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L' IMAGINAIRE AMÉNAGISTE EN ACTES : LES LACS , OBJETS D ' EXPÉRIMENTATIONS ET D ' UTOPIES MODERNISTES

CHAPITRE 4. LE FONDS DES DISCOURS DES AMÉNAGEURS : UNE AUTRE MÉMOIRE

4.2. L' IMAGINAIRE AMÉNAGISTE EN ACTES : LES LACS , OBJETS D ' EXPÉRIMENTATIONS ET D ' UTOPIES MODERNISTES

A la question : "Que faire des plans d'eau et des berges des lacs de Tunis ?", différents auteurs, architectes, urbanistes, ingénieurs, hommes d'affaires ou de lettres, proposèrent diverses possibilités. À travers l'examen de leurs discours, l'enjeu est de saisir les orientations planificatrices dominantes qui témoignent de l'évolution de la pensée aménagiste. L'examen des solutions inventées par les aménageurs invite à évoquer d'abord les plans d'eau, puis leurs berges. Nous évoquerons pour finir quelques utopies modernistes héritées du Protectorat qui sont ô combien révélatrices d'un certain rapport à la nature (au milieu).

4.2.1. Les lacs déconstruits et reconstruits par le discours aménagiste

Le plan d'eau constitue un miroir qui sert la projection de fantasmes divers. Trois grandes orientations d'aménagement se dessinent à la lecture des études. Depuis le Protectorat, les aménageurs envisagèrent d'assécher, de conserver ou de transformer les lacs de la capitale tunisienne.

Assécher les lacs

Premièrement, la tentation de l'assèchement du plan d'eau est envisagée très sérieusement dans un grand nombre d'études. Au début du XXème siècle, le contrôleur civil E. Violard proposait d'assécher la sebkha Sijoumi, puis de la dessaler afin de construire un paysage agricole de fermes coloniales :

"Il paraît qu'il est possible, au moyen d'un tunnel, d'écouler ces eaux stagnantes, puis de dessaler le sol imprégné depuis des siècles, en y cultivant des plantes fourragères spéciales. Une Société anonyme vient de se constituer à cet effet ; elle a obtenu, sous certaines réserves, la concession du lac Sedjoumi, et elle devrait commencer les travaux de dessèchement dès le printemps. Elle aurait, m'a dit l'un des membres de la société, l'intention, après le dessalement, de morceler le terrain en lots de un à cinq hectares enclos d'arbres, puis d'y installer des petits paysans français, des ouvriers agricoles, jardiniers, maraîchers, qui feraient, aux portes mêmes de Tunis, ce qui a été fait aux environs d'Alger par les Mahonais : d'admirables jardins potagers."8

Tout un idéal social agricole se couple ici au désir d'une nature maîtrisée et rationalisée.

8

Violard E., 1906, La Tunisie du Nord. Les contrôles civils de Souk-El-Arba, Béja, Tunis, Bizerte et Grombalia. Rapport à M. le Résident Général S. PICHON, Tunis, Imprimerie moderne, p. 182.

D'après l'ingénieur J. Gaillard, la sebkha Sijoumi avait été l'objet, au cours de l'entre- deux-guerres, de nombreux projets qui prévoyaient de l'assécher pour la transformer en forêt, en rizière ou même en terrain d'atterrissage. Pour sa part, il opta pour la solution suivante :

"Nous pensons que la meilleure solution peut être constituée par sa plantation en une immense forêt d'eucalyptus, seuls arbres résistant à la salinité du terrain et dont la puissance de l'évaporation maintiendra l'assèchement de cette dépression."9

En 1978, Ameur Horchani, expert scientifique au Ministère de l'Équipement et de l'Habitat, justifiait à nouveau l'option de l'assèchement dans un article intitulé "Réflexions sur l'aménagement des lacs et des sebkhas en Tunisie" et publié dans la revue Dialogue pour le progrès. Il justifia ce choix en saluant la réussite que fut l'assèchement de la sebkha d'El Haouaria10 ; action qui permit de gagner 1 000 hectares pour l'agriculture. Il mentionna aussi l'assèchement à court terme de la sebkha de Kélibia par deux barrages situés en amont (El Houareb sur l'oued Merguellil et Sidi Saad sur l'oued Zeroud). Plus de 10 000 hectares récupérés pour l'agriculture étaient prévus à l'époque.

L'étude du bureau d'études tunisien Urbaconsult sur la zone de la sebkha Sijoumi mentionnait encore, dans les années 1990, le scénario de l'assèchement11. Les auteurs montrent qu'il s'agit d'une solution techniquement faisable : l'idée est de rabattre le niveau piézométrique de la nappe pour diminuer les afflux vers la sebkha en créant un canal de dérivation vers l'oued Miliane ou vers le Lac Sud. Dès la période hafside, il avait déjà été question à plusieurs reprises de combler progressivement toute la lagune12. Quant à la sebkha de l'Ariana, celle-ci ne fut pas épargnée par ce parti d'aménagement : l'étude du groupement tuniso-britannique de bureaux d'études Sedic-Rennie Park suggérait d'accélérer le comblement de la dépression13. La constitution de remblais sur une partie des berges au moyen de couches de déchets ménagers et de couches de sable était ainsi projetée, afin qu'à terme le milieu disparaisse.

Autant dire que la réduction progressive des plans d'eau de Tunis est une option qui se perpétua. La volonté d'assécher les zones humides de la capitale pour la récupération de terres agricoles est un axe d'aménagement récurrent qui prit naissance dans la diffusion de l'idéologie hygiéniste et se nourrit des mythes construits autour de ces espaces amphibies, porteurs de miasmes et de maladies en tous genres.

Aujourd'hui, l'assèchement complet n'est plus une option d'aménagement qui est retenue par les décideurs. À partir des années 1990, l'option fut écartée à Tunis suite à la prise de

9

Gaillard J., 1944, Un projet d'extension rationnelle de Tunis et de sa région dans le cadre de l'économie d'après guerre, Paris, p. 65.

10

La sebkha El Haouaria est située à l'extrémité du Cap Bon.

11

URBACONSULT, 1998, Schéma de développement de la zone de la sebkha de Sijoumi, Bilan et diagnostic. Rapport final de 1ère phase, "Projet Cités Durables", Municipalité de Tunis, 144 p.

12

Cf. supra : Chapitre 1, § 1.1.2.

13

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conscience progressive des fonctions écologiques et des potentialités de chacun des plans d'eau pour la capitale. La reconnaissance de ces espaces fait en effet progressivement son chemin14.

Conserver les plans d'eau

Deuxième grande orientation, l'approche "conservatrice" : elle ne signifie pas ici "muséifier" les lacs au mépris de leur évolution naturelle. L'approche conservatrice n'est pas conservatoire, mais plutôt protectionniste : les aménageurs envisagent les lacs comme des milieux fragiles à respecter et à protéger, tout en suggérant des hypothèses d'aménagement susceptibles de les mettre en valeur.

La sebkha Sijoumi fit l'objet de scénarios dans lesquels la protection et la valorisation du plan d'eau étaient privilégiées par un programme léger de réalisations : protection des fonctions écologiques de la sebkha, réalisation d'îlots pour les oiseaux migrateurs et protection des rives avec des talus privilégiant l'accès à pied au bord du lac au moyen d'un circuit de promenade et de détente15.

Le District de Tunis, auteur du Plan Régional d'Aménagement de Tunis de 1977, suggéra aussi cette option protectionniste des trois plans d'eau, laquelle fut reprise très récemment à la fin des années 1990 dans le Schéma Directeur du Grand Tunis :

"Les trois dépressions humides que sont le lac de Tunis, la sebkha de l'Ariana et la sebkha de Séjoumi, sont à préserver de l'urbanisation. Pour le lac de Tunis, éviter d'urbaniser l'axe central. Pour les deux autres sebkhas, empêcher tout aménagement susceptible d'entraver leur fonctionnement hydraulique. Ceci de façon conservatoire. D'une manière plus positive, il s'agira d'intégrer les zones humides au sein de l'armature projetée de zones vertes et de récréation de la capitale et de les aménager en conséquence. Des boisements particuliers, et là où cela est possible, des aménagements lacustres consacreront le caractère inaliénable de ces ensembles écologiques."16

Ces auteurs firent ainsi valoir l'avantage qu'il y avait à conserver ces reliefs en creux dans la mesure où ils pouvaient servir de discontinuités positives à l'urbanisation. Les auteurs du rapport du groupement franco-tunisien de bureaux d'études SIA-SACEC formulèrent la même idée au sujet de l'aménagement de la sebkha Sijoumi :

"Par ailleurs, les berges du Lac Sijoumi et le lac lui-même forment un espace naturel qui sert de zone de coupure de l'urbanisation, empêchant un développement tentaculaire de la ville."17

Transformer les lacs

Troisième direction, la transformation de nature du plan d'eau. Qu'entendre par là ? Les trois lacs sont dénommés de façon impropre : le Lac de Tunis lui-même est une lagune

14

Cf. supra : Chapitre 8, § 8.1.4.

15

Voir SIA-SACEC, 1980, Étude d'aménagement des berges du lac Sijoumi, variantes d'aménagement, Rapport de 3ème phase, District de Tunis, 49 p. (en particulier la première variante d'aménagement proposée).

16

URBACONSULT-URAM-BRAMMAH, 2000, Schéma directeur d'aménagement du Grand Tunis, Rapport final de 2ème phase, MEAT, p. 114.

17

profondément anthropisée. Le contact maintenu à l'endroit des passes situées entre la lagune et la mer est complètement artificiel, dans la mesure où l'écosystème est conduit naturellement à se refermer, à se combler, puis à disparaître. Le blocage dans l'évolution naturelle de la lagune est pluriséculaire18. Partant de là, l'aménagement du plan d'eau n'est que la continuation d'un processus de dénaturation déjà à l'œuvre.

Le cas des deux sebkhas est tout aussi significatif : plusieurs scénarios traduisent le parti de manipuler le milieu. La sebkha Ariana fait actuellement l'objet d'une étude qui privilégie l'idée d'une réouverture du milieu sur la mer19. Cette incursion de la mer dans la sebkha est une véritable dénaturation de l'écosystème transformant le milieu initial en lagune. En outre, une telle réalisation aboutirait à restaurer une ancienne forme de l'écosystème, avant que celui-ci n'ait été fermé par un cordon littoral. Dans ces conditions, l'aménagement conduirait au rajeunissement artificiel du plan d'eau. Quant à la sebkha Sijoumi, de nombreuses études n'hésitent pas à en faire le deuil. Dans l'étude De Koninckx-Stehie, les auteurs suggèrent la création d'un lac permanent jugé plus esthétique dans le paysage. Enfin, une des variantes d'aménagement de l'étude SIA- SACEC envisage également la création d'un plan d'eau permanent comme support à de nouvelles activités de loisirs.

Mal appréciée, la sebkha fut rarement valorisée par les aménageurs : la tentation fut de la transformer soit en lagune (cas de la sebkha Ariana), soit en lac permanent (cas de la sebkha Sijoumi). Les aménageurs ont horreur du vide ; et c'est bien ce qui semble poser problème aux aménageurs dans le cas de la sebkha qui, lorsqu'elle est presque totalement asséchée en été, n'offre aux yeux de l'observateur que le spectacle des efflorescences salines, de l'herbu et des déchets solides qui jonchent ses berges. Les usages ont ainsi renforcé la mauvaise image de ce milieu et lui ont donné une mauvaise réputation. Le discours aménagiste semble vouloir gommer ces représentations négatives en niant purement et simplement la spécificité de cet écosystème soumis dans le temps long à une certaine évolution naturelle et dans le temps court à des rythmes saisonniers particuliers.

Les aménageurs ont instauré indirectement une hiérarchie de valeur entre les différentes formes de présentation de l'eau. La mer est nettement valorisée dans toute sa dimension de vitalité, de mouvement et de régénération permanente. Elle est supérieure en cela à l'eau stagnante d'une lagune ou d'une sebkha. Les auteurs n'ont ainsi pas cherché à construire des réponses adaptées aux différents écosystèmes aquatiques tunisois. La logique a plutôt été d'araisonner la nature par la technique : les aménageurs ont cherché à déconstruire la nature pour la reconstruire en fonction de leurs représentations positives de la mer.

18

Cf. supra : Chapitre 1, § 1.1.2 et 1.1.4.

19

SWECO International, 2000, Étude de l'assainissement et de l'aménagement de la sebkha de l'Ariana, Rapport final, APAL. Nous y reviendrons longuement dans la Deuxième Partie (en infra : Chapitre 7, § 7.4.).

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Deux propos concluront cette analyse. F. Semboloni, architecte-urbaniste et professeur à la Faculté d'architecture de Florence, formule l'hypothèse suivante : "Peut-être que dans les villes proches de la mer, il est difficile de trouver un nouveau rapport avec l'eau parce que la mer absorbe tout l'intérêt envers l'eau"20. Les réflexions de H. Lefebvre, sociologue qui aborda le concept de production de l'espace dans une perspective marxiste, nous semblent également très éclairantes par rapport au cas tunisois : "La matière première de la production de l'espace, ce n'est pas comme pour les objets particuliers, un matériau particulier ; c'est la nature elle-même, transformée en produit, malmenée, aujourd'hui menacée, peut-être ruinée, à coup sûr localisée, comble du paradoxe"21.

Un jeu sur le temps et l'espace des écosystèmes : la nature manipulée

Les trois options d'aménagement que nous avons dégagées à la lecture des différentes études traduisent le parti de manipuler la nature. L'évolution naturelle des trois lacs est de devenir des plans d'eau coupés de la mer, qui se comblent jusqu'à disparaître selon une temporalité très lente. Les partis pris du discours aménagiste changent cette donne. Trois cas de dénaturation sont défendus : accélérer le devenir naturel de l'écosystème en l'asséchant par comblement artificiel, le rajeunir en restaurant une forme antérieure et opérant par là même un court-circuit temporel, ou bloquer son évolution. Le discours aménagiste implique aussi un jeu sur les logiques spatiales : dans les trois cas, des auteurs ont proposé une partition des milieux en sous-systèmes auxquels correspondaient des fonctions complémentaires. Constitution du multiple à partir de l'unique, retours en arrière dans le temps ou accélération de la dynamique naturelle : le discours aménagiste est bien un jeu sur le temps et l'espace des écosystèmes.

Dans l'étude SACEC SN qui porte sur l'aménagement de la sebkha Sijoumi, les auteurs ont suggéré la réduction de la surface du lac et sa division en trois plans d'eau avec des fonction spécifiques (planche 24). Lepremier plan d'eau est ainsi consacré au tourisme (infrastructures d'accueil, de restauration et d'hébergement sous la forme de bungalows). Le second plan d'eau sert plutôt aux loisirs : à l'ouest, une pinède est prévue sur les berges, et, à l'est, une zone de plage et de nautisme est programmée. Un circuit de promenade est envisagé sur la digue de séparation entre les deux premiers plans d'eau. Enfin, le troisième plan d'eau est une zone "nature et culture", dotée d'un parc animalier et floristique et d'une réserve ornithologique. Dans les études actuelles qui portent sur le Lac Nord et la sebkha Ariana, les bureaux d'études défendent la même idée de compartimenter le plan d'eau, voire de le scinder pour des usages complémentaires22.

20

Semboloni F., 1995, "L'eau, élément de la ville méditerranéenne", in Les identités de la ville méditerranéenne, Actes du colloque de Montpellier, 18-20 novembre 1993, Montpellier, éditions de l'Espérou, p. 212.

21

Lefebvre H., 1981 (2ème édition), La production de l'espace, Paris, Anthropos, p. 146.

22

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La partition des trois plans d'eau est mise en image à travers les figures qui accompagnent les rapports. À l'instar des auteurs de l'étude SIA-SACEC, les aménageurs déconstruisent et reconstruisent ainsi de nouveaux milieux intégrés à la ville de Tunis.

"Dans tous les cas, la revalorisation de la zone nécessite une transformation de la sebkha et, plus la transformation du bassin du lac est importante, plus son insertion dans la vie réelle de Tunis et son rôle d'espace de loisirs et de détente sont nets." (SIA-SACEC, 1980, p. 25)

Le temps de l'aménagement précipite celui des écosystèmes du Grand Tunis pour les reconfigurer au sens propre comme au sens figuré. D'espaces passifs qui n'attirent personne, les lacs de Tunis sont ainsi appelés à devenir des espaces actifs au service de la capitale.

4.2.2. La projection de nouveaux fronts d'eau pour Tunis

Les berges des lacs de Tunis ont progressivement été intégrés dans de multiples études. La lecture transversale des partis d'aménagement des berges permet de dégager trois directions fondamentales, lesquelles constituent trois grandes permanences du discours aménagiste.

Les berges, supports d'espaces récréatifs et d'espaces verts

Parmi les trois orientations d'aménagement privilégiées, la première correspond à une utilisation de ces espaces liminaires en contact avec l'eau comme des espaces récréatifs et/ou des espaces verts pour la capitale.

Le projet Valensi (1920)23 en est un exemple significatif. La Ville de Tunis confia à cet architecte le soin d'achever l'avenue Jules-Ferry. Afin d'aménager son extrémité, celui-ci élabora, sur l'emplacement du cimetière juif, le projet d'une grande place publique devant un nouvel Hôtel de Ville ; elle devait être prolongée par une large avenue et une promenade ponctuée d'espaces publics paysagés avec vue sur le lac. Un môle organisé autour d'un bassin d'agrément monumental devait être réalisé dans la pure tradition néo-haussmannienne (planche 25). Dans son projet d'embellissement de Tunis, il s'intéressa également à la zone des berges septentrionales de la sebkha de Sijoumi. L'aménagement concernait la transformation du faubourg des malades et des lépreux (Rabdh Al Mardha), situé à l'extérieur de la ville et où se trouvait également une grande saline qui servait aux habitants de Tunis et des environs. Cet espace devait devenir un beau jardin agrémenté d'exèdres entourés de bancs d'où il aurait été possible de jouir du panorama sur la sebkha. Le projet mettait ainsi en jeu des valeurs très modernes comme la qualité de vie urbaine et l’ouverture de la ville sur la nature.

23

Valensi V., 1920, Projets d'aménagement, d'embellissements et d'extension de la ville de Tunis (Plan, esquisses et notice de présentation), Municipalité de Tunis. Les plans de l'architecte sont à la fois un plan d'aménagement de la ville existante et un plan d'extension pour encadrer la création des lotissements périphériques. Dans le centre-ville, Valensi envisageait de déplacer l'avenue Jules-Ferry vers une nouvelle avenue qui aurait relié le nouvel Hôtel de Ville à la lagune. L'architecte désirait ainsi ouvrir la ville sur le lac (Santelli, 1995).

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Hormis le projet de construction d'une esplanade dédiée à la promenade au bord du lac, les options urbanistiques de Valensi ne convainquirent pas les édiles coloniaux de Tunis. Volontairement polémique, l'architecte S. Santelli explique de la sorte cet échec : "Nul ne s'en étonnera quand on connaît le peu d'intérêt pour toute culture urbaine, à l'époque, des ingénieurs et topographes responsables du développement de la ville. En simplifiant, on pourrait dire que le projet Valensi est un projet d'architecte, qui doit se confronter à la culture d’ingénieur des décideurs et des gestionnaires de la ville" (Santelli, 1995, pp. 77-81).

Toutefois, Valensi ouvrit une longue permanence dans le discours aménagiste. À de nombreuses reprises, cette possibilité d'aménager les berges en espaces verts et de loisirs fut défendue. Tous les documents d'urbanisme réglementaire élaborés pendant le Protectorat en portent la trace24. Entre autres, le Plan Directeur du Grand Tunis de Quaroni-De Carlo (1962) traduit l'idée de créer une zone verte autour de la lagune afin d'y développer les loisirs des Tunisois. Cette idée est directement reprise dans le Plan Régional d'Aménagement élaboré en 1977 par le District de Tunis. Pourtant, au cours du XXème siècle, cette option est de plus en plus menacée dans un contexte de croissance urbaine accélérée qui fait des berges des trois lacs, des sites urbanisables de plus en plus convoités. En 1976, les bureaux d'études SCET et IAURP mettent ainsi en garde les décideurs :

"Il convient d'attirer l'attention sur le fait que les objectifs financiers retenus ne sont pas les seuls qui peuvent être pris en considération : l'aménagement des berges du lac pourrait avoir pour principe directeur d'être conduit pour répondre aux besoins en espaces naturels et en équipements verts de loisirs qui se manifesteront quand l'agglomération sera deux fois millionnaire et que le lac sera au centre de la conurbation du Grand Tunis. Il y a là matière à un choix de politique urbaine de toute première importance dont les implications se manifesteront de façon irrévocable dès maintenant."25