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CHAPITRE 5. LE PROJET D'AMÉNAGEMENT, UNE NOTION À CONTEXTUALISER

5.1. P ROJET D ' AMÉNAGEMENT , SCIENCES SOCIALES ET GÉOGRAPHIE

Depuis au moins dix ans, le projet d'aménagement est un objet de recherche que la géographie prend en considération. Pourtant, ce n'est pas un objet géographique en soi, au même titre qu'un espace urbain, un espace touristique ou un type de relief particulier. Il s'agit d'un objet complexe, très riche, qui est à la fois une idéologie, une figuration nourrie de représentations et une pratique d'intervention et d'action sur l'espace qui fait converger des acteurs aux fonctions complémentaires. Autant il est aisé d'étudier a posteriori les conséquences géographiques d'un projet d'aménagement, autant il est délicat d'étudier le projet en lui-même, démarche qui implique de le considérer comme une action collective organisée tendue vers la production d'un 157

espace à venir. L'enjeu est donc de tenter de "géographiser" le projet, autant que possible, et de construire une approche conceptuelle pertinente pour l'analyser. Nous avons ainsi nourri la réflexion à partir de la contribution théorique des architectes et des urbanistes et de l'apport conceptuel de la sociologie de l'action organisée et ses sciences politiques.

5.1.1. Une notion problématique

En France, mais aussi en Tunisie, l'utilisation du mot projet est de plus en plus fréquente dans le langage courant. On parle aussi de bien de "projet personnel" que de "projet de société", de "projet de loi" ou encore de "projet de vacances". En arabe tunisien, le mot al-mashrou'a est très utilisé par tous les Tunisiens, notamment pour parler d'une activité plus ou moins lucrative, en cours ou à venir. Dans le champ de l'aménagement, les expressions sont également multiples : "projet d'aménagement", "projet urbain", "projet d'embellissement", "projet de paysage", etc. Le Petit Robert donne deux significations possibles à cette notion : tout d'abord, le mot désigne "l'image d'une situation, d'un état que l'on pense atteindre" (p. 1542). Il correspond à une tension dirigée vers un but, et investit le champ temporel entre un présent et un futur projeté. L'emploi du mot "image" rattache aussi la notion à la sphère idéelle. Dans un second sens, le dictionnaire indique qu'il peut être entendu comme "un travail, une rédaction préparatoire ; un premier état". Le projet est ici défini comme une réflexion préliminaire, inachevée, non finalisée. Cette deuxième acception donne l'idée que le projet se traduit par une démarche en plusieurs étapes, qui, dans certains cas, se finalise et se concrétise. Les deux sens donnés à la notion ne nous semblent pas contradictoires ; ils s'articulent plutôt : le projet est une tension vers un futur accessible qui a été "imaginé", et s'accompagne d'une démarche qui compose un récit en plusieurs temps dirigé vers un nouveau réel. Le projet fait ainsi pénétrer dans le champ des "temps spéculatifs et prospectifs" (Hayot et Sauvage, 2000, p. 7).

La notion de projet d'aménagement a été formalisée par différents praticiens et chercheurs en sciences sociales, assez récemment, et après coup, dans la mesure où il s'agit d'une pratique d'intervention sur l'espace qui a existé avant d'être conceptualisée. Sa genèse fait l'objet d'un consensus de la part de ces auteurs1. Dans les pays occidentaux, au cours des années 1970, il a constitué une alternative à l'urbanisme fonctionnaliste et a concerné au départ les seules opérations de requalification de l'urbanisation existante. La rupture avec l'urbanisme réglementaire est triple. Tout d'abord, il est une forme de réponse aux échecs de l'urbanisme moderne qui vise à corriger les travers de la planification technocratique2. Ensuite, il correspond

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Dans l'article "Projet urbain" du Dictionnaire de l'aménagement et de l'urbanisme (sous la direction de F. Choay et de P. Merlin), F. Ascher évoque successivement les trois types de significations suivants : le projet urbain politique, le projet urbain opérationnel et le projet urbain architectural et urbanistique. La conjonction, d'un côté, de la demande des politiques et des acteurs qui ont à réaliser et à "vendre" des morceaux de ville, et, de l'autre côté, des propositions des architectes qui se mobilisent sur la conception d'espaces à grande échelle, explique le succès de la notion.

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Selon l'architecte-urbaniste P. Ingallina, "dans sa version actuelle, la notion de projet urbain apparaît comme à la fois critique et substitut des formes de planification technocratique qui ont marqué les Trente Glorieuses, caractérisées à la fois par l'intervention de l'État central, par la rigidité des schémas établis et par la juxtaposition de

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à une vision stratégique de l'espace, dont l'intérêt est de dépasser la fragmentation des enjeux localisés et de réaffirmer la dimension formelle et esthétique (Ingallina, 2001, p. 32). Enfin, le passage de l'urbanisme réglementaire à l'urbanisme de projet s'est forgé dans un contexte de montée des incertitudes économiques, financières et idéologiques dans les modalités de gestion et de maîtrise de la ville. Ces premiers éléments posés, la notion donne lieu à des définitions multiples lorsqu'il s'agit de cerner plus nettement encore cette pratique d'action3.

Au regard de la littérature scientifique, les auteurs qui se sont intéressés au projet à partir des années 1980, sont, pour leur très grande majorité, des architectes et des urbanistes. Pré-carré de ces derniers, cet objet a intéressé plus marginalement et tardivement, à partir des années 1990, géographes, sociologues, philosophes et politologues4. Les définitions des praticiens sont nombreuses et se recoupent plus qu'elles ne s'opposent. Pour les architectes, le projet est un outil d'organisation de la forme urbaine par l'imposition de règles d'ordonnancement spatial bien définies (Ingallina, 2001, p. 16). Pour les responsables politiques, il engage l'énonciation d'objectifs susceptibles de prendre valeur de mobilisation et d'adhésion (Gaudin, 1993, p. 56). Pour d'autres, il correspond à une démarche construite qui rassemble et oppose différents acteurs sociaux qui convergent au sein d'un "processus transactionnel", lequel intègre la concertation et le débat (Sauvage, 2000, p. 381). Le projet est une structure d'accueil qui, au-delà de son statut de procédure juridique, ne repose pas sur des énoncés programmatiques clos (Eleb-Harlé, 2000, p. 15). Ces différents auteurs élaborent une interprétation élargie de la notion, opposée à une vision étroite qui l'associerait à la seule conception des espaces et des formes, et qui en ferait une affaire de spécialistes.

Ces différentes acceptions posent toutes l'idée d'un procès (work in progress), celui d'une fabrication négociée à plusieurs d'un espace. Le projet est le lieu d'une convergence d'un certain nombre d'acteurs réunis pour donner un sens à la production d'un morceau d'espace. De l'avis de certains, il s'agit bien d'une notion floue, difficile à cerner, fluide, et donc, problématique. Selon M. Roncayolo, "ce n'est point là un reproche, parce que précisément une notion, qui n'est peut- être éclaircie ni trop tôt ni trop mécaniquement quand elle vient presque en contre-feu de

logiques sectorielles" (Ingallina, 2001, p. 72). D'après F. Scherrer, géographe, "là où la planification disait auparavant ce que l'avenir nous réservait, le projet annonce ce qu'il serait bon de réserver pour l'avenir, débouchant sur un contrat qu'on réalisera selon ses capacités financières" (Scherrer, 2000, p. 63).

3 Une partie du succès de cette formule (projet urbain) tient à sa polysémie : "Elle est utilisée par les élus locaux

pour évoquer une intention et des objectifs, par les architectes-urbanistes pour exprimer la conception d'une "pièce urbaine", par les aménageurs et les entreprises pour parler d'une opération. Mais, au-delà de ces ambiguïtés, on peut définir le projet urbain comme une opération urbaine complexe, dont un acteur assure la maîtrise d'ouvrage d'ensemble, et qui réunit des projets variés dans un programme, un plan et des formes d'ensemble. Ceux-ci ne sont pour autant pas définitivement figés car ils s'élaborent et se redéfinissent au cours d'un processus qui associe élus locaux, aménageurs et concepteurs, et qui est ponctué de négociations entre tous les acteurs publics et privés impliqués dans le projet" (Ascher, 1995, p. 238).

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L'architecte C. Devillers plaide dès la fin des années 1970 en faveur d'un urbanisme de projet en réaction à l'urbanisme planificateur. À partir des années 1980, ses écrits sont fondateurs. La bibliographie sur la question s'est enrichie par la suite d'un certain nombre d'ouvrages. On citera en particulier les travaux du sociologue P. Genestier, des architectes-urbanistes et chercheurs D. Mangin et P. Panerai, N. Eleb-Harlé, P. Ingallina, du géographe M. Roncayolo, des sociologues et politologues O. Chadoin, P. Godier et G. Tapie.

pratiques et de réalités antérieures, est souvent plus productive de réflexions que lorsqu'elle se fige, et finit par établir de nouvelles coupures, de nouvelles frontières stériles. L'intérêt essentiel du projet urbain, c'est justement cette sorte de labilité que l'on fait intervenir dans la réflexion sur la manière de construire finalement les villes mêmes qui ont cette construction et un réaménagement ou une redéfinition de certains espaces antérieurs" (Roncayolo, 2000, p. 26). Le géographe résume bien la vertu de cette notion, sa capacité heuristique à produire du sens de différentes façons. Le projet propose de l'inédit et participe au renouvellement des pratiques et de la réflexion urbanistiques.

5.1.2. Politique et pouvoir, la face cachée du projet

La dimension politique comme composante intrinsèque de la notion de projet est souvent escamotée dans la plupart des définitions. Elle n'est pas seulement identifiable à l'autorité de l'État, mais comprend l'ensemble des relations entre les acteurs. Dans la bibliographie, la question du pouvoir au cœur du politique semble souvent diluée, voire cachée, derrière d'autres enjeux mis en avant, en particulier celui de la fabrication des formes. Selon N. Eleb-Harlé, la légitimité du projet doit de plus en plus se fonder sur des critères explicites de qualité urbanistique et architecturale (Eleb-Harlé, 2000, p. 9). N'y aurait-il pas une sorte d'obsession du formalisme de la part de certains praticiens ? L'autonomie de la forme urbaine est posée en postulat comme un travail sur l'espace sans sujet, en quelque sorte autocentré5. Fonder la légitimité du projet uniquement sur des normes de qualité formelle paraît dangereux. On peut y voir le refus par l'urbanisme d'admettre la ville comme un espace social et global. Bien souvent, le travail sur le spatial est très peu pensé dans ses déterminations socio-économiques ; tout au plus, le social est-il réifié dans les ratios socio-techniques utilisés par les professionnels (Claude, 2000, p. 67).

Certes l'esthétique rentre en ligne de compte, mais la forme même de la ville produite ne prend un sens que si elle se fonde sur une certaine conception de la société et de l'ordre (contre le désordre). Les concepteurs visent bien à produire un ensemble de normes sur un espace délimité, lesquelles construisent un modèle urbain qui participe à une dynamique de domination matérielle et symbolique. Tout projet d'aménagement est clairement une idéologie qui traduit un pouvoir agissant sur l'espace6. En fonction de son orientation et du rapport de forces entre les différents acteurs, les dimensions économique, sociale, spatiale, ne sont d'ailleurs souvent pas prises en compte de manière égale (Ingallina, 2001, p. 11). Et, en outre, depuis les années 1980, banques privées et publiques, firmes multinationales et grandes entreprises nationales tendent à intervenir de plus en plus, en particulier dans les grandes villes du monde, et pèsent ainsi sur la fabrique

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Le plan-masse "installe ou impose non plus une approche aérienne de l'œuvre mais une lecture abstraite, formelle, et qui prétend être hautement suggestive des intentions sur la ville. Les urbanistes des années 20 ou 50 avaient déjà ce souci du "beau plan" dont la lisibilité importait moins que son motif esthétique (et sa motivation)" (Claude, 2000, p. 68).

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Selon l'architecte-chercheur J.-L. Bonillo, le projet traduit la volonté d'exprimer un ordre, manifeste et lisible ou plus conceptuel et caché (Bonillo, 2000, p. 38).

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d'un certain type d'espace marqué par la visibilité matérielle et symbolique de la richesse, et la privatisation des lieux d'usage public soumis à des règles de sélection sociale7. Dans ces cas, l'espace du projet contraste alors avec le reste des espaces urbains, et peut, à terme, fonctionner comme une enclave, comme un fragment sans cohérence avec son environnement.

Il s'agit de la part d'ombre du projet. Les non-dits et les implicites qui l'accompagnent construisent un sens caché, qui conduit à découvrir que certains groupes sociaux sont privilégiés contre d'autres, que la domination de certaines logiques de pouvoir est favorisée au détriment d'autres8. On nous fera sans doute le reproche que nous abondons dans le sens d'une conception étroite du pouvoir comme exercice répressif d'une domination. Afin de lever cette ambiguïté, nous nous référons en réalité à une compréhension élargie du pouvoir comme capacité structurante de toute forme d'action sociale et collective. Le concept de pouvoir mérite d'être approfondi et nous permet d'introduire la dimension systémique du projet9.

5.1.3. Le projet comme système d'action : l'apport de la sociologie de l'action organisée et des sciences politiques

Nous considérons le projet d'aménagement comme une action collective tendue vers la production d'un espace qui reflète des rapports de force et un ensemble de normes qui construisent un modèle urbain. Dans cette perspective, nous avons choisi de nourrir la réflexion à partir de l'apport théorique de la sociologie de l'action organisée représentée par M. Crozier et E. Friedberg10, deux chercheurs éminents en ce domaine. Nous complèterons leur théorie par les travaux de J.-D. Reynaud11, de B. Jobert et P. Muller12 et de J.-P. Gaudin et G. Novarina13. L'enjeu de ce transfert est double : à la fois conceptuel et méthodologique14. Nous allons tenter de montrer sa pertinence pour l'analyse d'un projet d'aménagement en sciences sociales et, plus particulièrement, en géographie.

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Plusieurs exemples nous viennent à l'esprit : la reconstruction de la Potsdamer Platz à Berlin et celle du centre-ville de Beyrouth (Tabet, J., 1997, "Trois plans pour une ville : lectures d'un projet pour la reconstruction du Centre-Ville de Beyrouth (1991)", in Beyrouth, regards croisés, dir. M.F. Davie, URBAMA, Collection Villes du Monde Arabe, volume n°2, Tours, pp. 273-304 ; Grésillon B., Kolher D., 2001, "Quand Berlin s'écrit en lettres capitales. Un regard critique", Mappemonde, n°63, pp. 1-7).

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Voir A. Belhedi : "Le discours que véhicule l'aménagement du territoire est souvent ambivalent ; il est présenté à la population en des termes fascinants qui font l'unanimité tout en véhiculant une stratégie voilée favorable aux différents états-majors en place, à savoir l'État, la firme et les acteurs socio-économiques. Ce discours est tellement fascinant qu'il finit par être intériorisé par les techniciens et les aménageurs qui en deviennent les fervents défenseurs" (Belhedi, 1996, p. 11).

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La problématique du pouvoir est une question théorique très vaste et complexe que nous ne ferons qu'effleurer.

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Nous nous référons ici à la réédition en 2001 de l'ouvrage L'acteur et le système. Les contraintes de l'action collective dans la collection "Points Essais" des éditions du Seuil. L'ouvrage d'E. Friedberg intitulé Le pouvoir et la règle. Dynamiques de l'action organisée, publié en 1993, au Seuil, a également nourri notre réflexion.

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Reynaud J.-D., 1989, Les Règles du jeu. L'action collective et la régulation sociale, Paris, A. Colin.

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Jobert B., Muller P., 1987, L'État en action. Politiques publiques et corporatismes, Paris, PUF.

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Voir Gaudin J.-P., Novarina G. (dir.), 1997) Politiques publiques et négociation. Multipolarités, flexibilités, hiérarchies. Quelques courants contemporains de recherche, Paris, PIR-Villes, CNRS éditions, 174 p.

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Pour l'apport méthodologique des deux auteurs, nous le mettrons en valeur plus loin dans ce même chapitre.

Dans leur ouvrage fondateur, devenu un grand classique, intitulé L'acteur et le système, M. Crozier et E. Friedberg construisent une théorie des actions collectives organisées dans les entreprises et les administrations, et ont forgé, pour ce faire, la notion de système d'action concret. Avant d'en venir à sa définition, leur réflexion porte sur les concepts de stratégie, de pouvoir et de jeu.

La stratégie d'un acteur désigne "le fondement inféré ex post des régularités de comportement d'un acteur observées empiriquement" (Crozier et Friedberg, 2001, p. 57). Elle donne un sens, une rationalité à l'ensemble de ses comportements, qu'ils soient offensifs (la saisie d'opportunités en vue d'améliorer sa situation) ou défensifs (le maintien de sa marge de liberté, donc de sa capacité à agir). Et un acteur adopte telle stratégie plutôt qu'une autre en fonction du contexte relationnel et de ses propres capacités (matérielles, affectives, cognitives, relationnelles) (Crozier et Friedberg, 2001, p. 470). La théorie des deux auteurs se démarque ainsi de deux autres approches théoriques, à savoir celle de l'individualisme pur (R. Boudon15) et celle défendue par P. Bourdieu pour qui les individus sont des agents, et non des acteurs16.

A l'instar des auteurs se réclamant de la théorie de la justification (L. Boltanski et L. Thévenot) ou de la théorie des régimes urbains (C. N. Stone), les deux auteurs proposent une conception interactionniste du pouvoir (Novarina, 1997, p. 46). Dans leur analyse, il faut comprendre ce dernier non comme le simple reflet et produit d'une structure d'autorité, mais comme une relation de négociation entre acteurs, dans laquelle les termes de l'échange sont plus favorables à l'une des parties en présence (Crozier et Friedberg, 2001, p. 69)17. Ce concept, qui se traduit par une relation inégalitaire, s'articule à celui de jeu d'acteurs : "Il n'est au fond rien d'autre que le résultat toujours contingent de la mobilisation par les acteurs des sources d'incertitudes pertinentes qu'ils contrôlent dans une structure de jeu donné, pour leurs relations et tractations avec les autres participants du jeu. C'est donc une relation qui en tant que médiation spécifique et autonome des objectifs divergents des acteurs, est toujours liée à une structure de jeu" (Crozier et Friedberg, 2001, p. 30). L'idée est de rompre avec une définition du pouvoir en tant que domination ou contrôle social : "Le pouvoir dépend en effet de la capacité des différents acteurs à mobiliser dans une situation donnée des ressources de manière à structurer en leur faveur les relations d'échange" (Novarina, 1997, p. 49).

Précisons enfin ce que l'on peut entendre par "jeu". Ce dernier concept est beaucoup plus qu'une simple image. Il s'agit d'un mécanisme grâce auquel les hommes structurent et

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Boudon R., 1973, L'Inégalité des chances, Paris, A. Colin.

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Bourdieu P., 1980, Le Sens pratique, Paris, E. de Minuit.

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Par exemple au sein d'une organisation, le pouvoir est au cœur des relations entre les acteurs. L'organisation régularise le déroulement de ces relations. Quatre grandes sources de pouvoir sont sécrétées par l'organisation : la maîtrise d'une compétence particulière rare, les relations d'une organisation avec l'extérieur (son environnement), la maîtrise de la communication et des informations, et, enfin, les règles organisationnelles générales au sein de l'organisation.

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régularisent leurs relations de pouvoir (Crozier et Friedberg, 2001, p. 113). Dès lors, il révèle les stratégies de ces derniers et leur confère leur rationalité. Il suppose des limites, des inclusions et des exclusions (Crozier et Friedberg, 2001, p. 241). Le jeu est ainsi plus ou moins ouvert à un grand nombre d'acteurs et reflète la prise de décision dans l'action collective. La "variable relationnelle" (Gaudin, 1993, p. 111) est au cœur du dispositif d'action et s'exprime à travers les multiples situations d'interface et de dialogue codé entre les différents intervenants.

La démonstration des deux auteurs les conduit à forger la définition d'un objet nouveau : le système d'action concret. Il est défini comme "un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c'est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d'autres jeux" (Crozier et Friedberg, 2001, p. 286). Dans cette définition, la notion de régulation ne doit pas se comprendre comme un asservissement à un organe régulateur, ni comme l'exercice d'une contrainte, et ni comme des mécanismes automatiques d'ajustement mutuel. Elle est ce par quoi les jeux d'acteurs sont intégrés en fonction d'un modèle structuré et formalisé autour de buts clairs.