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L A LAGUNE ET LA MER , DES FONDEMENTS DE L ' IDENTITÉ TUNISOISE ?

CHAPITRE 3. LA MISE EN LIEU DES LACS, MIROIR DU RAPPORT TROUBLE DE LA CAPITALE TUNISIENNE À LA MER

3.2. L A LAGUNE ET LA MER , DES FONDEMENTS DE L ' IDENTITÉ TUNISOISE ?

L'architecte S. Santelli rappelle un fait essentiel : "Les relations de la ville avec la mer n'ont rien de simple. La ville est séparée de la mer par le lac de Tunis aux eaux peu profondes, lui-même séparé des eaux du golfe par un cordon littoral" (Santelli, 1995, p. 33). Cette évidence met sur la voie pour questionner la double relation de Tunis à sa lagune et à la mer. Quel rapport Tunis entretient-elle avec le monde maritime ? La lagune et la mer constituent-elles des fondements de l'identité tunisoise ? Sont-elles des facteurs d'identification des habitants à Tunis ?

Au cœur de ce rapport, la lagune joue un rôle ambigu. En effet, elle peut être considérée comme le début de la mer, un sas y conduisant. N'est elle pas d'ailleurs appelée par les Tunisiens "la Petite Mer" (en arabe El Bahira), dotée de son propre port qui fonctionnait encore il n'y a pas si longtemps ? Ou bien la lagune est appelée en français "lac", dénomination qui donne bien l'idée d'une clôture. Elle peut ainsi être perçue comme une coupure matérielle entre la ville et le golfe. Dans cette perspective, la question de la maritimité de la ville de Tunis mérite d'être posée.

La maritimité est un concept géographique récent qui s'est peu à peu répandu31. Forgé par F. Péron, J. Rieucau et P. Claval qui se sont entendus sur une définition commune au cours d'un colloque organisé à Paris en novembre 1991, le terme désigne "la variété des façons de s'approprier la mer en insistant sur celles qui s'inscrivent dans le registre des préférences, des

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Signalons aussi qu' A. Guillerme a développé la notion d'aquosité qu'il définit de la façon suivante : "L'eau porte une valeur sociale, l'aquosité. Aquositas, ce terme méconnu, francisé au 16ème siècle (…) mérite d'être réhabilité. Il sous-tend une forme de sociabilité, une sorte de familiarisation, de quotidienneté avec l'eau. (…) Elle est la forme objectivée de la sensibilité collective au milieu aquatique ; elle est ici, pour plagier les physico-chimistes, valeur en eau de la ville, valeur de contenant, ambiance aquatique" (Guillerme, 1992, pp. 7-8).

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images, des représentations collectives" (Péron et Rieucau, 1996, p. 13). F. Péron explique que "le mot maritimité (appliqué à un groupe social à un moment donné de son histoire) peut donc être pris dans un sens très large, puisque les façons de s'approprier la mer englobent les pratiques relatives au maritime et l'idée qu'on se fait de ce milieu particulièrement difficile, sinon impossible à dominer" (Péron, 1996, p. 14). L'accent est mis sur la recherche de la diversité des formes de sensibilité au milieu côtier et maritime et sur l'évolution des façons dont les groupes sociaux perçoivent et se représentent la mer, l'estran et la côte32. Cette notion profondément culturelle permet ainsi de conduire une investigation de la dimension symbolique qui sous-tend les relations des Tunisois à la lagune et à la mer. Autrement dit, quelle part les Tunisois accordent-ils dans leurs représentations à la lagune et à la mer ?

On partira de l'idée que chaque civilisation, chaque société a sa propre sensibilité au monde maritime. Il va sans dire que les Arabes et les Européens n'ont pas le même regard sur la mer et la spécificité du rapport à la mer dans le Monde Arabe mérite d'être soulevée. Dans une œuvre majeure33, X. de Planhol met en lumière les relations difficiles des sociétés maritimes musulmanes avec la mer qui s'expliquent, selon lui, par la nature de la religion et de ses pratiques difficiles à conserver sur un navire. L'auteur évoque ainsi – même si cela peut être jugé très discutable – une incompatibilité de l'Islam avec la mer : la culture maritime profondément rebelle serait antinomique avec la soumission induite par la religion musulmane. De là, X. de Planhol explique l'absence de nations musulmanes tournées vers la mer. Le raisonnement atteint pourtant vite ses limites. Dans sa thèse, F. Bruyas montre très clairement en quoi la maritimité constitue un fondement de l'identité régionale du Canal de Suez et de l'identité locale de ports comme Port-Saïd34.

L'analyse des images du site aquatique de la capitale a mis en évidence les différences entre les regards des Européens et ceux des Arabes. Il s'agit d'aller plus loin et de réfléchir sur les constructions sociales et culturelles qui ont été édifiées par les différentes sociétés qui se sont succédées à Tunis pour organiser leurs relations au monde maritime. En questionnant de la sorte la relation de Tunis à la mer, il sera intéressant d'envisager dans quelle mesure la lagune a été et est appropriée (ou non) comme faisant partie du monde maritime. Notre travail visera à coupler l'analyse avec l'étude de la maritimisation de Tunis, définie par A. Vigarié comme "la dépendance de plus en plus forte des nations à l'égard de la vie océanique et de sa traduction dans le trafic des ports" (Vigarié, 1979, p. 93). En effet, si Tunis n'est pas située au bord de la mer, il n'empêche que la capitale fut dotée d'un port maritime installé au fond de la lagune et aujourd'hui totalement désaffecté. La question des relations ville/port est ainsi posée afin d'apprécier la construction (au moins passée) d'une relation au monde maritime. Si, actuellement,

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Le concept de maritimité s'inscrit dans la continuité de la notion d'écologie maritime développée par A. Vigarié.

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X. De Planhol, 2000, L'Islam et la mer. La mosquée et le matelot (VIIème-XXème siècles), Paris, Perrin, 658 p.

34

F. Bruyas, 2002, De la re-construction régionale à la formation d'un territoire du canal de Suez : acteurs et enjeux, sous la direction de P. Signoles, Thèse de Doctorat de Géographie, Université de Tours, Urbama, 663 p.

le port ne semble plus donner sens à la relation de Tunis à la mer, quelle est la maritimité d'aujourd'hui à Tunis ?

3.2.1. "Tunis a toujours tourné le dos à son lac" : retour sur un jugement récurrent

"Tunis a toujours tourné le dos à son lac" : voilà un jugement rapide et définitif dans sa forme dont les occurrences sont nombreuses dans les écrits sur Tunis. Au départ, il fut formulé dans le cercle étroit des professionnels et des spécialistes de Tunis. On peut ainsi citer deux exemples :

"L'urbanisation actuelle des rives témoigne bien de l'expression selon laquelle la ville tourne le dos au Lac. Celui-ci joue en effet plus un rôle d'écran ou de discontinuité par rapport aux espaces urbanisés que d'intégration."35

"Pendant des siècles Tunis a nié son site en "tournant le dos" à son lac qui ne constituait pour lui qu'une défense (à l'origine) ou une agression (pollution récente)."36

Ce jugement circule d'étude en étude et se retrouve dans les monographies sur Tunis. Par exemple, dans son ouvrage consacré à la capitale tunisienne, S. Santelli reprend une nouvelle fois ce propos :

"Le lac de Tunis aurait pu jouer un rôle unificateur. La ville lui a pourtant tourné le dos depuis sa fondation ; son expansion géographique en a fait un espace majeur central, mais un espace vide, autour duquel se développe et s'enroule la succession des quartiers résidentiels et industriels."37

Dernier exemple dans la presse, l'architecte Wassim Ben Mahmoud rappelle que :

"L'hypercentre de Tunis semble le cœur d'une ville dans les terres, tant il tourne le dos à la mer, qu'il faut aller chercher par le chenal jusqu'au goulet de Halq el Oued [La Goulette, en arabe]."38

Un tel jugement est devenu en une vingtaine d'années un lieu commun repris par l'ensemble des architectes, des urbanistes, des politiques et des journalistes. Ces derniers indiquent par ce biais l'absence de relations entre la ville et la lagune ; ils formulent (ou bien affirment) l'hypothèse que le développement de la ville s'est réalisé sans prendre en considération la lagune, et même qu'il s'est effectué contre elle. L'expression "tourner le dos" est très forte : elle souligne une attitude qui marque le désintérêt, voire le mépris pour une personne. Par cette assertion, on veut signifier que Tunis et la lagune seraient construits dans un rapport antinomique de rupture et d'absence de dialogue. Les mots ont ici tout leur sens. Et, en filant la métaphore, le discours actuel parle de la "réconciliation" de la ville et de son lac, indissociable d'une perspective historique de dispute et de désintérêt39.

35

SCET-IAURP, 1976, Études de factibilité : aménagement des berges du lac de Tunis, 1ère phase, études préliminaires, District de Tunis, p. 4.

36

Barreth H., 1984, Projet d'aménagement du lac de Tunis, Rapport de présentation, SPLT, p. 6.

37

Santelli S., 1995, Tunis. Le creuset méditerranéen, Paris, CNRS éditions, p. 124.

38

Omrane N., "Urbanisme : quel dess(e)in pour Tunis ?", Réalités, semaine du 22 au 28 février 2001, dossier spécial, p. 3.

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L'histoire conflictuelle de la relation de Tunis à la lagune nourrit un tel discours ; mais, pour autant, en justifie-t-elle pleinement le contenu ? Il est vrai que la ville s'ouvrit peu sur la partie septentrionale de la lagune : il n'y a bien que l'Esplanade, réalisée pendant l'entre-deux- guerres, qui fut devenue un lieu de promenade en bord de lac pour les Tunisois. Le District de Tunis en rappelle bien la fonction :

"Jadis considérée comme lieu de détente et de villégiature, notamment à l'époque ottomane où le Bey de Tunis y campait avec toute sa cour, la zone Esplanade-Mohamed V a, malgré les vicissitudes, gardé son image d'espace à vocation de détente et de verdure. Depuis le début de ce siècle sous la colonisation, la zone plus connue à l'époque sous le nom de Gambetta a été utilisée comme lieu de promenade pour les habitants de la ville."40

Il resta longtemps des terrains vagues à côté de l'Esplanade qui servaient à des parties improvisées de football. Un Tunisois nous a dit avoir vu des soldats américains y jouer au base- ball. Toutefois, mis à part le gourbiville du Borgel, la ligne du TGM et, plus loin, l'aéroport de l'Aouina41, l'appropriation des abords du Lac Nord était faible. La ville ne vint pas jusqu'au bord de la lagune dans sa partie nord. Univers des herbes folles et des coccinelles, des poubelles et des débouchés des égouts municipaux, les abords du Lac Nord répugnaient par leurs odeurs. Tunis lui tourna le dos, y compris pendant la période coloniale, alors même qu'elle s'étendait dans sa direction.

En revanche, la situation n'est pas la même pour la partie méridionale de la lagune. Avec le port ouvrant sur le canal et le golfe, Tunis connut une ambiance maritime rythmée par les allers et venues des bateaux, la vie animée des gens de mer autour des bassins et les foules en promenade les jours chômés. Certaines familles tunisoises partaient depuis le quartier de La Petite Sicile et allaient jusqu'au Canal de Navigation. Du temps où il n'y avait pas encore la route de La Goulette, les enfants y couraient pour accueillir un navire arrivant jusqu'au port. Dans une interview récente pour l'hebdomadaire Réalités, Wassim Ben Mahmoud évoque ces retrouvailles au cours desquelles les bateaux qui pénétraient dans la lagune par le canal étaient accueillis par les habitants qui leur faisaient, en voiture, à mobylette ou à vélo, un cortège de bienvenue, tout au long du chemin de terre parallèle à la voie du TGM. Et la journaliste Nadia Omrane ajoute non sans humour qu'aujourd'hui "ces retours se font au port de La Goulette, d'où s'extirpent, moins pittoresques, des Mercedes et des Biem (BMW) ployant sous les réfrigérateurs, machines à laver et toute une brocante électronique"42.

Les bassins du port et le Canal de Navigation attirent depuis très longtemps les pêcheurs à la ligne qui sont aujourd'hui encore très nombreux. Dans le port, l'activité était partout, liée aux chantiers navals, aux chevaux lavés dans les bassins, aux cafés remplis de marins, aux

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District de Tunis, 1992, Plan d'aménagement de l'Esplanade-Avenue Mohamed V, Rapport et diagnostic, p. 2.

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L'aéroport de l'Aouina était situé sur les berges Nord-Est du Lac Nord ; et le plan d'eau servait pour l'atterrissage des hydravions jusque dans les années 1950 .

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restaurants et aux bordels où la bourgeoisie venait s'encanailler (planche 20). La peintre et décoratrice Leïla Menchari se souvient :

"Souvent, je mesurais l'étendue de ma nostalgie au plaisir que j'éprouvais à retrouver l'odeur fétide qui caractérisait les abords du lac ! Lorsque le vent chaud soufflait, c'était l'haleine d'un dieu marin qui se répandait sur l'ensemble du périmètre. L'odeur se mêlait à la vie des quartiers, celui du port en particulier, à l'heure où les petits bistrots maltais débitent l'anisette opaline accompagnée de fèves au cumin. Les voix qui sortaient de ces lieux étaient un canevas de langage où se mêlaient le maltais et l'arabe avec la gestuelle de rigueur. On appelait ce quartier La Petite Sicile."43

Le poète tunisien Chadly Ben Abdallah a également laissé une très belle évocation du port qu'il a nommée "Madagascar" du nom de la presqu'île située sur le périmètre portuaire en face des quais du bassin central44.

Pour respirer de l'air frais en été, Les Tunisois avaient à leur disposition Une large esplanade bien aménagée, Dont Madagascar était le nom. Elle s'étendait nonchalamment Tout au long des berges du vieux port, Et offrait au bon peuple d'alors, Un décor sobre des plus charmants. L'on y pouvait rêver de vastes horizons En admirant felouques et petits voiliers Déchargeant sur les quais leurs cargaisons. Jarres, gargoulettes, amphores,

De Jerba et de Zarzis apportées, S'amoncelaient alors en tas réguliers Sur les rives de notre vieux port. Et les cris stridents des mouettes Semblaient n'être que les échos Des vendeurs de cake, de cacahouètes, De bambaloni et de frigolos.

(…)

L'on aimait alors s'asseoir

À la terrasse des baraques-buvettes, Qui donnaient à cet aimable Madagascar Une bucolique ambiance de guinguette, Par la musique des gramophones accentuée. Madagascar, ô Madagascar des soirs d'été, Comme il me souvient des nuits obscures Lorsque s'allumaient les lampes à carbure Dont les flammes, telles des lucioles énamourées Au gré de la brise vacillaient et tremblotaient ! Madagascar, ô Madagascar des jeunes années, O toi qui dispensais ton charme à satiété, Tu n'es plus que blocs d'acier et de béton, Tu n'es plus qu'un fugace souvenir, Dans la mémoire fidèle resurgissant…45

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Menchari L., 1995, "Tunis-Mémoire", in Une saison tunisienne, sous la direction de F. Mitterrand et de S. Elyes- Ferchichi, p.196.

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Inattendu, le nom du lieu pourrait provenir de la déformation de "Madame Gaspar", nom de la gérante du Club Nautique situé sur le site du port et qui existe encore aujourd'hui.

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Ce poème est précieux car il est le révélateur de la construction sociale et culturelle d'une maritimité, au sens plein du terme. Il y est en effet question d'appropriation d'un lieu, le port ("notre vieux port") ouvert sur le large marin. Le poète se fait l'écho de la sensibilité collective émue par le spectacle des bateaux ("felouques et petits voiliers") dans une approche romantique de la mer ("l'on y pouvait rêver de vastes horizons"). Cette image reflète une maritimité "ancienne manière", à l'époque où le port était la continuité du centre-ville46. Les formes de cette relation à la mer étaient partagées, non seulement par les gens de mer, mais aussi par l'ensemble des Tunisois qui s'étaient appropriés le port et le Canal de Navigation. Du côté de Radès, avant l'installation des industries, l'attrait du lac avec ses oiseaux suscitait également des promenades. Signalons enfin que, sur le littoral, le Canal de La Goulette était également un lieu de vie maritime rythmé par le passage des bateaux et ouvert sur le grand large (planche 20).

Le port de la capitale tunisienne fut bien un haut lieu maritime qui, par ses fonctions, par sa vitalité, fixa des images traduisant la symbolique d'une relation au maritime. Il constitua un facteur d'identification des habitants à la lagune et à la mer.

Avec sa désaffection progressive, la ville perdit son ouverture vers le large : les derniers ferries partirent de Tunis à la fin des années 1970. Le transfert de l'activité de commerce sur Radès et La Goulette s'effectua dans les années 1980 ; il fut motivé par les impératifs technologiques des transports maritimes. Le Port de Tunis qui s'envasait n'était plus viable. L'évolution a laissé un espace moribond de friches faisant écran entre la lagune et la ville. La vacuité d'un port devenu obsolète frappe aujourd'hui le visiteur : le déclin et le souvenir d'une certaine grandeur passée sautent aux yeux : les docks sont désertés, les hangars sont vides ou très peu actifs et les quais du bassin central semblent en attente d'hypothétiques et improbables navires (planche 21). Le bassin des voiliers paraît le plus désolé avec ses berges vaseuses et les carcasses de bateaux abandonnées. À l'exception de quelques embarcations de pêcheurs, le Canal de Navigation est vide. Le lien avec le quartier de La Petite Sicile47, traditionnellement habité par des gens de mer, s'affaiblit, accéléré par la coupure du viaduc autoroutier construit dans les années 1980. Seul échappe à ce no man's land de friches industrialo-portuaires l'îlot urbain compris entre l'avenue de la République et la rue Dag Hammerskjoeld, l'avenue Bourguiba et la gare de TGM, où de récents immeubles et un hôtel furent construits.

À Tunis, la démaritimisation est donc bien une réalité récente liée au découplage de la ville et du port (Chaline, 1994). Et, depuis la fermeture du port, Tunis tourne ainsi le dos à son lac : elle n'entretient plus aucune relation fonctionnelle d'envergure avec la lagune et la mer.

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La maritimité traditionnelle se différencie d'une néo-maritimité tournée vers les loisirs et les sports nautiques (Claval, 1996).

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Et ce d'autant que, dans les années 1980, la construction de la route express Z4 avec un viaduc autoroutier qui longe du nord au sud les bassins du port et celle du canal d'évacuation des eaux usées de l'ONAS48 constituent de nouvelles coupures urbaines entre le centre-ville et la lagune, renforçant ainsi l'absence manifeste de relation.

L'examen du jugement énoncé au début de cette analyse montre que la vérité est plus complexe qu'il n'y paraît. À plusieurs reprises, nous avons fait valoir que la lagune fut équipée d'un port dès la fondation de la ville arabe et que, par-delà les origines terriennes des Arabes, un rapport à la mer s'était construit à travers les siècles. Pendant le Protectorat, le port symbolisa et condensa l'ouverture vers le large. Tunis ne souffre donc d'un réel déficit de maritimité que depuis vingt ans, suite à la désaffection complète de son port.

3.2.2. Déficit de maritimité et construction d'une relation imaginaire

La question de la maritimité invite à nous pencher sur les manières de dire et de représenter la mer et la lagune. Nous en avons déjà parlé, les différentes sociétés qui se succédèrent à Tunis ont nommé très diversement le Lac de la capitale. Qu'elle soit "bahira", "stagnum", ou "bûghaz", la lagune représente la mer, mais en dégradé, ou bien tout autre chose. Nous avons également fait valoir que la lagune avait été peu représentée par les artistes tunisiens qui lui préféraient le grand large : le paysage marin du golfe de Tunis a enchanté davantage les