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CHAPITRE 5. LE PROJET D'AMÉNAGEMENT, UNE NOTION À CONTEXTUALISER

5.3. L A MÉTHODOLOGIE DE L ' ANALYSE DES QUATRE PROJETS

La démarche consiste à partir du terrain, et non de conceptions idéologiques a priori et s'oppose à toute forme d'analyse normative. L'objectif est de reconstruire les rationalités de chacun des projets à partir d'un travail sur des sources qui sont différentes dans leur nature (textuelles, iconiques et orales), et en même temps complémentaires.

Par commodité, et en première analyse, nous avons distingué trois temps dans l'étude d'un projet : tout d'abord, le travail d'identification de la nature du projet, des enjeux sociaux, politiques, institutionnels, économiques qui le caractérisent, ainsi que des choix écologiques et urbanistiques opérés. Ensuite, un deuxième stade consiste à analyser les stratégies et les relations entre les acteurs placés au cœur du processus de décision. Enfin, l'identification des mécanismes (formels et informels) de coordination et de régulation en œuvre qui règlent les jeux d'acteurs et conduisent à la confrontation et/ou au compromis. La démarche centrale a été foncièrement hypothético-inductive et a procédé par étapes successives : collecte d'informations fiables et fabrique de certaines données, exploitation de ces sources par des méthodes d'analyse de discours et par comparaison et recoupement, et construction d'interprétations à partir de l'analyse des différents documents d'urbanisme et de la reconstruction des stratégies des acteurs et des relations de pouvoir qu'elles sous-tendent.

La démarche que nous avons appliquée au cours de nos séjours sur le terrain a été quasi ethnographique, et a consisté en un suivi régulier, sur trois ans et demi, de l'avancée de chacun

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des projets. A chaque séjour, grâce à un réseau de personnes impliquées directement que nous nous sommes constitués, nous avons cherché à prendre connaissance des points de négociation en cours, des décisions récentes, à comprendre les revirements, certaines divergences de vue, les périodes de "panne" ou de ralentissement, et à collecter les nouveaux documents produits. Nous avons suivi en partie, et reconstitué pour le reste, la chronologie des étapes de chacun des projets.

La présentation du corpus de sources nécessite d'en distinguer deux grands types : les sources que l'on peut collecter, celles à fabriquer. Les premières, que nous qualifions de "disponibles", sont de natures très différentes, iconiques et textuelles : parmi elles, documents techniques (documents réglementaires, rapports administratifs internes dont des procès-verbaux de commissions), articles de presse divers (interviews, articles d'information) et plaquettes de communication43. Ces sources sont incontournables pour l'analyse d'un projet, et en même temps, insuffisantes, dès lors que l'on s'intéresse à la question des jeux d'acteurs. C'est pourquoi les entretiens avec les acteurs impliqués dans les projets ont constitué nos sources du deuxième type. Ces précisions posées, il nous reste à développer quelle méthode nous avons choisie pour exploiter ce corpus composite de sources.

L'analyse croisée des narrations et des figures des projets

Afin de décoder au mieux les narrations des projets, la démarche scientifique utilise des principes classiques de l'analyse de discours, de la sémiotique de l'image et des théories de l'énonciation44. Nous présentons ici la méthode utilisée, et le type de questionnement afférent à chaque source. Puis, nous justifierons l'intérêt et le sens d'une analyse croisée, "en miroir" pourrait-on dire, de ces formes discursives.

Les documents de l'urbanisme constituent un premier type de source, qui comprend les documents des projets (plans de lotissement, Plans d'Aménagement de Détail, cahiers des charges, règlements d'urbanisme, textes de présentation, études de modélisation, études d'impact sur l'environnement) et les autres documents réglementaires aux échelles communale (Plan d'Aménagement Urbain) et métropolitaine (Schéma Directeur d'Aménagement du Grand Tunis). Ces différents documents construisent chacun un discours indissociable d'un contexte particulier d'énonciation (auteur, destinataire, statut du document,…). Par l'examen des documents réglementaires qui correspondent à différents niveaux de la planification (de l'espace-projet à l'espace-capitale), le but est d'étudier comment les enjeux de l'aménagement des lacs de Tunis sont appréhendés à ces échelles spatiales emboîtées45. Cette analyse permet de saisir la façon

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Nous avons gardé ce dernier type de source pour la Troisième partie de notre développement.

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Les principales références ont été entres autres : J.-C. Gardin, 1974, Les analyses de discours, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé ; D. Mainguenau, 1976, Initiation aux méthodes d'analyse du discours, Paris, Hachette, 192 p. et D. Mainguenau, 1991, L'analyse du discours, Paris, Hachette, 268 p.

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Le Plan d'Aménagement de Détail est établi à l'échelle intra-communale, le Plan d'Aménagement Urbain à l'échelle communale et le Schéma Directeur d'Aménagement à l'échelle régionale.

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dont le projet est traité, et repris, et jusqu'à quel point, il est relayé et soutenu par une planification stratégique à petite échelle.

Le projet a une dimension idéelle très forte qui légitime une analyse de la part des géographes. Parce qu'elles sont les miroirs des relations de pouvoir entre les acteurs, les figures des projets nécessitent un traitement particulier46. La littérature commence à se développer sur cet objet de recherche, qui constitue un champ transdisciplinaire, investi par les historiens de l'architecture, les géographes, les urbanistes et architectes, à la fois praticiens et chercheurs. Sur ce sujet, les travaux de l'architecte-chercheur F. Pousin, et ceux des géographes M. Lussault, M. Rosemberg et O. Soderström sont, entres autres, à signaler47.

La méthode que nous avons construite part de deux idées. En premier lieu, la figure de projet est un objet communicationnel à visée fédératrice et une médiation non neutre entre le savoir et l'action, dans la mesure où elle implique une manipulation de valeurs et de référentiels en partie hérités. Activité énonciative constituée de rhétoriques et d'intentions communicationnelles propres, dissimulant autant qu'elle révèle, elle présente une forme de ville à venir, mais, bien souvent, vidée de ses pratiques sociales. En d'autres termes, elle traduit les fantasmes de conception d'un espace purifié, ordonné, continu et homogène. Dans le cas des quatre projets, nous questionnerons les rapports entre le site des différents projets et les figures correspondantes. En second lieu, sa fabrication même est le résultat d'un va-et-vient entre les concepteurs et les décideurs qui négocient ensemble sa forme finale. L'objectif est d'en comprendre les logiques d'élaboration et d'usage dans le déroulement de l'action. Elles participent au procès même de sa fabrication. Autrement dit, c'est l'iconicité48 de ces objets en situation qui nous intéresse.

M. Lussault a proposé la typologie suivante qui permet de distinguer, parmi les documents graphiques, la carte urbanistique (en général une représentation de l'ensemble d'un aménagement), le plan-masse, le dessin d'urbanisme (apparenté au croquis paysager) et l'esquisse (image inachevée de composition urbaine) (Lussault, 1995, pp. 163-168). Toutes ces figures n'ont pas le même statut, ni la même légitimité, ni les mêmes finalités performatives, et elles accompagnent les différents moments de la maturation de la conception de l'espace à produire.

46 Dans la Première Partie de ce travail, nous avons déjà conduit une réflexion sur des matériaux iconiques, cartes

historiques et vues de villes, dont nous avons tenté de montrer l'intérêt pour la fabrique du regard sur les lacs de la capitale tunisienne.

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Cf. Söderström, O., 2000, Des images pour agir. Le visuel en urbanisme., Lausanne, Payot ; Rosemberg, M., 2000, Le Marketing Urbain en Question, Paris, Anthropos ; Lussault, M., 1995, "La ville clarifiée. Essai d'analyse des quelques usages carto- et iconographiques en œuvre dans le projet urbain contemporain", in MAXIMY, R de, CAMBREZY, L, dir, 1995, La cartographie en débat. Représenter ou convaincre, coll Hommes et sociétés, Paris, Orstom-Kartala, pp. 157-193. Signalons aussi le colloque "Figurations / Transferts. Les figures de la ville dans le développement des savoirs et de l'intervention spatiale" qui s'est tenu à l'Institut de Géographie, à Paris, les 17, 18 et 19 septembre 2001 organisé en collaboration avec le groupe de recherche Ville-Image-Savoir (E.H.GO / LOUEST).

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L'iconicité est cette capacité à faire image au moyen de réseaux sémiotiques pour provoquer l'adhésion, pour fédérer les acteurs impliqués dans une situation de projet. Cf. supra : Chapitre 3, § 3.1.1. où cette notion a déjà été abordée.

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M. Lussault, à nouveau, différencie trois phases dans le processus projectuel49. La première phase est la pré-compréhension de l'opération envisagée qui se traduit par la production de cartes urbanistiques (notamment des cartes de zonage, des cartes de présentation du milieu,…) ; la seconde phase consiste en la mise en forme de l'aménagement proposé au moyen d'esquisses, de dessins puis de plans-masses ; et la troisième phase, enfin, est l'intersection avec le monde des commanditaires et des usagers. Les figures finalisées doivent magnifier pour séduire leurs destinataires (Lussault, 1995, pp. 171-184).

Au départ, la (ou les) figure(s) est (sont) proposée(s) par le maître d'œuvre qui donne sa vision de l'aménagement à réaliser. Accompagnée en général d'une présentation textuelle, elle est livrée à la négociation. La négociation peut être relativement longue, faite d'itérations entre la conception, la discussion et les ajustements, ou les refontes totales50. La stabilisation des figures est progressive. Il s'agit ainsi d'un instrument maïeutique (Lussault, 1995, p. 179), fruit d'étapes de représentations et approfondissements successifs, ce qui rend son analyse inséparable du contexte de l'action. Sa vocation est aussi de servir à la communication interne et surtout externe. Elle est ainsi réappropriée et exploitées par d'autres acteurs (politiques, municipalités) que ses auteurs.

L'iconographie projectuelle est donc l'un des enjeux de la négociation, dont il convient de comprendre l'efficacité sémiotique, tant dans le travail de saisie du réel que dans celui de la prospective, ainsi que son statut dans les relations de pouvoir. Dans le jeu d'acteurs, deux types de situations peuvent apparaître. Soit la figure constitue un moyen majeur pour provoquer l'adhésion des différents partenaires, pour emporter leur conviction. Cette capacité à opérer de l'accord politique provient de l'effet de vérité (le paraître-vrai) consubstantiel à l'image. La figure est utilisée pour sa capacité à lisser et neutraliser les enjeux sociaux et politiques, en présentant une image idéale de l'urbanisation future, clarifiée, pacifiée, sans tension (Lussault, 1995, p. 177). Elle rend visible le projet par la composition ordonnée d'un certain nombre d'objets spatiaux (boulevards urbains, jardins, mails, habitations, etc.) et permet d'occulter des enjeux idéologiques, sociaux, économiques. En s'imposant comme preuve suffisante qui vient légitimer l'action, elle peut forger le consensus, même dans une situation au départ conflictuelle entre les acteurs51. Soit la figure est instrumentalisée pour être agonistique, c'est-à-dire polémique ; elle entre alors dans la stratégie offensive de son énonciateur soutenu par le contexte relationnel et

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Considérant le projet urbain comme un vaste récit multirationnel, M. Lussault a transposé la conceptualisation du récit par le philosophe P. Ricoeur. Voir Lussault, M., 1993, Tours : images de la ville et politique urbaine, Maison des Sciences de la Ville, Tours, 415 p.

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En ce sens, le plan-masse fait l'objet d'une critique unanime depuis les années 1990. Les praticiens lui reprochent son caractère figé et trop simpliste, qui évacue la complexité dont la ville est faite et empêche des raisonnements évolutifs. Les aspects procédural et réglementaire y seraient en effet prédominant, au détriment d'autres dimensions comme la durée. Selon N. Eleb-Harlé, "le plan masse ne constitue plus une forme adéquate de représentation du projet" (Eleb-Harlé, 2000, p. 14). Produisant une image finie de l'espace à construire, il est en contradiction avec la démarche de projet en tant que système itératif d'action constitué par des relations négociées entre les acteurs.

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En ce sens, l'architecte-chercheur, R. Vogel affirme que "le projet urbain offre l'opportunité d'une impasse sur la réflexion. Donnant une grande place au dessin, et à l'image physique en deux dimensions, il bénéficie à ce titre d'un grand pouvoir de communication et de persuasion" (Vogel, 2000, p. 103).

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ses propres capacités (sa légitimité de professionnel, ses compétences). La figure fait en ce cas converger les acteurs et sa négociation constitue un révélateur du système d'action. Elle peut être soit imposée dans la contrainte par certains acteurs dominants désireux de masquer les dissensions, soit négociée par l'ensemble et donner lieu à un compromis entre des intérêts multiples.

La presse est un deuxième type de source, dont l'utilité est triple52. Tout d'abord, il s'agit d'un moyen d'information sur le suivi du projet, particulièrement précieux, puisque les quatre projets ont tous démarré avant que nous ne commencions cette recherche. Ensuite, en reprenant certains éléments du discours produit par les acteurs, la presse est responsable de la circulation d'objets textuels et iconographiques dans le champ de l'espace public médiatique, et reflète le filtrage qui s'est opéré entre ce qui est réservé à l'interne et ce qui est communiqué en externe. En particulier, l'instrumentalisation des figures au-delà des cercles restreints du pouvoir mérite un questionnement. Enfin, elle sert également à donner voix à des professionnels qui expriment leurs critiques positives ou négatives, ainsi qu'à des habitants qui donnent leur point de vue sur les aménagements réalisés ou en cours. Ces avis discordants paraissent de temps à autre dans la presse tunisienne publique et privée.

À partir des différents matériaux collectés, nous avons cherché, autant que possible, à éclairer en miroir une source par une ou plusieurs autres, pour recouper les informations, pour identifier les possibles décalages, voire les distorsions, et pour enrichir les interprétations que nous proposons. Cette analyse des sources disponibles est indissociable de l'exploitation des sources fabriquées par le recours à des entretiens avec un certain nombre d'acteurs.

L'exploitation des entretiens pour remonter aux jeux d'acteurs, puis aux systèmes d'action

À partir d'entretiens effectués avec différents acteurs des quatre projets, notre objectif a été de tenter de reconstituer les systèmes d'action et d'éclairer, autant que possible, les processus de décision. Une identification préliminaire des rôles des acteurs a été nécessaire pour cibler les entretiens. L'objectif a été de multiplier les entretiens d'acteurs qui sont, par définition, dans une situation intime de connaissance et d'action avec notre terrain. Parfois nous n'avons pas hésité à retourner voir certaines personnes, pour préciser avec eux certains points lorsque nous avons jugé que la première entrevue avait été insuffisante. Les entretiens ont été l'occasion privilégiée d'un "détour par l'intériorité des acteurs" (Crozier et Friedberg, 2001, p. 458), pour cerner leurs objectifs tels qu'ils se les formulent, leur perception de la situation, leur capacité d'anticipation, leurs ressources, leur marge de liberté. La méthode de l'entretien a consisté à privilégier les discussions "ouvertes" dans l'objectif de "faire parler" le plus possible notre interlocuteur. Nous n'avons pas procédé à des entretiens sous la forme de brefs questionnaires aux questions fermées.

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Nous avons, en supra, brièvement décrit la situation de la presse en Tunisie ci-dessus et les limites de ce type de source (§ 5.2.2.).

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187 Le contenu que nous en attendions était qualitatif. En même temps, il va sans dire que nous ne sommes pas parti dans une discussion purement informelle. Il s'agissait à chaque fois de discuter quatre grands thèmes qui composaient le dispositif de l'entretien, à la manière d'une grille d'attentes sous-tendant tout son déroulement. Nous avons repris en très grande partie la méthode proposée par M. Crozier et E. Friedberg. Les quatre thèmes ont porté :

- sur les activités de l'acteur dans le processus de production de l'espace projeté telles qu'il les perçoit et telles qu'il les conduit. Nous avons également essayé de cerner les contraintes qui limitent sa marge d'action et les difficultés qui en découlent ;

- sur ses relations avec les autres acteurs du projet, sur ce qu'il en attend. En particulier, les situations de conflits et leur résolution ont été évoquées autant que possible ;

- sur l'évaluation qu'il fait de ses activités, de sa situation, ses relations en termes d'espoirs, de déceptions ou de satisfactions. Par là même, nous avons une idée des ressources dont chaque acteur dispose, lesquels, dans une situation donnée, lui permettent d'élargir sa marge de liberté ; - sur son sentiment à propos de la réussite de l'opération du point de vue du projet et du point de vue du système des acteurs en place. Nous nous sommes également intéressés à la façon dont, à partir de là, il voit ses possibilités d'action et évalue celles des autres.

Ce dispositif a permis de construire un matériau discursif qualitatif à l'échelle personnelle de l'acteur. Cette subjectivité n'est pas là un problème méthodologique en soi. Le problème est celui de l'utilisation de ce matériau. L'exploitation de ce matériau s'est effectuée en deux étapes.

Tout d'abord, ces données nous servent pour reconstruire la rationalité des stratégies des personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenu. Il s'agit de les exploiter en tant que révélateurs des choix subjectifs que les acteurs opèrent en fonction de leurs ressources (matérielles, affectives, cognitives, relationnelles) et des contraintes de l'action qui pèsent sur eux. En recoupant les entretiens et en les confrontant les uns avec les autres, il est possible de reconstruire des stratégies particulières en situation. Ou, en d'autres termes – pour reprendre ceux de M. Crozier et de E. Friedberg –, "par un jeu de miroir incessant entre les données convergentes et/ou divergentes contenues dans ces entretiens, le chercheur tentera donc de retrouver la logique interne qui, pour les diverses catégories d'acteurs, structure implicitement l'ensemble de leurs perceptions, sentiments et attitudes, et ainsi de dégager et expliciter les stratégies en présence" (Crozier et Friedberg, 2001, p. 474). Ensuite, il s'agit de "reconstruire la structure de pouvoir ainsi que la nature et les règles des jeux qui régulent l'interaction des acteurs et conditionnent leurs conduites" (Crozier et Friedberg, p. 473). Des stratégies particulières, il convient de remonter aux jeux entre les acteurs qui révèlent des systèmes d'action fermés ou ouverts, qui fonctionnent davantage selon des logiques de pouvoir verticales (hiérarchisées) ou bien horizontales (transversales).

En définitive, la méthode ici proposée consiste à articuler une approche "vue d'en bas" avec une approche "vue d'en haut". La première permet de cerner la quotidienneté du travail des

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acteurs et les stratégies d'action produites, et sert de base fondamentale à l'interprétation. Pourtant, cette approche est insuffisante en elle-même, dans la mesure où elle plonge le chercheur dans le "localisme" des conflits de personnes et des conjonctures fluctuantes. Il convient donc de la croiser avec une approche "vue d'en haut", c'est-à-dire de replacer les projets dans des logiques plus larges de pouvoir et des stratégies d'action plus globales qui charpentent les politiques urbaines. Stimulante, elle est particulièrement complexe à mener, et en Tunisie tout particulièrement, pour un certain nombre de raisons que nous avons esquissées précédemment53.

Notre méthode est donc le fruit du croisement d'un certain nombre de savoir-faire, parmi lesquels la collecte ciblée des sources disponibles, la réalisation d'entretiens qualitatifs avec un certain nombre d'acteurs choisis, et l'analyse des discours et des pratiques à partir de sources orales, textuelles et iconographiques. Elle place le chercheur au point de rencontre de discours multiples, qui se répondent, s'affrontent, et interagissent (Navez-Bouchanine, 2001). Il convient d'adopter une posture critique, sans être trop surplombant, tout en restant impérativement ancré au terrain et en donnant avant tout la parole aux différents acteurs. Elle sert à forger une interprétation pour chaque projet, avant d'envisager la construction d'une lecture transversale en appréhendant ensemble les quatre projets.

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Le contenu des entretiens a, dans son ensemble, été très riche en dépit de certaines difficultés. Entres autres, il n'a jamais été possible d'assister aux diverses réunions des comités de pilotage des différents projets. L'accès aux documents, jalousement conservés, n'a souvent pas été simple. D'autre part, les entretiens avec les acteurs ont été difficiles à enregistrer sur cassette. A mesure que la confiance pouvait s'instaurer, nous avons senti souvent une tension au cours de l'échange entre l'homme (ses jugements personnels) et la fonction qui le contraignait plus ou moins. De confidence en confidence, malgré nous, il nous a même semblé devenir parfois "l'oreille" (pour ne pas