• Aucun résultat trouvé

Héritages théologiques et culturels

« L EBENSEFFEKT » ALS ALLGEMEINEM ÄSTHETISCHEN K RITERIUM UND L ESER

1.1 BIBLE, MYTHE ET FIGURE DE LA RÉVÉLATION

1.1.1 A NTAGONISMES THÉOLOGIQUES

1.1.1.2 Héritages théologiques et culturels

Après le déclin et la disparition des pratiques religieuses païennes, les Pères de l’Église et la scolastique ont largement intégré l’héritage culturel antique sans que des tendances inverses

1 M.-M. MÜNCH, L’Effet de vie, p. 270 et 274. 2 Ibid., p. 20.

ne cessent cependant d’exister. Elles se manifestent fortement pendant la Renaissance quand les caractéristiques du Dieu chrétien vont jusqu’à se dissoudre dans le néoplatonisme et que la culture antique revit si bien que ses adeptes développent des espaces de vie différant de la praxis ecclésiale. Dans le domaine artistique, la référence aux dieux antiques, morts depuis longtemps, dénonce alors le caractère purement fictif et donc autonome de toute création artistique, l’affranchissant ainsi de sa soumission aux impératifs de vérité chrétienne. La sécularisation va de pair avec la production de différents espaces de vérité engendrant la fragmentation de l’unité de vie que le christianisme avait produite jusqu’alors.

La Réforme impose une rupture radicale, l’Écriture sainte ayant seule autorité. Dans ce contexte, il ne peut exister d’espace de vie autonome ; tout est strictement soumis au jugement de Dieu – et donc aux prescriptions bibliques – et le chrétien se doit d’adopter une attitude adéquate. Chez les puritains anglais, il faut désormais opter pour le Jourdain contre l’Hélicon et créer une culture chrétienne originale1. Un exemple parmi d’autres, Milton fait de l’éducation classique la deuxième tentation du Christ dans son Paradise regained2. Accusée de frivolité et d’un manque de substance et de vérité, l’Antiquité continue de former cependant son style, sa langue, son inspiration. En fait, Milton le ressent et, pour sortir de ce dilemme, distingue deux conceptions de la fiction : elle est mensonge et tromperie dans la tradition païenne, mais apparence et apparat pour la vérité chrétienne. Il rejoint l’idée de Sir Philip Sidney3 que la fiction est une forme d’expression de la vérité, mais il faudra encore des siècles pour que l’on admette que la vérité chrétienne est aussi tributaire du langage qui n’est jamais d’une transparence ni donc d’une objectivité totales.

1

Cf. Aleida ASSMAN, « Jordan und Helikon – Der Kampf der zwei Kulturen in der abendländischen Tradition », in : J. EBACH et R. FABER (éd.), Bibel und Literatur, München, Fink, 1995, p. 97-112.

2 John M

ILTON, Paradise Regained, Electronic Text Center, University of Virginia, http://etext.virginia.

edu/toc/modeng/public/MilPRef.html, v. p. 338ss.. (Site consulté le 9 mai 2009.)

3 Sir Philip S

IDNEY, Apology for Poetry, éd. par F. G. Robinson, Indianapolis, New York, Bobbs-Merrill, coll.

La prédication de la contre-réforme catholique ne s’appuie pas uniquement sur la Bible ; elle y fait référence pour souligner la vérité des dogmes catholiques créant de la pluralité des textes et interprétations un « mythe chrétien » unique, une lecture réglée justifiée par la Tradition apostolique exprimée dans la profession de foi et la liturgie, et défendue par les institutions ecclésiales. Ainsi Ansgar Hillach montre comment Calderón unit deux tendances coexistant à son époque : celle des jésuites réduisant les mythes antiques à une signification typologique et celle de Baltasar de Vitorias « sauvant la plénitude narrative des mythes de la dogmatique1 » en les présentant dans leur diversité historique. En fait, le génie de Calderón est une exception ; généralement le dogme limite en tant que « règle de lecture » la polysémie des interprétations mythiques et bibliques, créant par la cohérence des interprétations une cohérence dans la relation entre vie individuelle et communautaire. La réforme ne reconnaissant pas de telle norme se divise en plusieurs communautés représentants différents régimes de lecture.

Ces deux références ne voulaient qu’illustrer la tension continue entre mythe et Bible et leur importance, leur connivence ou leur opposition dans la vie des arts et la constitution des espaces de vie. La sécularisation amorcée à la Renaissance ne s’est cependant pas arrêtée ; le siècle des Lumières l’a radicalisée. L’histoire et la philologie ont mis en question l’autorité de la Bible et plus d’une crise politique a ébranlé l’autorité de l’Église. La littérature a résolument affirmé son autonomie et les références littéraires aux textes bibliques se distinguent de leur lecture croyante. Si le « mythe chrétien » revit chez certains auteurs français tels Chateaubriand ou Balzac, c’est plutôt pour répondre à leur désir de contribuer à la stabilité politique. Plus qu’ils ne croient en la Bible, ils reconnaissent la puissance de cohérence tant de la religion catholique que de ses institutions2.

1 Ansgar H

ILLACH, « “Der wahre Gott Pan” », in : J. EBACH et R. FABER (éd.), Bibel und Literatur, p. 89,

« [Damit] rettet er die narrative Fülle vor der kirchlichen Dogmatik ».

2 En ce qui concerne Balzac, son interprétation catholique et la récupération, voire la substitution de la religion

par l’art, cf. Jean EHRET, Art de Dieu Art des Hommes. L’esthétique théologique face au pluriel du beau et au singulier de l’art, Lille, ANRT, 2007, p. 75-87.

1.1.1.3 Bilan

Cette première partie a rappelé l’origine de l’opposition théologique au mythe et a illustré celle-ci. En effet, seul le Christ est « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6) ; il est l’origine et la perfection de toute existence cosmique, sociale et individuelle (cf. Ep 1, 10) si bien que l’Église, à moins de se transformer en communauté différente, ne peut accepter aucune autre narration ni aucun autre culte : elle est le peuple choisi par Dieu et c’est de cette relation qu’elle reçoit son identité. Le jugement que Saint Paul porte sur les mythes n’est que la conséquence logique de cette foi et un élément de la nécessaire éducation continue des fidèles exposés à tant d’autres propositions existentielles.

Dans les pages précédentes, la question pourquoi le « mythe chrétien » a pu évincer les mythes grecques et romains n’a pas été abordée ; de même on n’a pas approfondi la question comment, pourquoi et en quel sens la « renaissance » de l’intérêt pour les dieux antiques peut être considérée comme l’indice narratologique d’une distanciation par rapport au modèle holistique chrétien et le début d’une (nouvelle) prise de conscience de « l’autonomie » des réalités humaines dont la langue fait partie. La confrontation et la concurrence de deux récits fondamentaux de cohérence porte alors à dire que le « mythe » est d’abord en soi, avant de juger de l’extérieur de sa vérité, une structure narrative dont Münch a souligné les caractéristiques. Structurant les rapports à Dieu, à l’univers, aux autres et à soi-même, elle est certes toujours liée à un contenu, mais elle n’est pas limitée à un contenu spécifique. Or cette distinction entre une forme abstraite qui n’existe pas en tant que telle dans la réalité et la forme concrète liée à un contenu dans un contexte culturel donné, ne va pas toujours de soi. En théologie, on peut en effet observer qu’une certaine attitude assez eurocentriste a continué jusqu’au vingtième siècle à identifier mythe et mythologie grecque ou romaine ; elle n’a donc

pas passé au niveau d’une définition structurelle, linguistique ou ethno-religieuse1, mais continue à identifier un contenu et sa forme. Ceci vaut aussi pour les historiens qui cherchent à démontrer que la Bible ne dit pas plus vrai que les écrits d’autres religions et que tous ces textes ne sont que des… « mythes ». Dans le domaine catholique, le Père Ceslas Spicq par exemple critique « les littérateurs [qui] emploient le terme et la notion de mythe de la façon la plus équivoque2 ». Tout un système téléologique de réorganisation et d’interprétation des données linguistiques se met en place chez lui pour créer une interprétation confirmant le jugement de l’Écriture sainte, absolutisant ainsi un état historique de la discussion sans en arriver à formuler le problème heuristique qui se pose. Une telle attitude qui cherche à préserver les données de la Révélation – ce qui est évidemment nécessaire – ne peut cependant s’imposer à la longue sans fonder de communauté à part puisqu’elle ne peut se soustraire que passagèrement à l’apport et à la raison de nouvelles données changeant la représentation du monde, de l’être humain et de Dieu. Or il faut tenir compte de celles-ci, sans trop se laisser fasciner par l’idée du progrès, les situer dans leur contexte herméneutique originel et bien comprendre leur portée avant des les intégrer dans une relation vivante avec Dieu au cœur de l’Église. Voici une exigence qui est loin d’être simple.

Depuis le milieu du XXe siècle, la théologie (catholique) a évolué, voire éclaté. Elle reconnaît

dans une approche comparatiste la parenté du mythe comme structure de pensée et de la Bible comme parole de Dieu s’articulant en langage humain ; il importe d’en souligner les spécificités respectives sans abandonner la prétention de la théologie à rendre un témoignage fidèle à la Vérité3. Admettons néanmoins que dans la prédication ou dans les contributions de

1 Cf. M.-M. M

ÜNCH, L’Effet de vie, p. 271.

2 Ceslas S

PICQ, Lexique théologique du Nouveau Testament, Fribourg, Paris, Éd. Universitaires de Fribourg, Éd.

du Cerf, 1991 (2e éd.), p. 1052, voir aussi p. 1057.

3 Pour évaluer l’évolution de la théologie catholique au XXe siècle, on peut comparer les entrées « Mythos » et

« Theologie » dans les trois éditions du Lexikon für Theologie und Kirche éditées par la maison Herder respectivement dans les années 30, 60 et 90 du XXe siècle. L’encyclopédie théologique protestante Theologische

Realenzyklopädie, éditée par la maison Walter de Gruyter, offre des articles approfondis et une bibliographie

vulgarisation, l’expression « mythe biblique » reste problématique vu les connotations mensongères et péjoratives s’attachant au sens populaire du terme « mythe ». Mais dans le cadre universitaire et scientifique, l’expression « mythe biblique » n’est plus en soi une

contradictio in terminis. Signifiant le mythe de la Bible, elle peut désigner soit un récit, thème

ou figure à caractère mythique de la Bible, soit la Bible comme mythe, soit le mythe fondateur de la Bible. Cette dernière acception retiendra notre attention dans la suite.