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La distinction et les relations entre jeux d’intérieur et jeux d’extérieur

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 19-23)

PARTIE 1 : UNE APPROCHE SEMANTIQUE ET DIALOGIQUE DE LA VALIDATION

1. L’ARTICULATION DES JEUX D’INTERIEUR ET DES JEUX D’EXTERIEUR

1.1 La distinction et les relations entre jeux d’intérieur et jeux d’extérieur

Hintikka distingue deux types de jeux dans les procédures de validation. Il les qualifie de jeux d’intérieur et de jeux d’extérieur :

« Malgré ces liens, il est philosophiquement très important de les distinguer nettement l’un de l’autre. Les jeux sémantiques sont des jeux d’extérieur (outdoor games). On les joue sur les objets du langage que l’on parle, et ils consistent principalement pour les deux joueurs à choisir entre différents objets. A l’opposé, les jeux de preuve sont des jeux d’intérieur (indoor games). On les joue avec un crayon et du papier, avec une craie et un tableau, ou de nos jours avec un ordinateur. » (Hintikka, 2007, p. 67)

Voici un exemple pour illustrer cette distinction. Il provient de Barallobres (2007).

L’utilisation de ce vocabulaire constitue une relecture personnelle de l’article puisque Barallobres ne fait pas de référence à Hintikka. Dans cet article Barallobres analyse les relations entre la signification des expressions algébriques et les actions spatio-temporelles qui leur sont associées par les élèves. Par exemple, les expressions (n + 1) + n et (n + n) + 1 renvoient à des actions différentes si bien qu’elles ont tendance à être considérées par les élèves qui découvrent l’algèbre comme dénotant des objets différents. Le jeu qui consiste à appliquer les règles d’associativité et de commutativité à ces expressions afin de les identifier par leur forme est un exemple de ce que Hintikka appelle un jeu d’intérieur. Ce jeu se distingue du jeu qui consiste à choisir un nombre entier (et non une lettre) à y ajouter 1 puis à nouveau le nombre choisi et à comparer le résultat obtenu avec le jeu qui consiste à ajouter ce nombre avec lui-même puis avec 1. Ce dernier jeu est ce que Hintikka appelle un jeu d’extérieur. Il fait intervenir des choix d’objets « du langage que l’on parle ». Barallobres met en évidence que la pratique de ces jeux formels nécessite un apprentissage, que « les pratiques de validation intellectuelles ne sont pas une donnée immanente de l’esprit humain » (Barallobres, 2007, p. 40). Il propose une analyse des interférences entre les deux types de jeux à partir d’une expérimentation conduite autour de la situation « des 10 nombres consécutifs ». Dans cette situation, l’enseignant propose une suite de dix nombres consécutifs et les élèves doivent en calculer la somme. Le groupe le plus rapide est vainqueur de la partie.

L’activité est renouvelée plusieurs fois avec des variations sur la grandeur des nombres choisis. Lorsque les élèves pensent avoir trouvé le moyen le plus rapide de faire le calcul, ils sont invités à décrire et défendre une méthode et une formule associées. Plusieurs types des jeux interviennent au cours de l’activité des élèves. Comme jeux d’extérieur, il y a par exemple le calcul posé de la somme des nombres proposés par l’enseignant. Il peut y en avoir aussi d’autres, plus élaborés et surtout plus rapides, comme par exemple prendre le premier nombre de la série donnée, le multiplier par dix et y ajouter 45. Les jeux d’intérieur

interviennent lorsque les élèves (dans l’expérimentation de Barallobres, ils ont treize ou quatorze ans) entreprennent de justifier de leur méthode de calcul et leur formule à l’aide de règles. En particulier, cela peut arriver si un groupe cherche à montrer en quoi sa formule correspond bien au même calcul que la somme posée ou lorsqu’il s’agit de comparer deux formules proposées. Cette présentation dichotomique n’a pas pour objectif d’établir un ordre ou une hiérarchie entre ces deux types de jeux. Il est par exemple envisageable que les élèves engagent aussi des jeux d’extérieur pour s’assurer que deux formules proposées sont bien équivalentes. L’hypothèse de Barallobres (2007, p. 41) est que l’usage des formules comme outils de calcul « permet de donner du sens à l’équivalence de deux expressions algébriques qui, au départ, objectivent une ensemble d’actions « différentes » ». Cette hypothèse peut-être interprétée comme celle d’un lien fort (donner du sens) entre les actions sur les objets dans les jeux d’extérieur et la manipulation formelle des énoncés (l’équivalence de deux expressions algébriques).

Je développe maintenant un exemple qui montre comment les jeux d’extérieur interagissent avec les jeux d’intérieur. Il concerne l’énoncé « pour tout entier naturel n, 10 × (n + 4) + 5 = 10 × n + 45 » (1). Le jeu d’intérieur associé à cet énoncé est le suivant : il faut trouver les règles et relations mathématiques pertinentes et les combiner en une preuve de l’égalité. Ce jeu est d’intérieur puisque les règles structurelles de ce jeu interdisent toute utilisation des nombres, de leurs propriétés et de leurs relations. Ici, une stratégie gagnante pour un joueur pourrait être d’utiliser les énoncés 10 × 4 = 40 et 40 + 5 = 45, où « 4 », « 5 »,

« 10 », « 40 » et « 45 » sont regardés comme des lettres de constantes plutôt que comme des objets, ainsi que les règles de distributivité et d’associativité. La recherche d’une stratégie gagnante dans un jeu d’intérieur peut se heurter à trois difficultés : il faut sélectionner des énoncés utilisables (axiomes théorèmes, ou énoncés connus), sélectionner des règles de déduction et enfin construire une stratégie gagnante sur ces éléments. Une approche de combinatoire naïve semble dans ce cadre inappropriée.

Chacun des deux membres de (1) correspond à une méthode employée par des groupes d’élèves en vue de faire les calculs le plus vite possible. La méthode multiplier par 10 le premier nombre puis ajouter 45 émerge assez « naturellement » du jeu comme moyen efficace de calculer la somme. La méthode correspondant à la première formule, prendre le cinquième nombre puis mettre 5 à la fin du nombre, est plus exotique. Elle se lit moins facilement sur un calcul de somme posé en colonne. Elle est néanmoins encore plus efficace puisqu’elle ne contient aucun véritable calcul. Le groupe qui a proposé la méthode prendre le

cinquième nombre puis mettre 5 à la fin du nombre comme moyen de calcul pour la somme de dix nombres consécutifs entreprend d’expliquer l’équivalence des deux méthodes en commençant par travailler avec la somme 15 + 16 + … + 24. Il s’agit donc d’un jeu d’extérieur. Le groupe montre que sa méthode permet d’effectuer le même calcul numérique ; elle est donc associée au même nombre que l’autre méthode. Ce jeu d’extérieur est à l’origine de la construction de la stratégie du jeu d’intérieur concernant (1) :

« En partant de la validité de la formule 10 × 15 + 45, ils établissent des relations numériques entre deux méthodes produites. La recherche de l’équivalence (commandée par le besoin de fournir une explication) fonctionne comme un moteur pour la réinterprétation des deux méthodes : « prendre le cinquième » peut maintenant être interprété en termes de « le premier nombre plus 4 », ensuite, « le premier nombre plus 4 et le résultat fois 10 » ; « mettre un 5 à la fin » conduit les élèves à proposer l’équivalence entre 10n + 45 = 10n + 40 + 5 et ensuite, l’équivalence entre 10n + 40 et « le cinquième nombre fois 10 ». » (Barallobres, 2007, p. 43)

Autrement dit, les actions sur les nombres lors du jeu d’extérieur ont contribué de manière décisive à l’émergence de la structure et de la stratégie du jeu d’intérieur sur l’énoncé (1).

Pour les élèves l’exemple du nombre 15 semble avoir joué le rôle de passeur entre les deux types de jeux. Il s’agit dans le vocabulaire de Balacheff d’un exemple générique :

« L'exemple générique consiste en l'explicitation des raisons de la validité d'une assertion par la réalisation d'opérations ou de transformations sur un objet présent non pour lui-même, mais en tant que représentant caractéristique d'une classe d'individus. La formulation dégage les propriétés caractéristiques et les structures d'une famille en restant attachée au nom propre et à l’exhibition de l'un de ses représentants. » (Balacheff, 1987, p. 164-165)

Les deux types de jeux ne semblent cependant pas répondre au même objectif. Un jeu d’extérieur est souvent mis en œuvre pour la recherche sur le statut épistémique d’un énoncé (est-il vrai, faux, probable ?) quand un jeu d’intérieur est davantage une réponse à la recherche des raisons d’une éventuelle vérité (pourquoi est-il vrai ?). D’autre part, une victoire dans un jeu d’extérieur ne prouve rien puisqu’elle pourrait être due à la spécificité des objets choisis alors qu’une victoire dans un jeu d’intérieur assure du fait que l’énoncé soit une déduction logique de la théorie utilisée pour le conduire. Ces remarques seront précisées à l’aide du formalisme logique dans la deuxième partie.

1.2 La distinction entre production de preuve syntaxique et procédure

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