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C. LE CONTENU DU LIBER

8. Chrodegang, trente-septième évêque de Metz

8. Chrodegang, trente-septième évêque de Metz

La notice consacrée à Chrodegang

La rédaction se fait beaucoup plus dense pour évoquer la figure de l’évêque Chrodegang, qui se distingua en premier lieu par sa noble origine, son père étant Sigramn et sa mère Landrade, de puissants aristocrates1. L’éducation à la cour et la carrière civile de Chrodegang en tant que référendaire sont rapidement relatées, pour faire place à sa carrière ecclésiastique qui commence, d’après Paul, sous le règne du roi Pépin. Le lettré lombard met ensuite l’accent sur les qualités du prélat messin en soulignant une nouvelle fois sa noble origine, et son éloquence tant en latin qu’en langue vulgaire. Le récit se poursuit par l’évocation du rôle tenu par Chrodegang dans les relations entre le clergé franc, la cour et le pape Etienne II. Paul expose ensuite la réorganisation du clergé séculier messin sous la direction de son évêque, et l’introduction des usages romains dans le déroulement de la liturgie, notamment en matière de chant2.

Les travaux effectués par Chrodegang dans sa cathédrale et dans l’église Saint-Pierre le-Majeur sont également évoqués3, ainsi que la fondation de deux monastères. Le premier, dédié à saint Pierre se situait dans le diocèse de Metz4. Cette imprécision pourrait signifier que la fondation n’a pas eu un grand succès, mais n’oublions pas que Paul Diacre est un étranger qui compose son histoire des évêques de Metz à la cour d’après les informations fournies par Angilram ou par d’autres clercs messins, d’où ce manque de clarté. Il pourrait s’agir d’un des deux monastères de femmes messins : Saint-Pierre-aux-Nonnains ou

1 Sur la famille de Chrodegang, qui était à la tête d’un important patrimoine en Hesbaye, voir Robert Folz, « Metz dans la monarchie franque au temps de Saint Chrodegang » dans Saint Chrodegang, communications du

12e centenaire de sa mort, sous la direction de J. Schneider, p.11-24, Metz, 1967

2 Voir Jean-Charles Picard, « Les origines des quartiers canoniaux » dans Les chanoines dans la ville. Recherche

sur la topographie des quartiers canoniaux, sous la direction de J. C. Picard, p.15-25, Paris, 1994

3

François Heber-Suffrin, « La cathédrale de Metz, vue par Paul Diacre et les témoignages archéologiques », dans Autour d’Hildegarde, sous la direction de P. Riché, C. Heitz et F. Heber-Suffrin, Paris, 1987, p.73-78 4 MGH, SS, II, p.262 : «Aedificavit praeterea monasterium in parrochia beati Stephani in pago Mosellensi, in

honore beatissimi Petri apostoli, et ditavit illud opibus magnis, monachosque ibi constituit atque sub regula sancti patris Benedicti in una karitate coniuxit. »

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Glossinde dont les premiers temps sont obscurs1. Le manuscrit de Brême C 36 donne la leçon suivante « monachosque ibi constituit », mais le terme « monachos » n’est pas explicite et il pourrait s’agir de « monachas »2. Le second établissement n’est autre que le monastère de Gorze. Chrodegang entra également en possession des corps de trois martyrs grâce au pape Paul ; corps qu’il distribua à trois abbayes : Gorze reçut les restes de saint Gorgon qui donna son nom au monastère ; les reliques de saint Nabor sont à l’origine du nom moderne d’Hilariacum, c'est-à-dire Saint-Avold ; enfin l’évêque de Metz fit don des reliques de saint Nazaire à la communauté de Lorsh, qu’une noble femme nommée Chiliswinde et son fils Cancro avaient offert à Saint-Etienne de Metz3. Paul finit sa notice consacrée au prélat messin en mentionnant qu’il ordonna de nombreux évêques, prêtres et diacres, suivant le rite romain des Quatre-Temps. Après vingt-trois ans, cinq mois et cinq jours, Chrodegang s’éteignit un 8 mars, au temps du roi Pépin. Sa dépouille demeurait selon l’historien lombard dans sa fondation de Gorze.

La réforme de l’Eglise franque

Les historiens ne sont pas d’accord sur les formes prises par la réforme de l’Eglise franque. Si un consensus s’est dégagé autour de la volonté affichée par les souverains francs de rétablir la hiérarchie et la discipline au sein du clergé, avec l’accord de la papauté et de son éminent représentant Boniface, les choses paraissent beaucoup moins assurées au sujet de la liturgie. La réforme dans ce domaine a-t-elle consisté à imiter les usages romains dans un désir d’uniformisation, ou sommes-nous abusés par nos sources qui datent principalement de l’époque impériale et qui tendent à projeter sur le passé des préoccupations apparues beaucoup plus tardivement, comme l’a affirmé récemment Yitzhak Hen4 ? Même dans le cas

1

Michèle Gaillard, D’une réforme à l’autre (816-934) : les communautés religieuses en Lorraine à l’époque

carolingienne, 2006, Paris, p.76-81.

2 C’est l’hypothèse émise par Michel Parisse à la suite du doyen Schneider : Michel Parisse, «Remarques sur les fondations monastiques à Metz au Moyen Âge », dans Annales de l’Est, 1979, 3, p.199-200. Il est vrai que le manuscrit comporte une rature à cet endroit, voir le microfilme de l’IRHT n° 15350.

3

Lorsh, en face de la cité de Worms est une fondation du comte du Rheingau, Cancor en 764, qui est vraisemblablement un cousin de Chrodegang, cf. Régine Le Jan, Famille et pouvoir dans le monde franc, VIIe-Xe siècles, Paris, 1990, p.198-199. L’évêque de Metz amena avec lui dans cette abbaye des moines de Gorze. Le

frère de Chrodegang, Gundeland, qui avait été abbé de Gorze, dirigea ce monastère à partir de 765 ; cf. Folz [1967], p.22-24.

4 Y. Hen, « Paul the Deacon and the frankish liturgy », Paolo Diacono, un scrittore fra tradizione longobarda e

rinovamento carolingio. Convegno internazionale di studi, 6-9 mai 1999 a cura di Paolo Chiesa, p.205-221,

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du chant, le débat n’est pas tranché. Le modus romanus correspond-il seulement à une façon de chanter1, ou englobe-t-il l’ensemble des textes et le déroulement des cérémonies ? Il n’est pas facile dans ces conditions d’évaluer le rôle de Chrodegang, qui semble cependant avoir joué un rôle majeur dans le grand mouvement de rénovation du clergé franc.

La conclusion de Paul Diacre

Paul termine en évoquant Angilram, le commanditaire de son œuvre, et il s’excuse de ne pouvoir continuer son récit jusqu’à son époque, préférant laisser la place à quelqu’un de plus qualifié que lui. Cette conclusion rappelle dans ses grandes lignes, un passage du

Brevarium d’Eutrope, que Paul a utilisé comme modèle pour composer son Histoire Romaine2. Plusieurs mots se retrouvent en effet dans le Liber de episcopis Mettensibus et dans le Brevarium, ce qui montre que l’historien lombard s’est inspiré de ses lectures et de ses travaux antérieurs pour rédiger sa conclusion adressée à Angilram.

questions. Publications récentes », dans W. Falkowski et Yves Sassier, Le monde carolingien. Bilan,

perspectives, champs de recherches.2009, Turnhout, p.219-241.

1

Iégor Reznikoff, « Le Chant des Gaules sous les Carolingiens », dans haut Moyen Age. Culture, éducation et

société. Etudes offertes à Pierre Riché, sous la direction de M. Sot, p.323-341, Paris, 1990.

2 MGH, SS, II, p.268 : « Hic iam, pater sanctissime Angilramne, narrationis serie vestram beatudinem locus

expectat. Sed ego meae tenuitatis non inmemor, adtemptare minus idonee non audeo, quae de vestrae vitae cursu laudabili maiori stilo promenda sunt.»; Eutrope, Breviarium, éd. par H. Droysen dans les Monumenta Germaniae Historica, Auctores Antiquissimi, t. 2, Hanovre, 1879 p.182: « ...quia autem ad inclitos principes venerandosque perventum est, interim operi modum dabimus, nam reliqua stilo maiore dicenda sunt, quae nunc non tam praetermittimus quam ad maiorem scribendi diligentiam reservamus.» ; voir Goffart[1996], p.68, note

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