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Saint Clément, premier évêque de Metz et les fondations apostoliques

C. LE CONTENU DU LIBER

1. Saint Clément, premier évêque de Metz et les fondations apostoliques

1. Saint Clément, premier évêque de Metz et les fondations apostoliques

Paul Diacre commence son œuvre en évoquant la mission de Jésus Christ et la descente sur terre de l’Esprit Saint, qui imprégna les Apôtres le jour de la Pentecôte. A partir de cet instant, ces derniers se vouent à la prédication et après avoir délibéré, ils se partagent la tâche en choisissant chacun une région du monde à évangéliser. A saint Pierre, qui fait figure de chef de la communauté, est réservée la difficile mission d’aller apporter « la bonne nouvelle » aux habitants de Rome, capitale de l’Empire. Tout en prêchant avec succès à Antioche puis dans l’Urbs, Pierre envoie des disciples pour prolonger son œuvre dans certaines villes d’Italie : Apollinaire à Ravenne, Leucius à Brindisi, Anathelon à Milan, Marc accompagné par Hermagore à Aquilée. Pierre n’oublie pas pour autant la Gaule, vers laquelle il dirige des missionnaires instruits dont les noms ne sont pas cités, pas plus que leurs destinations. Un seul est clairement nommé par l’historien lombard, il s’agit de Clément, qui a pour tâche de gagner au Christ la cité des Médiomatriques1.

La fondation des Eglises d’Antioche et d’Alexandrie, et la primauté de l’église de Rome

Il est intéressant de noter que Paul Diacre ne s’inspire pas des Actes des Apôtres pour relater la fondation de l’église d’Antioche, mais qu’il rapporte en fait une information que l’on retrouve notamment dans la chronique d’Eusèbe, adaptée en latin par saint Jérôme2. Le Nouveau Testament indique en effet clairement que, malgré la présence de quelques convertis, la prédication dans cette ville fut l’œuvre de Paul et de Barnabé qui « demeurèrent

un an entier dans cette Eglise, où ils instruisirent un grand nombre de personnes ; de sorte que ce fut à Antioche que les disciples furent premièrement nommés chrétiens »3. D’autre part, les Actes des Apôtres ne mentionnent pas la mission de Marc à Alexandrie.

1 M.G.H., SS, t.2, p.261 : « Ea igitur tempestate cum apud Galliam Belgicam Mediomatricum, quae etiam Mettis

appellatur… ad eadem beatus Petrus apostolus urbem Clementem nomine, virum egregium ac meritis probatum… cum quo pariter, sicut antiqua tradit relatio, ad eas quae praecipuae erant Galliarum urbes verbo Fidei obtinendas, alii quoque religiosi doctores ab eodem apostolorum principe missi sunt. »

2 Jérôme, Eusebius Werke, VII. Die Chronik des Hieronymus, éd. Rudolf Helm, Berlin, 1956. 3

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Or, Paul Diacre évoque clairement le rôle de Pierre dans la fondation de l’église d’Antioche, ainsi que la mission confiée par le prince des apôtres à Marc, qui partit évangéliser Alexandrie1. Le rapprochement entre l’Evangéliste et la fondation de l’Eglise alexandrine n’est pas antérieur à la fin du IIIe siècle2. Ces informations communément admises au Moyen Âge, se retrouvent dans la Chronique d’Eusèbe de Césarée que Jérôme traduisit et poursuivit en latin et qui permet de dresser des synchronismes entre l’histoire sacrée et l’histoire profane. Cette chronique eut un très grand succès durant tout le Moyen Âge3 et il n’est pas étonnant de constater que l’historien lombard s’y réfère implicitement, d’autant qu’il l’avait déjà utilisée pour composer son Histoire Romaine.

La primauté du siège romain qui est suggérée par Paul Diacre dans son oeuvre, est en fait le fruit d’une longue évolution qui commence dès les premiers temps du Christianisme4. L’Eglise de Rome possédait en effet au début de notre ère, un certain nombre d’atouts : le fonction de capitale de l’empire et la présence des corps de Pierre et de Paul. Elle jouissait également d’une très grande autorité morale en Occident, car les croyants pensaient que la tradition chrétienne s’y était maintenue sans discordance depuis les temps apostoliques. Le rôle de l’église de Rome s’accentua à la suite des controverses liées à l’hérésie arienne au IVe siècle, et elle servit d’instance de contrôle et de référence grâce à son prestige, malgré l’absence de grands théologiens romains. Au concile de Sardique en 343, les prélats occidentaux reconnurent pour la première fois une primauté juridique au siège romain, en accordant à tout évêque déposé, le droit d’intercéder auprès du pape. L’idée de primauté romaine fit dès lors des progrès décisifs sous les règnes des pontifes qui se succédèrent depuis Damase, mort en 384, jusqu’à Léon le Grand, mort en 461. Les papes revendiquèrent alors une primauté qu’ils justifièrent par l’héritage de Pierre, le prince des apôtres. C’est dans ce contexte qu’apparut l’expression caput mundi pour désigner l’Eglise de Rome, qu’utilise Paul Diacre. Dans le même temps, les pouvoirs du pape reçurent une définition juridique, sous l’influence des familles sénatoriales qui s’étaient ralliées au Christianisme, et qui apportèrent leur sens de l’organisation acquis au service de l’Etat. Du point de vue juridique, la primauté

1 Eusèbe- Jérôme, p.42-43 : « Petrus apostolus cum primus Antiochenam ecclesiam fundasset, Romam mittitur,

ubi evangelium praedicans XXV annis eiusdem urbis episcopus persueverat, Marcus evangelista interpres Petri Aegypto et Alexandriae Christum adnuntiat… » ; éd. Rudolf Helm, Eusebius Werke Siebenter Band. Die Chronik des Hieronymus, p.179, Berlin, 1956.

2 Moreschini Claudio et Enrico Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine, 1. De Paul à l’ère de Constantin, Genève, 2000, p.71-72.

3 Sur l’importante diffusion de la Chronique d’Eusèbe Jérôme et sa promotion au rang de classique, voir Guenée [1980], p.301-302.

4 Yves Congar, l’Ecclésiologie du haut Moyen Age, 1968, Paris ; Klaus Schatz, La primauté du Pape. Son

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romaine mit cependant beaucoup de temps à s’imposer durant le haut Moyen Âge hors d’Italie, car les églises des royaumes barbares gardèrent l’habitude de s’autogérer et les rois se méfièrent des revendications des papes. Rome apparut cependant durant toute cette période comme la référence en matière de doctrine et d’usages liturgiques.

Les fondations apostoliques en Italie

Aquilée

Il faut d’ores et déjà noter que la première ligne du Liber de episcopis Mettensibus de Paul Diacre est très proche de l’entrée en matière de la passion du premier archevêque d’Aquilée, Hermagore1 ; une œuvre composée dans l’Italie du nord-est, à une date qu’il est malheureusement difficile de préciser. La première mention de ce texte intervient tardivement, puisqu’elle fait suite aux débats du concile de Mantoue en 8272. Il existe deux versions de cette passion, qui se distinguent par quelques variantes dans les phrases d’introduction. La première, qui ne présente pas d’analogie formelle notable avec le texte de Paul Diacre est celle qui connut la plus large diffusion puisque les Bollandistes recensent 18 manuscrits contenant cette œuvre3. La seconde, qui va retenir notre attention, n’est parvenue jusqu’à nous que par l’intermédiaire d’un seul témoin4, ce qui prouve qu’elle eut un succès beaucoup plus modeste. La phrase liminaire qui introduit cette seconde version présente un certain nombre de points communs avec les premiers mots de l’œuvre de Paul Diacre5. Les deux textes évoquent tous les deux la mission que Marc et Hermagore menèrent au nom de Pierre dans la cité d’Aquilée : le Liber de episcopis Mettensibus commence par ces mots : « Après avoir achevé tout ce qu’il avait arrangé pour accomplir le salut du monde, le

Seigneur Christ migra vers les cieux… » alors que la première phrase de la seconde version de

la passion d’Hermagore peut être traduite de la façon suivante : « Après que la Rédemption

1

La passio d’Hermagore et de Fortunat est recensée au n° 3838 et 3839 de la B.H.L. Les Bollandistes ont édité ce texte au t.3 des Acta Sanctorum de juillet p.251-257.

2 J.C. Picard, Le souvenir des évêques. Sépultures, listes épiscopales et culte des évêques en Italie du Nord des

origines au Xe siècle. B.E.F.A.R. n°268, 1988, Paris, p.587.

3

La première version commence par les mots suivants, « Post resurrectionem Domini nostri Jesu Christi omnes

paostoli miserunt, quiquis in suam provinciam proficisceretur ad praedicandum verbum Domini. »

4 Manuscrit conservé à la bibliothèque du Vatican, lat. 539, datant du XIIe siècle. Les éditeurs de la passio au XVIIe siècle font mention d’un second manuscrit contenant la deuxième version de ce texte et qui provenait d’après eux dans le monastère de Saint Maximin de Trèves.

5 Dans le Liber de episcopis Mettensibus : M.G.H., SS, t.2, p.261 : « Postquam, peractis omnibus quae cum Patre

pro mundi salute gerenda disposuerat, Christus dominus migravit ad caelos… » ; la passio de saint Hermagore

et de Fortunat débute ainsi A.A. S.S., juillet, t.3, p.253 : « postquam Dominus noster, hominum redemptione

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des hommes fut achevée, notre Seigneur, ressuscitant d’entre les morts atteignit le ciel… » La

ressemblance entre ces deux entrées en matière suggère qu’il existe un rapport de filiation entre le Liber de episcopis Mettensibus et la passion d’Hermagore et du diacre Fortunat. On retrouve la même trame dans les deux textes, avec la mention du départ des apôtres vers les provinces à évangéliser et l’arrivée de Pierre à Rome. La passion indique également la présence de saint Paul au côté de ce dernier, ce que ne fait pas Paul Diacre1.

Quel ouvrage a servi de modèle à l’autre ? Il semble que la composition de l’oeuvre hagiographique soit antérieure au passage de l’érudit frioulan sur les bords de la Moselle dans les années 780. Elle paraît en effet avoir servi de modèle au lettré lombard qui l’a enrichie grâce à ses connaissances sur l’origine d’autres sièges italiens : Paul mentionne en effet les noms des premiers évêques de Milan et de Brindisi, Anathelon et Leucius, alors que leur culte n’est attesté par aucun document à la fin du VIIIe siècle, et que la passion d’Hermagore ne fait pas référence à ces deux prélats. L’historien lombard évoque également le fondateur du siège de Ravenne, Apollinaire alors que le texte hagiographique l’ignore complètement. Le Liber de

episcopis Mettensibus est donc beaucoup plus étoffé que la passion transalpine puisqu’il offre

un tableau assez complet des fondations apostoliques en Italie sur lequel nous aurons à revenir. Il paraît donc avoir été rédigé après le texte hagiographique dont il s’inspire vraisemblablement.

D’autres arguments peuvent être avancés pour étayer cette hypothèse. La légende de l’apostolicité de l’église d’Aquilée, évangélisée par les envoyés de saint Pierre, Marc et Hermagore, semble en effet être bien antérieure aux années 780. L’histoire de ce patriarcat est des plus complexes et quelques précisions s’imposent2. Le premier événement d’importance se déroula en 557, lorsque l’évêque d’Aquilée prit le titre de patriarche alors qu’il se trouvait en conflit avec la papauté à la suite de la querelle des Trois Chapitres. Cette affaire, qui laissa d’importantes séquelles en Italie du Nord, n’est en fait qu’un des derniers avatars des grandes controverses sur la nature du Christ qui marquèrent très fortement l’Eglise des IVe et Ve

1 Passio s. Hermagorae, A.A. S.S., juillet, t.3, p.253 : « …omnes apostoli miserunt sortes, quisquis in suam

provinciam proficisceretur ad praedicandum verbum Domini. Apud urbem vero Romam profectud est beatus Petrus apostolus, princeps apostolorum… » ; Chez Paul Diacre, Liber de episcopis Mettensibus : M.G.H., SS, t.2,

p.261 : « …statim ut promisso sancti Spiritus munere beati apostoli potiti sunt et confirmati, illico quam

unusquisque eorum provinciam vel regionem praedicaturus adgredi deberet, communi consilio iuxta divinam provisionem sorte decernunt. Singulis igitur ad sibi delegata loca pergentibus, beatus Petrus, qui in eorum numero primus erat et quasi dux fortissimus eminebat, ad eam quae totius tunc mundi caput erat, hoc est urbem romuleam… »

2Sur tous ces problèmes, voir Giogio Fedalto, « Origine, funzionamento e problemi del patriarcato», dans Paolo

Diacono e il Friuli Altomedievale ( VIe-Xe sec.), Centro italiano di studi sull’ Alto Medioevo, t.1, Spolète, 2001,

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siècles. Rappelons rapidement que Justinien1, qui tentait de trouver un terrain d’entente avec les Monophysites, bien implantés dans les provinces orientales de son empire, demanda au pape Vigile2 de condamner trois auteurs particulièrement offensants pour ces derniers3. Devant les refus et les atermoiements du pape, l’empereur n’hésita pas à le déporter à Constantinople jusqu’en 555. Vigile, après avoir longtemps résisté, céda et ratifia les actes du second concile œcuménique de Constantinople tenu en 553, qui condamnait les trois auteurs anti-monophysites. L’évêque d’Aquilée, qui resta attaché à l’orthodoxie chalcédonienne, rompit ses relations avec Rome et profita de cette faiblesse temporaire de la papauté pour mettre en avant le titre de patriarche4, que ses prédécesseurs portaient vraisemblablement depuis l’époque ostrogothique5. Seulement le terme avait changé de signification : de synonyme de métropolitain qu’il revêtait à l’époque de Théodoric, le patriarche était devenu le supérieur des métropolitains après les réformes de Justinien qui allaient dans le sens d’une hiérarchisation de l’Eglise. Or les patriarcats passaient également pour être des fondations apostoliques, à l’instar de Jérusalem, Antioche et Alexandrie.

Ce schisme provoqua un grand bouleversement pour l’église d’Aquilée qui fut secouée par un autre événement capital pour l’histoire de la péninsule. Les invasions lombardes (à partir de 569) contraignirent en effet le patriarche Paul à se réfugier sur l’île de Grado située en face d’Aquilée. Autour de 610, eut lieu une double élection qui coupa le patriarcat en deux : d’un côté Jean Candidianus, qui s’installa avec l’accord des autorités lombardes sur la terre ferme dans la vieille cité avant que ses successeurs ne se déplacent à Cormons puis à Cividale ; et de l’autre Epiphane, resté à Grado sous la protection des troupes byzantines, avant le transfert du siège vers Venise beaucoup plus tard. Deux patriarches ont donc coexisté à partir de cette époque. Ils furent souvent en conflit notamment, pour établir leur autorité sur les suffragants de la province ecclésiastique. Le prélat de Grado rentra en communion avec Rome qui le reconnut alors comme le seul métropolitain de la province ecclésiastique, alors que son homologue de la terre ferme restait fidèle aux Trois Chapitres. Le schisme entre Rome et Aquilée-Cividale ne trouva son épilogue qu’en 700 sous le pontificat de Serge Ier, après la tenue du concile de Pavie6. Les deux églises normalisaient enfin leur relation après un

1

Justinien, empereur de 527 à 565.

2 Vigile, pape de mars 537 à juin 555, mort pendant son retour en Italie, après sa déportation à Constantinople. 3 Il s’agit de Théodore de Mopsueste, Théodoret de Cyr, et Ibas d’Edesse.

4

Picard, [1988], p.694-697.

5 Giorgio Fedalto, « Origine, funzionamento e problemi del patriarcato», dans Paolo Diacono e il Friuli

Altomedievale, p.129-134, les chercheurs sont toujours divisés sur datation de l’apparition du titre de Patriarche à

Aquilée. Deux solutions sont proposées : la période gothique ou la querelle des Trois Chapitres. 6

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siècle et demi de séparation, qui avait été le théâtre de profonds bouleversements au sein des églises d’Aquilée.

Un particularisme anti-romain est en effet né pendant ces années de schisme et de divisions, et s’est manifesté autour des titres de patriarche et d’archevêque portés par les prélats frioulans. Ce sentiment devait être plus vif au sein du clergé de la terre ferme, qui resta séparé de la papauté plus longtemps. Ces prétentions ont pu pousser les clercs d’Aquilée à mettre en avant l’apostolicité de leur église. D’autre part, l’exemple de Ravenne, qui dès le milieu du VIIe siècle, faisait de son premier évêque Apollinaire un disciple de Pierre et sur lequel nous aurons à revenir, a pu créer une émulation et jouer un rôle décisif dans l’apparition de la thèse de l’apostolicité du siège d’Aquilée, d’autant que les prélats de terme ferme et leurs homologues de la lagune restèrent en compétition sur deux points précis : premièrement le port du titre de patriarche que l’évêque de Cividale revendiquait au détriment de celui de Grado. A la fin du VIIIe siècle, Paulin, évêque de Cividale, réussit avec le soutien de Charlemagne à prendre le titre de patriarche que ses successeurs conservèrent, tout comme les pontifes de Grado d’ailleurs. Deuxièmement la juridiction ecclésiastique sur l’Istrie, qui était du ressort de Grado, mais ces droits étaient fortement contestés par les prélats de Cividale.

Dans cette atmosphère de tensions, un rapprochement s’est effectué entre Marc, l’évangélisateur supposé de la cité, et le premier évêque Hermagore, qui se devait d’être contemporain des apôtres. Cette légende a reçu une traduction littéraire avec la rédaction de la passion d’Hermagore et du diacre Fortunat, qui n’offre dans son contenu aucun élément de datation précis. Ce texte hagiographique, a vu le jour dans l’entourage des patriarches d’Aquilée-Cividale car les clercs d’Aquilée-Grado ne connaissaient pas son existence lorsqu’elle fut évoquée au concile de Mantoue en 827. Le patriarche de terre ferme, Messentius, profitant de la mort de son homologue de Grado, avait fait réunir ce concile pour asseoir ses prétentions sur les évêchés istriens. La clé de son argumentation reposait sur les liens entre Aquilée, dont Cividale était l’héritière, et Rome depuis l’époque des Apôtres ; le déplacement à Grado n’étant qu’une péripétie liée aux événements militaires. C’est dans ce contexte que fut évoquée pour la première fois la passio de saint Hermagore.

Or, n’oublions pas que Paul Diacre est frioulan de naissance et qu’il a passé une partie de sa jeunesse à la cour ducale de Cividale, où il a pu s’imprégner de cette légende et lire la passion si elle existait déjà. Alors qu’il séjournait sur les bords de la Moselle et qu’il

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travaillait pour le compte d’Angilram, il a pu se souvenir de ce texte hagiographique qu’il n’avait probablement pas sous les yeux, ce qui expliquerait les différences soulignées précédemment, à moins que Paulin d’Aquilée en ait gardé un exemplaire avec lui pendant son séjour à la cour de Charlemagne.

On pourrait même expliquer la présence de deux versions de la passio de la façon suivante : une première rédaction eut lieu avant l’élaboration du Liber de episcopis

Mettensibus, et Paul Diacre s’en inspira pour composer son œuvre. Cette première version

n’eut pas une grande diffusion puisque les clercs de Grado présents au concile de Mantoue en ignoraient l’existence. Le patriarche Messentius, pour préparer cet événement qui eut lieu en 827, fit réunir un dossier pour soutenir ses prétentions, auquel fut versée la passio de saint Hermagore. Les clercs qui menèrent à bien cette tâche recopièrent peut-être cette œuvre hagiographique en la toilettant. Cette seconde version, qui bénéficia de la publicité du concile, connut une assez large diffusion et supplanta la première que Paul Diacre avait consulté.

Il faut également mentionner que les premières attestations de Marc et d’Hermagore, en tant que saint patron d’Aquilée-Cividale se trouvent dans deux diplômes délivrés par la chancellerie de Charlemagne à l’adresse du patriarche Paulin, qui séjourna une partie de sa vie à la cour franque. Ils sont tous les deux datés du 4 août 792 à Regensburg, et sont à mettre en liaison avec les prétentions de ce dernier au titre d’archevêque. Le premier exempte la communauté d’Aquilée de certaines prestations publiques et rappelle que le patriarche doit être choisi selon les canons. Il est précisé dans cet acte que « l’église d’Aquilée fut édifiée en l’honneur de saint Marie, saint Pierre et saint Marc »1. Le second diplôme quant-à-lui, accorde l’immunité à cette église et précise qu’elle est consacrée « au prince des apôtres saint Pierre et au martyr Hermagore » 2. Ces deux actes mettent en évidence le fait que le rôle de Marc et Hermagore était déjà bien établi à Aquilée dans les années qui ont suivi le retour de Paul