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De la mort d’Angilram jusqu’à l’avènement d’Adalbéron Ier, le diocèse de Metz ne se signale pas par une production littéraire abondante. On ne compte, en ce qui concerne l’hagiographie, qu’une seule vita qui daterait de la fin du IXe siècle du début du Xe : la vita

prima sanctae Glodesindis 3, la fondatrice d’une abbaye de moniales à Metz au VIIe ou au milieu du VIIIe siècle4, qui fait peu de cas de la lignée épiscopale messine. Même la translation effectuée en 830 en présence de l’archevêque Drogon n’a pas inspiré la rédaction d’une pièce à la gloire de la sainte et de ses pouvoirs thaumaturgiques. Dans le texte, l’évêque contemporain de la sainte n’est pas mentionné alors que cette dernière se réfugie dans l’église Saint-Etienne de Metz pour fuir ses parents qui veulent la marier, et qu’elle reçoit miraculeusement le voile des mains d’un ange5. Ce n’est que dans la seconde translation qu’apparaît Drogon, qui déplace le corps de Glossinde de l’église Sainte-Marie attenante au monastère et le dépose dans l’église principale6. Le récit des miracles accomplis par la sainte mentionne également la mort de Wala7 et la menace normande, ainsi que l’épiscopat de

1

L’aveuglement n’entrainement pas automatiquement la déposition d’un évêque à cette époque ; Benno a renoncé à sa charge de son plein gré, Bührer-Thierry [1997], p.204.

2Continuatio Reginionis, MGH, SRG in usum, t.50, A.927, p.158.

3 BHL 3562 et BHL 3564, AA SS Iul. VI, p.203-210. Gaillard [2006], p.33-38. 4

Les arguments pour les deux thèses sont résumés dans Gaillard [2006], p.77-81. 5 AA SS Iul. VI, c.8, p.204.

6Le tombeau de la sainte se déplace miraculeuse et va à la rencontre de Drogon. L’église principale est dédiée à sainte Marie, à saint Pierre et saint Sulpice, Translatio s. Glodesindis II, AA SS Iul. VI, c.31-37, p.215-216. 7

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Robert, qui sert d’élément de datation au narrateur1. Ce dernier maîtrise bien la succession des évêques de Metz à partir de Drogon. D’après les hypothèses émises par Monique Goullet, l’ensemble du texte (vita, première et seconde translation et miracles) serait l’œuvre d’un seul et même auteur qui écrirait au début de l’épiscopat de Wigéric, le successeur de Robert, qui commence en 917 2 . Si les circonstances exactes de la rédaction nous échappent complètement, il est clair en tout cas que la vita prima de sainte Glossinde a peu à voir avec la lignée épiscopale et le souvenir des prélats messins.

Aucune biographie d’un évêque messin, ancien ou récent, n’a été rédigée durant cette période, et la conservation de la mémoire des saints pontifes ne passe donc pas par l’hagiographie. Cette pauvreté relative contraste avec le rayonnement de certains pontifes mosellans, et il est étonnant de constater que ni Angilram, ni Drogon le fils de Charlemagne, n’ont été honorés par la composition d’une vita. Cela peut en partie s’expliquer par le fait que l’archevêque de Metz a dû résider une grande partie de son temps à la cour. Pourtant Drogon manifesta un réel intérêt pour ses prédécesseurs comme le prouvent les translations qu’il réalisa. Les restes d’Adelphe furent déplacés vers Marmoutier, ceux de Rufus à Otrenheim, et ceux de Céleste et Auctor à Marmoutier. Ces translations ont sans doute permis d’attacher le souvenir des évêques du passé à la personne de Drogon, et de souder la communauté des croyants autour de son archevêque. Le fils illégitime de Charlemagne s’est également servi de ces translations pour réaffirmer solennellement les droits de son église sur des biens et des établissements alsaciens3. Cependant, aucun récit de translation des reliques d’un évêque de Metz composé durant cette période, n’est parvenu jusqu’à nous, alors que l’occasion était belle de rédiger un tel ouvrage4.

Drogon lui-même, d’autre part, n’a sans doute pas tissé des liens assez forts avec les abbayes messines, pour qu’elles entretiennent son souvenir par la rédaction d’un texte. Cela pourrait se comprendre pour les clercs de Saint-Félix/ Saint Clément, qui n’ont peut être pas vu d’un très bon œil la migration de leurs corps saints vers l’Alsace. Les démêlés de Thierry Ier au milieu du Xe siècle avec Saint Félix/Saint-Clément, à propos du corps de saint Clément,

1

Ibidem, c.63, p.221.

2Monique Goullet et Martin Heinzelmann, Miracles, vies et réécritures dans l’Occident Médiéval. Dossier des

saints de Metz et de Laon et de saint Saturnin de Toulouse, Beihefte der Francia, 65, 2006 , ostfildern,

p.283-287.

3 Anne Wagner, « Lecture entre les lignes d’un calendrier. Un exemple d’appropriation territoriale au Moyen

Âge : la politique des évêques de Metz », dans Cahiers Elie Fleur, n°12-13, 1995-1996, Metz, p.19-41.

4 La Vita prima sancti Adelphi est peut-être une exception comme Monique Goullet en émet l’hypothèse mais ce texte qui narre la translation des restes du saints par Drogon est très difficile à dater. Cf. p.177.

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sont là pour prouver que les translations ne s’effectuaient pas toujours dans une atmosphère de confiance et de franche coopération1.

La seule communauté avec laquelle Drogon semble avoir entretenu des relations privilégiées est bien évidemment l’abbaye des Saints-Apôtres/Saint-Arnoul, qui reçut ses restes. Or, ce monastère n’honora pas particulièrement au Moyen Âge la mémoire de Drogon, comme l’atteste le Petit-cartulaire qui se contente de recopier l’épitaphe de l’archevêque de Metz, ainsi que celle de Louis le Pieux et des princesses carolingiennes, dont la communauté conservait les sépultures. Les parties narratives de ce recueil font une place modérée au fils illégitime de Charlemagne2, et peu d’actes le concernant directement ont été conservés par le compilateur3. Les liens tissés entre Angilram et Saint-Nabor/Saint-Avold semblent avoir été particulièrement forts, mais sans que cela se concrétise par la composition d’une biographie4.

La présence de clercs dans les établissements messins, avant la réforme monastique du Xe siècle, a dû jouer un rôle important dans cette faiblesse de la production hagiographique, car la conscience d’appartenir à une communauté unie dont l’existence s’enracinait dans un passé ancien et lié aux évêques de Metz devait être moins forte que dans le cas de moines pratiquant une disciple et une vie collective plus strictes. Faut-il, d’autre part, incriminer le niveau scolaire de clercs messins ou le fonctionnement des écoles ? L’analyse de la correspondance d’Advence, qui fut chanoine à Metz avant de devenir évêque, montre que le prélat lotharingien s’exprime dans un latin correct et ce dernier n’hésita d’ailleurs pas à se lancer dans une réfutation du traité d’Hincmar sur le mariage5. N’oublions pas qu’il fut en contact avec Sedulius Scotus, un des plus grands lettrés de son époque. La vie de Jean de Gorze écrite entre 974 et 984 mentionne sans plus de précisions que le réformateur lotharingien étudia à Metz avant de passer par l’école du monastère de Saint-Mihiel, dirigée

1 L’épisode est raconté dans les Miracula priora sancti Clementis, écrit entre 1050 et 1090 à Saint-Félix/Saint-Clément, éd. H. V. Sauerland, Sancti Clementis primi Mettensis episcopi vita, translatio ac miracula, Trèves, 1896, c.17, p.16-17 ; sur cette œuvre voir Goullet Chazan [2006], p.171-175, sur la translation ratée du corps de Saint Clément de Thierry Ier voir Picard J Ch., [1990], p.293-296.

2 Drogon apparaît dans le Petit Cartulaire de Saint-Arnoul en rapport avec sa tombe et celle de Louis le Pieux, Gaillard [2006b], c.10, p.18-19, c.54 et c.55, p.90-93 et c.111, p.196-197, et avec la translation de sainte Glossinde Gaillard [2006b], c.25, p.38-43.

3

Deux diplômes royaux de Lothaire et de Charles le Chauve concédant et confirmant la donation de la villa de Rémilly à Saint-Arnoul se trouvent dans la Petit Cartulaire. Ils ont sans doute été délivrés à la demande de Drogon alors responsable du monastère : Gaillard [2006b], c.44 et c.45 p.74-80, voir aussi Gaillard [2006], DSA 1, p.325-326 et DSA 2, p.327-328.

4Henri Tribout de Morembert, « Manuscrits de l’abbaye de Saint-Avold », dans Saint Chrodegang,

communications du 12e centenaire de sa mort, sous la direction de Jean Schneider, Metz, 1967, p.183-201.

5MGH, Epistolae Karolini aevi, IV, n°5, p.214-217 ; Gaillard [1995], p.99-100, l’œuvre aurait été composée peu après le concile de Metz de juin 863.

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alors par un disciple de Rémi d’Auxerre1. La même œuvre nous fait connaître un archidiacre de la cathédrale messine nommé Blidulfe, qui rejoignit la communauté monastique et « qui

l’emportait en outre sur les autres moines par sa connaissance des lettres, et qui était l’un des derniers survivants de l’école de Rémi »2. La ville ne Metz ne manquait d’ailleurs pas de clercs puisque Michèle Gaillard a montré que le chapitre cathédral comptait une cinquantaine de membres et que ses effectifs sont restés relativement stables aux IXe et Xe siècles.3