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Il en va tout autrement pour le catalogue épiscopal élaboré sous l’épiscopat de Robert et qui est conservé dans le manuscrit de Brême C 36. Il n’est pas anecdotique de rappeler que c’est à cette époque qu’on a prolongé la liste des évêques de Metz, copiée dans le sacramentaire de Drogon, jusqu’à Robert avec la mention du jour de son ordination, ce qui est déjà la preuve d’un intérêt pour la lignée épiscopale messine1. Le catalogue du manuscrit de Brême, qui s’arrête avec son prédécesseur Wala, est une œuvre d’une plus grande ambition. Ce document est en effet remarquable pour deux raisons : d’une part, il ne se contente pas de mentionner le dies natalis des prélats messins, mais il indique également la durée de leur épiscopat. Le catalogue recense également les évêques de Metz qui ont porté le titre d’archevêque2. Il serait illusoire de chercher un début de vérité pour ce qui est des longueurs des règnes indiquées. Les données sont exactes à partir de Chrodegang et de ses successeurs, ce qui est loin d’être le cas pour les durées indiquées par le catalogue pour les prédécesseurs du réformateur de l’église franque. Les rares informations sûres que nous possédons par d’autres sources, sont rarement en conformité avec ce document et jettent le doute sur la chronologie proposée. On sait par exemple qu’Agiulf était encore en fonction en 601, lorsqu’il reçut une lettre du pape Grégoire le Grand3, et qu’Arnoul est vraisemblablement monté sur le siège messin en 614-616 à la suite de la chute et de l’exécution de Brunehaut et de ses arrières petits-fils par Clotaire II4. Il est en tout cas mentionné en tant qu’évêque dans le testament de Bertram du Mans en 6165. Les pontificats d’Arnoul et d’Agiulf sont donc séparés par une quinzaine d’années au maximum, or le catalogue du manuscrit de Brême indique un intervalle de 35 ans. Certes, le règne de saint Arnoul sur l’église messine a bien duré une quinzaine d’années comme indiqué dans le catalogue, mais un autre exemple montre bien que toutes ces données sont sujettes à caution. Chlodulf, le fils aîné de saint Arnoul, qui

1 BNF lat. 9428, f.126.

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Il s’agit d’Urbitius, de Chrodegang, d’Angilram, de Drogon et de Wala.

3MGH, epistolae, Gregorii I papae registrum epistolarum, t.II, XI, 41, p.314-315. 4 Gauthier [1980], p.376-377; Wagner A, [1999], p. 386-389.

5 Ce document a été conservé dans les Actus Pontificum in urbe degentium, éd. Ledru 1901, composés au IXe siècle, p.129 et 131-132.

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occupa également le siège messin, est logiquement né avant l’épiscopat de son père, en 614 dans l’hypothèse la plus tardive, et il faut également tenir compte de la naissance d’Ansegise son puîné. Or, le catalogue indique un écart de 84 ans entre l’avènement d’Arnoul et la mort de Chlodulf. Ce dernier serait passé de vie à trépas à 84 ans au minimum, ce qui est possible mais fort peu vraisemblable. Cette incroyable longévité n’a d’ailleurs pas seulement intrigué les historiens contemporains, mais elle a également étonné l’auteur de la vie de saint

Chlodulf, qui a relevé ce détail dans le catalogue et l’a utilisé pour accentuer la sainteté de son

héros à la fin de son œuvre1.

L’auteur du catalogue n’a en fait pas été guidé par un illusoire souci d’exactitude, mais par la volonté de montrer la continuité du siège épiscopal messin depuis le fondateur saint Clément jusqu’à Robert. Les chiffres apportent dans ce contexte une apparence de vérité et de précision capable d’en imposer au lecteur. Cette continuité est également renforcée par le fait que l’auteur n’a pas indiqué les vacances épiscopales, alors que le continuateur du catalogue, qui a travaillé au temps de l’évêque Thierry Ier au milieu du Xe siècle, a été capable de préciser que la mort de Chrodegang fut suivie d’une vacance de 2 ans 6 mois et 19 jours par exemple. La précision de ces informations laisse d’ailleurs à penser que des notices ont dû être composées et mises à jour de l’avènement de Chrodegang jusqu’à la mort de Drogon, comme nous le verrons plus loin. L’auteur du catalogue conservé dans le manuscrit de Brême C 36 ignorait peut-être ces vacances mais il paraît plus vraisemblable de considérer qu’il a fait volontairement le choix de les passer sous silence, afin de renforcer l’impression de continuité fournie par le catalogue.

La question qui se pose est de savoir pourquoi on a confectionné à Metz un tel document, qui ne trouve son équivalent ni dans la cité métropolitaine de Trèves, ni dans celles de Toul et de Verdun, qui se contentent de simples listes de pontifes ? La réponse peut venir d’une autre indication fournie par le catalogue : le titre d’archevêque porté par certains prélats messins. Outre Chrodegang, Angilram et Drogon, qui ont effectivement porté ce titre, et Wala qui a tenté de le faire, l’auteur a ajouté Urbitius le 15e évêque pour des raisons qui sont obscures. L’auteur a-t-il eu sous les yeux une source littéraire ou épigraphique ? Il faut

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Vita s. Clodulphi, AA. SS., Iun., t.II, p.132 : « dum recurrentes ad Metensium pontificum catalogum, invenimus B. Arnulphum, jam in perfecta aetate, promotum votis populorum, et ad episcopatum magis raptum quam electum, in quo sedit annis quindecim ; qui succedens sanctus Goericus rexit ecclesiam annis decem et septem, cui item venerabilis Godo subsecutus, regimen praesidatus administravit annis octo. Huic vero is de quo in praesentarium nobis sermo est, Chlodulphus beatissimus successit, et insulas sacerdotii felicissime, dum adornatur, adornans, rexit ecclesiam annis quadraginta duobus. Poterat autem esse annorum triginta, dum pater eius dominus Arnulphus ad pontificium sublimatus est : sicque hinc inde colligentes, aestimamus dies eiusdem domni Chlodulphi pontificis venerandi centum fuisse annorum… »

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être chercher un lien avec la tombe de cet évêque que les GEM du XIIe siècle localisent à Saint-Maximin Outre-Seille, alors que les corps de ses prédécesseurs ont presque tous été inhumés à Saint-Félix/Saint-Clément. Y a-t-il eu translation ? En tout cas, aucun culte particulier ne semble avoir été rendu à ce pontife dont on ignore à peu près tout, comme d’ailleurs Paul Diacre et l’auteur du catalogue métrique de la fin du VIIIe siècle1. Un des buts poursuivis était sans doute de repousser dans le temps l’apparition du titre d’archevêque à Metz, et ainsi d’enraciner cette distinction dans la longue durée, mais dans ce cas, pourquoi ne pas avoir choisi un des tous premiers évêques de Metz ? Urbitius se distingue seulement par la durée de son épiscopat, 49 ans, le plus long dans le catalogue, ce qui est peut-être à mettre en relation avec le titre d’archevêque attribué à ce personnage.

D’après les gesta episcoporum de Trèves, un des arguments utilisés par Wala pour légitimer son droit à porter le pallium aurait été le fait que certains de ses prédécesseurs dont Urbitius, avaient déjà reçu cet honneur2. La volonté de revêtir cette dignité est une tendance lourde de l’histoire des évêques de Metz durant le haut Moyen Âge, qui se manifeste par éclipse et génère souvent des conflits avec le métropolitain trévirois3. Les pontifes messins n’ont sans doute jamais voulu supplanter leurs homologues de Trèves (seul Hugues de Flavigny l’affirme4), mais ils ont eu plus sûrement à cœur de s’émanciper de la tutelle de leurs supérieurs en se parant des mêmes attributs que lui. Si l’octroi de cette dignité ne fut dans les faits jamais lié au siège messin, mais à la personnalité et aux fonctions politiques exceptionnelles de certains d’entre eux5, les prélats messins se sont servis de l’histoire de leur lignée pour tenter de créer une tradition. Il y a ainsi fort à parier que Robert, sous l’épiscopat

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HL, t.I, pr., p.CXVIII : « Claruit hac decimus quintusque Urbicius urbe » ; Paul Diacre ne fait que mentionner le nom d’Urbitius dans l’énumération des évêques : MGH, SS, II, p.264 : « Deinde quintus decimus Urbicius… » 2MGH, SS, VIII, p.165 : « Walo lecto in auribus omnium qui aderant quod sibi a papa transmissum fuerit de usu

pallii privilegium, asseruit, non se primum set quintum fuisse, quem apostolica sedes hoc honore dignata sit sublimare, salva tamen in omnibus metropolitano subiectione, primum Urbitium, secundum Pipini regis ex sorore nepotem Crodegangum, tertium Angelramnum, quartum Druogonem, Karoli Magni imperatoris filium. »

3Gaillard [2006], p.151-174. 4

Hugues de Flavigny, Chronicon, l.I, MGH, SS, VIII, p.341 : « Quod etiam quibusdam Mettensis ecclesiae

praesulibus aliquoties [pallium] concessum fuisse legitur, pro multimoda vastatione Trevirensis matris ecclesiae, quae licet primatum petitione Helenae reginae a beatae memoriae papa Silvestro per corpus Mathiae apostoli et per baculum beati Petri acceperit, quod et ab antiquo possidebat, quia ubi ante adventum Domini in capite provinciarum primates erant legum secularium, ad quos confugiebant pro oppressionibus vel iniustitiis qui ad aulam imperatorum confugere non poterant vel quibus permissum non erat, ipsis in locis apostoli et beatus papa Clemens, ut refert beatus successor eius papa Anacletus, patriarchas vel primates, qui unam formam tenent licet diversa sint nomina, legis divinae poni et esse iusserunt ; tamen ita multoties peccatis exigentibus attrita fuit, ut ea vacante Mettensium presules metropolitani fungerentur officio et dignitate. » Hugues de Flavigny écrit en

pleine Querelle des Investitures au moment où ses convictions grégoriennes s’opposent aux prises de position d’Egilbert de Trèves, fidèle serviteur de l’empereur, ce qui laisse penser qu’il avait intérêt à dévaloriser le siège métropolitain.

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duquel le catalogue fut réalisé, nourrissait de pareilles ambitions, comme le prouvent certaines chartes de Gorze qui le qualifient d’archevêque1. Ses projets n’ont jamais abouti, mais il est sans doute vraisemblable que le prélat messin a préparé le terrain en faisant réaliser ce catalogue pour étayer ses prétentions2, d’où l’intérêt porté à la lignée épiscopale messine, à sa continuité et à son prestige, puisque nous avons vu que le principal argument avancé par les évêques de Metz pour étayer leurs droits s’enracinait dans le passé.

Or, ce rôle aurait très bien pu être tenu par la rédaction de gesta episcoporum, soit sous la forme de continuations à l’œuvre de Paul Diacre, soit sous la forme d’un remaniement complet de ce texte, mais il n’en fut rien. Il est vrai que le Liber de l’érudit lombard, écrit dans une optique différente se prêtait mal à ce genre de prétentions, et il aurait demandé quelques transformations. Robert n’a-t-il pas trouvé dans son entourage un clerc assez habile pour mener ce projet à bien, ou jugeait-il plus efficace de confectionner un catalogue épiscopal, qui montrait dès la première lecture l’ancienneté, la continuité et le prestige du siège messin ? La réponse se trouve sans doute entre ces deux explications, dans un contexte intellectuel, qui, il ne faut pas l’oublier, se distingue par la faiblesse de la production littéraire messine.

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Herbomez [1898], n°75, p.135-137 ; n°83, p.149-151 ; n°86, p.155-157 ; n°87, p.157-159 ; n°89, p.162-164. Robert utilise les deux titres d’episcopus et archiepiscopus de manière indistincte : ainsi l’acte n°87 est une donation faite par la même Richilde en 910 en faveur de Gorze dans lequel Robert porte le titre d’archiepiscopus, alors que l’acte n°89 est une donation de la même reine et datant de la même année dans laquelle Robert ne porte que le titre d’episcopus.

2 Gaillard [2006c], p.171-173, estime qu’il paraît peu probable que Ratbod, archevêque de Trèves et archichancelier sous Zwentibold, Louis l’Enfant et Charles le Simple ait accepté la concurrence de son suffragant messin.

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C. Les évêques de Metz dans le royaume de Germanie et l’Empire : réforme monastique