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Le mythe comme facteur de cohérence

« L EBENSEFFEKT » ALS ALLGEMEINEM ÄSTHETISCHEN K RITERIUM UND L ESER

1.1 BIBLE, MYTHE ET FIGURE DE LA RÉVÉLATION

1.1.3 C ONTREPOINT : M YTHE ET FIGURE DE LA RÉVÉLATION

1.1.3.1 Le mythe comme facteur de cohérence

Sans entrer dans la discussion du commentaire d’un texte biblique en particulier, Balthasar retrace en moins de cinq pages les grandes lignes, les convictions fondamentales qui orientent les recherches des exégètes scandinaves et situe de prime abord la discussion au niveau heuristique. Dès le début de la présentation des fondements de la pensée de ces scientifiques apparaît leur volonté d’insérer l’identité religieuse du peuple d’Israël dans son contexte culturel, voire de l’expliquer à partir de celui-ci comme le montre la prétention à l’universalité de l’affirmation suivante3 :

L’expérience de l’existence chez tous les peuples anciens revêt un mode foncier à la fois mythique, religieux et politique. Il s’extériorise moins comme forme de

1 GC 1, 533. En ce qui concerne ces chercheurs, ils font partie d’un mouvement s’inspirant des recherches sur

l’histoire comparée des cultes. Après les travaux des Cambridge ritualists au début du XXe siècle, c’est encore la

Myth and Ritual School en Angleterre ainsi que l’école scandinave ou école d’Uppsala qui ont travaillé dans

cette direction. C’est à ce dernier groupe que Balthasar se réfère. Inspiré par les recherches de l’historien des religions danois V. Grønbech, ils conçoivent le culte comme un « drame créateur ». Mowinckel (voir RGG4, vol. 5, col. 1554s.), inspiré par H. Gunkel, a appliqué ces idées aux psaumes, partageant son intérêt pour l’histoire des religions avec des collègues de Copenhague – Pedersen (voir RGG4, vol. 6, col. 1079), Bentzen – et d’Uppsala – Widengren (voir RGG4, vol. 8, col. 1515), Engnell et Alfred Haldar que Balthasar n’évoque pas. « Mais ce n’est qu’à Uppsala que s’est réellement développée un école : ici, on a repris de façon assez conséquente le schéma du culte provenant de la Myth and Ritual School, l’a développé en partie et combiné avec l’approche de l’histoire des traditions de l’iraniste H. S. Nyberg qui enseignait également à Uppsala » (Sigurd HJELDE, « Kultgeschichtliche Schule », in : RGG4, vol. 4, col. 1817s., traduit par Jean Ehret).

2 Aage BENTZEN, Messias, Moses redivivus, Menschensohn. Skizzen zum Thema Weissagung und Erfüllung,

Zürich, Zwingli Verlag, 1948.

« pensée » que comme forme de culte – culte compris d’une manière très vaste, comme célébration qui produit la réalité et en même temps la produit.

Au centre de ce mythe de fondation de l’univers se trouve la victoire de Dieu sur le chaos. Cette victoire est racontée par le mythe et elle est célébrée et renouvelée chaque année lors de la fête du nouvel an comme garantie de vie pour un temps à venir. Balthasar résume le contenu du mythe comme suit1 :

La création et le temps sont à l’origine un événement vertical : Dieu est en lutte avec le chaos (« abime », « océan », « serpent antique », « ennemi ») et c’est par sa victoire sur lui qu’il assure le monde. L’homme (primitif), qui est le représentant de Dieu, est intronisé roi sur le monde ; le roi (d’Égypte, de Sumer, de Babylone, d’Iran, des Hittites, de Canaan) représente Dieu pour le peuple, et le peuple devant Dieu ; son « temps », c’est le temps du peuple et aussi le temps du salut. Le rite qui célèbre le nouvel an (en relation avec le combat du soleil contre les ténèbres, de la végétation contre la mort) renouvelle cultuellement pour l’année qui vient la garantie du salut […].

Le mythique y est compris comme « […] l’apparition de Dieu dans le monde […]2 » qui se décline alors de façon à la fois culturellement spécifique (les auteurs soulignent toujours ce qu’il en est de la spécificité d’Israël) et dans le cadre imaginaire du mythe fondamental. Il est actualisé dans le culte et dans la structure politique3.

Les exégètes réussissent ainsi à construire une « […] figure centrale qui n’est saisissable que d’une manière étrange et nulle part clairement dans le texte, mais qui, une fois présupposée, concilie magnifiquement les contraires et jette un pont […] de l’ancienne vision du monde tout entière au christianisme4 » si bien que « […] le Christ apparaît comme l’accomplissement

1 GC 1, 533s.. 2

GC 1, 536.

3 On peut facilement retrouver les éléments structuraux mis en évidence par la « […] définition

phénoménologique […] » que Marc-Mathieu Münch (M.-M. MÜNCH, « Le mythe et la littérature », p. 20-22.) donne du mythe comme (1) récit (faisant « […] apparaître des lieux, des temps, des actions concrètes […] », anonyme, atemporel et schématique) (ibid., p. 20.), (2) fabuleux (c’est-à-dire qu’il relate « […] la présence, la volonté ou l’action, dans le monde visible, de puissances surnaturelles » – mais de quelle présence s’agit-il précisément ?), (3) significatif (Le mythe étant polymorphe, assisterions-nous en Israël à une simple réinterprétation ?) et (4) efficace (créateur de bonheur – mais c’est alors l’être humain qui crée son bonheur en faisant entrer son histoire dans le schéma du mythe) (ibid., p. 21s..).

de l’aspiration, non seulement d’Israël, mais de toutes les nations1 ». Enfin, Balthasar conclut la présentation de cette « […] construction éblouissante […]2 » par une citation qui montre comment le Christ réunit et accomplit en lui toute la mythologie ancienne.

Une telle construction semble convaincante sous plus d’un angle : d’abord, ne tient-elle pas compte du Sitz im Leben de la révélation biblique et partant de la part humaine dans la rédaction des textes, évitant de faire de l’Écriture sainte un produit fini tombé du ciel ? De plus, n’est-il pas nécessaire d’opter pour une neutralité méthodologique afin d’assurer l’objectivité des recherches ? N’est-il donc pas nécessaire de faire profession d’un athéisme méthodologique afin de ne pas contaminer les recherches par la dogmatique de quelque communauté religieuse que ce soit ? Si l’Écriture sainte est bien l’âme de toute théologie3, ne devrait-on pas en arriver à montrer à partir d’elle la vérité des dogmes ? Or ces études approfondies sur le mythe oriental montrent qu’il ne correspond nullement à une représentation cyclique du temps : c’est bien d’un temps vertical qu’il s’agit et qui laisse Dieu agir dans l’histoire. Ainsi le mythe fondamental qu’une telle approche cherche à dégager ou plutôt à reconstruire, cet archétype humain, serait alors capable de fonder les différents aspects de la tradition biblique qui en dépendraient. Enfin, elle pourrait intégrer le dogme chrétien qui fait du Christ l’alpha et l’oméga de toute la création.

De fait, au fil de l’exposé, Balthasar insère des références scripturaires, empruntées en particulier aux psaumes4, comme le début du verset 6 du psaume 46 « Ascendit Deus […] » que le rite extraordinaire de la messe5 utilise comme verset de l’alléluia de la fête de

1 GC 1, 537. 2 Ibid..

3 Voir Dei Verbum 24.

4 Les représentants de l’école scandinave ont en particulier travaillé sur les psaumes. Voir les articles dans RGG4 cités plus haut.

5 Pour cette appellation, voir BENOÎT XVI, Motu proprio « Summorum pontificum » du 7 juillet 2007,

http://www.cef.fr/catho/actus/archives/2007/20070607summorum_pontificum.pdf, art. 1 : « Le Missel romain promulgué par Paul VI est l’expression ordinaire de la « lex orandi » de l’Église catholique de rite latin. Le

l’ascension et comme antienne à l’offertoire ce jour-ci et le dimanche suivant1. Il cite encore les paroles « […] ante luciferum genui te […]2 » tirées du psaume 109 dans laquelle la liturgie chrétienne voit l’annonce du Christ comme messie. De fait ce psaume est le premier dans la célébration des vêpres chaque dimanche. Ainsi il suit la reconstruction des exégètes de l’école scandinave pour montrer comment les chants du culte juif, les psaumes, et le culte chrétien, qui les a reçus et interprétés en fonction de la passion, de la résurrection et de l’ascension du Christ, correspondent au mythe originel. En outre, l’emploi d’un champ lexical que le lecteur retrouve dans la théologie, et en particulier dans la théologie sacramentaire, favorise également son adhésion à cette présentation. Ainsi l’expression « […] représent[er] la réalité et la produi[re] » pourrait rappeler l’explication du mystère de la consécration, la présence réelle non seulement du Seigneur, mais encore de son sacrifice. La description du rôle du roi « […] représent[ant] Dieu pour le peuple, et le peuple devant Dieu […] » pourrait évoquer le rôle du prêtre pendant la messe. On pourrait continuer la série des parallèles qui montreraient comment ce schéma mythique favorise auprès du lecteur l’identification des mystères chrétiens avec les mythes anciens.

Missel romain promulgué par Saint Pie V et réédité par le Bienheureux Jean XXIII doit être considéré comme l’expression extraordinaire de la même « lex orandi » de l’Église et être honoré en raison de son usage vénérable et antique ». (Site consulté le 10 septembre 2009.) Le choix de faire référence à ce rite n’a rien de « politique » ; il s’agit de tenir compte des livres liturgiques en usage au moment où Balthasar rédige ce volume de La Gloire et

la croix.

1

L’office divin dans le rite extraordinaire reprend ce verset à plusieurs reprises comme répons bref ; il constitue en quelque sorte le refrain de la journée. Mais dans le missel de 1962, le chant du psaume 46 doit encore accompagner la distribution des rameaux le dimanche des rameaux. Ainsi il entre dans la célébration de la passion du Christ ; on y remarque déjà une interprétation de l’ascension qui est toute différente de celle de l’idéologie royale orientale. Le rite ordinaire de la messe ne fait plus référence au psaume 46 comme antienne ; il apparaît cependant comme psaume après la première lecture de la fête de l’ascension dans les trois cycles de lecture. Dans la Liturgia Horarum postconciliaire, Ps 46, 6 apparaît dans le répons à la première lecture de l’office des lectures, Ep 4, 1-24, laquelle applique au Christ l’autre verset parlant de l’ascension divine, Ps 67, 19. Enfin, le psaume 46 apparaît comme deuxième psaume des vêpres de la même fête ainsi que pendant les laudes du mercredi de la première semaine. Il y porte le titre « Dominus universorum rex » et la citation qui rappelle son interprétation christologique est tirée du Symbole des Apôtres : « Sedet ad dexteram Patris, et regni eius non erit finis ». (Voir Liturgia Horarum iuxta Ritum romanum, Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1987 (2e éd.),

vol. IV, p. 606.)

2 GC 1, 534; Ps 109 dans la traduction de la Vulgate. Voir aussi l’explication dans la Biblia Sacra juxta vulgatam

clementinam, Desclée, Rome, Tournai, Paris, 1947, p. 645 : « Oraculum de regia Messiae dignitate explanatur.

Oraculum de Messiae sacerdotio explicatur. » Dans la Liturgia Horarum, le psaume 109 porte le titre « Messias rex et sacerdos » et il est introduit par 1 Co 15, 25 : « Oportet illum regnare, donec ponat inimicos sub pedibus eius ». (Voir p. ex. Liturgia Horarum, vol. IV, p. 557.)

Tout semble donc correspondre au dogme catholique. Ceux qui craindraient que de telles découvertes soulignant la parenté entre les différentes religions ne mettent en doute la vérité et la singularité de la foi chrétienne, pourraient être rassurés parce que ces interprétations ne sont que des réflexions scientifiques sur les textes et que la foi conserverait son domaine propre. Ainsi la science peut montrer que Jésus de Nazareth a choisi le chapitre 53 d’Isaïe comme programme de l’œuvre de sa vie. Mais la foi seule pourra dire si cela correspond bien au « […] plan de Dieu sur sa vie […] » ou non. Une telle affirmation suppose déjà « […] la foi en lui, le Messie, et en Dieu qui est son Seigneur et l’auteur de sa mission1 ».

Mais quelle est cette foi à laquelle on fait allusion ? S’agit-il d’un acte de foi vide en soi ? Ou sur quoi se fonderait-il donc ? Une telle exégèse n’est-elle pas fondée sur une conception de la foi philosophique, générale, différant en tout cas de celle des sources bibliques2 ? Or ce n’est pas le seul point de litige. De fait, de cette correspondance avec la Tradition, il n’en est rien et Balthasar ne ménagera pas sa critique – à juste titre parce qu’il s’agit de la structure fondamentale de la révélation, de la question si la tradition biblique nous offre ce dont nous avons besoin pour comprendre le plan de Dieu ou si celui-ci doit toujours être reconstruit à partir des théories historiques, littéraires ou sociologiques en vogue.