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L A LAGUNE VUE PAR LES VOYAGEURS ARABES ET LES T UNISIENS : UN ESPACE OCCULTÉ ?

CHAPITRE 2. AU CROISEMENT DES REGARDS, LES FONDEMENTS DE L'IMAGE DES LACS

2.2. L A LAGUNE VUE PAR LES VOYAGEURS ARABES ET LES T UNISIENS : UN ESPACE OCCULTÉ ?

Ce développement46 est centré essentiellement sur la lagune, dans la mesure où, pour des raisons différentes, les deux sebkhas furent ignorées par les voyageurs arabes et les Tunisiens. En effet, jusqu'à la seconde moitié du XXème siècle, la sebkha Ariana, trop éloignée de la ville arabe, ne faisait pas partie du quotidien des habitants. Pour sa part, la sebkha Sijoumi fut également occultée, bien qu'elle fût située à proximité immédiate de la médina. Il faut dire que dans la période pré-hafside, le faubourg des malades et des lépreux (Rabd Al-Mardha), situé au bord de la sebkha, ne rendait pas l'endroit attractif. Puis, ses abords abritèrent à partir de l'entre- deux-guerres des gourbivilles habités par des familles très pauvres, qui étaient évitées par le reste des habitants de la capitale et délaissées par les autorités françaises.

La lagune n'est pas un lac pour les Tunisois ; ils ne l'appellent pas comme cela. Cette appellation est venue de l'extérieur. Pour eux, cet espace est nommé en arabe dialectal El Bahira, qui signifie "la petite mer" et vient de l'arabe classique El Bouhaïra. Dans les actes notariés de la Chancellerie de France du XVIIème siècle, cette façon de nommer le lac est répertoriée. Dans l'usage oral, le lac fut sans doute appelé El Bahira à partir du moment où ce plan d'eau cessa d'être vu uniquement comme une protection contre les envahisseurs, pour être considéré comme

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Nous remercions vivement l'historien Sadok Boubaker qui a lu ces pages en novembre 2002 et nous a permis de les enrichir.

le commencement du grand large. Ce changement fut sans doute concomitant du développement des échanges entre le pays et le reste de la Méditerranée à l'époque moderne.

Une fois rappelé cela, il faut bien avouer qu'il est difficile d'analyser les images arabes du lac, faute de sources nombreuses : les sources françaises sont bien plus abondantes que celles en arabe. Autant, dans le paragraphe précédent consacré aux regards des Français, nous avons restreint l'analyse à la période allant du XIXème siècle à l'Indépendance, autant il nous faut balayer plus largement l'histoire pour répondre ici à nos interrogations. Précisons que nous n'avons pas lu directement les sources arabes, faute d'une connaissance suffisamment solide de l'arabe littéraire. Il s'agit ainsi de sources de seconde main, récoltées dans des ouvrages de synthèse plus ou moins spécialisés. Autant dire que le développement ci-dessous n'a aucune prétention à la vérité historique. Plus modestement, il se contente de proposer quelques pistes d'interprétation.

Que signifie alors ce manque de sources sur les lacs de la capitale ? L'hypothèse serait que les lacs, mais en réalité surtout la lagune, furent des espaces qui avaient une très mauvaise image (spatiale) aux yeux des Arabes et des Tunisiens. Quelles valeurs et idéologies sous- tendent cette image négative ? Et comment expliquer ce déficit symbolique ? Nous tenterons de répondre à ces questions et de montrer que l'image tunisienne n'est pas restée figée et a évolué dans le temps.

2.2.1. Une mauvaise image de la lagune, à quelques exceptions près

Espaces pratiqués par les pêcheurs, les nomades et les corsaires, la lagune de Tunis et ses abords furent peu, voire pas du tout, appropriés par les citadins. Rares sont les sources qui permettent de reconstruire les relations des Tunisois avec le lac et même avec les sebkhas alentour. Ce déficit contraste avec la riche littérature arabe profane et religieuse qui attribuait à l'eau une place d'honneur dans l'image qui était faite des agréments du Paradis (Daoulatli, 1976).

Les lacs étaient situés aux portes de la ville, mais hors de la ville. Espaces de marge, situés au-delà des jardins maraîchers qui ceinturaient la ville arabe, la lagune et la sebkha Sijoumi s'opposaient véritablement en tous points à l'ordre d'un espace ceint par des murailles. Repoussoirs aux yeux des habitants, elles firent l'objet de préjugés tenaces.

La Tunis des Musulmans fut davantage tournée vers l'intérieur des terres que vers la mer. Qui plus est, le port de Tunis ne fut pas une source de fierté pour les Tunisois. Il ne faisait pas le poids pour rivaliser avec des villes comme Sousse47 ou Mahdia48. Petit bassin construit au XIème siècle, il ne devint important pour le commerce international qu'à partir du XIIème siècle. Escale

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Sousse fut le port par lequel communiquait Kairouan, la première capitale de l'Ifriqiya musulmane.

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nécessaire dans les itinéraires des marchands au Moyen Âge, il fut également une des cibles privilégiées des pirates (Mansouri, 1999).

Le lac était vu comme une porte d'entrée redoutée. Cette crainte des Tunisois était liée à la succession d'agressions militaires que la ville dût subir au cours de son histoire : les sièges militaires, les mises à sac et les dominations étrangères venaient du large et pénétraient jusqu'à la ville par le lac. L'historien S. Boubaker le rappelle très bien : "Depuis le début du XVIème siècle, on peut dire que les événements les plus importants qui ont marqué l'histoire de la Tunisie sont en rapport avec la mer. Les Ottomans qui arrivent sur les côtes du royaume hafside sont des corsaires : les frères Barberousse, Darghouth, Euj Ali alias Mezzomorto… Les quatre prises de Tunis (en 1534 par Khereddine, en 1535 par Charles Quint, en 1573 par Don Juan d'Autriche, en 1574 par Sinan Pacha) sont autant de hauts faits militaires en Méditerranée au XVIème siècle. On pourrait ajouter, à cette énumération d'événements, ceux qui ont eu lieu au XVIIème siècle : l'attaque de La Goulette par les flottes européennes (1609), la campagne de l'amiral Black (1653), celle de Ruyter (1655). Les multiples canonnades de la flotte française (en 1685, en 1742 et la guerre de 1770), le conflit avec la république de Venise (1784-1794), l'expédition de Lord Exmouth (1816), viennent appuyer la démonstration que l'événement est toujours maritime, particulièrement depuis le XVIème siècle" (Boubaker, 1999, p. 62).

Les odeurs, qui peu à peu se répandirent dans la ville, ne rehaussèrent pas l'image du lac dans les esprits des habitants. La pollution49, phénomène qui prit de l'ampleur à partir des Hafsides, sembla même nourrir un sentiment de honte lié à la visibilité des déchets sur les berges et à celle des rejets d'égouts dans le lac. La lagune semble avoir été mal aimée des Tunisois. La tradition orale raconte que "dans le Tunis pré-contemporain, on noyait les femmes adultères dans le lac (la Bahira de Tunis), enfermées à l'intérieur d'un sac. Dans des cas plus heureux, on les envoyait en exil dans les îles Kerkennah" (Ben Miled, 1998, p. 259). Figure de la marginalité, la femme adultère était ainsi lapidée et bannie de la ville, tuée symboliquement dans un espace liquide fortement déprécié. Dans sa thèse sur l'imaginaire de Tunis de 1850 à 1881, L. Chabbi évoque la concordance entre la vision des Européens et celle des notables tunisiens : tous partageaient les mêmes peurs de cet espace liées à la criminalité, à la prostitution, etc.50 Et les témoignages des uns et des autres furent volontairement noircis, afin de justifier l'interventionnisme des autorités du Protectorat au nom de l'ordre, de la gestion et de l'hygiène.

De façon anecdotique et amusante, néanmoins symptomatique, les réactions des Goulettois et des Tunisois à la création de la ligne du TGM furent très révélatrices du rapport des habitants au Lac. L'avocat Raoul Darmon, né au début du XXème siècle dans le "Jbel" (ancien quartier des remparts) de La Goulette, raconte que :

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Le terme est anachronique pour l'époque.

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Chabbi L., 1977, L'imaginaire et la ville : le cas de Tunis du 19ème siècle (1850-1881), Thèse de Doctorat de Sociologie, Université Grenoble II.

"Certains habitants prétendaient que se faire transporter sur une sorte de pont bordé d'eau de chaque côté donnerait le mal de mer aux usagers. D'autres, s'estimant plus avisés, soutenaient que la berge ne pourrait supporter le poids des rames en marche et qu'au premier voyage, le train s'enfoncerait en plein lac, engloutissant tous les passagers."51

À nouveau, le lac était associé à un imaginaire de la peur.

En même temps, cette mauvaise image est nuancée par le rapport organique que la ville entretenait avec sa lagune. Dès les origines de la conquête arabe, l'image du lac nourricier est construite par la tradition orale et écrite ancienne : au XIème siècle, l'historien arabe El-Bakri indiquait que le poisson y était abondant et varié (y compris des espèces rares que l'on ne trouvait pas ailleurs). D'ailleurs, de nombreux pêcheurs exploitaient ces ressources halieutiques ; et les poissons étaient consommés frais ou conservés dans le sel. Le même auteur relata l'existence de citernes remplies de poissons à l'époque aghlabite, situées dans la partie sud du lac à proximité de la mer entre La Goulette et Radès. Selon P. Sebag, il devait s'agir de deux grands bassins d'élevage et de conservation de poissons marins capturés à l'entrée ou à la sortie de la lagune. Le lac était également exploité pour la collecte du sel fourni en abondance par une grande saline située à Tunis au sud de la lagune (Sebag, 1998).

Les historiens arabes comme El-Bakri, Idrissi ou Aboulfeda s'attachèrent aussi à évoquer les dimensions de la lagune. Le premier donna au lac un périmètre erroné de 24 milles ; ce qui représentait 38 kilomètres. Or, le plan d'eau dépassait les 50 kilomètres de périmètre dans la seconde moitié du XXème siècle. Et au XIVème siècle, il est attesté qu'il se trouvait à 800 m seulement de la ville, donc le périmètre devait être encore plus important. La description d'Idrissi complète les renseignements :

"Le lac communique avec la mer par un chenal, Foum el Wadi [embouchure en arabe], long de 4 milles, large de 40 coudées [soit environ 20 mètres] et profond de 3 à 4 toises [de 6 à 8 mètres]. Le fond est de vase. Près de la mer, il s'agrandit et sa profondeur augmente. On appelle ce lieu waqqûr. C'est là que les galères jettent l'ancre. On les décharge à l'aide de petites barques susceptibles de naviguer à plus basses eaux. Même l'introduction des navires de la mer dans le canal et jusqu'à waqqûr ne peut avoir lieu qu'un à un, attendu le défaut d'espace."52

En associant également la lagune à la souveraineté, les historiens arabes donnèrent une image positive, qui plus est inattendue, de cet espace.

2.2.2. L'image de la lagune associée à celle du pouvoir

De Ibn Haoukal, au Xème siècle, à Abdalbasit Ibn Khalil, au XVème siècle, les sources arabes louèrent les aménagements réalisés par les Arabes depuis la conquête. El-Bakri relata les grands travaux faits au début du VIIIème siècle sur l'ordre d'El Hassan. L'historien conta notamment l'action des Coptes qui creusèrent le canal près de l'arsenal, afin de faire venir les eaux de la mer jusqu'au lac. Admiratifs de l'action des souverains, ces auteurs affirmèrent que la

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Darmon R., 2002, Il était une fois… La Goulette et les Goulettois, Sidi Bou Saïd, Alyssa-éditions, 58 p.

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lagune de Tunis était même leur création. El-Bakri et Idrissi parlèrent ainsi d'un lac "creusé de mains d'hommes" sur ordre du régnant (cités par Zaouali, 1982, p. 4). On est loin de la vérité, car l'existence du lac de Tunis est attestée dès l'Antiquité (Sebag, 1998, p. 102). Cependant cette fable est significative : l'éloge venait légitimer la conquête et l'action des souverains arabes successifs. Il témoigne aussi de la permanence, dès le VIIIème siècle, d'une volonté des Arabes de dominer la nature. Depuis la fondation de Tunis par les Arabes, la lagune fut donc présentée comme un enjeu dont la paternité devait revenir aux sultans qui l'avaient faite leur.

En outre, deux espaces sont dépeints comme des lieux de souveraineté. Tout d'abord, l'espace situé au bord de la lagune à proximité de la ville arabe53, devint un lieu fort apprécié des beys qui aimaient y venir en promenade. Une telle qualification positive du bord du lac à l'époque ottomane surprend au regard des évocations nombreuses de cette zone, laquelle fut décrite comme une sorte de no man's land de terrains vagues traversé par les khandaks et jonché de poubelles. Ensuite, l'île de Chikly54, située au milieu de la lagune, devint à son tour à l'époque moderne une île de villégiature pour les souverains. À l'époque des Hafsides (1229-1534), selon Abou Fida, les sultans organisaient des fêtes sur l'île durant les saisons de pêche aux poissons. En 1337, l'Oriental Ibn Fadlallah Al-Oman racontait que :

"Parfois le roi s'y rend en cortège et traverse le lac dans des barques au printemps, y fait dresser des tentes et y passe quelques jours pour s'y divertir; puis il revient à Tunis. Cependant on ne trouve pas d'eau dans cette île, ni de prairie, mais on y jouit de la vue des jardins qui entourent le lac, des kiosques qui le dominent et du spectacle de la mer."55

Ce dernier témoignage donne l'idée que la lagune et ses alentours sont perçues comme un beau paysage. À la même date, les écrits d'Abou Fadhl Allah El Omari convergaient en ce sens, tandis que ceux d'Abou Fida étaient ambivalents : ce dernier auteur retint autant la beauté de ce lieu de plaisance que la présence d'immondices sur la berge du lac attenante à la ville.

Les prémisses d'une reconnaissance de la lagune comme paysage sont ainsi posés dès la période hafside. À l'époque actuelle, des auteurs tentent également de faire valoir la qualité paysagère des lacs de la capitale et d'y sensibiliser le grand public et les dirigeants du pays. 2.2.3. Vers une reconnaissance paysagère par les autorités tunisiennes ?

Considérer le site aquatique de Tunis comme un paysage ne va pas de soi dans la tradition arabe. Pourtant, et par-delà la mauvaise réputation de cet espace, les représentations collectives des Tunisiens semblent évoluer, et les autorités tunisiennes semblent davantage soucieuses de prêter attention et de protéger les espaces naturels, à l'instar des lacs de la capitale.

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Ce lieu fut appelé au XXème siècle l'Esplanade, un nom qui fut officialisé par un décret du bey Mohamed El Habib Bacha paru le 13 mars 1928. La réglementation pendant la période coloniale confirma la vocation de cet espace en lieu de promenade et de villégiature pour les habitants de la ville de Tunis. Cf. supra : Chapitre 1, § 1.1.4.

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Chikly – en arabe Chekila, qui veut dire coquette – est une appellation attribuée par El-Bakri.

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Le Ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire (MEAT) a confié ainsi à un bureau d'études la mission d'inventorier les paysages naturels du pays56. Dans cette perspective, J. Abdelkafi, paysagiste tunisien de renom et responsable de l'étude, fait état de l'intérêt paysager des lacs de la capitale. Dans le rapport de deuxième phase se trouvent une description et un tableau présenté par région des paysages et espaces "naturels". Parmi les paysages remarquables du Gouvernorat de Tunis figurent non seulement les berges de la lagune, mais aussi celles de la sebkha Sijoumi. Le lac de Tunis avec ses flamants est qualifié de "beau paysage lacustre" (Abdelkafi, 1999). La valeur historique et culturelle de l'île de Chikly est reconnue. Quant à elle, la sebkha Sijoumi est considérée comme une "vaste zone humide bordant la capitale et dont les berges ont fait l'objet de plantations vertes". En outre, il est fait mention que le site accueille de nombreuses espèces d'oiseaux migrateurs et que la valeur esthétique du site est menacée par l'urbanisation et la pollution. Au sein du Gouvernorat de l'Ariana, la sebkha de l'Ariana est perçue comme un paysage naturel de grand intérêt. L'étude signale que cette vaste dépression inondée en hiver voit ses bordures s'urbaniser ; les auteurs de l'étude invitent ainsi les pouvoirs publics à protéger et à conserver davantage ces paysages amphibies.

Peut-on penser que la transmission de la culture paysagère occidentale a joué son rôle et permis une appropriation progressive par les Tunisiens des lacs comme paysages dignes d'intérêt ? Significative d'une forte évolution dans la perception de ces zones humides qui n'avaient pas bonne presse jusqu'à peu, cette étude traduit la conception d'un bureau d'études. A tout le moins, son lancement témoigne d'un questionnement nouveau de la part des autorités. Reste à savoir ce qu'elles feront de l'étude.

Certains intellectuels tunisiens commencent à parler de patrimoine naturel et culturel dans le cas du lac de Tunis et de l'île de Chikly : "L'histoire maritime du Lac de Tunis nous paraît non seulement l'une des plus riches en Méditerranée, mais aussi une clé dans l'étude et la gestion du patrimoine maritime tunisien" (Darmoul, 1999, p. 113). Une telle conscience patrimoniale est tout juste émergente, portée par une part très faible de la population, dont certains chercheurs tunisiens. Le mouvement associatif tente également de sensibiliser les autorités centrales sur la nécessaire protection des milieux de ces zones humides57.

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De l'époque médiévale à nos jours, les lacs ne sont donc pas apparus comme des espaces sans intérêt pour les voyageurs arabes et pour les Tunisiens. Certes, il est vrai que ces espaces ont joui pendant longtemps d'une mauvaise réputation aux yeux des Tunisois. En ce sens, les regards des Tunisiens et des Français semblent convergents : la lagune fut déconsidérée dans les

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Abdelkafi J., 1998-1999, Étude d'inventaire des paysages naturels de la Tunisie, MEAT, trois tomes.

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deux cas et les sebkhas furent la plupart du temps ignorées. Les appréciations leur conférèrent pendant longtemps une charge négative qui vint justifier en retour la positivité enthousiaste de l'intervention aménagiste.

CONCLUSION DU CHAPITRE 2

Objectivée par la multiplicité des entrées historiques, l'image des lacs puise donc dans de multiples sources. Au terme de cette entreprise, il nous semble que la co-présence des témoignages fait et donne sens au site aquatique de Tunis. En outre, l'investigation des fondements imaginaires de la relation des Français et des Tunisiens aux lacs a révélé des cultures de l'eau, des idéologies sociales et des rapports à la ville très divers. Les lacs sont ainsi apparus comme des lieux d'investissement de capitaux-images très variés.

Dès le début du XIXème siècle, nous avons montré que le Lac de Tunis a été l'objet de nombreux discours des Français nourris de représentations très ambivalentes, mêlant l'idéologie moderniste et hygiéniste aux inspirations romantiques et orientalistes. La lagune, qui est pourtant saluée pour sa beauté par les auteurs, pue et fait horreur, à l'image de toute l'eau sale qui circule dans la Tunis du XIXème siècle et qui vient s'y déverser. Les points de vue sont discordants : à petite échelle, la rhétorique de l'éloge prime, tandis qu'à grande échelle, le discours devient dépréciateur lorsque l'observateur y regarde de plus près

Nous avons également fait valoir à quel point les discours des Français sur Tunis et sa lagune ont guidé l'action aménagiste. La fabrique de la ville coloniale marqua le succès du modèle urbain hygiéniste d'une ville sèche, lisse, purifiée et autant que possible désodorisée. La