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Au niveau des jeux d’extérieur

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PARTIE 3 : LA PRATIQUE DE LA QUANTIFICATION CHEZ LES ETUDIANTS : L’EXEMPLE DE

1. LES EXPLICATIONS LOGIQUES DE LA QUANTIFICATION

1.2 Au niveau des jeux d’extérieur

Dans ce paragraphe, je reviens sur deux jeux d’extérieur qui ont déjà été présentés dans les parties précédentes. Je commence par la Théorie des Modèles issue des travaux de Tarski. La notion de satisfaction d’une phrase ouverte est évoquée dans la première partie (chapitre 3, paragraphe 5) et la convention T, fondement d’une approche vériconditionnelle de la vérité, dans la deuxième partie (chapitre 2, paragraphe 1). La théorie des modèles propose une explication sémantique de la notion de vérité pour les langages formalisés. Etant donné un langage et un ensemble, le domaine d’interprétation, sur lequel ce langage puisse être interprété, l’explication de la notion de vérité se construit à partir de l’explication par induction d’une autre notion, celle de satisfaction. Pour ce qui est des connecteurs logiques, la méthode est la même que pour l’explication de la notion de vérité dans le calcul des propositions. Par exemple, on dira que AB est satisfaite dans le domaine d’interprétation si A est satisfaite dans le domaine d’interprétation et B également ; on dira que ¬A est satisfaite si A n’est pas satisfaite etc. La notion de satisfaction permet surtout d’étendre ce procédé aux quantificateurs. La définition est la suivante :

- ∀xP(x) est satisfaite dans le domaine d’interprétation si pour tous les objets a du domaine d’interprétation P(a) est satisfaite dans le domaine d’interprétation.

- ∃xP(x) est satisfaite dans le domaine d’interprétation si il y a un objet a du domaine d’interprétation tel que P(a) est satisfaite dans le domaine d’interprétation.

Il reste alors à donner la définition de la satisfaction d’une proposition atomique pour clore la définition récursive de la satisfaction. C’est à ce moment que le domaine d’interprétation intervient de manière indispensable. Tarski procède de la manière suivante :

Pour tout a, a satisfait la fonction propositionnelle « x est blanc » si et seulement

si a est blanc. (Tarski, 1972, p. 193)

Ceci donne, pour la forme que j’ai choisie pour la définition, la proposition atomique )

,..., ,

(a1 a2 an

P est satisfaite si la suite d’objets (a1,a2,...,an) satisfait la fonction propositionnelleP(x1,x2,...,xn), c'est-à-dire si P

(

a2,a2,...,an

)

. Les barres horizontales sont là pour signifier (dans un métalangage à distinguer du langage utilisé pour écrireP(a1,a2,...,an)) que P

(

a2,a2,...,an

)

doit être regardé comme l’interprétation dans le domaine d’interprétation de )P(a1,a2,...,an . En terme ensembliste, on pourrait dire la chose suivante, si D est l’ensemble correspondant au domaine d’interprétation P(a1,a2,...,an) est satisfaite si

(

a2,a2,...,an

)

qui est un élément de D appartient à P qui est un sous ensemble de n Dn. De fait savoir si P

(

a2,a2,...,an

)

est au-delà du travail logique dans le sens où cela va au-delà de la recherche d’une explication de la notion de vérité pour le langage formalisé considéré puisque P

(

a2,a2,...,an

)

ne fait pas parti du même langage que P(a1,a2,...,an). Dans le vocabulaire adopté dans le chapitre précédent, « savoir si P

(

a2,a2,...,an

)

» relève de ce que Vernant appelle les procédures transactionnelles (partie 2, chapitre 2). Ces procédures ont pour objectif de prendre en charge la confrontation des fonctions propositionnelles avec le domaine d’interprétation. Finalement, pour la théorie élémentaire des modèles, un énoncé (une formule sans variable libre) est dit vrai dans une interprétation donnée lorsque cet énoncé est satisfait dans cette interprétation.

La Sémantique GTS de Hintkka est déjà présentée dans la partie précédente (partie 2, chapitre 3). Dans ma présentation, je souligne l’importance accordée à la quantification dans la genèse de la théorie (notamment à travers l’héritage revendiqué de la philosophie kantienne des mathématiques). Etant donné un langage formel et un domaine d’interprétation, l’idée est d’associer à un énoncé un jeu opposant deux joueurs, le proposant qui cherche à montrer que l’énoncé est vrai et l’opposant, qui cherche à le falsifier. La vérité de l’énoncé sur le domaine d’interprétation est définie par l’existence d’une stratégie gagnante pour le proposant. Les règles du jeu se définissent à partir de règles de manipulation pour les constantes logiques et d’autres règles structurelles. Les règles associées aux quantificateurs sont les suivantes : - pour le quantificateur universel : si un joueur soutient ∀xP(x) alors l’autre joueur fait le

choix d’un objet a du domaine d’interprétation et le jeu se poursuit par la défense par le premier joueur de P(a).

- pour le quantificateur existentiel : si un joueur soutient ∃xP(x) alors il fait le choix d’un objet a du domaine d’interprétation et le jeu se poursuit par la défense par ce premier joueur de P(a).

Ces choix constituent la part essentielle de la dimension stratégique des jeux dans la mesure où ce sont ces choix qui conduisent les joueurs à gagner ou à perdre lorsqu’une proposition atomique arrive dans le jeu (la procédure pour les propositions atomiques est similaire à celle présentée pour la théorie des modèles). Récemment, Hintikka et Sandu (Hintikka & Sandu (1997)) ont développé une nouvelle logique, issue assez naturellement de l’explication des quantificateurs en termes de jeux. Il s’agit de la logique IF (Independence Friendly). Le principe est de considérer aussi les cas où l’information des joueurs concernant les précédents choix qui ont été fait au cours de la partie n’est pas complète. Ces jeux sont dits à information imparfaite. Par exemple, si l’on considère le jeu associé à l’énoncé xy(x=y), il est nécessaire que le joueur qui fait le choix de l’objet associé au quantificateur existentiel connaisse le choix du joueur qui choisit l’objet pour le quantificateur universel pour qu’il puisse construire une stratégie gagnante. Si ce n’est pas le cas, il n’y a pas de stratégie gagnante dans ce jeu pour ce joueur (le proposant). Au niveau de la syntaxe, la logique IF introduit le symbole « / »pour marquer l’indépendance. L’énoncé xy/

{ }

x (x= y) n’est donc pas vrai sur l’ensemble {0,1}. Il n’est pas non plus faux si l’on définit le faux par l’existence d’une stratégie gagnante pour l’opposant62. Cette dernière approche invite donc en prendre en compte, non seulement l’ordre des quantificateurs mais également des relations de dépendance plus fine.

Selon les explications sémantiques, la bonne manipulation des énoncés quantifiés nécessite une bonne familiarité avec les objets de la structure d’interprétation. Les choix des objets associés à ces manipulations sont des éléments déterminants du gain ou de la perte des parties des jeux sémantiques. Ce rapport aux objets est une caractéristique des règles d’usage des quantificateurs parmi les constantes logiques. Je m’intéresse maintenant aux conséquences didactiques de cette spécificité :

« La vérité des propositions catégoriques est tributaire des objets, fussent-ils extérieurs et accessibles seulement par inférence, auxquels les termes composants de ces propositions peuvent être attribués avec vérité. Ce que sont ces objets, n'est pas déterminé de manière univoque par les

62 L’exemple provient de l’appendice de Hintikka (2007), écrite par Sandu.

stimuli. [...] De tout ce que nous considérons comme étant la logique, il semble que la partie comprenant les fonctions de vérité soit la seule partie que nous puissions reconnaître et « épingler » dans un langage étranger avec les ressources des critères béhavioristes. » Quine (1977, p. 102)

L'absence de détermination de la signification des termes du langage par les significations-stimuli est une formulation de la thèse d'indétermination de la traduction de Quine. Je l’ai présentée dans la première partie (partie 1, chapitre 2). J’ai également évoqué ce phénomène à propos de l’indétermination sémantique des processus ostensifs au sein des jeux d’extérieur (partie 2, chapitre 3). Dans la citation précédente, Quine distingue la vérité des « propositions catégoriques », comprenant un usage de la quantification, de celle des « fonctions de vérité », c'est-à-dire la partie de la logique construite sur le calcul des propositions. Pour résumer, Quine considère que l’on peut reconnaître les connecteurs logiques propositionnels sur la base de critère exclusivement comportementaux alors que cela n’est pas possible pour les quantificateurs. L’argument a la forme suivante. Si je souhaite contrôler si quelqu’un dont je ne comprends pas la langue utilise le même type de logique propositionnelle que moi, je peux tester les tables de vérité pour chacun des candidats potentiels à la traduction. Supposons que je fasse l’hypothèse que le mot « » soit une bonne traduction pour le mot français « et ».

Pour vérifier si mon hypothèse est bonne, je peux observer si les individus dont j’étudie la langue sont disposés à acquiescer lorsque que quelqu’un affirme « x y » dans la mesure où je sais si ils sont disposés à acquiescer à « x » et à « y » dans la même situation. Si les individus dont j’étudie la langue acquiesce à « x y » lorsque qu’ils sont disposés à acquiescer à « x » et « y » et seulement à ce moment là, alors je peux décider que mon hypothèse de traduction est la bonne63. Cependant, le procédé ne s’adapte pas aux quantificateurs dans la mesure où les tables de vérité ne s’étendent pas aux quantificateurs.

L’impossibilité de repérer les quantificateurs dans un langage étranger à l’aide de critères béhavioristes est due à l’intervention des procédures transactionnelles dans la démarche d’évaluation de la vérité des énoncés atomiques. L’argument de Quine est de dire que cette démarche repose de manière fondamentale sur les schèmes conceptuels privés des individus, c'est-à-dire, dans un vocabulaire moins élaboré, sur leur manière de voir le monde. Les

63 Ce procédé pose certaines difficultés. Par exemple, la table de vérité de la disjonction ne s’accordent pas nécessairement avec nos comportements. On peut en effet être disposé à reconnaître que « a ou (non a) » est vraie sans pour autant être disposé à reconnaître la vérité de a ni celle de (non a). Mon objectif n’est pas de discuter de ces difficultés mais de mettre en évidence les différences entre les connecteurs propositionnels et les quantificateurs.

conséquences didactiques de ce constat me paraissent important puisque de ce point de vue, il n’est pas possible de distinguer la bonne maîtrise de la quantification d’une certaine forme d’homogénéité de nos perceptions des objets d’un domaine d’interprétation.

Synthèse

Dans ce chapitre, j’ai présenté plusieurs explications de la notion de quantificateurs logiques en utilisant comme distinction principale la distinction entre jeux d’intérieur, lesquels traitent de la déductibilité, et jeux d’extérieur, qui traitent de la vérité des énoncés.

Ces deux types de jeux ne sont pas sans rapports. Sur le plan logique, les notions de déductibilité et de vérité logique (au sens de la vérité pour toutes les interprétations sur des domaines d’objets) coïncident pour la logique du premier ordre. Sur le plan didactique, l’étude de leur rapport occupe une part importante des deux premières parties de cette thèse.

Les analyses de ce chapitre montrent la relative complexité technique des explications de la quantification qui se donnent comme contrainte de répondre aux critères de précision de la logique. En ce sens, elles permettent de se défaire d’une part de la naturalité de ce concept qui est le plus souvent utilisé de manière informelle dans le contexte de l’enseignement des mathématiques, y compris dans l’enseignement supérieur. D’autre part, elles mettent en évidence la coexistence de plusieurs types d’explications qui ne sont pas nécessairement conceptuellement compatibles, quand bien même elles pourraient être logiquement équivalentes (permettant de prouver les mêmes théorèmes ou conduisant aux mêmes vérités logiques). Par exemple, j’ai montré que la logique dialogique et le calcul des séquents ne procédaient pas selon le même ordre. D’autre part, les éléments auxquels s’appliquent les règles de la déduction naturelle ne sont pas du même type que ceux du calcul des séquents, etc. Ceci me paraît d’autant plus important que chacun des auteurs dont j’ai brièvement présenté les constructions théoriques revendique une certaine proximité de leur explication avec la pratique ordinaire des mathématiques (à l’exception du calcul des séquents). Je l’ai déjà explicité dans la partie précédente pour ce qui concerne les formalisations de Lorenzen et de Hintikka (partie 2, chapitre 2). Les remarques faites à propos de la sémantique GTS valent également pour son extension aux jeux à information imparfaite. Pour Hintikka, l’interprétation des quantificateurs de la logique IF est même plus naturelle que l’interprétation sans indépendance. Il regarde cette dernière comme une restriction arbitraire

de la diversité des jeux logiques envisageables. A propos de la déduction naturelle de Gentzen, Joinet (à paraître) affirme :

« A l’opposé des systèmes « à la Hilbert » tournés vers la question de la prouvabilité, l’élaboration de la déduction naturelle résulte ainsi d’une clarification du sens de chaque connecteur logique par l’examen attentif des pratiques « naturelles » (au sens ici de pratiques historiques effectives) du mathématicien, une sorte de « zoom avant » étant pratiqué sur chaque type d’usage des connecteurs logiques dans le texte mathématique non formalisé (quoique sans doute légèrement idéalisé) comme étape de construction d’une preuve. »

En ce qui concerne Tarski, l’intérêt de son approche sémantique des sciences déductives pour comprendre et décrire l’activité mathématique a particulièrement été mise en avant par Durand-Guerrier (2005, 2008). L’existence de différentes explications revendiquant un caractère naturel me semble révéler une multiplicité des pratiques autour de la quantification qui vient s’ajouter à sa complexité technique. Au-delà de cette diversité réelle, un point commun me paraît néanmoins émerger. Il s’agit de l’intervention de processus de substitution lors de l’usage d’une règle de quantification. Dans le cas des jeux d’intérieur, ces processus font intervenir des lettres de variables et des lettres de constantes. Dans les jeux d’extérieur, ils font intervenir des lettres de variables et des lettres d’objets (des noms d’objets). Je reviens en contraste sur ces processus de substitution dans le paragraphe suivant en évoquant notamment l’usage du vocabulaire de la variation pour rendre compte de la quantification mathématique. De manière plus générale, je poursuis mon approche épistémologique en m’intéressant aux pratiques effectives de plusieurs mathématiciens du XIXème siècle par le biais de l’étude de plusieurs preuves.

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