83-89.

2 Voir le chapitre premier (IVe partie, livre III) intitulé « De Jésus-Christ et de sa vie », dans François-René de Chateaubriand, Génie du Christianisme, op. cit., p. 940.

3 François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Maurice Levaillant et Georges Moulinier (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1951, p. 465-466. Claude Millet revient sur cet oubli de l’hagiographie par Chateaubriand dans son étude sur le légendaire au XIXe siècle : « Très essentiellement, pour Ballanche, Staël, Chateaubriand, le christianisme intéresse moins la poésie par son réservoir de merveilleux hagiographique (suspect à la protestante libérale, mais aussi à Chateaubriand), que par le passage qu’il opère d’une poésie “extérieure” à une poésie de l’âme et du cœur. C’est moins vers le légendaire que Staël et Chateaubriand se tournent, que vers une conception spiritualiste et sentimentale de la poésie, que seule peut déployer la spiritualité mélancolique du christianisme. », Claude Millet, Le Légendaire au XIXe siècle : poésie, mythe et vérité, op. cit., p. 146.

109 b. UN HORIZON DATTENTE LITTÉRAIRE DÉJOUÉ : DES ŒUVRES EN PORTE-À

-FAUX

La preuve en est, qu’un an plus tôt, en 1801, dans Atala, c’est bien la figure du martyr qui est mise en avant. Chactas, vieil indien, fait à René le récit de sa vie qui connut un tournant définitif avec la rencontre d’une jeune vierge, Atala. Le récit de la vie n’est pas fait par celui qui endosse le rôle exemplaire : ce dernier repose sur une figure étrangère au moi qui narre. Et pour cause ce n’est pas le personnage masculin qui porte la sainteté ; il n’est que le témoin direct de sa manifestation en la personne de celle qu’il aime. L’existence d’Atala évoque un schéma topique, celui du « martyre de la pureté1 ». Une jeune vierge, consacrée à Dieu par sa mère, fuit le désir masculin afin de garder sa vertu intacte, et sa beauté n’a d’égale que la souffrance qu’elle endure au moment de sa mort2. L’identification est confirmée à mesure que la narration dévoile peu à peu son statut de sainte3.

Cependant, l’hagiographisation d’Atala est une donnée qui, dans le schéma actanciel, joue en sa défaveur. Elle n’est pas présentée comme pleinement positive. Le serment de virginité, si essentiel dans les récits de martyres féminins, n’est pas de son fait, mais de celui de sa mère. C’est un « vœu fatal qui [la] précipite au tombeau4 ». Sa mort exemplaire est tempérée du fait qu’il s’agit d’un suicide, signe des « dangers de l’ignorance et de l’enthousiasme religieux5 ». Le schéma traditionnel apparaît certes, mais il est nuancé par une critique du fanatisme religieux. Le martyre est à la fois un motif littéraire fécond et, dans le même temps, une erreur théologique, une absurdité. Un autre martyr accompagne la jeune fille dans ce court roman : le personnage du père Aubry, héraut des « saint Jean de cette nouvelle Béthanie6 », modèle de l’ermite, n’est saisi dans la narration qu’à un moment précis, celui de sa rencontre avec les deux jeunes gens, et son exemplarité se révèle dans le récit de son supplice7.

1 L’expression est de Pie XII. Il désigne ainsi Maria Goretti. Jean-Paul II le cite dans l’Angélus du dimanche 6 juillet 2003. Disponible sur le site du Vatican. URL : https://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/angelus/2003/documents/hf_jp-ii_ang_20030706.html (consulté le 21 mai 2018).

2 Qu’on pense à Agnès de Rome ou à sainte Solange.

3 Plusieurs citations la désignent explicitement comme sainte : « Cette sainte avait les yeux levés au ciel, en extase » ; « Pourrais-tu reconnaître l’endroit qu’une sainte a touché de ses lèvres […] » ; sa dépouille est qualifiée de « corps de sainte ». François-René de Chateaubriand, Atala [1801], dans Œuvres complètes, Béatrice Didier (éd.), Paris, Honoré Champion, « Textes de littérature moderne et contemporaine », t. XVI, 2008, p. 146, 146-147, 150. L’édition dirigée par Béatrice Didier note d’ailleurs (p. 146, note 25), pour la première citation, l’adéquation du geste avec celui de la sainte dans le tableau de Baroche intitulée la Communion de sainte Marie l’Égyptienne.

4 Ibid., p. 132.

5 Ibid., p. 157.

6 Ibid., p. 128.

7 « Le père Aubry se pouvait sauver ; mais il ne voulut pas abandonner ses enfants, et il demeura pour les encourager à mourir, par son exemple. Il fut brûlé avec de grandes tortures ; jamais on ne put tirer de lui un cri qui tournât à la honte de son Dieu, ou au déshonneur de sa patrie. Il ne cessa, durant le supplice, de prier pour ses

110 Un an plus tard, René remet aussi en cause la désignation hagiographique. Le jour de sa profession, Amélie est associée à une figure sainte1, mais cette sainteté, bien qu’obligatoire (elle est le dernier rempart avant l’inceste), ne suffit pas à établir une exemplarité sans conteste dans la narration, René mourant dans un désespoir qui pourrait être coupable, comme l’indique le personnage du père Souël, gardien de l’ordre moral, et l’entrée dans les ordres de la jeune fille constituant une fuite plus que le résultat d’une conviction. Plus généralement, Pierre Glaudes a souligné l’ambiguïté de ce récit qui, bien qu’appartenant sans conteste au genre de l’exemplum2, n’a pas été apprécié par ses contemporains pour son caractère chrétien mais bien pour la description exemplaire (au sens d’emblématique) qu’il faisait du vague des passions3.

La tension entre la perspective littéraire et la visée morale qui entoure la séquence du martyre, et plus largement le titre ecclésiastique de « saint », est importante dans le cadre de notre étude sur Vie de Rancé. Elle laisse pressentir que les signes hagiographiques ne sont pas réductibles à une pensée orthodoxe de l’exemplarité.

Avec la publication en 1809 des Martyrs, Chateaubriand met l’accent sur cette fascination. C’est un projet littéraire et religieux qui est affirmé au seuil de l’ouvrage : l’auteur « veu[t] raconter les combats des Chrétiens, et la victoire que les fidèles remportèrent sur les Esprits de l’Abîme, par les efforts glorieux de deux époux martyrs4 ». Il décrit l’existence terrestre des saints des premiers temps du Christianisme mais aussi leur devenir céleste5. La

bourreaux, et de compatir au sort des victimes. Pour lui arracher une marque de faiblesse, les Chéroquois amenèrent à ses pieds un Sauvage chrétien, qu’ils avaient horriblement mutilé. Mais ils furent bien surpris, quand ils virent le jeune homme se jeter à genoux, et baiser les plaies du vieil ermite qui lui criait : Mon enfant, nous avons été mis en spectacle aux anges et aux hommes. Les Indiens furieux lui plongèrent un fer rouge dans la gorge, pour l’empêcher de parler. Alors ne pouvant plus consoler les hommes, il expira. » Ibid., p. 162-163.

1 « Vaincu par la glorieuse douleur de la sainte, abattu par les grandeurs de la religion, tous mes projets de violence s’évanouirent ; […] je ne trouvai dans mon cœur que de profondes adorations et les gémissements de l’humilité. » Le fonctionnement exemplaire opère sur René qui, par l’image de sa sœur, est ramené à la piété. Plus loin, René affirme que Dieu destine à sa sœur « la première palme des vierges ». Enfin, la lettre que René reçoit à la mort de sa sœur confirme cette caractérisation : « [La lettre] contenait le récit des derniers moments de la sœur Amélie de la Miséricorde, morte victime de son zèle et de sa charité en soignant ses compagnes attaquées d’une maladie contagieuse. Toute la communauté était inconsolable et l’on y regardait Amélie comme une sainte. » François-René de Chateaubriand, François-René [1802], dans Œuvres complètes, t. XVI, ibid., p. 416-417, 420, 422-423.

2 Il est utilisé comme tel en 1802 dans Génie du christianisme. « René, à l’évidence, appartient à cette tradition : lorsque le Génie du christianisme paraît en 1802, le récit est utilisé par l’écrivain comme un exemplum introduit à la suite du troisième livre de la seconde partie de l’apologie. Le cas exemplaire du personnage éponyme prolonge le chapitre XI consacré au “vague des passions” dont il propose une illustration narrative. » Pierre Glaudes, « René : un récit exemplaire ? », dans Fabienne Bercegol et Pierre Glaudes (dir.), Chateaubriand et le récit de fiction, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », 2013, p. 141-182, p. 143.

3 Ibid., p. 144.

4 François-René de Chateaubriand, Les Martyrs [1809], dans Œuvres romanesques et voyages, t. II, op. cit., p. 105.

5 « Là sont aussi rassemblés à jamais les mortels qui ont pratiqué la vertu sur la terre ; les Patriarches, assis sous des palmiers d’or ; les Prophètes, au front étincelant de deux rayons de lumière ; les Apôtres, portant sur leur cœur les saints Évangiles ; les Docteurs, tenant à la main une plume immortelle ; les Solitaires, retirés dans des grottes

111 persistante coexistence des deux plans dans la narration semble accréditer les actions menées dans le siècle et donc renforcer leur valeur transcendante.

Néanmoins, une nouvelle fois, la structure hagiographique n’est pas dénuée d’équivocité. Comme nous l’avons rappelé avec les cas d’Atala et d’Amélie, la virginité et le refus du mariage sont habituellement constitutifs des martyrs féminins. Or ici le moment ultime de la confirmation du divin est également le moment où s’établit un lien horizontal décisif : Eudore et Cymodocée se marient au moment de leur martyre, le jeune homme tendant à son aimée son anneau taché de sang dans l’arène. L’évènement semble dès lors un moyen habile pour accentuer le pathétique d’une intrigue avant tout amoureuse, et de nombreuses critiques ont souligné la mise en danger de la visée apologétique et religieuse de l’œuvre dans la peinture de cet amour. C’est le cas d’Alexandre Vinet, dont les notes de cours furent publiées en 1848