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CHAPITRE 3 : FACTEURS PSYCHOSOCIAUX LIES AU VIH/SIDA ET LEURS CONSEQUENCES

3. REVELATION DE LA SEROPOSITIVITE AU VIH

Comme nous l’avons signalé précédemment, une des conséquences de la stigmatisation liée au VIH/SIDA est la non-révélation de la séropositivité (e.g., Herek, 1999 ; Alonzo & Reynolds, 1995 ; Stutterheim, 2011). Par exemple, Derlega , Winstead, Greene, Serovich et Elwood (2002) ont étudié en détail la relation entre la stigmatisation et la décision de révéler ou de ne pas révéler la séropositivité. Ils ont demandé à 145 participants séropositifs s’ils avaient révélé leur diagnostic à un ami, à un partenaire intime et à un des parents. La plupart des participants ont indiqué avoir révélé leur diagnostic à ces différentes cibles. Mais, alors qu’une association négative a été mise en évidence entre la perception de la stigmatisation publique et la révélation du diagnostic à un des parents, aucun lien n’a été trouvé entre la perception de la stigmatisation et la révélation du diagnostic à un ami ou au partenaire intime. Par ailleurs, les résultats de

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cette étude ont mis en évidence l’absence de lien entre la stigmatisation et les raisons pour révéler le diagnostic. Cependant, il s’est avéré que les raisons pour ne pas révéler le diagnostic ont augmenté avec l’intensité de la perception de la stigmatisation. De façon spécifique, ces auteurs ont trouvé des corrélations positives entre la perception de la stigmatisation et les motivations suivantes pour ne pas révéler la séropositivité : l’auto-blâme, la peur du rejet, les difficultés de communication et la protection des autres.

Une des manières par laquelle la perception de la stigmatisation favorise les freins à la révélation de la séropositivité est l’anticipation des risques encourus par le dévoilement de ce genre d’information (pour une revue voir Greene et al., 2003). Leary et Schreindorfer (1998) ont signalé quatre facteurs liés à la stigmatisation et aux représentations d’autrui de la contamination par le VIH pouvant influencer la (non) révélation de la séropositivité. Ces facteurs sont : (1) l’appréhension des réactions émotionnelles négatives de la part des autres, (2) les réactions de peur chez les autres engendrées par la nature infectieuse du VIH, (3) la désapprobation attachée au caractère immoral souvent attribué au VIH et (4) l’échec représenté par la séropositivité vis-à-vis de la contribution au bien-être (et au bon fonctionnement) de la communauté proche et de sa famille. Ces réactions négatives vis-à-vis de la séropositivité corroborent le modèle cognitif-émotionnel de la stigmatisation liée au VIH proposé par Bos, Herman, Schaalma et Pryor (2008) présenté auparavant (cf. Figure 2).

Nous avons signalé précédemment (cf. Chapitre 2) que les personnes confrontées à des situations mettant leur vie en péril, comme par exemple l’atteinte par le VIH/SIDA, se retrouvent face à un dilemme (Silver, Wortman & Crofton, 1990) : elles se voient dans la nécessité de communiquer leur détresse pour pouvoir avoir accès au soutien social, mais, elles prennent le risque de recevoir des réponses négatives de la part des autres. La décision de révéler ou de ne pas révéler leur séropositivité constitue une stratégie de coping chez ces personnes (Greene et al., 2003 ; Stutterheim, 2011). Pour certains, la révélation du diagnostic donne un accès direct au soutien social, alors que pour d’autres, garder la séropositivité secrète sert de protection face aux réactions négatives potentielles d’autrui.

De recherches antérieures ont mis en évidence que la révélation de la séropositivité est un processus raisonné, où la personne prend en compte le poids des bénéfices et des coûts perçus pour lui-même et pour autrui (e.g., Serovich, 2001; Black &

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Miles, 2002 ; Derlega, Winstead, Greene, Serovich & Elwood, 2004). Quand les bénéfices l’emportent sur les coûts, il est fort probable que la révélation de la séropositivité ait lieu. Au contraire, quand les coûts risquent d’être plus importants que les bénéfices, il est très probable que la séropositivité soit gardée secrète.

Quelles seraient les motivations spécifiques attachées à la révélation ou la non-révélation de la séropositivité ? Greene et al. (2003) ont dédié un ouvrage entier à la révélation de la séropositivité, dans lequel ils abordent cette question. A partir d’une revue extensive de données empiriques, les auteurs ont établi une liste des motivations favorisant la révélation de la séropositivité et des motivations incitant à la non-révélation de la séropositivité. Dans les deux cas, ces motivations ont été divisés en deux types : (1) les motivations liées à un gain pour soi-même et (2) les motivations rattachées à un gain pour autrui. Toutefois, ces auteurs insistent sur le fait que, même si ces motivations sont déterminantes dans le choix de la révélation de la séropositivité, les liens relationnels entretenus avec les cibles éventuelles de la révélation sont déterminants dans la prise d’une telle décision.

Nous allons succinctement énoncer les motivations responsables de la révélation de la séropositivité mises en avant par Greene et al. (2003). Aux premiers rangs des motivations incitant à la révélation du diagnostic, rattachées à un gain pour soi-même, on trouve : (1) la catharsis (les motivations liées à la croyance de la fonction libératoire de la parole) et (2) les motivations liées à l’obtention de l’aide (ex. matérielle, affective). Les motivations déterminant la révélation du diagnostic liées à un gain pour autrui sont : (1) le devoir d’informer les autres (présomption du fait que les autres ont le droit de connaître cette information) et (2) le désir d’éduquer les autres, plus particulièrement, à propos de la transmission du virus. Par ailleurs, parmi les motivations encourageant la non-révélation du diagnostic attachées à un gain pour soi, on trouve : (1) le fait que l’information puisse être divulguée à une tierce personne, (2) l’auto-blâme et les difficultés du concept de soi (ex. les sentiments de honte ou le sentiment d’avoir fait quelque chose d’immoral) et (3) la peur d’être rejeté et de ne pas être compris. Enfin, la motivation signalée par Greene et

al. (2003) incitant à la non-révélation du diagnostic attachée à un gain pour autrui serait le

désir de protéger les autres (ex. ne pas préoccuper ou mettre en détresse les autres personnes du fait du diagnostic de séropositivité).

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3.1 Conséquences de la (Non) Révélation de la Séropositivité au VIH

Nous venons d’évoquer que la perception de la stigmatisation peut constituer un des freins à la révélation de la séropositivité. De même, la stigmatisation peut être une des conséquences négatives de la révélation du diagnostic chez les personnes atteintes du VIH/SIDA (e.g., Black & Miles, 2002 ; Landau & York, 2004). A son tour, la stigmatisation peut provoquer des effets néfastes sur le bien-être psychologique (e.g., Stutterheim, et al., 2011b; Vanable, Carey, Blair & Littlewood, 2006 ; Lee, Kochman & Sikkema, 2002) et le bien-être social chez ces patients (e.g., Lichtenstein, Laska & Clair, 2002 ; Muma, Parcel & Pollard, 1995). Au Tableau 1 nous présentons une compilation de certaines des conséquences négatives de la révélation du diagnostic qui ont été documentées par Greene et al. (2003).

Pourtant, la révélation de la séropositivité peut également amener des conséquences positives pour ces patients, la plus importante étant l’obtention du soutien social. Nous avons présenté au Chapitre 2 les bienfaits connus du soutien social sur la santé. De façon spécifique, il a été démontré que chez les personnes atteintes du VIH/SIDA le soutien social participe de façon positive à l’ajustement à la maladie et aux stratégies de coping mises en place (e.g., Hays, Turner & Coates, 1992 ; Smith, Rossetto, & Peterson, 2008), mais joue aussi un effet tampon sur le stress, l’anxiété et la dépression qu’ils subissent (e.g., Li, Lee, Thammawijaya, Jiraphongsa & Rotheram-Borus, 2009; Lam, Naar-King & Wright, 2007 ; Kalichman, DiMarco, Austin, Luke, & Di Fonzo, 2003).

En outre, la révélation de la séropositivité peut amener d’autres conséquences positives. Il a été démontré que la révélation du diagnostic peut favoriser l’adhésion thérapeutique (Chesney & Smith, 1998) ainsi que des comportements sexuels moins risqués (Kalichman, 2000). De plus, la révélation de la séropositivité a été associée au bien-être psychologique (Derlega, Winstead, Oldfield & Barbee, 2003) au rapprochement dans les relations interpersonnelles (e.g., Herek & Capitanio, 1996). Enfin, Greene et al. (2003) soulignent que la révélation de la séropositivité peut diminuer les effets connus du stress lié au maintien des secrets (e.g., Pennebaker, 1997a). Au Tableau 1 sont également présentées certaines des conséquences positives de la révélation du diagnostic documentées par Greene et al. (2003).

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Tableau 1 : Quelques conséquences Positives et Négatives attachées à la révélation de la séropositivité

Négatives Positives

Ostracisme La relation est devenue plus proche Violence Physique Cela a servi pour éduquer les autres

personnes

Blâme D’autres personnes se sont faites dépistées Fin de la relation (voir le divorce) Les autres personnes ont limité leurs

conduites à risque Interdiction de voir ses enfants, neveux

et nièces

La personne séropositive a eu l’occasion de parler de sa situation stressante

Perte du logement Recevoir de l’aide quant à la prise des médicaments et à l’hygiène alimentaire Perte du travail, ne pas être embauché Recevoir de l’aide pour la préparation des

repas et les tâches domestiques

Perte de l’assurance (ex. santé) Recevoir de l’assistance pour la garde des enfants

Les gens ont arrêté de parler à la personne séropositive

Obtention d’aides financières (loyer, nourriture, médicaments)

Il a été demandé de quitter son église (ou d’autres groupes)

Faire connaissance d’autres personnes séropositives

Etre renié par ses parents ou par sa famille

Rejoindre un groupe de parole pour les personnes séropositives

Les gens refusent de manger la nourriture préparée par la personne séropositive

Visites au centre de santé pour les personnes atteintes du SIDA

N.B. Notre traduction de l’anglais du tableau proposé par Greene et al. , 2003 (p. 9)