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LES AFFILIATIONS, LE DON ET LE CONTRE-DON

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ANALYSE DES PROCESSUS CONTRE-TRANSFÉRENTIELS

2. PHÉNOMÈNES INCONSCIENTS DANS LA RECHERCHE : L’ANALYSE DU CONTRE-TRANSFERT DU CHERCHEUR

2.3 CONTRE-TRANSFERT DU CHERCHEUR/COTHÉRAPEUTE

2.3.5 LES AFFILIATIONS, LE DON ET LE CONTRE-DON

2.3.5 LES AFFILIATIONS, LE DON ET LE CONTRE-DON

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Il semblerait que j’ai toujours été ‘’très mamma’’, comme on dit en Italie. Avec mes amies, avec mon petit frère, avec les enfants difficiles qui étaient en classe avec moi. On me l’a souvent dit : « Tu es la maman de tout le monde, toi ! », « C’est inné en toi d’être maman ! ». Non, je ne pense pas que cela soit inné, ni en moi ni en quiconque d’ailleurs. En ce qui me concerne, cette attitude a dû commencer en Afrique, toute petite, quand j’avais le sentiment de ‘’prendre soin de mes parents’’. Rapidement adultisée, comme cela arrive à tout enfant de migrants qui se voit obligé d’occuper une place de traducteur de langues, de mondes, mais aussi d’affects. Cette parentification précoce a surement était à la base de mécanisme de défense (Cyrulnik, 1999). Cependant, au contraire de Cyrulnik, je ne pense pas que cela soit le signe d’une défaillance ou d’une démission parentale. Je pense qu’il s’agit plutôt d’une nécessité de survie individuelle et aussi familiale aux changements radicaux induits par la migration. Je suis convaincue que la migration joue intensément sur les enfants dans leur

relation au ‘’monde maternel’’. Comme le rappellent les recherches de Moro (1994), il est complexe pour une maman de présenter le monde dans lequel le nouveau-né vient habiter, lorsque ce monde ne lui appartient pas, ou pire encore, l’effraie. L’enfant se trouve alors à devoir découvrir ce monde seul. De plus, il se retrouve à devoir le traduire en partie à sa mère, soit dans le plaisir de la découverte, soit dans l’effraction de l’angoisse générée par le monde extérieur. Dans ce sens, je parlerais plutôt de ‘’co-maternage’’, que de ‘’parentifica-tion’’ ou d’‘’adultisa‘’parentifica-tion’’. L’enfant, ainsi que sa mère, se retrouvent à être à la fois mère et enfant, dans une relation de ‘’co-parent’’ et de ‘’co-enfant’’ où chacun donne à l’autre ce qu’il découvre du monde du dehors au profit du monde du dedans. Ce processus peut rendre l’enfant vulnérable, mais il ne constitue pas en soi un mécanisme défaillant ou disfonction-nel. Au contraire, cette vulnérabilité engendre, pour la plupart des enfants, une possibilité creative que seul le métissage permet.

Ces mécanismes se rejouent quand un enfant de migrant se retrouve à migrer à son tour. Ainsi, ma migration d’adulte en France a probablement réactivé les processus psychiques propre à l’enfant migrant que j’ai été. Dans les consultations transculturelles, il a été ques-tion, pour moi, d’ajuster mes mouvements projectifs dans le groupe. Je pense avoir alors utilisé la modalité qui le plus profondément m’habite, celle du co-parent/co-enfant, pour m’emparer d’un nouveau ‘’monde du dehors’’, celui du groupe transculturel. Ainsi, je pense avoir inconsciemment cherché à être tout à la fois ‘’parent’’ et ‘’enfant’’, c’est-à-dire, quelque part, à ’’adopter’’ et à ‘’me faire adopter’’. Je pourrais même assumer que j’ai fait de cette ‘’af-filiation’’ mon objet de recherche ; si on interprète mes projections dans le sens des mécan-ismes transféro/contre-transférentiels maternels décrit par Klein, Winnicott, Balint ou en-core Bion, ce contre-transfert amène une fonction contenante dans la relation de don/con-tre-don avec l’autre. Or, l’enfant n’est pas seulement ici l’autre dont il est question. Ce mé-canisme d’inscription affiliative a concerné ma place maternante dans le groupe des col-lègues, m’occupant des stagiaires, des petits-déjeuners, des enregistrements, des prises de notes. A l’inverse, je me suis affiliée aussi dans le groupe. Il m’a affectivement et intel-lectuellement materné, et certaines relations privilégiées se sont installées par des liens métissés tout à fait ‘’filiatifs’’ : ma ‘’mamiki’’ grecque, mon ‘’baba’’ africain, etc.

Cependant, la ‘’quête affiliative’’ la plus intense s’est sûrement produite avec la thérapeute principale. Elle représente pour moi un maître et une mère. Elle porte en elle, à mes yeux, cette double vertu de la maternité, à la fois intellectuelle et affective. De plus, elle est la raison principale de mes choix migratoires et de thèse. Je voulais venir en France pour ap-prendre d’elle et travailler avec elle. Elle m’a accueillie, avec la générosité et la passion qui lui appartiennent, elle m’a inscrite dans ses affiliations (Alicia, à l’espagnole), et moi dans

les miennes (Mary Poppins, la dame qui vient d’ailleurs ‘’sauter dans les rêves des enfants’’ avec son grand sac coloré et magique), elle m’a donné une place au sein de son dispositif et m’a autorisée à en questionner le cadre, à « le complexifier », comme elle le dirait. En effet, elle m’a permis de découvrir ce que c’est d’avoir un Mentor, au sens étymologique du terme. En Mentor il y a la cohabitation des rôles de ‘’formateur’’ et de ‘’protecteur’’ dans le lien au Mentéé, élève et protégé à la fois. Mentor est un personnage de la mythologie grecque, notamment de l’Odyssée, comme mon père (mon premier mentor) me le racontait quand j’étais petite, en me lisant les aventures d’Ulysse avant d’aller me coucher. Mentor est le précepteur de Télémaque, fils d’Ulysse. Quand il doit partir et participer à la guerre de Troie, c’est à Mentor qu’Ulysse confie son royaume, son patrimoine et notamment l’éduc-ation de son fils. Mentor guide Télémaque dans ses choix et le pousse à partir chercher son père quand les prétendants essayent de contraindre Pénélope, sa mère, à un nouveau mariage. En Mentor il y a Athéna (déesse de la sagesse et de la guerre), qui a pris son ap-parence pour dispenser des conseils à Télémaque et le protéger. Cette histoire mythologique me fait associer à ce que ‘’mon mentor’’ a dit quand elle a rencontré pour la première (et unique) fois mes parents. En fait, lors d’une conference du Professeur Marie Rose Moro à Milan pour Crinali, mes parents, présents dans la salle, sont allés se présenter en lui disant : «  Nous sommes les parents d’Alice, vous la connaissez comme Alicia. Elle adore que vous la nommez comme ça. Elle voulait tant venir travailler avec vous. Merci de notre part aussi  ». À ce, elle répond : «  Maintenant c’est à mon tour de m’occuper d’elle, donc? Oui, je l’ai adopté comme Alicia ». Je n’étais pas présente, mais c’est comme ça qu’on me l’a raconté. Et c’est comme ça que je garde le souvenir de cet épisode de rencontre en-tre mes mères et mes mentors.

Je n’avais jamais eu de maître auparavant, cela a été une toute première pour moi, d’où l’intensité que cette ‘’nouveauté’’ profondément personnelle a engendré. Ainsi, par projec-tion, j’ai pu me sentir une ‘’nouveauté’’ moi-même au sein du groupe. Or, dans le dispositif transculturel les enfants de migrants sont accueillis depuis la naissance du groupe, bien longtemps avant mon arrivée. Savoir cela n’a pas empêché mon sentiment d’être ‘’passée à l’acte de manière dérangeante’’ quand j’ai glissé par terre pour rejoindre l’enfant lors de ma première consultation transculturelle. En effet, choisir de faire une thèse au sein des groupes du Professeur Marie Rose Moro m’a mise face à un double sentiment ; à la fois de me sentir honorée d’avoir cette chance et de devoir faire tout mon possible pour l’honorer à mon tour ; mais aussi un sentiment de peur à l’idée d’être inadaptée, exagérée, dérangeante presque dans ma prise de place avec les enfants. Il n’a pas été simple de ré-soudre cette double valence intrinsèque (qui est typique -à vrai dire- de toute relation

maternelle) propre de la ‘’reconnaissance de l’autre’’, cet autre qui est à la fois enfant et parent, don et conte-don. Chaque migration ré-engendre une inscription psychique, cul-turelle et affiliative et nous introduit dans la complexité, dans la multiplicité, dans le rap-port à l’autre et donc à soi-même. C’est ainsi que je considère mon rôle de ‘’cothérapeute/ chercheuse’’ qui accompagne les productions des enfants dans le dispositif transculturel, dans un mécanisme de don/contre-don affiliatif. En effet, si on regarde de plus près le fonc-tionnement du groupe transculturel, tout ‘’co-thérapeute’’ se positionne dans une place qui recouvre un sens de ‘’co-parent/co-enfant’’ pluriel et métissé. C’est ainsi que je comprends le contre-don que chaque cothérapeute amène en séance, chacun avec ses propres affilia-tions qu’il offre aux enfants reçus face au don que la famille offre par sa confiance. Mon contre-don est sans doute davantage visible puisqu’il se place physiquement au centre du groupe, mais se réfère au même mécanisme d’affiliation psychique et culturelle permettant l’accompagnement des enfants, contre-don vis-à-vis de leurs dessins offerts en don au groupe entier. Ce mécanisme de ‘’métissage affiliatif’’ est, à mon sens, celui qui permet une diffraction du transfert ouvrant à une pluralité riche, multiculturelle et aussi multi-mère/ père, offerte à l’enfant et à sa famille dans la consultation transculturelle.

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