• Aucun résultat trouvé

MIGRATION, TRAUMATISME ET TRANSMISSION CULTURELLE

Dans le document en fr it (Page 48-52)

A- I LA CLINIQUE TRANSCULTURELLE

5. QUELQUES CONCEPTS TRANSCULTURELS

5.2 MIGRATION, TRAUMATISME ET TRANSMISSION CULTURELLE

5.2 MIGRATION, TRAUMATISME ET TRANSMISSION CULTURELLE

!

Quand un homme, une femme, une famille quittent l’univers culturel dans lequel ils sont nés, ils ont grandi et vécu, pour migrer, ils se retrouvent confrontés à un univers inconnu, dans lequel toutes les représentations culturelles qui servaient inconsciemment de repère perdent de valeur. Dans ce sens, la migration introduit une rupture brutale : les références ne sont plus les mêmes, les catégories utilisées non plus, tous les repères vacillent, l’assu-rance du monde extérieur n’est plus sécure et un certain degré de confusion s’installe dans

la manière de percevoir le monde. Les auteurs relatent alors d’un brutale processus d’accu-lturation provoqué par l’événement migratoire, accud’accu-lturation à la fois «  matérielle  » et « formelle » (Bastide, 1970). A ce sujet, Devereux donne une définition d’acculturation dans une dimension macroscopique : « l’acculturation recouvre l’ensemble des phénomènes ré-sultant d’un contact continu et direct entre groupes d’individus appartenant à différentes cultures, et aboutissant à des transformations affectant les modèles (patterns) culturels originaux de l’un ou des deux groupes » (Devereux, 1972; 253). Ainsi, du fait de la migra-tion, le contact entre deux cultures entraine un lent processus par lequel la culture « dom-inée » perd progressivement ses représentations fondamentales et dynamiques au profit de celles de la culture « dominante ».

Les raisons pour lesquelles on migre sont nombreuses et nombreuses sont aussi les impli-cations dues aux circonstances qui ont précédé cette migration. Si classiquement on dis-tingue les motivations socio-économiques, politiques, et psychologiques, on se rend compte qu’elles sont souvent intriquées. Pour les demandeurs d’asile, il s’agit souvent d’échapper à une menace vitale. On parle plus, alors, d’exil, caractérisé par la fuite, donc non précédé d’élaboration, et, ne s’accompagnant souvent d’aucun projet ou fantasme de retour. En ce qui concerne les motifs psychologiques, les motivations conscientes sont variées, et, si le fait de migrer est souvent un acte solitaire, cela peut autant être une sorte « de quête de soi- même  », qu’une «  reconquête de sa dignité par l’argent et le travail  », que « l’aboutissement d’un rêve à plusieurs » (Moussaoui et Freey, 1985 cité par Moro et Baubet, 2003; 138), une soif d’exotisme, envie de trouver une vie décente ou envie d’aventure etc. Sur le plan inconscient, les motivations à la migration peuvent être un «  acte auto-thérapeutique » au travers duquel le sujet pourrait en quelque sorte « renaître » (Moro et Baubet, 2003; 139), une fuite d’un contexte familial dysfonctionnant, d’une emprise parentale, une mise en jeu du fantasme d’être orphelin (Grinberg et Grinberg, 1986) etc. La littérature montre que même lorsque la migration est voulue, les motifs du voyage restent ambivalents : « désir de partir et peur de quitter les siens, modalités de résolution de con-flits familiaux et aboutissement d’une trajectoire de rupture ou d’acculturation à l’intérieur de son propre pays » (Moro et Baubet, 2003; 139). Ainsi, la migration, de par le déracine-ment, les possibles violences et les imprévues qu'elle entraîne, est potentiellement trauma-tique. Cependant, au delà des motivations psychologiques complexes et variées, un point commun est important à souligner, puisque tout migrant, en faisant ce choix, se place « du côté de la vie » (Ibid.; 138). La migration, « c’est là sa grandeur existentielle, est un acte complexe, ambigu, profondément humain » (Moro, 2004; 319).

La littérature montre que la migration est d'abord un événement sociologique inscrit dans un contexte historique et politique. Pourtant, selon Nathan (1986), quelles que soient les motivations de cet acte, la migration, comme acte psychique, peut être traumatique. L’au-teur postule que la migration en elle-même, est potentiellement traumatique, du fait qu’elle entraîne une perte du cadre culturel interne, permettant le décodage de la réalité externe  (Nathan, 1986). Ce cadre « vacille  à donner le vertige » après la migration et ce jusqu’à ce que, « longtemps après l’exil, intervienne la chute » (Ibid.). « La perte de l’enve-loppe culturelle va donc provoquer des modifications de l’envel’enve-loppe psychique directes (du fait de l’homologie entre ces deux structures) et indirectes (par le sentiment de précarité liée à la migration) » (Moro, 2004; 82). Nathan définit le traumatisme migratoire comme un choc dû à l’incompréhensibilité entre plusieurs personnes. Il différencie un traumatisme « intellectuel », « non-sens », qui se réfère au double bind (double contrainte) de Bateson (1956), où il advient une perte du cadre culturel externe, et le traumatisme « de la perte du cadre culturel interne à partir duquel était décodée la réalité externe  » (Nathan, 1986). Lorsqu'il y a un traumatisme migratoire, c'est généralement un traumatisme de ce dernier type qui se met en place selon Nathan, mais il peut être associé au premier, puisque les dimensions affectives, cognitives et culturelles entretiennent des interactions nécessaires et complexes. Le traumatisme qui en découle au niveau psychique apparaît alors au niveau psychopathologique, c’est une caractéristique intrinsèque à la psychopathologie du trauma, comme un “premier temps” de la migration. La migration contraint à un double travail d’élaboration psychique : travail de deuil (passant par les classiques phases de deuil décrites par de nombreux auteurs), d’élaboration nécessaire des affects dépressifs, et de « reliaison post- traumatique » (Baubet et Moro, 2003; 139).

Si la migration est potentiellement traumatique, elle ne l’est pas au sens négatif du terme, « mais au sens psychanalytique - un trauma qui va induire de nécessaires réaménagements défensifs, adaptatifs ou structurants » (Moro, 2004; 319). La migration n'entraîne pas forcé-ment des effets pathogènes, le traumatisme migratoire n’est ni systématique, ni inéluctable (Moro, 1998), il peut cependant survenir quelque soit la personnalité antérieure du migrant. Ils existent des facteurs aggravants, tel par exemple des facteurs sociaux défavorables (au pays d’origine et dans le pays d’accueil). Cependant, il est parfois, comme tout traumatisme, structurant et porteur d'une nouvelle dynamique pour l'individu voire souvent « germe de métamorphose » (Moro, 2004; 320) et source d'une nouvelle créativité. En effet, la recon-naissance de la souffrance s’accompagne de l’incorporation progressif d’éléments de la nouvelle culture, d’une levée du clivage qui avait nécessairement été mis en place entre les deux univers culturels, permettant « le métissage culturel » : « il devient possible de

fonc-tionner dans plusieurs logiques culturelles sans avoir à renoncer à aucune d’elles » (Moro, 1998; 142).

Pour Moro (2004) l’expérience migratoire est un facteur important à partir de laquelle se structure de manière plus ou moins harmonieuse la transmission aux enfants qui s’installe sur le vécu migratoire des parents. Le trauma migratoire est vécu de manière directe par les parents et transmis aux enfants « sous forme d’un récit idéalisé, souvent d’un récit tronqué, parfois encore sous l’apparence d’une nécessité alors qu’il s’agissait d’un choix et trop sou-vent, sous forme d’un non-dit douloureux voir destructeur » (Moro, 2004; 320). Pour les en-fants, donc, ce passage migratoire de l’histoire parentale constitue « une matrice de fan-tasmes, d’hypothèses, de constructions en miroir des fantasmes parentaux souvent riches et créateurs mais parfois aussi névrotiques et stérilisants  » (Ibid.). Idris (2009) cite Kaës en parlant de la «souffrance de l’identité» et du risque psychopathologique occasionné par les problèmes de transmission et de rupture transgénérationnelle dans des familles qui ont connu l’exil.

Les influences de la migration parentale sur le développement psychique de l’enfant sont majeures, et cela d’un point de vue culturel aussi. En effet, même si l’enfant née et grandit dans le monde d’ici, il n’est pas moins élevé dans un tissu formel, cognitif et affectif, référé à l’univers culturel de ses parents (Moro et Nathan, 1989). Il peut alors survenir une résur-gence de « la mémoire culturelle de l’ enfant » (Réal, 1995) quand des crises traversent la famille qui œuvre sur le processus de transmission culturelle. La coexistence des langues et des cultures suscite des sentiments d'ambivalence à la fois chez l'enfant, sa famille et parmi les individus qui les entourent. L’attitude des parents et celle de ses proches déter-minent sensiblement la manière dont l’enfant réagira à ses deux cultures, à ce qu’elles représentent et à leur intégration. Si nous pensons, par exemple, à la transmission linguis-tique et langagière, les recherches montrent que la position des parents dans la migration joue un rôle très important par rapport au maintien de la langue maternelle (Simon, 2011; Moro et Rezzoug, 2011). L’acculturation et la scolarisation dans le pays d’accueil peuvent la fragiliser beaucoup. Cela surtout quand l’intensification des échanges linguistiques dans la seconde langue est accompagnée de la régression des stimulations dans la langue mater-nelle. C’est une situation que beaucoup de migrants ont en commun en vivant loin de la famille d'origine et en situation d'isolement social (Simon, 2011). Tout cela contribue d’une manière très forte à déséquilibrer le rapport entre les deux langues en faveur de la deux-ième. À ces facteurs, on doit ajouter la dévalorisation de la langue dite « d’origine » qui ap-paraît d’autant plus accentuée que le pays est monolingue. L’ensemble de ces facteurs détermine, en facilitant ou en rendant plus difficile, la construction harmonieuse, pour les

enfants des migrants, d’une identité métissée qui concilie deux appartenances culturelle et linguistique ancrées dans une bonne estime de soi.

Moro (2004) apporte une contribution essentielle par rapport aux potentialités créatrices des migrants introduisant la notion de métissage dans le processus de transmission cul-turelle. Pour elle la migration est aussi une question de capacité à établir de nouveaux liens. La manière dont les parents pensent la nature de l’enfant, ses besoins, ses attentes, ses maladies, les modalités de soins, sont largement déterminées par la culture à laquelle ils appartiennent (Moro, 1994). Cependant, les systèmes culturels et les systèmes psy-chiques ne sont pas des structures rigides, mais fondamentalement dynamiques, quel que soit le migrant et les difficultés de parcours auxquelles il ait eu à faire face : les contenants psychiques peuvent se métisser.

!

Dans le document en fr it (Page 48-52)