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Liberté de l’art et devoir de conscience

POUR UNE LECTURE SYNESTHÉSIQUE DES ÉVANGILES

2.1.1 « N EUES » I NTERESSE AM K ATHOLIZISMUS

F. Ex Corde Ecclesiae : die Catholica und ihre Universitäten

3.2 BALTHASAR, ESTHÈTE CROYANT

3.2.1 L ES BEAUTÉS D ’ UN MONDE CORROMPU

3.2.1.1 Liberté de l’art et devoir de conscience

Le premier article, « Kunst und Religion », reproduit dans la revue viennoise Volkswohl une conférence du jeune doctorant devant un cercle académique qui s’était proposé d’étudier et d’éclaircir les questions principales de la vie littéraire catholique allemande. Balthasar était lui-même membre de ce cercle et le mouvement des associations des universitaires catholiques constitue en effet une de ses sources d’inspiration.

En 1925, il avait participé au congrès d’automne à Innsbruck1. Il avait pu y suivre les conférences de Hans Eibel et de Peter Lippert SJ, deux représentants du renouveau catholique à qui il se sait redevable. Ces congrès et les associations elles-mêmes cherchaient à faire revivre une katholische Weltanschauung authentique et à renouer les liens entre l’Église et le monde sécularisé des intellectuels et des artistes. Le Kulturkampf avait approfondi un abîme que l’histoire des idées avait laissé apparaître. Face aux interrogations philosophiques de l’époque, la pensée catholique qui se nourrissait à ses sources offrait cependant une force de

1 Cf. H. U. von BALTHASAR, « Die Innsbrucker Herbsttagung des Verbandes der Vereine katholischer Akademi-

ker », in : Schweizerische Rundschau, 25e année, 1925, p. 382-384 ; M.LOCHBRUNNER, « Hans Urs von Baltha-

sars Bericht von der Innsbrucker Herbsttagung 1925 des Verbandes der Vereine katholischer Akademiker », in :

synthèse salutaire1. À Vienne, Balthasar appartenait en effet déjà à l’association Logos, fondée en 1919, animée par les jésuites et dont Eibel était un des promoteurs2.

Résumé analytique

L’article « Kunst und Religion » est clairement structuré en trois parties. Balthasar s’intéresse au rapport de l’art et de la religion à partir de deux points de vue : il l’étudie d’abord dans la personne (357-361) et ensuite dans l’œuvre d’art (361-364). Pour conduire cette double analyse, il définit dans une première partie les expériences esthétique et religieuse dans une description phénoménologique3 générale, isolée de tout rapport à une personne et une œuvre données. Sur quels fondements construit-il donc sa réflexion ?

Pour cerner l’expérience esthétique, Balthasar refuse d’abord (354-355) de la réduire à un simple prélude ou à un stade épistémologique intermédiaire. Il la considère au contraire comme un acte sui generis ; il faut donc préciser la spécificité de cet acte. S’appuyant sur Georg Simmel4, Balthasar définit l’œuvre d’art comme un monde isolé : elle n’est pas déterminée par son contenu ni par l’état d’âme de l’artiste. Elle est régie par ses propres normes. Pour devenir œuvre d’art, tout objet matériel, le monde concret, réel et le religieux aussi, doit se soumettre à l’intention artistique de donner forme. Cette forme est une loi qui habitera le contenu ; elle ne sera pas tirée de celui-ci, mais il deviendra son expression. Cette loi est en plus individuelle : chaque œuvre est formée par une idée propre qui doit également se dégager à la réception. Voilà pourquoi l’art a été considéré comme un jeu, comme une occupation qui manque de sérieux parce que son regard traverse sans aucune résistance les

1 La revue Schweizerische Rundschau, diffusée de 1900 à 1978, fut également un organe lié aux associations des

universitaires catholiques suisses. Rentrant à Zurich, Balthasar s’inscrivit à la Renaissance Akademisch-

wissenschaftliche Gesellschaft Zürich. Ce ne fut qu’agir en continuité.

2 Cf. M. LOCHBRUNNER, « Hans Urs von Balthasars Bericht », p. 462s..

3 Le terme phénoménologique revient à deux reprises dans l’article : p. 354 et 357.

4 Il cite cet auteur à plusieurs reprises sans indiquer de source précise. – Georg Simmel (1858-1918) est un

philosophe et sociologue allemand ; représentant du néokantisme relativiste, il voulut éviter l’écueil de l’abstraction, du formalisme de l’a priori kantien et celui de la dispersion dans la diversité des faits.

données concrètes, massives de la vie pour aboutir dans l’éternel, l’idéal et l’essentiel. L’art flotte entre le concret et l’idée, il plane entre deux domaines. C’est ce qui lui donne sa puissance de ravissement : l’art est l’expérience que je suis – dans une certaine limite – par moi-même libre des contingences du monde concret.

La deuxième démarche (355-357) consiste à décrire l’essence de la valeur religieuse. Pour Balthasar, cet acte ne peut être saisi de façon idoine qu’à partir du phénomène de la conscience. Il n’utilise pas le terme dans le sens étroit courant ; il emprunte une acception plus profonde à Newman (1809-1890). La conscience est décrite comme un fait paradoxal : centre de la personne, elle est également le lieu où celle-ci se dépasse. Notre sentiment naturel du devoir éprouve en effet de façon imprécise une approbation de nos actes à partir d’une instance inscrite en nous en même temps qu’elle nous dépasse. Balthasar interprète ce caractère dialogique comme renvoi à un législateur supérieur. La conscience nous offre donc la perception la plus réelle de Dieu et en même temps une hiérarchie de valeurs et d’antinomies ultimes, indépassables et irréversibles. Or celles-ci sont une vérité non pas générale et intemporelle abstraite de la vie réelle, mais au plus haut degré concrète, actualisée à tout instant précis, exigeant de l’homme dans l’instant historique une décision qui le situe par rapport aux valeurs suprêmes. Il en va de même pour l’acte religieux ; c’est dans le hic et

nunc que s’actualise ce que Balthasar appellera dans sa thèse doctorale l’attitude

eschatologique. L’acte religieux différant de l’acte esthétique, l’homme y expérimente aussi une autre liberté : elle inclut le paradoxe de la conscience quand l’expérience de la contingence rejoint celle d’une sécurité absolue offerte par un être personnel absolu.

Dans un souci de clarté, nous avons résumé dans la deuxième démarche uniquement la description bien que Balthasar l’ait constamment comparé à l’acte esthétique. Ceci tient d’une part à ses sources religieuses : Newman établit également ce rapport. Et d’autre part cela tient à l’héritage de certaines autorités littéraires : Balthasar refuse l’attitude de Goethe qui tendait

à réduire la religion à un moyen esthétique. Les deux références témoignent tant du rapport intrinsèque des expériences esthétiques et religieuses de Balthasar que de son souci de ne pas être dupe d’une projection de son imagination. Il s’efforce par tous les moyens de distinguer clairement les deux actes et de construire un dialogue entre les deux domaines.

Ainsi la deuxième partie de la conférence (357-361) aborde ce rapport à l’intérieur de la personne. Balthasar l’introduit (357) en présentant l’origine de l’antagonisme irréductible entre l’art et la religion chez Kierkegaard. Il reprend le résultat de l’analyse précédente : l’art est en fait un processus d’abstraction – certes différent de la démarche logique – mais il refuse de se situer par rapport à la réalité. C’est pourquoi l’attitude esthétique menace l’attitude religieuse. Exigeant que la personne individuelle se décide dans les situations concrètes par rapport à son destin éternel, la religion ne cherche pas le plaisir mais rappelle la responsabilité.

Pour résoudre ce dilemme, Balthasar développe dans un premier temps (358-359) une épistémologie psychologique et objective. Elle présuppose une structure hiérarchisée dans le monde des objets à laquelle correspond dans le sujet observateur une fonction disposant de plusieurs sphères réceptives. La connaissance d’un objet suppose que l’homme « l’écoute1 » et lui réponde avec la sphère épistémologique qui lui correspond. C’est en fait l’objet qui découvre et actualise un certain potentiel en moi. Celui-ci correspond à une sphère d’autant plus profonde, plus proche de mon centre intime, que l’objet est plus élevé et plus riche en valeurs. Or je deviens d’autant plus libre que j’actualise les couches les plus profondes et les plus personnelles de moi-même. La liberté est donc paradoxale puisqu’elle dépend de ma volonté de m’ouvrir à un objet, à autrui. Telle attitude est une performance éthique qui ne va pas de soi. Les différentes sphères psychiques sont par ailleurs autonomes et indépendantes ; l’unité de la personne constitue leur lien. Balthasar emprunte cette conception de l’unité de la

personne à Eduard Spranger. Il fait encore remarquer que le champ épistémologique est évidemment d’autant plus large que le point de vue est élevé. L’actualisation d’une sphère psychique plus profonde englobe donc les connaissances des sphères situées plus à la périphérie de la personne.

Dans un deuxième temps (359-361), Balthasar applique ces considérations au rapport entre l’art et la religion. Chaque objet désire évidemment actualiser sa couche spécifique correspondante, même si on peut absolutiser un point de vue, celui de l’esthétique par exemple. Mais, dans ce cas, on n’atteint jamais le centre de l’objet ; on n’en garde qu’une connaissance superficielle. Il en est ainsi pour le domaine religieux qui demande d’être saisi en premier lieu par l’acte religieux, correspondant à la sphère la plus profonde de l’homme ; il intègre donc l’apport des autres points de vue. Mais on constate également que l’expérience religieuse, éthique, personnelle est accompagnée par l’expérience d’une beauté nouvelle : aux valeurs suprêmes, l’homme réagit spontanément par la sensibilité esthétique. C’est ainsi qu’on peut comprendre la sentence scolastique : Pulchrum quasi splendor veritatis. Comment expliquer cela ?

Il ne faut pas croire que l’art ait asservi la religion. L’homme est simplement capable de faire une expérience double. Cette constatation apparemment paradoxale est éclairée par la loi fondamentale du « tout en tout », énoncée par Spranger. L’homme peut à la fois être conscient de sa responsabilité religieuse et s’adonner à la légèreté de l’illusion artistique. L’art ne détruit donc pas nécessairement le religieux qui entre en lui. Et l’ultime beauté d’un objet ne peut même être appréciée qu’à partir de ce point de vue suprême. L’intuition esthétique du cosmos, du monde et de l’homme, même si elle est teintée d’éthique, n’est cependant pas encore un acte religieux. Celui-ci reste un acte spécifique qui ne va pas rétrécir ce don intuitif, mais l’accomplir et lui attribuer sa place dans l’ensemble de la personne. Ainsi la religion ne menace pas la beauté ; si Platon et Kierkegaard témoignent néanmoins du contraire, leur

réaction passionnée trouve pour Balthasar son explication dans leur ressentiment personnel vis-à-vis de l’art.

Reste encore à préciser que l’expérience peut avoir lieu conjointement dans deux couches psychiques, mais l’homme ne peut jamais à tout instant actualiser explicitement chaque couche psychique. Il ne fait pas à chaque fois un acte religieux spécifique ; ceux-ci sont peut- être même peu nombreux. Leurs effets, la conscience même d’avoir pris une telle décision peuvent par contre être contenus implicitement en chaque acte psychique.

Pour conclure, Balthasar synthétise son propos : l’esthétisme absolu ne peut saisir l’essence de la religion. Le phénomène de l’actualisation simultanée de plusieurs couches psychiques permet que l’art ne trouve pas un obstacle invincible dans la religion, mais qu’il acquière de nouvelles valeurs à travers elle. Ainsi se confirme le principe fondamental de la philosophie : celui qui dispose de l’approche la plus englobante, a finalement raison.

La troisième partie (360-365) analyse alors le rapport de l’art et de la religion dans l’œuvre. Le phénomène religieux peut apparaître sous deux formes : d’un côté il y a les données concrètes de la religion pouvant devenir le sujet d’une œuvre, d’un autre côté les valeurs religieuses subjectives de l’âme de l’artiste peuvent imprégner cette œuvre, même si elle ne traite pas un sujet explicitement religieux. Qu’y a-t-il alors de spécifiquement religieux dans une œuvre ?

Avant de répondre à cette question, Balthasar fait remarquer que l’art n’est jamais ce qu’il représente1 ; il affirme de nouveau qu’aucune continuité ne relie la qualité esthétique et la qualité religieuse. Renvoyant au mythe de l’anamnèse chez Platon, il considère que l’art religieux peut motiver un acte religieux. Il aborde ensuite son sujet.

Le religieux peut être présent de deux manières dans l’œuvre : il peut toucher le contenu et les moyens. Dans le premier cas, la religiosité de l’artiste peut motiver le choix du sujet et influencer le regard qu’il porte sur lui. La conception du contenu diffère alors de celle d’un non-chrétien. Les moyens d’expression doivent susciter des associations ou des expériences religieuses. Balthasar distingue les moyens primaires et secondaires. Les premiers ont un rapport très profond avec les expériences religieuses. On ne peut pas l’expliquer davantage, mais seulement l’observer phénoménologiquement. Les exemples que Balthasar cite sont la lumière et l’étendue. Tandis que ceux-ci ont une valeur universelle, les moyens secondaires sont ceux qui sont déterminés par l’usage et les conventions. Dès que l’œuvre utilise de tels moyens, le récepteur religieux peut être saisi religieusement même par une œuvre qui n’avait pas été conçue comme telle par l’artiste. Balthasar n’ignore pas non plus que les différents arts disposent de possibilités d’expression religieuse qui varient fortement.

En plus, la grande diversité historique des formes artistiques met en cause l’existence des moyens primaires et semble nier toute universalité de l’art, rendant tout jugement universel impossible. Pour sortir de l’impasse, Balthasar se demande comment nous construisons nos jugements. Nous le faisons par rapport à une valeur suprême. Le jugement esthétique se fait par rapport à une valeur absolue du beau qui ne se trouve évidemment pas dans le phénoménal, mais dans la sphère ontologique. Elle est donc identique à l’être comme tel. Désigner un objet comme beau signifie donc approuver son existence ontologique. Or ceci ne semble rien dire sur le phénomène. Quelle garantie avons-nous en effet de ne pas nous tromper ? Qui nous dit que le phénoménal correspond réellement au beau ? La différence des goûts semble prouver qu’il est définitivement impossible d’accéder à la fin dernière. Ce que nous considérons comme quelque chose d’absolu ne serait alors que le résultat de nos extrapolations formelles et rien de réel ne lui correspondrait.

Balthasar répond que les valeurs ontologiques se reflètent en effet de multiples façons en l’homme. Il faut donc trouver un critère de jugement qui soit à la fois anthropologique et universel. C’est pourquoi Balthasar s’interroge sur la nature de l’homme que nous considérons donc comme la mesure de toute chose. C’est, comme le dit Platon, celui qui approche le centre de sa personne en se dépassant continuellement au niveau éthique. Le but de ce chemin sont les valeurs qui sont des postulats jamais atteints ; ils ne sont cependant pas une règle générale, mais une loi individuelle qui est inscrite en nous, la loi de la conscience. Celle-ci est considérée comme le centre de la personne. C’est en référence à celle-ci que l’homme doit agir pour être dans le vrai, le bien et le beau.

Mais comment connaître cette beauté ? L’addition et la distillation des expériences de beauté constituent une approche asymptotique de la valeur absolue. Balthasar illustre son propos par une comparaison. Aux syllogismes, nous réagissons par un acte de certitude. Or le syllogisme n’est vrai que dans l’abstrait ; il n’est que probable dans le concret. De même les impressions convergentes de beauté ne sont jamais la beauté en elle-même, bien que nous réagissions néanmoins avec le sentiment de rencontrer la beauté absolue.

La loi de la conscience nous garantit donc l’existence d’une valeur esthétique absolue qui fonde une communauté entre tous les hommes. Ce n’est que celui qui a tué la loi de l’homme en lui qui ne peut plus éveiller à une vie nouvelle les idées figées dans l’art. L’homme ne retrouve dans l’art des valeurs religieuses qu’à condition qu’il les ait expérimentées auparavant. Balthasar explique cette conception des choses en comparant la réception de l’art à un dialogue. Pour que l’un des protagonistes comprenne l’autre il est nécessaire que la réceptivité soit assurée. Il faut de même que le spectateur soit capable de répondre à l’œuvre au niveau où elle l’interpelle et qu’il y soit disposé.

Balthasar conclut que le rapport juste entre l’art et la religion n’est jamais définitivement acquis. Les deux domaines peuvent se menacer mutuellement. Puisqu’en dernier lieu l’art

n’est pas sérieux, la religion le considère comme insuffisant, voire comme totalement insignifiant. Mais l’art peut encore davantage menacer la religion parce qu’il cherche constamment à relâcher la tension pénible entre les domaines respectifs des valeurs esthétiques et religieuses. La performance éthique consiste à la maintenir et à ne mépriser ni ce qui est unique et concret, ni ce qui est l’éternel général. Mener cette bataille continue semble être le devoir éminent des hommes catholiques.

Commentaire

Quand on lit et résume la conférence de Balthasar, on est d’abord confronté à un esprit brillant, brûlant de répondre à partir de ses lectures et de ses notes de cours à une question existentielle. Nombreux sont les éléments qui tournent dans sa tête, profondes les impressions qui inquiètent son âme et l’on comprend le style assez tourmenté de la conférence. Ne pas renier l’art, ne pas être infidèle à Dieu :

Deux âmes, hélas ! se partagent mon sein, et chacune d’elle veut se séparer de l’autre : l’une, ardente d’amour, s’attache au monde par le moyen des organes du corps ; un mouvement surnaturel entraîne l’autre loin des ténèbres, vers les hautes demeures de nos aïeux1.

Le renvoi à Goethe n’est pas fortuit ; Balthasar l’ayant évoqué lui-même. Voici la foi vivante et sa promesse de vie qui lutte avec le plaisir gratuit de l’art face au déclin du monde. Car Balthasar sait que l’art offre à l’homme ce flottement désintéressé. Mais la religion ne sait pas trop que faire de cette liberté vagabonde et la conscience religieuse du jeune étudiant est exacerbée par les impressions funèbres d’un monde viennois en déclin :

Le panthéisme déchiré de Mahler me touchait profondément. Je découvrais Nietzsche, Hofmannsthal, George, l’atmosphère de fin du monde de Karl Kraus, la corruption

manifeste d’une civilisation déchirante. Comme j’étudiais la « germanistique », je cherchai à éclairer ces mille phénomènes dans une perspective chrétienne1.

Le lecteur non averti passe rapidement sur le nom de Karl Kraus. Quand on lit cependant le résumé de sa pièce Die letzten Tage der Menschheit (Les derniers jours de l’humanité)2, on comprend mieux la réaction de Balthasar. Rédigée entre 1915 et 1917, cette satire de l’Autriche pendant la première guerre mondiale compte plus de deux cents scènes reflétant la vie au front et dans les familles. Les dirigeants sont ignorants et irresponsables, les militaires prennent la vie du bon côté ou dégénèrent en animaux sadiques. La patrie apparaît comme un dépotoir de planqués, de trafiquants, de carriéristes et de profiteurs de guerre. La presse et la littérature sont dominées par une rhétorique vénale et l’aliénation du sens. À la fin retentit la voix de Dieu : « Je ne l’ai pas voulu ». Comment ne pas comprendre que Balthasar cherche par tous les moyens à renouer les liens entre l’art qui le passionne et Dieu ? Comment s’étonner qu’il insiste sur la « loi de la conscience » et les obligations qui en découlent ? Après son retour en Suisse, le problème du rapport entre art et littérature se posera différemment.