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E. LES DESTINEES DU LIBER DE EPISCOPIS METTENSIBUS AU MOYEN ÂGE

1. Saint Clément et le thème de l’apostolicité

Une partie du Liber a été utilisée pour promouvoir le culte de saint Clément, le premier évêque de Metz. Le développement de ce culte est lié aux mutations que connaît le monastère de Saint-Félix dans la seconde partie du Xe siècle1. Cette abbaye suburbaine était restée jusqu’à cette date, un centre modeste desservi essentiellement par des clercs séculiers sous la direction d’un archidiacre de la cathédrale. Le sanctuaire jouissait d’une position très modeste au sein des établissements religieux messins ; il se distinguait simplement par la présence des sépultures des premiers évêques de Metz, dont celle de saint Clément. L’invention des reliques du premier évêque de la cité est antérieure à 875, mais on ignore complètement les tenants et les aboutissants de cette opération, si ce n’est qu’elle a été sans doute entreprise par Drogon. Les choses changent lorsque l’évêque Adalbéron Ier décide de réformer Saint-Félix à l’instar de l’abbaye de Saint-Arnoul. Il y installe des moines sous la direction de l’Irlandais Caddröe, abbé de Waulsort. Les donations affluent vers le monastère qui adopte la règle bénédictine, chère aux réformateurs lotharingiens.

La réforme semble avoir été mise entre parenthèses sous Thierry Ier, le successeur d’Adalbéron à partir de 965. L’abbé qui succède à Caddröe, mort en 974-975, est en effet Fingen qui prit ses fonctions au plus tôt en 984. Entre-temps, Saint-Félix paraît être revenu au système de gestion antérieur aux réformes d’Adalbéron, sous la direction de Wigeric, le primicier de la cathédrale, proche de l’évêque Thierry Ier. Ce personnage mena d’importants travaux de rénovation comme la restauration du cloître et de la basilique, ainsi que l’aménagement du lieu où reposaient les reliques de saint Clément. Il faut noter également que l’évêque Thierry Ier tenta de s’emparer des reliques du premier évêque de Metz, afin peut-être d’accompagner les travaux de la cathédrale Saint-Etienne qu’il avait entrepris. Les projets de

1 Voir l’article de Jean-Charles Picard, « Le recours aux origines. Les vies de saint Clément, premier évêque de Metz, composées autour de l’an Mil », dans Religion et culture autour de l’An Mil. Royaume capétien et

Lotharingie. Actes du colloque Hugues Capet 987-1987. La France de l’An Mil, Auxerre 26-27 juin 1987, études

réunies sous la direction de D. Iogna-Prat et J. C. Picard, Paris, 1990, p.111-117 ; ainsi que les travaux Baudouin de Gaiffier, « Notes sur le culte de saint Clément de Metz et de Caddröe », dans Analecta Bollandiana, t. LXXXV, p.21-44, 1967.

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Thierry échouèrent face à la résistance des moines de Saint-Félix, et l’évêque finit par renoncer à la translation de l’évangélisateur de la cité1.

Ces deux événements, les travaux de rénovation et la tentative ratée de Thierry Ier, sont à l’origine de la composition de deux textes hagiographiques qui ont pour but d’enraciner le culte de saint Clément à Saint-Félix : la Vita s. Clementis Ia et la Vita s. Clementis Ib qui est

l’œuvre d’un moine nommé Carus2. Le premier n’est en fait qu’un complément apporté à la notice du premier évêque messin, qui se trouve dans le Liber de episcopis Mettensibus de Paul Diacre. Cette interpolation narre le combat de Clément contre un groupe de serpents qui diffusaient des germes pestilentiels et empêchaient ainsi les Messins de sortir de leur cité. L’évangélisateur mit en fuite les serpents, il ligota le plus gros d’entre eux avec son étole et le jeta à la Seille. Grâce à cet exploit, qui servira de base à la diffusion de la légende du Graouilly3, Clément obtint la conversion des Messins qui renoncèrent alors à leurs anciens cultes. L’hagiographe énumère ensuite les lieux attachés au souvenir du premier évêque messin : l’église Saint-Pierre-aux-Arènes, à laquelle s’ajoutent Saint Jean-Baptiste et la crypte qui servit à Clément de lieu de sépulture, et qui est située à l’emplacement du monastère de Saint-Félix. Enfin l’interpolation se clôt par l’évocation de trois miracles.

Les buts de son auteur sont évidents : il s’agit de compléter le récit de Paul Diacre, en enracinant très fortement le culte de saint Clément à Saint-Félix. Ces additions à la notice du premier évêque ne semblent pas avoir circulé dans un premier temps de façon autonome, complètement séparées Liber de episcopis Mettensibus : les manuscrits Metz Bm 494 ou Bnf lat. 5294, qui datent de la première moitié du XIe siècle, présentent la notice de Clément et son interpolation en continuité avec le reste de l’œuvre de Paul Diacre, ce qui montre que l’interpolateur n’a pas voulu rédiger une vita autonome du saint mais qu’il entendait plutôt

1

Picard Jean-Charles, « Le recours aux origines. Les vies de saint Clément, premier évêque de Metz, composées autour de l’an Mil », dans Religion et culture autour de l’An Mil. Royaume capétien et Lotharingie. Actes du

colloque Hugues Capet 987-1987. La France de l’An Mil, Auxerre 26-27 juin 1987, études réunies sous la

direction de D. Iogna-Prat et J. C. Picard, p.111-117, Paris, 1990. 2

Pour la Vita éd.Ia Sauerland [1896], p.7-12 ; pour la Vita Ib Monumenta Germaniae Historica, Poetae latini aevi carolini, t.5, p.109-145. Sur le dossier hagiographique voir le chapitre « saint Clément » dans Monique Goullet

et Martin Heinzelmann (dir.), Miracles, Vies et réécritures dans l’Occident médiéval. Actes de l’atelier de la

réécriture des Miracles et SGH X-XII : dossiers des saints de Metz et de Laon et de saint Saturnin de Toulouse, Beihefte der Francia, 65 2006, Ostfildern, p.152-190.

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Sur le développement de la légende du Graouilly, voir l’article de Mireille Chazan, « le dragon dans la légende de Saint Clément, premier évêque de Metz », in dans la Gueule du dragon, sous la direction de Jean Marie Privat, p.17-36, Sarreguemines, 2000. Il faut également citer les travaux fondateurs de Jacques Le Goff, « Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Age : Saint Marcel de Paris et le dragon », dans Pour un

autre Moyen Age. Temps, travail et culture en Occident, Paris, 1977, p.236-279. Sur la lutte rapportée par

Venance Fortunat, entre saint Marcel de Paris et le dragon, qui a joué le rôle de modèle en Gaule, voir également Jean-Charles Picard, « Il était une fois un évêque de Paris appelé Marcel », dans haut Moyen Age. Culture,

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compléter le texte de Paul Diacre, en gardant la perspective d’une histoire de la lignée épiscopale. Mireille Chazan estime que l’interpolateur a cherché à authentifier son récit, en l’insérant dans l’œuvre de Paul Diacre qui faisait alors référence au sein du clergé messin. La notice devait circuler après de façon autonome , comme une œuvre à part entière1. Beaucoup de manuscrits contenant cette vita sont des légendiers2. On peut par exemple citer le cas de Bnf lat. 5278 qui date du XIIIe siècle et qui provient vraisemblablement de Metz3.

Dans d’autres manuscrits, la Vita Ia de saint Clément commence par la notice composée par Paul Diacre, mais après quelques lignes seulement ce texte laisse la place à une relation originale4. Il s’agit en fait de la vita III de saint Clément composée vraisemblablement au XIIe siècle5. Les Bollandistes qui se sont référés aux premières lignes de ces œuvres pour les classer les ont parfois rangées parmi les témoins de Vita Ia, ce qui est fallacieux. Parmi les témoins de cette tradition, on trouve notamment les manuscrits de Paris, BNF, Richelieu, lat. 16735 copié à la fin du XIIe siècle, qui a appartenu au prieuré clunisien et le lat. 17007 de la bibliothèque nationale qui sont tous les deux des légendiers dont le contenu est quasiment analogue ; le premier cité ayant vraisemblablement servi de modèle au second6.

Les hagiographes du diocèse de Liège ont également utilisé l’ouvrage de l’historien lombard. L’abbaye de Saint-Trond a joué le rôle d’intermédiaire entre Metz et Liège durant la première partie du Moyen Âge. Rappelons à titre d’exemple que Chrodegang était originaire de la Hesbaye. Paul Diacre fut lui-même indirectement influencé par la première version de la

Vita de saint Servais, lorsqu’il décida de relater le sac de Metz par les Huns. Cet épisode

devait à son tour passer dans les œuvres hagiographiques liégeoises, à une date qu’il est malheureusement difficile à préciser. En tout cas, les Gesta abbatum consacrés aux évêques

1 Sur la tradition manuscrite de cette Vita prima, voir Mireille Chazan, « Saint Clément », dans et Martin Heinzelmann, Miracles, vies et réécritures dans l’Occident Médiéval. Dossier des saints de Metz et de Laon et

de saint Saturnin de Toulouse, Beihefte der Francia, 65, 2006 , ostfildern.

2

Goullet-Chazan [2006], p.156-158.

3 Sur ce manuscrit, voir François Dolbeau, « Anciens possesseurs de manuscrits hagiographiques latins conservés à la Bibliothèque nationale de Paris », dans la Revue d’Histoire des Textes, Paris, 1979, t.9, p.196-197. Il s’agit peut-être d’un des deux volumes de Vitae Sanctorum envoyés à Colbert par le chapitre de Metz en 1676. 4

Paris, BNF, lat. 16 735 : « Postquam, peractis omnibus quae cum Patre pro mundi salute gerenda... baetus

Petrus… apud Antiochiam ecclesia sue sedit nomine dedicata. »; après ces mots la narration cesse de suivre

l’ouvrage de Paul Diacre, Paris, BNF, lat. 16 735 : « Igitur dum beatus Petrus apostolorum immo terram et

mnium regnorum… »

5

Mireille Chazan, « le dragon dans la légende de Saint Clément, premier évêque de Metz », in dans la Gueule

du dragon, sous la direction de Jean Marie PRIVAT, Sarreguemines, 2000, p.29-30.

6 Il s’agit en fait dans les deux cas de légendiers en 5 volumes ; cf. François Dolbeau, « Anciens possesseurs de manuscrits hagiographiques latins conservés à la Bibliothèque nationale de Paris », dans la Revue d’Histoire des

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de Liège, que composa Hériger de Lobbes autour de l’An Mil font référence au personnage d’Auctor qui apparut pour la première fois sous la plume de Paul Diacre1. Cet évêque de Metz est cité par la suite dans toutes les histoires des évêques liégeois. La biographie de saint Servais, écrite par Jocundus dans la seconde moitié du XIe siècle, montre qu’il ne s’agit pas forcément de simples copies de l’œuvre d’Hériger : l’hagiographie relate en effet le miracle de l’autel brisé de la cathédrale Saint-Etienne, reconsolidé par saint Auctor, qui ne figure pas chez Hériger2. Un exemplaire du Liber de episcopis Mettensibus se trouvait donc peut-être à Liège ou à Saint-Trond.