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Le traité de Duhamel (1856)

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 198-0)

PARTIE 3 : LA PRATIQUE DE LA QUANTIFICATION CHEZ LES ETUDIANTS : L’EXEMPLE DE

2. QUELQUES EXEMPLES HISTORIQUES EN ANALYSE

2.2.2 Le traité de Duhamel (1856)

Lacroix dans ce que j’interprète comme un jeu d’intérieur. Sa présence peut se comprendre comme la volonté de s’assurer de la conservation de la relation l’égalité par le passage à la différentielle. Dans l’enseignement contemporain, ce type de résultats est obtenu comme une conséquence de la propriété d’unicité de la limite puisque la notion de limite est plus fondamentale, sur le plan de l’organisation théorique moderne, que celle de dérivée ou de différentielle. La preuve repose alors sur deux processus d’instanciation universelle conduisant à l’introduction de deux lettres de constante vérifiant la même propriété (être le limite d’une fonction donnée). On montre alors qu’il y a égalité entre les lettres introduites.

Ce qui me semble intéressant dans la preuve de Lacroix est le fait qu’il introduise les lettres p et q à partir d’instanciation réalisée sur des énoncés impliquant deux lettres de fonction distinctes. Cette différence de forme peut s’interpréter au regard du caractère premier de la notion de différentielle chez Lacroix. Regarder l’existence de la différentielle comme un fait analytique me semble impliquer d’adopter dans un même temps et de manière implicite une forme d’unicité de cette différentielle. Selon cette analyse, l’objectif de la preuve ci-dessus est davantage de s’assurer que deux fonctions égales, au sens de l’égalité des valeurs prises par ces fonctions, qu’il me semble important de ne pas confondre avec l’identité entre fonctions même si la distinction échappe à une analyse mathématique ayant clarifié le concept, ont bien les mêmes différentielles. Autrement dit, l’argument me semble autant porter sur la notion de fonction70 que sur celle de différentielle. Comme je l’ai affirmé ci-dessus, la considération pratique de la différentiabilité comme quelque chose d’inanalysable absorbe et empêche d’émerger une partie de la complexité liée à la quantification. D’autre part, l’usage du vocabulaire de la variation ne permet pas non plus une définition précise de la notion de fonction. La preuve ci-dessus me semble avoir pour objectif de préciser le rapport entre les concepts de différentiation et de fonction, un rapport qui sera plus tard pris en compte par la définition en ε - δ de la différentielle.

2.2.2 Le traité de Duhamel (1856)

70 « Pour exprimer qu’une quantité dépend d’une ou de plusieurs autres, soit par des opérations

quelconques, soit même par des relations impossibles à assigner algébriquement, mais dont l’existence est déterminée par des conditions certaines, on dit que la première est fonction des autres. L’usage de ce mot en éclaircira la signification. » (Lacroix, § 2, je souligne).

Dans ce chapitre, j’aborde la question de la place de la quantification dans Duhamel (1856). Cet ouvrage est le premier de ce que Zerner appelle la deuxième génération. Le traité est organisé en trois livres. Les éléments qui suivent sont extraits des deux premiers qui sont intitulés « Des quantités considérées comme limites » et « Calcul des dérivées et différentielles des fonctions. Calcul inverse ou intégration des différentielles ». Le troisième livre « Des limites de sommes. Calcul inverse du calcul différentiel » est en effet plutôt consacré à l’intégration. Au niveau du vocabulaire, le terme de grandeur est toujours utilisé aussi bien pour parler des suites et des fonctions que pour parler des nombres. Selon l’objet qui est visé, il peut à nouveau se trouver associé aux qualificatifs de « constante » ou de

« variable ». Le principe de substitution, qui fait partie des éléments caractéristiques des traités de deuxième génération, apparaît dès la préface de l’ouvrage. Il est présenté comme un outil fondamental de simplification des calculs :

« Dans toutes ces recherches, on fait un fréquent usage d’un principe général très simple, qui consiste en ce que la limite d’une somme d’infiniment petits n’est pas changée, quand on altère ses éléments de quantités infiniment petites par rapport à eux-mêmes ; ou en d’autres termes, quand on remplace ces éléments par d’autres dont les rapports avec les premiers ont respectivement pour limite l’unité. […] Nous sommes passé ensuite à la considération des limites de rapports d’infiniment petits ; le principe précédent s’y applique encore, et les limites ne sont pas changées quand on altère les termes variables des rapports, de quantités infiniment petites par rapport à ces termes. » (Duhamel, préface)

On peut également noter que, même si la question de la construction n’est pas abordée, l’ouvrage commence par une tentative de caractérisation de l’égalité des nombres réels. J’ai souligné plus haut le lien qu’il y a entre la construction des nombres réels et la possibilité du développement d’un usage mathématique d’une quantification qui puisse permettre d’agir efficacement sur ces nombres. Duhamel caractérise l’égalité de deux « incommensurables » x et y par l’existence d’une suite d’entiers bnqui « croissent indéfiniment » et telle que pour tout n et pour tout a (je reformule pour plus de concision en utilisant un langage symbolique et quantifié que Duhamel n’utilise pas) :

n

Il montre ensuite que cette caractérisation ne dépend pas de la suite bn choisie, ce qui revient, à la manière des coupures de Dedekind71, à caractériser les irrationnels par la donnée des rationnels qui sont plus petits et de ceux qui sont plus grands. Après avoir défini la notion de limite, Duhamel revient sur cette caractérisation et constate que les « incommensurables » sont limites de « commensurables » et donc « que tous les principes des limites y sont applicables » (Duhamel, § 14). La notion de limite est définie de la manière suivante :

« Lorsqu’une grandeur prend successivement des valeurs qui se rapprochent de plus en plus de celle d’une grandeur constante, de telle sorte que la différence avec cette dernière puisse devenir et rester moindre que toute grandeur désignée, soit que la variable soit toujours au-dessous, toujours au-dessus, ou tantôt au-dessous et tantôt au-dessus de la constante, on dit que la première approche indéfiniment de la seconde, et que celle-ci en est la limite. » (Duhamel,

§ 5)

Dans cette définition, on peut observer la cohabitation du vocabulaire de la substitution et de celui de la variation. Par exemple, le terme « successivement » sous-entend que la

« grandeur » prenne plusieurs valeurs différentes par un processus de réitération plutôt que par un processus de modification intrinsèque. Il fait néanmoins référence à un processus temporel. Les deux approches de la variation, substitution et variation, continueront à être employée tout au long du texte. Selon l’objet qui est visé, le terme de grandeur peut se trouver associé aux qualificatifs de « constante » ou de « variable ». Ceci dit, il faut noter un changement important sur l’espace, physique et conceptuel, que la notion de limite occupe dans ce traité en comparaison de celui de Lacroix. Au niveau du volume, un chapitre entier, bien que relativement court, est consacré à la notion. Si l’on fait abstraction du chapitre sur les nombres, ce chapitre occupe la place qu’occupait le chapitre consacré à la notion de différentielle dans l’ouvrage de Lacroix. Au niveau conceptuel, la notion de limite, et celle d’infiniment petit défini comme « grandeur variable dont la limite est zéro », remplace celle de différentielle dans la construction du cours. Duhamel revendique ce choix dans sa préface :

« La notion des infiniment petit remonte à Archimède ; elle s’est présentée d’elle-même dans la mesure des grandeurs géométriques, aussitôt qu’on a voulu considérer les aires de courbes différentes du cercle, ou les volumes de corps

71 Néanmoins, l’approche de Duhamel se rapproche plus de celle d’Euclide que de celle de Dedekind dans la mesure où l’équivalence précédente ne dit pas ce que sont x et y. Elle donne seulement une caractérisation de l’égalité qui suppose qu’une relation d’ordre ait été construite pour les nombres réels. L’utilisation de la notion de « grandeur » comme sous-jacente à la construction des nombres (cf.

le paragraphe sur Bolzano) masque cette nécessité (sur ces questions voir en particulier la correspondance entre Dedekind et Lipschitz publiée dans Dedekind (2006)).

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