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LA (NON) EXPRESSION DES EMOTIONS ET SES EFFETS SUR LA SANTE PHYSIQUE

4. (NON) PARTAGE SOCIAL DE LA HONTE ET LA CULPABILITE

6. LA (NON) EXPRESSION DES EMOTIONS ET SES EFFETS SUR LA SANTE PHYSIQUE

Un grand nombre de travaux ont fortement démontré les effets positifs de l’expression des émotions sur la santé physique (e.g., Frattaroli, 2006 ; Pennebaker, 1997a ; 1997b). A contrario, la non-expression des émotions et des sentiments traumatiques constitue une grande source de stress psychologique et à un impact sur la santé physique (Pennebaker, Kiecolt-Glaser, & Glaser, 1988 ; Kelly, 2002). Dans son ouvrage, Pennebaker (1997a) propose que le fait d’exprimer ses émotions résultant d’une expérience traumatique libère le stress psychologique cumulé suite à l’inhibition de l’expression émotionnelle. Alors que la non-révélation des expériences traumatiques extrêmes pourrait renforcer les processus déclencheurs de la maladie (Pennebaker & Hoover, 1985). Parmi les bienfaits de l’expression émotionnelle sur la santé physique se trouvent : la réduction du nombre de visites chez le médecin généraliste (e.g., Pennebaker & Beal, 1986), le renforcement de la fonction immunitaire (e.g., Petrie, Booth, Pennebaker, Davison & Thomas, 1995 ; Booth, Petrie & Pennebaker, 1997) et une meilleure réactivité du système nerveux autonome (Pennebaker, Hughes & O'Heeron, 1987).

Les nombreuses recherches évoquées antérieurement et menées par Pennebaker et ses collaborateurs se sont penchées sur l’effet de l’écriture concernant des expériences traumatiques. Cette technique de recherche expérimentale est connue comme le

paradigme de l’écriture (e.g., Pennebaker, 1997b; Pennebaker & Beall, 1986 ; Greenberg

& Stone, 1992). Dans les travaux mettant en œuvre cette technique de recherche, les participants dans la condition expérimentale sont invités à écrire à propos des expériences traumatiques, privées et stressantes, de leur passé. Cette tâche d’écriture a lieu pendant des séances allant de 15 à 30 minutes et pendant quelques jours consécutifs. Les participants dans la condition contrôle sont invités à écrire à propos de thématiques banales.

Chapitre 1 : Expression et inhibition des expériences émotionnelles négatives

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Frattaroli (2006) a conduit une étude méta-analytique extensive portant sur 146 études ayant employé le paradigme de l’écriture. Les résultats ont mis en évidence un effet significatif de la traduction écrite des événements traumatiques sur la santé physique, la santé psychologique, et le fonctionnement général. Bien que cette méta-analyse ait mis en évidence l’effet positif de l’écriture sur la santé, dans 132 études sur les 146 études évaluées, il faut remarquer que les participants ont écrit librement et de façon concomitante sur plusieurs évènements traumatiques et stressants, et non pas sur un événement spécifique de référence.

Par ailleurs, l’étude de Greenberg et Stone (1992) a mis en évidence des résultats plus mitigés. Ces auteurs ont mis en œuvre le paradigme de l’écriture employant une méthode expérimentale avec trois groupes : un groupe (expérimental) où les participants devaient écrire à propos d’un événement traumatique dont ils n’avaient jamais parlé auparavant, un groupe (expérimental) où les participants devaient écrire à propos d’un événement traumatique qu’ils avaient déjà évoqué, et un groupe contrôle (écrire à propos de choses triviales). Les trois groupes ne se sont pas différenciés sur la mesure objective de l’état de santé (nombre de visites au centre médical). Cependant, le traitement statistique des données a mis en évidence que les sujets ayant écrit à propos de leurs émotions et sentiments concernant des événements traumatiques plus sévères ont signalé moins de symptômes physiques (par rapport aux participants de la condition contrôle et aux participants ayant écrit autour d’événements traumatiques moins sévères). Greenberg et Stone (1992) suggèrent que les bénéfices résultant de l’expression des événements traumatiques les plus sévères ont lieu même si l’événement traumatique a été révélé auparavant. Toutefois, cette conclusion est faite à partir des résultats corrélationnels.

Les études évoquées antérieurement ont étés menées auprès de populations tout-venant, notamment auprès d’étudiants universitaires. Papanogopoulou, Kersbergen et Maes (2002), se sont intéressés à la (non) expression des émotions dans le cadre de la maladie chronique. Dans leur méta-analyse les auteurs n’ont pas mis en évidence un effet significatif de l’expression des émotions ni de la non-expression des émotions sur le statut/progression de la maladie. Seule une faible relation entre la non-expression des émotions et la détresse psychologique a été mis en évidence. De plus, les résultats ont indiqué que la non-expression des émotions pourrait être associée à des attitudes inadaptées (ex. désespoir) face à la maladie. Cependant, l’étude de Petrie, Fontanilla,

Revue de la Littérature

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Thomas, Booth, et Pennebaker (2004) est un exemple très pertinent dans le cadre de notre travail portant sur l’expression émotionnelle chez les personnes atteintes du VIH/SIDA. Cette étude s’est penchée sur l’évaluation de l’effet de l’expression émotionnelle sur la fonction immunitaire chez les patients séropositifs au VIH. Les résultats ont démontré que l’écriture comme moyen d’expression des émotions peut s’avérer bénéfique pour ces patients. Par rapport au groupe témoin, les sujets dans la condition expérimentale (tâche d’écriture) ont montré une augmentation du taux de lymphocytes T CD4.

Pennebaker (1997a) propose un cadre référentiel à sa théorie ancré sur un continuum inhibition-confrontation des expériences émotionnelles. Parmi les implications et les issues du côté inhibition du continuum se retrouvent : (1) l’inhibition demande de l’énergie physique – l’inhibition des pensées, des sentiments et des comportements implique un travail physiologique, (2) l’inhibition a un effet à court terme sur les changements biologiques et à long terme sur la santé – le travail de l’inhibition constitue un stress sur l’organisme, (3) l’inhibition affecte les performances cognitives – du fait de ne pas traduire un événement traumatique en langage, des difficultés émergent pour assimiler l’événement de façon intégrative. A l’opposé du continuum se trouve la

confrontation, que Pennebaker (1997a) considère comme étant l’activité cognitive ou de

verbalisation chez l’individu à propos des expériences négatives, ainsi que la reconnaissance des émotions attachées à celles-ci. L’affrontement des expériences traumatiques réduit les effets de l’inhibition tant au niveau physiologique qu’au niveau cognitif : (1) la confrontation réduit les effets physiologiques de l’inhibition, et (2) la confrontation conduit l’individu à repenser l’évènement autrement – la confrontation avec le traumatisme aide l’individu à mieux comprendre l’événement et ultérieurement à l’intégrer.

De façon spécifique, l’expression des émotions liées aux événements traumatiques, offre à l’individu la possibilité de créer des nouvelles perspectives (Pennebaker, 1997b; Tait & Silver, 1989; Pennebaker & Hoover, 1985 ; Lepore, 1997). Par exemple, l’expression des événements traumatiques favorise le travail cognitif de la production de sens suite aux effets du traumatisme émotionnel sur les croyances de base (Horowitz, 1986 ; Janoff-Bulman, 1992; Lerner, 1978). Les implications cognitives des traumatismes émotionnels seront discutées ultérieurement. De plus, Pennebaker (1997b) a noté que le niveau de production de sens exprimé par les individus lors de la tâche

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d’écriture serait un prédicteur d’une meilleure santé physique. Spécifiquement, l’auteur a remarqué que l’emploi accru des mots émotionnels de valence positive ainsi que l’emploi moindre des mots émotionnels de valence négative, ont été associés aux effets positifs de la tâche d’écriture sur la santé physique.

Nous venons de présenter les bienfaits de l’expression écrite des émotions liées aux événements traumatiques. Cependant, il est important de soulever la question des éventuelles différences entre l’expression émotionnelle écrite et l’expression émotionnelle orale. Par exemple, dans une étude expérimentale Esterling, Antoni, Fletcher, Margulies et Schneiderman (1994) ont comparé les réponses immunitaires des participants ayant été assignés à un de trois groupes : un groupe de participants assignés à la tâche d’écriture, un groupe de participants assignés à une tâche d’expression émotionnelle orale et un groupe de participants assignés à une tâche contrôle (écrire sur des choses triviales). L’analyse des résultats a montré que la tâche d’écriture ainsi que la tâche d’expression orale ont eu un effet positif sur le fonctionnement immunitaire des participants, et ceci, en comparaison aux participants dans la tâche contrôle. Toutefois, les participants dans la condition d’expression orale ont montré une meilleure réponse immunitaire que les participants dans la condition d’expression écrite. Pennebaker (1997b) a mis en avant que l’expression émotionnelle des expériences traumatiques est favorable pour la santé physique, tant dans la modalité orale que dans la modalité écrite.

Pour conclure, même si les études portant sur le paradigme de l’écriture ainsi que ceux portant sur le PSE ont fortement montré les bienfaits de l’expression émotionnelle, il est important de noter des différences entre ces deux types de démarche empirique. D’une part, les études portant sur le paradigme de l’écriture n’ont pas été conçues pour tester les effets de l’expression d’un évènement émotionnel spécifique, mais plutôt pour tester les effets de l’expression émotionnelle en général (Pennebaker, Zech & Rimé, 2001). D’autre part, les études sur le PSE se sont intéressées à la verbalisation d’un épisode émotionnel spécifique, ainsi qu’aux effets de celle-ci sur la récupération émotionnelle.

7. LES TRAUMATISMES EMOTIONNELS : IMPACT COGNITIF DES