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A propos du contenu des propositions

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 71-76)

PARTIE 1 : UNE APPROCHE SEMANTIQUE ET DIALOGIQUE DE LA VALIDATION

3. UNE DISCUSSION AUTOUR DES MODELES DE DUVAL ET DE TOULMIN

3.4 A propos du contenu des propositions

Ce paragraphe revient sur quelque chose qui a déjà été abordé dans cette partie : la complémentarité dialectique des jeux d’extérieur et des jeux d’intérieur dans les processus de construction de preuve. Cette complémentarité est incompatible avec l’idée d’une rupture entre les processus argumentatifs et démonstratifs. Je propose un nouvel exemple, construit à partir d’une expérimentation de Inglis, Mejia-Ramos & Simpson (2007). Andrew un doctorant en mathématiques est confronté à la conjecture suivante :

Si n est parfait, alors kn est abondant pour tout kIN

29 « Il est facile de donner l’apparence de la concision sur le papier à une preuve en sautant de nombreux liens intermédiaires dans la chaîne des inférences et en en indiquant seulement les grandes lignes. Généralement les gens sont satisfaits si chaque étape de la preuve est évidemment correcte, et ceci est acceptable si l’on souhaite simplement se persuader que la proposition à démontrer est vraie.

Mais s’il est question d’obtenir un éclairage sur la nature de ce « évidemment correcte », cette procédure ne suffit pas. Nous devons poser toutes les étapes intermédiaires, pour en prendre

conscience en pleine lumière. Les mathématiciens ne sont en effet généralement seulement concernés que par le contenu d’une proposition et par le fait qui est à démontrer. Ce qui est nouveau dans ce livre n’est pas le contenu des propositions, mais la manière dont la preuve est menée et les fondations sur laquelle elle repose. » (ma traduction)

Un entier naturel n est un nombre parfait lorsque la somme des ses diviseurs vaut exactement 2n, il est dit abondant si cette somme dépasse strictement 2n. Voici un extrait de l’interview de Andrew (Inglis, Mejia-Ramos & Simpson, 2007, p. 15-16) :

« ANDREW : Ok, so if n is perfect, then kn is abundant, for any k. OK, so what does it, yeah it looks, so what does it means ? Yeah, so n is perfect, an I take any pi which divides this n, then afterwards the sum of thesepis is 2n. This is the definition. Yeah, ok, so actually we take kn, then obviously all kpi divide kp, actually, we sum these and we get 2kn. Plus, we’ve got also, for example, we’ve got k dividing this, dividing kn. So we need to add this. As far, as basically, there is no disquiet, k would be the same as this. Yeah. And, how would this one go?

[LONG PAUSE]

INTERVIEWER : So we’ve got the same problem as up here but in general ? With a… ? ANDREW : Yeah. Umm, can we find one ? Right, so I don’t know. Some example.

INTERVIEWER : I’ve got some examples for you.

ANDREW : You’ve got examples of some perfect numbers ? OK, so 12, we’ve got 1 + 2 + 3 + 4 + 6, then, ok, + 12. [MUTTERS] But this is not ? OK, perfect, I wanted perfect numbers.

OK, so let’s say six. Yeah, and we’ve got divisors 2, 4, 6, 12. Plus I claim we’ve got also divisors. Yeah! actually it’s simple because, err, because err, the argument is that we’ve also got 1 which is divisor, and this divisor is no longer contained here if we multiply. »30

Au début de l’extrait, Andrew manipule les définitions des concepts présents dans la conjecture à évaluer. Il est donc engagé dans une procédure syntaxique ou dans le vocabulaire de cette thèse, un jeu d’intérieur. Néanmoins, cette stratégie minimaliste échoue dans la tentative de construire une preuve. Il cherche alors des exemples (qui lui sont fournis par l’expérimentateur) pour commencer une procédure sémantique, un jeu d’extérieur sur les

30 « ANDREW : Ok, donc si n est parfait alors kn est abondant, pour tout k. Ok, donc qu’est-ce ça, ouais on dirait, alors qu’est-ce que ça veut dire ? Ouais, alors n est parfait, et je prends chaque pi qui divisent ce n, alors après la somme de ces pi fait 2n. C’est la définition. Ouais, ok, en fait on prend kn, alors évidemment tous les kpi divisent kn, en fait, on les ajoute et on obtient 2kn. Plus, on a aussi, par exemple, on a aussi k qui divise ça, qui divise kn. Donc on doit l’ajouter. A priori, en gros, il n’y a pas de problèmes, k serait le même que ça. Ouais. Et, comment celui-là va aller ?

[LONGUE PAUSE]

INTERVIEWER : Alors nous avons le même problème là-haut mais en général ? Avec un… ? ANDREW : Ouais. Hum, peut-on en trouver un ? D’accord, alors je ne sais pas. Un exemple.

INTERVIEWER : J’ai des exemples pour vous.

ANDREW : Vous avez des exemples de nombres parfaits ? OK, donc 12, on a 1 + 2 + 3 + 4 + 6, alors, ok, + 12. [INAUDIBLE] Mais c’est pas ? Ok, parfait, je voulais des nombres parfaits. OK, alors disons six. Ouais, et on a comme diviseurs 2, 4, 6, 12. Plus j’affirme qu’on a d’autres diviseurs.

Ouais ! en fait c’est simple parce que, euh, parce que euh, l’argument c’est qu’on a aussi 1 qui divise, et ce diviseur n’est plus là lorsqu’on multiplie. » (ma traduction)

objets. Comme le fait remarquer Duval, ces derniers jeux, qu’il classe du côté de l’argumentation, font croître la croyance des élèves en la validité de la conjecture (la valeur épistémique de la conjecture). Dans ce sens, ce type de jeux est cumulatif, contrairement aux jeux de preuve. Cependant, cette argumentation, en lien direct avec le contenu de la conjecture, semble être la clef de la complétion de la stratégie d’Andrew dans le précédent jeu d’intérieur. Plus précisément, la manipulation du nombre parfait 6 et de ses diviseurs lui a fourni l’argument manquant : pour tous les entiers naturels k et n, 1 est un diviseur de kn qui n’est pas le produit par k d’un diviseur de n. C’est donc en s’appuyant sur le contenu de la conjecture, en manipulant des objets mathématiques au sein d’un jeu d’extérieur, qu’Andrew est parvenu à construire une preuve, une stratégie gagnante dans un jeu d’intérieur.

Pedemonte (2007, p. 32-33) relate deux exemples dans le domaine de la géométrie plane qui sont convergents avec l’exemple ci-dessus. Dans ces exemples, les jeux d’extérieur consistent en des observations de faits sur des figures. Ces jeux sont à l’origine du processus de recherche des causes de ces observations, ils permettent l’émergence des règles de la structure des jeux de preuves. Je présente ci-dessous le deuxième exemple de Pedemonte (2007). Les traductions de l’anglais sont les miennes.

L’énoncé est le suivant :

ABC is a triangle. Three exterior squares are constructed along the triangle’s sides. The free points of the squares are connected, defining three more triangles. Compare the areas of these triangles with the area of the triangle ABC31.

Voici une reproduction de la figure construite par les élèves (lesquels utilisent Cabri Géomètre) :

31 « ABC est un triangle. Trois carrés extérieurs sont construits sur les côtés du triangle. Les points des carrés qui ne sont pas des points du triangle ABC sont connectés de manière à obtenir 3 nouveaux triangles. Comparer les aires de ces triangles avec l’aire de ABC. » (ma traduction)

Voici les extraits de l’argumentation relatés par Pedemonte :

« 103. C : The areas are always equals… With the calculator the areas are equal.

104. N : Now we have to see why!

105. C : We need to find how the base and the height change… if there is a relationship that makes the area constant… The area is constant… but I don’t understand…so we have to find base by height congruent to base by height of the other triangle

106. N: If we take the constant bases and we change the heights...

[…]

115. C: But why are the heights congruent?

116. N: We have…. we see that this side is congruent to this side of triangle ABC … 117. C : Then the small triangle is congruent to the other small triangle …

118. N : … yes it’s true, two sides are congruent 119. C : So there is a 90° angle

120. N: We need another side or another angle… »32

32 « 103. C : Les aires sont toujours égales… Avec la calculatrice les aires sont égales.

104. N : Maintenant il faut qu’on voit pourquoi !

105. C : On a besoin de trouver comment changent la base et la hauteur… si il y a une relation qui rend l’aire constante… L’aire est constante… mais je ne comprends pas… alors il faut qu’on trouve que la base par la hauteur est égal [congruent] à la base par la hauteur dans l’autre triangle

106. N : Si on prend les bases constantes et qu’on change les hauteurs…

[…]

115. C : Mais pourquoi les hauteurs sont de même longueur [congruent] ? 116. N : On a… on voit que ce côté est égal au côté du triangle ABC.

117. C : Alors le petit triangle est isométrique [congruent] à l’autre petit triangle…

118. N : … oui c’est vrai, deux côtés sont de même longueur [congruent].

119. C : Alors il y a un angle de 90°.

120. N : On a besoin on a besoin d’un autre côté ou d’un autre angle… » (ma traduction)

Et enfin la preuve telle que les élèves l’ont écrite. Ils considèrent les triangles ABC et ELC :

We know that this base is congruent to the base of the triangle. Now we have to prove that the heights are congruent. We have verified this fact by means of the congruence criterion proved on the sheet with the drawing.33

Sur le papier avec le dessin : Triangle ANC = Triangle EDC EC = AC

EDC = ANC = 90°

ECD = ACN

because ACE = 90°, DCN = 90° and if the angle DCA is removed from the two other angles we have the same angle.34

Dans cet exemple, le contenu des propositions de l’énoncé est rapidement mis à contribution pour formuler la conjecture : les aires sont égales. Ensuite la démarche des élèves évolue. Il s’agit pour eux de comprendre pourquoi la conjecture est valide. Ils démarrent alors une recherche de conditions suffisantes en essayant de remonter jusqu’à une donnée de l’énoncé. A nouveau, le contenu est associé à cette démarche à travers une dialectique entre des énoncés de propositions suffisantes et des observations sur le dessin. Il est également intéressant de remarquer que comme dans la preuve de Bolzano présentée dans ce chapitre, l’organisation du produit final, la preuve écrite, est fortement influencée par le processus de construction comprenant les jeux d’extérieur.

Pedemonte (2008) s’intéresse cette fois aux relations entre argumentation et preuve dans le domaine de l’arithmétique au niveau du secondaire. On trouve à nouveau dans cet article plusieurs exemples d’articulation entre travail sur le contenu et construction d’une preuve

33 On sait que la base est de même longueur [congruent] que la base de l’autre triangle. Maintenant nous devons prouver que les hauteurs sont de même longueur [congruent]. Nous avons vérifié ce fait à l’aide du critère d’isométrie [congruence criterion], la preuve est sur le papier avec le dessin. (ma traduction)

34 Parce que ACE = 90°, DCN = 90° et si on ôte l’angle DCA des deux autres angles, on obtient le même angle. (ma traduction)

formelle. Je ne les développe pas. Sur le plan théorique, Pedemonte défend la pertinence d’une argumentation intégrant ce qu’elle appelle des pas d’abduction dans les processus de construction de preuve. Selon son vocabulaire, un pas d’abduction consiste en une inférence autorisant la construction d’une assertion (claim dans le modèle de Toulmin) à partir de faits observés (d’interactions avec les objets du domaine d’interprétation associé à l’assertion). La recherche de données (data dans le modèle de Toulmin) susceptibles d’être associée à une règle de justification (warrant) est alors seconde par rapport à la construction de l’assertion (Pedemonte, 2007, p. 29, 2008, p. 389). Les deux exemples de ce paragraphe contiennent des pas d’abduction : l’argumentation est construite à partir de l’observation d’un fait (« 6 est parfait et 12 est abondant » ou « les triangles ont même aires »), puis les élèves cherchent à expliquer ce fait en cherchant une règle de justification et des données ad hoc. Le fait de mettre en avant les pas d’abduction dans les processus de validation me paraît aller dans le sens d’une certaine continuité entre la pratique des jeux sémantiques (où il est question de faits, de relations entre objets) et celle des jeux de preuve (où il est question d’organisation des énoncés selon une structure démonstrative).

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 71-76)