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CHAPITRE 2 : SOUTIEN SOCIAL ET REJET FACE A LA MALADIE

3. LES CONTRAINTES SOCIALES

Alors que les victimes d’accidents de la vie (ex. catastrophes naturelles, maladie grave, viol) peuvent être en demande de soutien social, l’entourage n’a pas toujours la capacité de combler ce besoin (e.g., Pennebaker & Harber, 1993), ou bien, ne le fait pas toujours de façon adéquate. « Lorsque l’individu se voit forcé, par les autres personnes, à réguler, restreindre ou modifier ses actions, pensées ou sentiments, il est en train d’éprouver des contraintes sociales » (Lepore & Revenson, 2007 ; p. 1)2

. Selon ces auteurs, dans le cas de la verbalisation liée à une situation stressante (ex. pensées, sentiments, ou préoccupations), les contraintes sociales peuvent concerner, d’une part, des situations sociales objectives, et d’autre part, la construction personnelle faite par l’individu de telles situations. Dès lors, les contraintes sociales sont à la fois le résultat du comportement de l’entourage (ex. les critiques, le déni de la souffrance, ou le retrait) ainsi que de l’interprétation personnelle, faite par l’individu, du comportement des autres. Dans notre cas, nous allons discuter des contraintes sociales apparaissant lors de la verbalisation d’un traumatisme émotionnel induit par une maladie grave et chronique.

Lepore et Revenson (2007) soulignent que dans le cas de la verbalisation émotionnelle, les contraintes sociales peuvent émerger suite aux situations sociales objectives (ex. les critiques, le déni ou le retrait de la part des autres). De ce fait, dans sa tentative d’obtenir du soutien social ou dans son désir d’exprimer ses pensées, ses sentiments ou ses préoccupations, l’individu peut se sentir non-soutenu, incompris, ou aliéné par son réseau social. Par ailleurs, dans leur construction théorique des contraintes sociales, Lepore et Revenson (2007) mettent l’accent sur l’élément perceptif attaché à

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celles-ci. Ces auteurs avancent que les contraintes sociales sont fortement nuancées par la façon dont l’individu construit ou interprète les situations (conditions) sociales.

Alors que le concept de contraintes sociales (face à la verbalisation) peut partager des similitudes avec d’autres concepts comme le conflit social (Lepore, 1992), le contrôle

social (Lewis, Butterfield, Darbes, & Johnston-Brooks, 2004) ou le soutien social problématique (e.g., Ingram, Jones, Fass, Neidig & Song, 1999 ; Revenson, 1993), il y a

des distinctions à noter entre ces concepts. Bien que ces concepts puissent comprendre des comportements sociaux induisant des contraintes sociales, celles-ci dépendent de la façon dont l’individu interprète ces comportements (Lepore & Revenson, 2007). En effet, les contraintes sociales sont estimées, chez la « victime » à partir d’indicateurs visant à examiner les comportements sociaux négatifs de la part d’autrui. Parmi les exemples de ces comportements, on trouve : les critiques excessives, le manque de bienveillance, l’évitement physique et émotionnel, le pessimisme, l’optimisme forcé et la désapprobation de la souffrance émotionnelle (e.g., Lepore & Helgeson, 1998 ; Manne, 1999 ; Zakowski, Ramati, Morton, Johnson & Flanigan, 2004). Il faut remarquer que la nature perceptive des contraintes sociales rend difficile leur évaluation. La plupart des études appréhendent les contraintes sociales du point de vue de la personne qui les éprouve, sans prendre en compte les comportements objectifs de l’entourage.

Il ne faut pas négliger le fait que des interactions sociales bien intentionnées pourraient engendrer des contraintes sociales face à la verbalisation à propos de la maladie, ceci, ayant comme conséquence, la verbalisation sélective ou l’inhibition totale de la verbalisation (Lepore & Revenson, 2007). Les contraintes sociales ne sont pas tout simplement l’absence du soutien social désiré (où aucune aide ni soutien ne sont fournis), elles apparaissent en fait comme le résultat d’une inadéquation entre le soutien social désiré et le soutien social reçu (Lepore & Revenson, 2007). Par exemple, les contraintes sociales peuvent résulter d’une situation où celui qui fournit le soutien social a l’intention d’aider ou d’être soutenant, tandis que celui qui reçoit l’aide la perçoit comme nuisible, non-désirée ou inadéquate (e.g., Dakoff, & Taylor, 1990).

Pour conclure, face à l’adversité, les comportements socialement contraignants de la part de l’entourage proche peuvent être notamment une source de détresse de nature socio-affective. Chez l’individu, ces comportements peuvent remettre en question ses expectatives vis-à-vis de ses relations avec autrui (Lepore & Revenson, 2007). Par

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exemple, les contraintes sociales peuvent altérer le sentiment d’appartenance (e.g., Baumeister & Leary, 1995), le sentiment de confiance et le sentiment de sécurité pendant les moments où la vulnérabilité est accrue.

3.1 Ajustement émotionnel à la maladie : Un modèle sociocognitif du traitement

Dans le cadre de la psychologie de la santé, plusieurs recherches se sont intéressées aux conséquences négatives de la perception des contraintes sociales sur l’ajustement à la maladie chronique. Les contraintes sociales éprouvées lors de la verbalisation à propos de la maladie participent à une augmentation de la détresse psychologique chez les patients atteints de douleurs chroniques (Herbette & Rimé, 2004), chez les patients atteints du cancer (e.g., Cordova, Cunningham, Carlson & Andrykowski, 2001; pour une revue consulter Lepore & Revenson, 2007), chez les patients souffrant d’arthrite rhumatoïde (Danoff-Burg, et al., 2004), chez les patients diabétiques (Braitman et al., 2008) et chez les personnes séropositives au VIH (Ullrich, Lutgendorf & Stapleton, 2002), entre autres.

A titre d’exemple, Lepore et Helgeson (1998) ont mené une étude auprès d’hommes atteints d’un cancer de la prostate. Ces auteurs ont mis en évidence que la perception des contraintes sociales renforçait la synergie entre les pensées intrusives (à propos de la maladie) et la détérioration de la santé mentale. Par ailleurs, les résultats d’une autre étude (Lepore, 1997 cité dans Lepore, 2001 p. 103) menée auprès de femmes atteintes d’un cancer (cancer du sein ou cancer colorectal), ont aussi mis en évidence le rôle modérateur exercé par les contraintes sociales entre les pensées intrusives et l’ajustement émotionnel. De plus, cette même étude a suggéré que la perception des contraintes sociales a eu un effet modérateur sur la fréquence de la verbalisation des pensées éprouvées à propos de la maladie.

Lepore (2001) a proposé le modèle sociocognitif du traitement (Social-Cognitive

Processing Model) dans l’ajustement émotionnel aux événements stressants,

particulièrement, l’ajustement à la maladie chronique ou grave. A travers ce modèle, l’auteur souligne les effets induits par l’environnement social, notamment les contraintes sociales, sur la façon dont les individus s’ajustent psychologiquement et émotionnellement à la maladie. En effet, l’environnement social peut avoir un impact sur la manière dont les personnes se sentent, pensent, et parlent en rapport au soi, à la maladie et aux relations interpersonnelles. Donc, Lepore (2001) ajoute à la théorie du traitement

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cognitif des traumatismes émotionnels (Horowitz, 1986 ; Janoff-Bulman, 1992 ; cf.

Chapitre 1) l’élément social. En outre, le regard théorique de Lepore (2001 ; Lepore &

Revenson, 2007) attire l’attention sur le fait que les malades chroniques éprouvent de façon concomitante le besoin de soutien social et les contraintes sociales. Cette remarque coïncide avec les travaux de Silver, Wortman et Crofton (1990) qui avaient également avancé que les personnes confrontées à des situations mettant leur vie en péril se retrouvent face à un dilemme. D’une part, elles se voient dans la nécessité de communiquer leur détresse pour pouvoir avoir accès au soutien social. Mais, d’autre part, elles prennent le risque de recevoir des réponses négatives de la part des autres.

La maladie grave peut constituer une menace mortelle, dès lors, elle peut être classée comme étant un événement de vie traumatique (DSM-IV TR, American Psychiatric Association, 1994). Donc, comme évoqué auparavant (cf. Chapitre 1), à partir de son impact sur les croyances de base (Janoff-Bulman, 1992) un travail cognitif s’installe chez l’individu. Dès lors, parler des expériences traumatiques peut faciliter le traitement cognitif de l’expérience, et ceci en fonction du type de réponses émises par l’auditeur (e.g., Nils & Rimé, 2012 ; Lepore et al., 2004). Toutefois, les atouts positifs (cognitifs et socio affectifs) de la verbalisation à propos d’un événement traumatique sont modérés par les réponses sociales des autres personnes (e.g., Lepore et al., 1996). Ces bénéfices n’apparaissent pas face aux réponses sociales non-soutenantes, non-réceptives et caractérisées par les critiques. De plus, quand un individu s’exprime à propos d’un événement stressant dans un contexte social négatif (ou non-soutenant) ce dernier peut augmenter sa détresse psychologique (e.g., Major et al., 1990; Major, Zubeck, Cooper, Cozzarelli & Richards, 1997).

Pour Lepore (2001) un réseau social non-soutenant et caractérisé par les critiques constantes empêcherait le traitement cognitif du traumatisme émotionnel. En premier lieu, face à la perception des contraintes sociales, l’individu peut réagir en faisant des efforts pour ne pas parler de ou ne pas penser à l’évènement stressant. Par exemple, la perception des contraintes sociales augmenterait le coping d’évitement, ce qui pourrait expliquer l’échec dans le traitement cognitif du traumatisme émotionnel (Lepore, 2001). De ce fait, l’inhibition émotionnelle à propos de l’événement stressant (ex. non-PSE) ainsi que l’évitement cognitif sont des conséquences directes des contraintes sociales (Lepore & Helgeson, 1998; Lepore et al., 1996; Cordova, et al., 2001). Puis, l’inhibition de

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l’expression à propos d’un traumatisme émotionnel peut interférer avec le traitement cognitif de celui-ci sur d’autres aspects : l’individu se voit privé des nouvelles informations et des nouvelles perspectives pouvant être utiles à l’intégration cognitive nécessaire dans la résolution du traumatisme émotionnel (Janoff-Bulman, 1992; Pennebaker, 1993; Tait & Silver, 1989). Finalement, les personnes percevant des contraintes sociales attachées à la verbalisation d’un événement traumatique peuvent s’engager dans une recherche perpétuelle de sens, du fait de ne pas accepter ou arriver à comprendre l’expérience traumatique (Janoff-Bulman, 1992).