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1.3.

INTERRELATING

1.3.1. L’action collective pour construite le collective mind

Weick et Roberts (1993) insistent sur l’importance de comprendre les processus de communication entre les membres d’un groupe pour comprendre comment un groupe développe un « esprit collectif ». Pour les auteurs, la compréhension d’un système complexe ne peut se faire pour un acteur que s’il est intégré à un réseau densément connecté. La complexité du système n’est donc pas gérée par des acteurs au moins aussi complexes que le système – ce qui tend à être cognitivement impossible, au vu de la complexité croissante des systèmes – mais par des interconnexions plus denses entre les acteurs (Weick & Roberts, 1993). « L’esprit collectif » n’est donc pas dans les individus mais dans les connexions entre ces individus, c’est-à-dire qu’il faut s’intéresser aux processus et aux méthodes, aussi bien qu’aux structures et au contenu. Nous retrouvons ici la métaphore des réseaux neuronaux du connectionism dans l’approche de l’intelligence artificielle des réseaux de neurones artificiels, ou, plus proche des sciences de gestion, des métaphores de Gareth Morgan (1989, cité par Desreumaux, 2005) et celle du cerveau (voir Tableau 8).

Tableau 8 – Synthèse des métaphores de Gareth Morgan (adaptée de Desreumaux, 2005)

Image Métaphore L’organisation

est… Auteurs Thématique

Machine Mécanique Une machine qu’il

faut agencer rationnellement Classiques (Taylor, Fayol, Weber) Planification, homo economicus, contrôle Organisme vivant

Biologique Un système qui s’adapte à son environnement Parsons Système, évolution, adaptation Cerveau Biologique et

Cybernétique Un cerveau qui rassemble et traite de l’information Simon, Beer, Le Moigne Système, connexions, rétroaction Culture Anthropologique Un groupe, avec des

valeurs communes, des codes, des rites

Schein, Ouchi Valeurs, mythes, culture

Système politique

Politique Le lieu d’alliances et de conflits pour défendre leurs intérêts propres Simon, Pfeffer, Salanczik, Crozier, Friedberg Pouvoir, intérêts, jeux de pouvoir Prison mentale

Psychologique Un lieu où se manifeste le psychisme humain, son inconscient, ses angoisses Jacques, Menzies, Winnicott, Inconscient, défenses, psychanalyse Instrument de domination Politique Le lieu de la domination sociale d’un petit nombre sur la majorité

Michels, Marx Pouvoir, domination, exploitation

Si « l’esprit collectif » se situe dans les connexions entre les individus, au travers des processus et des méthodes, il se construit par l’action collective : c’est l’action qui construit des processus mentaux et non pas un processus mental qui construit l’action (Weick & Roberts, 1993, p. 374) : « we conceptualized mind as action that constructs mental processes rather than as mental processes that construct action ». De cet « esprit collectif » va se développer une réflexion autour de la relation existant entre la vigilance et l’attention d’un côté, et l’action collective de l’autre.

1.3.2. Structuration d’un état collectif de vigilance : mindfulness et heedful

interrelating

En lien avec « l’esprit collectif », Weick et Sutcliffe (2007, p. 32) développent le concept de mindfulness15, qu’ils définissent comme « a rich awareness of discriminatory detail ». Issu de la psychologie, le mindfulness implique de l’attention et la capacité s’adapter à la situation. Moins de mindfulness implique donc une plus grande dépendance aux routines établies (Argote, 2006). Le mindfulness va au-delà de la simple conscience de la situation car il implique un processus de remise en cause des attentes existantes en les faisant évoluer au gré des expériences plus récentes, où les petites anomalies sont relevées et les subtilités doivent être prises en compte (Jordan, Messner, & Becker, 2009).

Au-delà d’une structuration de l’attention au travers des routines et des procédures, le concept de mindfulness considère l’attention comme guidée par des processus cognitifs. Weick & Sutcliffe (2007) considèrent que le mindfulness n’est pas contrôlé par le management mais est contrôlé par la culture et les valeurs. La culture véhicule ainsi la pression sociale exercée sur les individus de l’organisation (Weick & Sutcliffe, 2007, p. 150): « Consensus plus intensity focused on a handful of values is a powerful guide ».

Pour autant, il ne faut pas limiter le mindfulness uniquement à des processus cognitifs, car celui-ci est étroitement lié aux capacités d’action au niveau des individus mais également au niveau du groupe (Weick & Sutcliffe, 2006). Par ailleurs, le mindfulness est autant affaire de qualité de l’attention que de conservation de l’attention (Weick et al., 1999, p. 43) : « It is as much about what people do with what they notice as it is about the activity of noticing itself ». Articulant collective mind et mindfulness, le Heedful interrelating – la « vigilance collective réciproque » (Brion, 2005, p. 142) – vient apporter une dynamique interactionnelle à cet état de vigilance (Weick & Roberts, 1993, p. 366) :

When people make efforts to interrelate, these efforts can range from heedful to heedless. The more heed reflected in a pattern of interrelations, the more developed the collective mind and

15 Par soucis de clarté nous conserverons le terme anglais de mindfulness. Traduit littéralement, le terme renvoie à la pleine conscience, il est possible de le traduire comme un état de vigilance. Laroche (2006, p.102) choisit de le traduire par le terme d’advertance – de vigilance dans l’action : « par son orientation (l’attention d’autrui), par sa finalité (la réalisation d’une action), et par le lien entre les personnes impliquées (interdépendance). ».

the greater the capability to comprehend unexpected events that evolve rapidly in unexpected ways.

C’est au travers des interactions que les individus vont questionner leurs présupposés et leurs routines afin de pouvoir s’adapter à la situation à laquelle ils sont confrontés, et ainsi structurer leurs actions (Weick & Roberts, 1993; Jordan et al., 2009). Ce sont les interactions entre les individus qui vont mettre de l’attention dans l’action (Orvain, 2014) et permettre au groupe de « découvrir les erreurs et menaces et d’ajuster son fonctionnement » (Roux-Dufort, 2003b, p. 150).

Cette vigilance collective réciproque s’articule autour de trois processus : la contribution, la représentation et la subordination (Brion, 2005). Tout d’abord, chacun des acteurs apporte des contributions au système par leurs actions. Ensuite, chaque acteur construit sa représentation du système au travers des actions qu’il entreprend dans ce système. Les actions et représentations de chacun des acteurs sont liées entre elles et s’influencent mutuellement. Enfin, les actions – interconnectées entres elles et intégrées dans le système – sont subordonnées à l’objectif global de ce système.

Dès lors, la conception de l’attention ne peut être restreinte au niveau individuel et doit s’approcher également au niveau du groupe au travers des interactions du collectif. Pourtant élément décrié par la NAT, c’est dans la densité et le couplage des interactions entre les membres de groupe que réside la fiabilité. L’idée d’un individu héroïque et individualiste qui sauve l’organisation de la catastrophe n’a donc pas sa place, et les compétences interpersonnelles deviennent essentielles à la fiabilité : pour assurer la fiabilité, il faut savoir « co-opérer ».

Enfin, la vigilance réciproque collective s’observe également au niveau organisationnel. Outre des règles qui organisent la vigilance collective réciproque, la culture – au travers des valeurs partagées par les membres de l’organisation, et des valeurs à transmettre aux nouveaux arrivants –permet le déploiement de cette vigilance collective réciproque. L’articulation des processus de vigilance collective réciproque se fait donc entre les niveaux d’analyse et avec des temporalités différentes pour instaurer cette vigilance. Ainsi, l’injonction d’une vigilance collective réciproque semble difficile à opérer sans laisser du temps pour diffuser et partager les valeurs et les règles entre les membres.

L’approche weickienne de la fiabilité organisationnelle permet d’aborder la fiabilité sous l’angle processuel. Ce faisant, la fiabilité passe d’une caractéristique organisationnelle à un

ensemble de processus qui s’articulent entre les niveaux d’analyse individuel, interindividuel et organisationnel. Tissant une toile de fond conceptuelle, cette approche permet de mieux analyser et expliciter par la suite le rôle du facteur humain et les principes généraux permettant d’assurer la fiabilité des organisions étudiées.

DÉPASSER LA DIMENSION TECHNIQUE DE LA FIABILITÉ : RÔLE DU FACTEUR

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