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PENSER LE DESSIN D’ENFANT SELON UNE APPROCHE TRANSCULTURELLE

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! Arno Stern 8

A III : LE DESSIN D’ENFANT ET LA CULTURE

3. CULTURAL FREE, CULTURE FAIR ET BIAIS TRANSCULTURELS

4.1 PENSER LE DESSIN D’ENFANT SELON UNE APPROCHE TRANSCULTURELLE

4.1 PENSER LE DESSIN D’ENFANT SELON UNE APPROCHE TRANSCULTURELLE

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Moro (1988a) avait déjà mi en évidence, dans ses premières recherches, l’importance des productions graphiques des enfants de migrants, le dessin étant un des outils de sa dé-marche méthodologique. Elle utilise tout particulièrement le test du bonhomme de Ma-chover (1949), un dessin de la famille où l’enfant se situe au sein des relations familiales, ainsi qu’un dessin libre sur un thème choisi par l’enfant même. Les données recueillies par les dessins aident la chercheuse, dans une démarche méthodologique beaucoup plus

am-ple, à « définir les aléas du développement affectif de l’enfant, la qualité et la maîtrise de sa fantasmatisation (…) et de conforter notre diagnostic clinique » (Moro, 1988a; 111).

Dans nombre de publications successives de Moro (2007 par exemple pp. 66, 71, 99, 179, 214-218) on trouve plusieurs références aux dessins des enfants de migrants reçus dans les dispositifs transculturels. Le dessin représente souvent la manière choisie par les en-fants pour « passer de la précarité et du doute sur soi et sur sa transmission à un nouvel être au monde, un être au monde métissé et ouvert » (Ibid.; 65). Ce choix graphique devient nécessaire au sein du groupe transculturel, dispositif qui « est le témoin de l’importance des actes de racisme au quotidien à l’égard des enfants et des adolescents de familles mi-grantes en France » (Ibid.; 65-66). Si les parents déjà ne parlent pas facilement de ce vécu, «  les enfants ont encore plus de mal que leurs parents à le verbaliser, ils se taisent généralement : l’événement violent qui les a touché est alors raconté au décours d’un dessin, d’une association d’idées, d’un souvenir douloureux » (Ibid.; 66).

Moro propose souvent aux enfants de dessiner pendant les consultations transculturelles et cela depuis les prémices du dispositif groupal. « Nous avons imaginé créer un espace de soins où les enfants, portés par le groupe des parents et des thérapeutes, puissent jouer en notre présence, mais en laissant aussi les parents amener leurs propres formes, leurs pro-pres interprétations. Ainsi cohabitent des manières plurielles de jouer - les uns et les autres peuvent jouer avec des objets d’ici, dessiner, faire des scènes de théâtre, mettre en scène des contes qui disent l’altérité, le passage d’un monde à l’autre, d’une lecture à l’autre » (Ibid.; 178).

Dans ses livres, les situations cliniques décrites nous donnent plusieurs exemples de l’intu-ition de Moro à propos de l’importance des productions des enfants, notamment le dessin. Nous en proposons un seul extrait parmi les nombreux à propos d’un enfant rencontré en Afghanistan : « … Depuis le vent agit comme un inducteur et fait revivre le trauma à ce pe-tit garçon. Il importe donc de décoller le bruit des canons de celui du vent et, surtout, de faire sortir la frayeur qu’il y a à l’intérieur de ce garçon. Je lui propose de dessiner ce qui l’inquiète. Il crayonne un arbre, une tasse, des monstres. Je complète son dessin, d’abord en faisant le soleil, puis en dessinant du vent qui s’en va - il sort du dessin. Il sourit, ayant bien perçu le lien. Son dessin est vraiment très beau. Je le lui dis. Sa mère explique qu’il fait des dessins géométriques très beaux et très originaux sur le tapis ; il les invente. Manifeste-ment il a beaucoup de goût et d’intuition. (…) On sent que cet enfant a commencé à ne plus avoir peur du vent. Il peut ne plus avoir peur pourvu qu’on l’aide un peu à sortir les traces que le vent traumatique initial a laissé dans sa mémoire par les mots, le dessin, le rêve, le jeu (…) » (Moro, 2007; 179).

Plusieurs cliniciens de l’équipe transculturelle de Moro, ont poursuivi cet intérêt pour les productions des enfants de migrants. Faisant référence aux propositions pragmatiques et cliniques de Moro, des thérapeutes expérimentés des groupes transculturels (Charles Di, Amalini Simon, Muriel Bossuroy, François Giraud, Alice Titia Rizzi) ont approfondi l’idée que « le jeu est aussi un espace d’appropriation de la réalité » (Moro, 2007; 180). Notamment Giraud (2011) aborde une possible vision transculturelle du dessin d’enfant de migrants. Son texte vise à souligner que « l’examen d’un dessin d’enfant en clinique transculturelle doit se défier de toute réduction culturaliste » (Ibid., 109). La proposition universaliste ‘’les enfants dessinent tous’’ est à appréhender « dans une singularité en rapport avec un con-texte social ou culturel. Il faut prendre en compte l’indexicalité de leur productions, c’est-à-dire les conditions pragmatiques de cette opération » (Ibid., 109). En fait, ce que l’auteur exprime lucidement est qu’un dessin d’enfant de famille migrante doit être envisagé d’abord pour lui-même en tant que sujet « du fait qu’il est un enfant et qu’il est marqué par une acculturation plus ou moins profonde » (Ibid.,110).

Les enfants de migrants sont en effet, selon une métaphore qu’il reprend de Moro (2007), « des enfants-ponts, ils ne sont ni sur une rive ni sur l’autre » (Ibid., 110). Giraud insiste sur le côté unique de l’enfant, marqué par les cultures de manière singulière et donc non ré-ductible. En outre, il relate que, «  en tant qu’enfants, ils sont en formation, et donc mar-ginalement soumis à des codes graphiques, même quand ils ont vu plus souvent des tou-cans que des avions… » (Ibid., 111). En fait, l’idée de Giraud s’appuie sur les travaux de De-vereux (1955) qui théorisait l’existence, à côte de l’inconscient individuel, d’un inconscient culturel. Il est le résultant des conditions spécifiques à chaque peuple et il comporte des opérations de refoulement constitutives de chaque culture (Devereux, 1956). «  L’incon-scient culturel change comme il change la culture » (Ibid.; 5). « Une approche purement ‘’culturelle’’ du dessin d’enfant apparaîtrait donc comme singulièrement appauvrissante. Ce serait une erreur culturaliste profonde, dans ce domaine comme dans d’autres, de croire qu’il faille se référer uniquement à la culture pour comprendre un dessin d’enfant. S’il faut s’informer sur sa culture, il ne faut pas en être dupe » (Giraud, 2011; 104). Le dessin est, dans ce sens, l’opération graphique qui permet le travail de sublimation, et donc de créa-tion qui exprime un désir à partir de règles. Cette créativité graphique favorise la mise en forme et la secondarisation (Ibid.). Percevoir les règles de la mise en forme correspond alors à comprendre la culture de l’autre.

Il est important de souligner que penser le dessin d’enfant en optique transculturelle signi-fie prendre acte que chaque dessin d’enfant est «  chargé de sens culturel  » (Rizzi et al., 2014a). Le dessin d’enfant de migrant est porteur d’une pensée originelle et singulière à

déchiffrer avec sensibilité (Ibid.). Ceci ne peut pas se faire en dehors d’un cadre pensé et structuré de manière à offrir aux enfants «  un lieu où ils sont protégés de l’histoire des parents, sans en être exclus  » (Ibid.). Le dispositif transculturel permet, par son cadre à géométrie variable, aux enfants de familles migrantes de profiter d’un espace où le jeu spontané s’avère possible, ainsi que le dessin (Rizzi et al., 2014b).

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