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S EELENGESPRÄCHE Z UR S TÄRKE UND A MBIVALENZ DER L ITERATUR

« L EBENSEFFEKT » ALS ALLGEMEINEM ÄSTHETISCHEN K RITERIUM UND L ESER

0.4.4 S EELENGESPRÄCHE Z UR S TÄRKE UND A MBIVALENZ DER L ITERATUR

De fait, le livre Seelengespräche rassemble douze contributions qui analysent du point de vue historique, formel et herméneutique des textes portant sur l’expérience humaine de voix inté- rieures. Si le livre se distingue par une approche en soi anthropologique qui ne porte pas de jugement théologique a priori sur ce phénomène, il permet de mettre en évidence l’apport de la puissance descriptive, évocatrice de l’hypotypose littéraire : non seulement elle ne réduit pas un tel phénomène à des structures ou systèmes rationnels, mais elle leur confère toute une densité psychologique. Expression d’une impression, la littérature ne donne pas seulement sens à ces phénomènes, mais permet au lecteur d’en vivre une impression.

1 Pour un tour d’horizon des travaux effectués, voir Georg LANGENHORST, Literatur und Theologie. Ein Hand-

buch, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2005.

2 Voir p. ex. Alain DIERKENS, Frédéric GUGELOT, Fabrice PREYAT et Cécile VANDERPELEN-DIAGRE (éd.), La

Croix et la bannière. L’écrivain catholique en francophonie (XVIIe-XXIe siècles), Bruxelles, Éd. de l’Université de

Bruxelles, coll. « Problèmes d’Histoire des Religions » N° 17, 2007 et aussi la somme de Alain et Arlette MI- CHEL, La littérature française et la connaissance de Dieu (1800-2000), t. 1 : Le renouveau des questions : la raison, le sentiment, la foi ; t. 2 : Les grandes synthèses : positivisme, idéalisme, visions ; t. 3 : La modernité : différences, compréhensions, dialogues, Paris, Genève, Éd. du Cerf, Ad Solem, coll. « Théologiques », 2008. Il

ne semble pas qu’il existe pour le moment en France un livre analogue à celui de G. Langenhorst. Mais tandis qu’en Allemagne ce sont surtout les théologiens qui travaillent dans ce domaine, ce sont en France les facultés de lettres qui poursuivent ces recherches.

Le caractère fictionnel des dialogues intérieurs et les formes littéraires restent en soi ambiva- lentes quant à leur interprétation philosophico-théologque. La décision s’il s’agit d’une expé- rience de transcendance ou s’il suffit d’apporter une explication se cantonnant aux phénomè- nes immanents demande donc la prise en compte d’un contexte interprétatif. La taille du compte-rendu permet seulement de mettre en évidence l’originalité des différentes contribu- tions réunies dans ce livre et d’esquisser les lignes d’un débat futur. Celui-ci doit intéresser de premier chef une théologie de la spiritualité. En effet, il revient à celle-ci de réfléchir aux mo- dalités du discernement des esprits et il importe donc qu’elle articule la relation des modalités anthropologiques avec la tradition théologique, doctrinale et liturgique de l’Église.

* * *

La relation entre les deux expériences littéraires et spirituelles, leur distinction, leur agence- ment et leur compénétration sont des questions centrales pour une théologie qui tient compte de la participation de l’être humain dans la compréhension de la Révélation et même aupara- vant comme « partenaire » de Dieu dans l’Alliance, c’est-à-dire d’une relation qui permette, voire exige l’apprentissage et l’appropriation personnelle.

Ceci se fait conformément à la nature humaine qui s’inscrit toujours dans le temps. Un être humain peut grandir, se développer au fil de son histoire ou se refermer sur lui-même ; il peut aussi être saisi d’une évidence soudaine, encore faut-il que cette évidence s’avère comme forme puissante dans la durée. On peut parler d’éducation, d’érudition au sens étymologique, qu’il s’agisse maintenant d’un processus dans la durée ou de la transformation momentanée. L’éducation rappelle l’action de conduire quelqu’un en dehors d’un certain domaine ; l’étymon du terme érudition est le verbe erudire qui signifie d’abord dégrossir, façonner ce qui n’existe encore qu’à l’état brut. À chaque fois il y a action d’un agent différant de l’être humain sur lui et collaboration de l’être humain à cette action dans la durée. Il faudrait ne pas

réfléchir dans l’abstrait mais tenir compte des différentes expressions que trouve cette éduca- tion dans la Bible : on ne pourra probablement pas la limiter à une seule méthode.

L’être humain est libre de se donner ou non, de se laisser former ou non, de contribuer ou non à l’action de la grâce, quoique Balthasar souligne assez souvent le bouleversement que Dieu peut opérer. L’histoire de Salvatore que raconte Arnold Stadler montre néanmoins que rien n’est gagné d’avance ; l’Évangile aussi connaît nombre de situations où ceux qui suivaient Jésus partent. Il regarde surtout ceux qui continuent de suivre le Christ : eux aussi ont besoin de se familiariser avec le plan de Dieu, avec la personne de celui qu’ils ont trouvé et qu’ils suivent ; eux aussi expriment leurs projets, recourent à leur imaginaire, s’abandonnent à des rêveries – et doivent découvrir leur insuffisance, incohérence avec le plan de Dieu. D’ailleurs, ce n’est qu’après la Résurrection que leurs yeux s’ouvrent et comprennent. On « peut » évi- demment soutenir qu’aujourd’hui nous savons tout du Christ, que nous vivons après la Résur- rection et que tout doit s’imposer à nous avec une évidence qui est en même temps conver- sion : toujours et heureusement est-il que les récits de l’Évangile gardent le caractère d’une pédagogie paradigmatique.

L’être humain entend de nombreuses voix : occupé par lui-même, il ne sait pas toujours iden- tifier celle qui vient de Dieu ; évitant la porte étroite, il donne la préférence aux plaisirs faciles. Il n’est pas besoin d’entrer ici dans une analyse des situations de péché individuel et commu- nautaire, mais il est important de souligner que la liberté humaine est déjà portée par l’amour pardon de Dieu. Autrement elle serait une condition invivable ; ainsi je peux oser l’accueillir et la vivre, me projeter dans l’avenir et devoir remettre mon idéal en question. N’est-ce pas aussi une expérience des disciples, par exemple quand ils s’imaginaient assis à la gauche et à la droite du Christ dans son Royaume ? L’imaginaire humain, la puissance fictionnelle hu- maine doivent être reconnus, compris, convertis, intégrés dans la relation, non pas ignorés,

évincés ou détruits. Ce sont des éléments humains extrêmement puissants capables de nous guider vers le Bien ou de nous perdre.

Toutes nos théories sur la punition, la satisfaction, la rémission d’une faute ne sont-elles pas aussi l’expression de notre impuissance à enlever le joug de notre histoire, de notre impuis- sance à annuler et réécrire notre passé ? La conception de l’identité chrétienne est telle que l’être humain ne perd rien de son histoire ; jamais ne sera-t-elle effacée ; tout est intégré dans la relation de l’Alliance nouvelle et éternelle ; la cohérence de l’existence chrétienne, c’est la conformation eschatologique au Christ. Tout comme le corps du Ressuscité garde les traces de la passion tout en étant maintenant corps glorieux, tout comme il intègre donc l’histoire humaine d’amour et de haine dans la glorification, la vie du chrétien sera changée, non pas enlevée. Il s’agit, pour reprendre une notion balthasarienne, d’un « saut qualitatif » rassem- blant les éléments épars et éparpillés de l’identité dans une unité que seul Dieu peut nous of- frir.

Le sacrement de la réconciliation en est l’expression. Exigeant du pénitent la confession des péchés, elle l’oblige à se reconnaître lui-même tel qu’il est. En demandant pardon, il se remet entre les mains de Dieu qui n’efface pas les péchés comme on pousse sur le bouton « effacer » permettant de corriger une phrase sur l’écran de l’ordinateur. Dieu ne fait pas comme si rien n’avait été : ce qui a été fait au contraire partie de l’identité humaine et Dieu accueille, trans- forme cette personne en lui donnant part, dès ici bas, à la communion intime avec lui, à sa vie qui peut transformer la vie si bien qu’elle approche, dans le cas des saints, de façon asympto- tique ce que seront l’existence et l’union eschatologiques. C’est toujours cette « vision » qui doit nous guider : la théologie balthasarienne la décrit avec puissance.

Cette réflexion a pu sembler nous écarter de notre sujet. Il s’agissait au contraire de réfléchir à la place de la créativité humaine intervenant dans l’écriture, mais aussi dans la construction de soi-même, à la connaissance théologique et anthropologique de tout ce qui est humain – y

compris le péché1 –, aux multiples façons d’expression et de la construction de soi-même de manière à échapper au moins à deux extrêmes : d’une part de représenter l’action de la grâce comme quelque chose de magique ou mécanique qui supprimerait complètement l’éducation dans le temps, et d’autre part de ne réduire l’être humain qu’à ses propres moyens. Il s’agissait de ne pousser l’être humain pécheur ni dans l’angoisse qui l’empêche d’agir et de penser, voire dans le désespoir ou encore l’hypocrisie, ni dans le laxisme et l’insouciance de son salut éternel. Dans ce cadre, l’étude des textes littéraires et des structures de création trouve évidemment sa place : la puissance fictionnelle doit être intégrée pleinement dans le rapport à Dieu.