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L A GESTION DE T UNIS : UN CADRE INSTITUTIONNEL ET DES RÈGLES DU JEU SPÉCIFIQUES

CHAPITRE 5. LE PROJET D'AMÉNAGEMENT, UNE NOTION À CONTEXTUALISER

5.2. L A GESTION DE T UNIS : UN CADRE INSTITUTIONNEL ET DES RÈGLES DU JEU SPÉCIFIQUES

Par rapport à la perspective et aux objectifs que nous nous sommes donnés, il convient de préciser certains points relatifs à la gestion de la capitale, cadre général au sein duquel les projets que nous allons étudier ont pris naissance et évolué.

5.2.1. L'État contre la Municipalité de Tunis ? Présentation des acteurs institutionnels et des politiques urbaines

La gestion de Tunis fait intervenir un grand nombre d'acteurs institutionnels, sans compter le rôle également clé des acteurs non institutionnels. Parmi les premiers, il convient de

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distinguer plusieurs catégories d'intervenants : les structures publiques et parapubliques, les acteurs privés nationaux et les acteurs publics et privés internationaux. Nous commencerons par considérer le poids des acteurs publics à l'échelon central, qui éclaire en quoi la gestion de la capitale est bien avant tout une affaire d'État, même si le rôle de la Municipalité de Tunis est loin d'avoir été insignifiant. Au risque d'être très rapide dans cette présentation, ce contexte institutionnel ne sera rappelé ici qu'afin de mettre en perspective l'évolution du rôle de l'État à travers les quatre projets d'aménagement des lacs.

L'État centralisé, un acteur multiple : un dispositif institutionnel très étoffé

L'État est loin d'être une entité abstraite, mais un acteur multiple qui "se décompose en plusieurs sphères, en plusieurs instances, dont les modes d'action – à travers les instruments mis en œuvre – ne répondent pas nécessairement exactement aux mêmes logiques et ne concourent pas à des finalités absolument identiques" (Signoles, 2000, p. 393). Les institutions publiques et parapubliques en charge de la gestion de Tunis sont éclatées et leurs registres d'action se superposent, se juxtaposent ou se chevauchent (Ben Letaïef, 1999, p. 123)20. Tout d'abord, les structures ministérielles sont des acteurs de premier plan. Parmi elles, les services centraux et la Direction Régionale de Tunis du Ministère de l'Equipement, de l'Habitat et de l'Aménagement du Territoire (MEH) peuvent être considérés comme les acteurs principaux en matière d'élaboration de stratégies et de réglementations urbaines, de maîtrise et de promotion foncière et immobilière, de construction d'équipements structurants et de planification spatiale. Ses compétences ont été élargies avec le rattachement de la Direction Générale de l'Aménagement du Territoire qui faisait précédemment partie du Ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire (MEAT), créé en 1991, mais qui a été supprimé en 2002. Le Ministère du Développement Économique supervise le processus de planification nationale et intervient en finançant le Programme de Développement Urbain Intégré (PDUI)21. Le Ministère de l'Intérieur intervient à travers une fonction de tutelle qu'il exerce sur les collectivités locales des 29 communes du Grand Tunis.

Des opérateurs publics spécialisés ont également été créés et érigés en établissements jouissant d'une certaine autonomie juridique et financière. Premier d'entre eux, la Société Nationale Immobilière de Tunisie (SNIT) apparaît dès 1957. Puis, créé en 1972, dans le cadre du Premier Projet Urbain financé par la Banque Mondiale, et impulsé par cette dernière, le District de Tunis a été l'agence de planification en charge de coordonner, d'orienter et de contrôler les actions d'équipement et d'aménagement du territoire à l'échelle de la capitale entière. En 1973, trois agences foncières sont créées : l'Agence Foncière de l'Habitat (AFH), l'Agence Foncière Industrielle (AFI) et l'Agence Foncière Touristique (AFT). En 1977, la Société de Promotion des

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Au sujet des institutions, voir Ben Letaïef M., 1999, "Gouvernance urbaine et devenir de la ville en Tunisie", pp. 115-145, in Le devenir de la ville, sous la direction d'A. Sedjari, Paris, L'Harmattan-GRET, 295 p., et aux articles de S. Hizem et de J.-M. Miossec parus dans : Signoles P., El Kadi G., Boumedine R.S., dir., 1999, L'urbain dans le monde arabe. Politiques, instruments et acteurs, CNRS éditions, Aix-en-Provence, 373 p.

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Le PDUI correspond à un nouveau type de projet axé principalement sur l'équipement des quartiers populaires et la promotion de l'emploi et des activités (Chabbi, 1999, p. 197).

Logements Sociaux (SPROLS) voit le jour pour assurer la construction de logements destinés à la location aux assurés sociaux les plus modestes. En 1981, le gouvernement crée l'Agence de Réhabilitation et de Rénovation Urbaine (ARRU) pour enrayer les problèmes liés aux quartiers d'habitat illégal. L'Agence Nationale de Protection de l'Environnement (ANPE) est créée en 1988, suivie, en 1995, de la naissance d'une Agence de Protection et d'Aménagement du Littoral (APAL) en charge de la gestion des zones côtières du pays. En 1995, Le District de Tunis a été transformé en Agence Urbaine du Grand Tunis, placée sous la tutelle du MEH, avec pour mission la conception d'études urbaines et d'une banque de données urbaines, la mise en place d'un observatoire foncier et immobilier du Grand Tunis et l'assistance technique aux collectivités locales de la capitale. Plusieurs auteurs et acteurs s'accordent à dire que le District de Tunis a été affaibli, puis a été dissout, car il constituait une structure de pouvoir décentralisée, en marge d'une technostructure très centralisée, qui, en définitive, déplaisait et gênait l'État (Ben Letaïef, 1999, Miossec, 1999).

Des opérateurs sectoriels sont également présents à Tunis et sur tout le territoire : la Société Tunisienne de l'Électricité et du Gaz (STEG), la Société Nationale d'Exploitation et de Distribution des Eaux (SONEDE) et l'Office National de l'Assainissement (ONAS)22, les sociétés de transport public collectif (SMLT, SNT) et l'Office National du Tourisme Tunisien (ONTT). Enfin, les banques et autres institutions financières publiques garantissent les investissements : la Caisse Nationale d'Épargne Logement (CNEL), créée en 1974, est devenue, en 1986, la Banque de l'Habitat. En 1977, le Fonds de Promotion des Logements pour les Salariés (FOPROLOS) complète le dispositif institutionnel.

Les cadres politiques de l'État et du Parti (le RCD) jouent un rôle inégal dans la gestion urbaine. Ils sont présents à toutes les échelles du pouvoir : gouverneurs du Grand Tunis, nommés par le pouvoir central et plus ou moins interventionnistes dans les affaires de la ville ; membres des "comités de quartier"23 contrôlés par les cellules du Parti. Les élus locaux, à l'inverse, ont été dessaisis d'une partie de leurs compétences, processus qui s'est accompagné par une perte de leur représentativité dans les Conseils municipaux ou dans les commissions consultatives des Conseils de gouvernorat (Miossec, 1999, p. 101).

La Municipalité de Tunis : le maintien d'une institution locale, pourtant dépossédée d'une partie de ses pouvoirs

Pendant le Protectorat, la production et le contrôle de l'espace urbain dans la capitale était sous l'autorité technique de la Direction des Travaux Publics de la Ville de Tunis, créée dès 1890 (Abdelkafi, 1987, p. 255). Traditionnellement, un ingénieur était à la tête de cette Direction. En

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Nous insisterons plus loin sur le rôle clé de l'ONAS dans l'assainissement du Grand Tunis. Dans les années 1970, la mise en œuvre du Schéma d'Assainissement avec la création de 5 stations d'épuration dans la capitale mit fin au problème lié au rejet des eaux usées brutes dans les deux parties de la lagune.

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Ces structures ont été créées en 1988 et dépendent du Ministère de l'Intérieur. Plus de 4000 comités ont été constitués dans 250 villes grâce aux efforts combinés de l'administration et du RCD qui en a choisi les membres les plus influents. Ils constituent les courroies de transmission entre le pouvoir et l'administration centrale, d'une part, et, les communautés urbaines, de l'autre (Denoeux, 1999, p. 44).

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1930, un service d'Urbanisme est fondé au sein de la Direction, en charge de l'ensemble des services publics et du contrôle des demandes de permis de bâtir. A l'Indépendance, la capitale est dessaisie de ses services techniques suite à la création des nouveaux opérateurs à vocation nationale. La Direction des Travaux Publics est également marginalisée et "la gestion autrefois unitaire de l'espace urbain est fractionnée, au point que les techniciens parlent volontiers de gestion en miettes" (Abdelkafi, 1987, p. 270). En outre, les services techniques de la Ville ont été remis en cause au moment où la poussée démographique et l'étalement urbain ont été très forts. En 1967, l'Association de Sauvegarde la Médina est créée, issue de la réaction au projet présidentiel de percée de la médina, du temps de Bourguiba. Elle est financée par la Municipalité et fonctionne comme un bureau d'études public, chargé de définir les priorités dans la gestion de cet espace historique, en lien avec les services spécialisés de la Ville (Abdelkafi, 1989, Boumaza, 1999).

A partir des années 1980, le Maire de Tunis, M. Bouleymen, a été à l'origine d'une nouvelle dynamique de travail au sein des services techniques de la Ville. Tout particulièrement, les services de l'Urbanisme et de l'Embellissement, qui siègent aujourd'hui avenue de Carthage, à Tunis, ont joué un rôle dans la maîtrise d'ouvrage d'un certain nombre d'opérations, et, ce faisant, ont gagné en visibilité (réhabilitation de quartiers d'habitat spontané, rénovation de quartiers centraux et grands projets d'équipement). Dans les années 1990, leur rôle s'est étendu : l'État leur a confié la maîtrise d'ouvrage du réaménagement du centre-ville (avenue Habib Bourguiba et avenue de France) et du quartier de la Petite Sicile, situé à côté du port. La Ville a ainsi conservé un certain prestige, fruit d'une longue expérience acquise dans l'aménagement de la capitale. Elle a été également déléguée par l'État pour le projet concernant la sebkha Sijoumi. Nous en préciserons plus loin les conditions. En même temps, cette collectivité locale manque de moyens et est souvent dépassée dans sa mission de contrôle de l'expansion urbaine et de maîtrise du foncier sur son territoire.

Le microcosme des urbanistes tunisiens : l'institutionnalisation d'un corps

La Tunisie indépendante s'est constituée un solide corps d'urbanistes dont nous avons rencontré, de 1999 à 2003, une grande partie des membres impliqués dans les quatre projets que nous allons étudier. En préalable à l'exploitation des entretiens effectués, il est utile de préciser rapidement les contours actuels de ce corps professionnel qui est présent autant dans les administrations que dans le secteur privé.

L'Annuaire des Urbanistes Tunisiens publié par l'Association Tunisienne des Urbanistes (ATU) est une source précieuse. Composée de 92 membres, cette structure rassemble la plupart, mais pas la totalité, des professionnels qui se définissent, plus ou moins légitimement, comme urbanistes à Tunis. Les fiches que contient l'annuaire permettent de préciser les formations universitaires de ce groupe, les catégories d'emploi et le secteur dans lequel ils travaillent. Sur les 92 personnes, 73 ont fourni une fiche. Les graphiques suivants représentent les disciplines dans 169

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lesquelles les urbanistes ont obtenu leurs diplômes (planche 29). Les formations en architecture ou en urbanisme sont prédominantes : 28 personnes auxquelles s'ajoutent 14 autres ont reçu une double formation en architecture et en urbanisme. Aujourd'hui, l'École Nationale d'Architecture et d'Urbanisme (ENAU) est le lieu de formation privilégié pour les futurs urbanistes du pays. Les profils de géographes, ingénieurs, écologues et économistes sont plus marginaux et très souvent couplés avec une spécialisation en urbanisme en fin de formation. Le niveau de formation de ce groupe est élevé, puisqu'on peut recenser 42 personnes qui ont un diplôme de 3ème cycle (DEA, DESS, doctorat) et 10 personnes qui sont passées par une grande école24. Les lieux de formation sont significatifs : 47 ont fait leur formation, en partie ou exclusivement, à l'étranger (la très grande majorité, en France ; le reste, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, en Algérie et aux Etats-Unis).

Les urbanistes ont des catégories d'emplois différenciées. Dans le secteur public, ils sont 28 et occupent principalement des postes de cadre intermédiaire (chef de service, sous-directeur, chargé de mission). Les 35 urbanistes du secteur privé sont principalement directeur d'un bureau d'études ou d'une agence d'architecture, ou bien consultant indépendant. 10 membres de l'ATU sont des universitaires (maître de conférences ou maître-assistant25). Les passerelles existent bien entre le monde professionnel et le monde universitaire. Une part des urbanistes des secteurs public et privé assure des enseignements dans le cadre de séminaires et d'ateliers à l'ENAU. Au total, le corps des urbanistes est un groupe relativement homogène sur le plan des formations universitaires, mais hétérogène quant aux parcours professionnels. Leurs emplois appartiennent en proportions à peu près égales au secteur public et au secteur privé.

La formation de ce corps a participé au processus général de constitution des nouvelles élites de la Tunisie indépendante. Il constitue aujourd'hui un pouvoir technique qui a acquis ses lettres de noblesse, à l'image de ce qui s'est passé dans la plupart des autres pays européens et arabes26. En contrepartie de cette institutionnalisation et de cette reconnaissance, cette élite technicienne subit le poids d'une forte hiérarchie dans le secteur public. Alors que les architectes et les ingénieurs dominaient, jusque dans les années 1970, la sphère de l'aménagement, les urbanistes se sont aujourd'hui faits une place à l'intérieur de la technocratie tunisienne. Une majorité d'architectes, et même certains ingénieurs, se sont ajoutés, avec ou sans formation, le titre d'urbaniste, ce qui n'a pas empêché que les clivages d'appartenances se soient maintenus derrière l'appellation unique. En outre, conséquence du nombre assez faible d'urbanistes en Tunisie, il s'agit d'un microcosme au sein duquel les professionnels se connaissent bien. Compte

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Les grandes écoles en question sont le Massachusets Institute of Technology, l'Ecole Nationale des Ingénieurs Tunisiens, HEC, l'Ecole du Paysage de Versailles, les Beaux-Arts de Paris.

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Pour ce poste, il n'est pas nécessaire d'avoir le grade de docteur.

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La thèse de géographie d'E. Verdeil atteste d'un processus identique d'institutionnalisation des urbanistes à Beyrouth (Verdeil, E., 2002, Une ville et ses urbanistes : Beyrouth en reconstruction, Université Paris 1, sous la direction de Pierre Merlin). Voir aussi les travaux de l'urbaniste-chercheur T. Souami sur les milieux urbanistiques (Souami T., 2002, "Milieux urbanistiques locaux dans les pays sud-méditerranéens : Cultures, pratiques et enjeux", Communication aux Journées de recherche "Fabrication Urbaine, Gouvernance Urbaine" organisées par le Centre Jacques Berque à Rabat en mai 2002).

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tenu de la diversité de leurs fonctions, nous verrons qu'ils n'ont pas les mêmes stratégies, selon qu'ils sont commanditaires publics ou non, ni la même marge de manœuvre par rapport aux contraintes qui pèsent sur eux dans les différents systèmes d'action que nous étudierons.

De 1956 aux années 1980 : un État sur-engagé sur tous les fronts

En vue de resituer la mise en projet des lacs, processus qui débute au début des années 1980, les politiques urbaines conduites par les administrations publiques à Tunis depuis l'Indépendance méritent d'être exposées à grands traits. Par politique urbaine, nous entendons, à l'échelle intra-urbaine, avec J.-M. Miossec et P. Signoles, le résultat de "la volonté de l'État d'intervenir, pour des causes variées, dans le processus d'urbanisation. Le désir d'orienter, de contrôler, de diriger la croissance urbaine, la recherche d'une meilleure répartition des populations et des activités à travers l'espace, en constituent généralement les objectifs volontaristes. L'élaboration de textes législatifs et de documents réglementaires (lois ou codes d'urbanisme ; réglementation de la construction), l'établissement de plans d'aménagement, l'institution d'organismes chargés du suivi d'exécution, en sont les moyens les plus courants" (Miossec et Signoles, 1984, p. 183).

Sans aborder en détail l'analyse de ces politiques, nous distinguerons rapidement les cinq axes de l'interventionnisme étatique (planche 30).

Une politique d'infrastructures et de transports a été engagée par l'État au début des années 1970. Ses réalisations les plus marquantes sont la réalisation du métro léger (3 lignes de tramway mises en service en 1982), la mise en œuvre du Schéma Directeur Routier et celle du Schéma d'Assainissement (Chabbi, 1997, p. 258).

La politique de réhabilitation / rénovation a traduit une double volonté des pouvoirs publics. D'une part, l'État s'est engagé dans une "reconquête" par la restructuration des espaces dégradés et sous-intégrés de la médina et de ses faubourgs : les opérations Bab Souika- Halfaouine (Feynerol, 2000), oukalas27 (McGuiness, 1997), Hafsia (Abdelkafi, 1989) en sont les principaux théâtres. D'autre part, il a impulsé la rénovation et la restructuration de zones centrales et péri-centrales (situés dans le prolongement du centre-ville). Les opérations des secteurs Mohamed V, Montplaisir, Tunis-Centre et Belvédère-Palestine, axées sur des programmes de création de bureaux, ont favorisé le glissement des fonctions tertiaires vers le nord et vers l'est (Miossec, 1986). Nous montrerons que le projet du Lac Nord s'inscrit dans la suite de ce processus.

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Les flux de ruraux à destination de la Médina et de ses faubourgs sont en grande partie responsables de la transformation de grandes maisons en oukalas. D'après l'ASM, "un logement a été considéré comme oukalisé à partir du moment où il abritait 4 ménages et plus n'ayant entre eux aucun lien de parenté" (Signoles, Belhedi, Miossec, Dlala, 1980, p. 29). Chaque ménage disposait en moyenne d'une trentaine de m2. Engagée à partir de 1995, l'opération concerne près de 600 oukalas très dégradées et vise à améliorer les conditions de vie et à régulariser les situations pour les familles résidentes.

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Le rôle de l'État est également central dans la constitution de quartiers d'habitat destinés aux classes moyennes. Cette politique de promotion par l'habitat prend naissance à la fin des années 1960. Elle correspond à la stratégie de l'État de favoriser ces couches sociales émergentes, qu'il considère comme les bases du recrutement de ses élites et de la consolidation de l'État-Nation moderne. En échange de leur soutien au pouvoir, l'État s'engage à garantir une offre foncière et immobilière qui répond à leur désir de distinction et d'intégration dans la cité. La multiplication des administrations est le levier de cette politique qui vise la levée de l'obstacle foncier et financier. AFH, SNIT, SPROLS et CNEL sont les administrations qui constituent les maillons d'une filière publique de production de l'habitat. Ces acteurs institutionnels sont à l'origine de la formation des quartiers d'El Menzah, d'El Manar et d'El Mourouj (Chabbi, 1997, 1988). Le promoteur foncier, l'AFH, a démultiplié les El Menzah et les El Manar à des fins promotionnelles dans un contexte où ces deux appellations sont devenues très valorisées28. À côté de cette première filière, une seconde, liée au marché libre, s'est également constituée. Les propriétaires des terrains aménagés par l'État ont mobilisé une épargne et des crédits bancaires pour construire des logements qui ont intéressé particulièrement les cadres et professions libérales (Chabbi, 1988).

La résorption de l'habitat clandestin des quartiers spontanés est l'axe d'une politique étatique plus récente d'intégration des groupes sociaux les plus modestes à la ville. Depuis 1978, cette action s'est déroulée dans le cadre de plusieurs générations de projets qui ont porté au départ sur les quartiers Mellassine, Saïda Manoubia, Jebel Lahmar (Deuxième Projet Urbain en 1978), puis sur les quartiers Kram-Ouest et Ettadhamen (Troisième Projet Urbain en 1981). La Banque Mondiale a contribué activement au financement des premières opérations (à hauteur de 43 % dans le Deuxième Projet Urbain). Les objectifs ont été la régularisation foncière, une amélioration du bâti, des équipements et des infrastructures et la promotion d'une vie économique (petits métiers) (Chabbi, 1986, 1999).

Enfin, héritée de la période coloniale, la politique de planification spatiale aux échelles communale et régionale a été poursuivie par les cadres ministériels et le District de Tunis qui ont réalisé ou commandé à différents bureaux d'études les documents réglementaires prévus par la loi : signalons le Plan d'Aménagement Régional (1977), les Plans d'Aménagement des communes d'Hammam-Lif (1978), d'Ezzahra (1978), du Bardo (1978-1989), de La Manouba (1978-1989), de Tunis (1982) et de Den Den (1989). Une telle sédimentation des réglementations traduit la volonté pour les pouvoirs publics de maîtriser la croissance urbaine (Miossec et Signoles, 1984, pp. 190-191).

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"Habiter à El Menzah est devenu synonyme d'appartenance à une élite et à une catégorie supérieure" (Chabbi, 1997, p. 263). Voir aussi Smida N., 2001, Production de territoire dans les nouveaux quartiers aisés de Tunis : cas d'El Menzah et d'El Manar, mémoire de DEA d'Urbanisme sous la direction de P. Signoles et de M. Chabbi, ENAU, 131 p.

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175 Au total, depuis l'Indépendance l'État est le principal acteur d'une gestion très