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LE RISQUE TRANSCULTUREL : LA VULNÉRABILITÉ DES ENFANTS DE MIGRANTS

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A- I LA CLINIQUE TRANSCULTURELLE

5. QUELQUES CONCEPTS TRANSCULTURELS

5.4 LE RISQUE TRANSCULTUREL : LA VULNÉRABILITÉ DES ENFANTS DE MIGRANTS

5.4 LE RISQUE TRANSCULTUREL : LA VULNÉRABILITÉ DES ENFANTS DE MIGRANTS

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Selon le cadre théorique transculturel, les migrants sont confrontés à un « risque transcul-turel », celui inhérent au passage d’un univers culturel à l’autre. Ainsi, les enfants de mi-grants sont à leur tour confrontés à des « facteurs de vulnérabilité » que la migration parentale entrave (Moro, 1998, 2007). Le concept de vulnérabilité psychologique est développé en 1978 aux États-Unis par Anthony et en France par Tomkiewicz et Manciaux en 1987 qui le définissent comme une fragilité dans le processus de développement psy-chologique de l’enfant, se caractérisant par une moindre capacité à résister aux agressions externes. Ce concept de vulnérabilité a été repris par les théories transculturelles pour ren-dre compte de l’impact que l’événement migratoire parentale peut avoir sur le fonction-nement psychique de l’enfant. De manière générale, la vulnérabilité est « la part de tout être en devenir » : l’enfant qui vient au monde, le migrant qui vient d’ailleurs, la société et les institutions dans des nouveau départs (Idris, 2005). Il s’agit de cet état de dépendance physique, psychique et culturelle, qui permet à l’enfant de grandir en s’appuyant double-ment sur sa famille et sur les adultes de son entourage.

Les recherches montrent qu’en situation transculturelle, la structuration cognitive, intel-lectuelle et langagière mais aussi affective et fantasmatique de l’enfant doit faire face à des difficultés importantes qui peuvent compromettre leur réussite (Moro, 2007; Simon, 2011). Elle est liée à des facteurs inhérents à la famille, à la culture d’origine et à d’autres facteurs qui relèvent de la société d’accueil et de ses cultures institutionnelles et profes-sionnelles (Idris, 2005). Aussi, plusieurs autres facteurs interviennent dans la genèse de cette vulnérabilité, la personnalité de chaque enfant, son rang dans la fratrie, l’inve-stissement parental etc. (Moro, 2004).

Cependant, si les études montrent un lien entre la vulnérabilité psychologique et le fait d’être enfant de migrants, la nature de ces liens n’est en aucun cas une causalité directe. C’est le processus de développement qui est vulnérable et non l’enfant lui-même, comme l’avait déjà décrit Anna Freud : « on ne peut expliquer la vulnérabilité per les caractéris-tiques individuelles de l’enfant, mais il faut la comprendre en termes plus généraux et im-personnels. Je considère maintenant que le progrès de l’enfant le long des lignes de développement vers la maturité dépend de l’interaction de nombre d’influences extérieures favorables avec des dons innés favorables et une évolution favorable des structures in-ternes » (1978; 13-14). La vulnérabilité est donc un concept dynamique puisqu’elle affecte un processus de développement. Le concept de vulnérabilité se trouve donc au carrefour entre le sujet et l’environnement, entre psychisme et culture. «  Le fonctionnement psy-chique de l’enfant vulnérable est tel qu’une variation minime, interne ou externe, entraîne un dysfonctionnement important, une souffrance souvent tragique, un arrêt, une inhibition ou un développement à minima de son potentiel »(Moro, 2004; 329).

Le risque transculturel des enfants de migrants peut être ainsi résumé : « comment contin-uer à être soi-même tout en se modifiant, comment maintenir le sentiment de continuité de soi, de son rapport aux autres (visibles et invisibles), lorsque la réalité n’est que rupture ? » (Baubet, 2003; 138). En effet, la vulnérabilité ne se résout pas au fait de dispos-er de deux cultures, de parldispos-er deux ou plusieurs langues, mais à la difficulté de les faire co-habiter de manière dynamique, pour tisser une «culture tierce » pour combler cet « entre-deux » ou plusieurs cultures, langues et appartenances co-habitent (Idris, 2005).

La vulnérabilité, contrairement à la fragilité qui nécessite de l’aide et de la protection, re-flète chez l’individu la disposition à des potentialités réversibles qui nécessitent un étayage particulier. De plus, la vulnérabilité spécifique des enfants de migrants se décline en plusieurs facteurs et modalités propres, non seulement à chaque période de développement de l’individu, mais également à un contexte migratoire particulier et une organisation familiale singulière (Idris, 2005). La migration est un des facteurs importants

auquel s’en ajoutent d’autres, comme la fragilité familiale et des cadres institutionnels d’accueil, tout particulièrement l’école et le soin.

Trois dimensions sont à prendre en compte dans l’appréciation du facteur psychosocial qu’est la migration (Rousseau et Nadeau, 2003) : le contexte (politique, économique et fa-milial), la culture (d’appartenance et d’accueil) et la communauté (du pays et/ou de l’exil). C’est l’intégration de ces trois dimensions qui permet au clinicien et au chercheur de saisir les configurations de facteurs de vulnérabilité ou de protection. Car pour ceux qui bénéfi-cient d’un milieu suffisamment sécurisant et riche en stimulations de toutes sortes, le mi-grant trouve dans son environnement des tiers qui lui servent «  d’initiateurs, de guides dans un nouveau monde ». Telle est la fonction du soignant en situation transculturelle : « pour maîtriser ce risque transculturel, et le transformer en nouvelles formes de vie, nous devons nous mettre dans cette position médiatrice qui lui a manqué : appuyé sur sa filia-tion et ouvert sur le monde nouveau » (Moro, 2003).

Moro a repéré (1994) trois moments importants de vulnérabilité chez les enfants de mi-grants : la période de la petite enfance (interactions précoces mère-enfant), la période de grands apprentissages (rentrée dans le monde extérieur, l’école) et la période de l’adole-scence (moment fort de la construction identitaire). Au vu de la population de notre recherche, nous nous intéressons tout particulièrement aux processus qui concernent le deuxième moment, celui des enfants en âge scolaire. Bien évidemment le premier moment explique en partie le deuxième, pour cela nous l’aborderons davantage en perspective de la phase successive.

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5.4.1 PRÉSENTER LE MONDE

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Une femme migrante qui se retrouve à accoucher dans le pays d’accueil, est seule dans un monde étranger avec tout ce que cela comporte en termes de risques et incertitudes. « Elle devra s’ajuster à son bébé et apprendre à être mère sans l’aide de ses commères contraire-ment à l’usage dans les sociétés traditionnelles où le groupe accompagne tous les mo-ments initiatiques comme le sont la grossesse et la naissance de l’enfant  » (Moro, 2004; 329). Les interactions précoces mère-enfant vont être imprégnées des techniques, de manières de faire et des langues qui viennent de la culture d’origine maternelle. Pendant toute cette période, la mère est confrontée à une contradiction sous-jacente : « protéger l’enfant, l’investir, l’aimer à sa façon mais aussi le préparer à la rencontre avec le monde du dehors dont elle ne connaît pas forcément les logiques  » (Ibid.). Ainsi, Moro (Moro et Nathan, 1989, 1995) reprend les notions classiques de Winnicott par rapport aux trois

séries d’actes nécessaires à la mère pour prodiguer des soins ‘’suffisamment bons’’ à l’enfant : le holding, le handling et l’object-presenting. C’est notamment ce dernier processus qui permet à l’enfant de découvrir ‘’le monde à petites doses’’. L’enfant a accès au monde en partant des objets simples, puis aux objets de plus en plus complexes et enfin au monde dans tous ces dimensions, et ce à travers sa mère.

Moro complexifie les théories de Winnicott dans le cadre transculturel et appelle cette troisième fonction la «  présentation du monde  » (Moro et Nathan, 1995). «  La mère ap-préhende le monde selon des catégories déterminées par sa culture. Son expérience du réel est fractionnée et limitée par ses outils culturels. Ce qu’elle perçoit du monde à travers cette matrice de lecture, ce ne sont pas les objets en soi mais l’interaction de ce système de lecture structuré par la culture avec les objets externes » (Moro, 2004; 330). A cause de la migration, une rupture brutale surgit à ce niveau, puisque, sur le versant externe, toute catégorie transmise de génération en génération vacille. Les conséquences au niveau de la mère sont de deux ordres : «  elle perd l’assurance qu’elle avait acquise dans la stabilité du cadre externe, le monde extérieur n’est plus sûr et, un certain degré de confusion s’installe dans sa manière de percevoir le monde » (Ibid.). Ainsi, elle peut potentiellement transmet-tre à l’enfant cette vision du monde ‘’brisée’’, cette « perception kaléidoscopique » (Ibid.) qui peut être génératrice d’insécurités, voire même d’angoisses. La réalité de l’enfant se con-struit à partir de l’enveloppe externe -physique, psychique et culturelle- que la mère fab-rique à partir de ces premières relations précoces. C’est à partir de cette enveloppe que l’enfant grandit.

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5.4.2 PENSER LE MONDE

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Jusqu’au moment où les enfants restent relativement protégés dans l’enveloppe maternel, ils grandissent dans une seule référence culturelle, celle de la mère. Mais lorsqu’ils arrivent à l’âge de l’entrée à l’école, le monde extérieur vient. Plus les parents auront eu du mal à présenter le monde extérieur ‘’à petites doses’’, plus les enfants devront le découvrir d’’’une seule énorme dose’’ et sans une anticipation préalable. C’est dans ce contexte que les au-teurs parlent de « rencontre traumatique au monde du dehors » (Moro, 2004). Moro relate que l’enfant quand il grandit «  est amené à se séparer du milieu familial (monde du dedans) pour s’inscrire dans le milieu scolaire (monde du dehors et de l’étranger). Cela se passe d’une manière parfois brutale car l’enfant est trop protégé dedans et pas assez pré-paré pour aller dehors » (Moro, 2004; 331). Le dehors est alors vécu souvent sur un mode excluant. L’enfant a un double objectif paradoxale à faire co-habiter : « Trouver ma place

dehors, garder celle qui me revient à l’intérieur, les deux ne peuvent co-exister dans ma représentation, dans celle de mes parents  » (Ibid.). Le début des grands apprentissages d’abord, et l’école après, sont alors des moments de fort risque pour ces enfants. Par l’appr-entissage de l’écriture et de la lecture ils s’inscrivent dans des logiques du monde du de-hors. Pour certains, cette inscription corresponde à un choix nécessaire mais impossible en-tre les deux mondes. « Ils suspendent leur parole, leur pensée, leur êen-tre-même. Ils cachent leur potentiel créateur sous le masque de l’inhibition, des troubles du comportement, du désintérêt… Quel gauchît ! » (Ibid.).

Les enfants vont, parfois très tôt, connaître le monde extérieur davantage que leurs parents. Moro a décrit cet aspects de cette manière : cette connaissance « les met dans une situa-tion paradoxale qui ne respecte pas l’ordre des générasitua-tions ou qui les bascule avec parfois une véritable inversion des générations (…). Comme si ces enfants se suffisaient à eux-mêmes » (Ibid.; 332). Ainsi, Moro affirme que ce processus est toujours défensif, ne mon-trant que une illusion d’indépendance, une « fiction qui accompagne l’enfant dans cette sit-uation de métissage ».

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