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CHAPITRE 1 : EXPRESSION ET INHIBITION DES EXPERIENCES EMOTIONNELLES NEGATIVES

3. PSYCHOLOGIE DES SECRETS

Auparavant, une quantité abondante de données empiriques a été présentée montrant la propension chez les personnes à verbaliser leurs vécus émotionnels. Toutefois, il a été notamment explicité que, dans certains cas, les personnes s’engagent dans le non partage social de certains épisodes (e.g., Finkenauer & Rimé, 1998), ou dans l’omission de certaines parties des récits émotionnels (e.g., Zech et al., 2008). Dans le but de mieux appréhender cette abstention du PSE, nous considérons important de comprendre les raisons pour lesquelles les personnes maintiennent des secrets.

Dans son ouvrage, Kelly (2002) fait une analyse approfondie des données empiriques étudiant les facteurs psycho-sociaux attachés aux secrets et à ses liens avec la santé physique et mentale. C’est à partir de ses travaux, ainsi que de ceux de Larson et Chastain (1990), que nous allons aborder cette question. De prime abord, il est pertinent d’établir des distinctions dans le continuum trait-état et le maintien des secrets. En effet, une distinction doit être faite entre : (1) le fait de garder un secret particulier (Kelly, 2002) et (2) la disposition chez certains individus à inhiber les informations personnelles, ce qui est connu comme le self-concealment (auto-dissimulation) (Larson & Chastain, 1990). De façon spécifique, le self-concealment a été défini comme : « la prédisposition à la non-révélation à d’autres personnes des informations personnelles que l’on perçoit comme stressantes ou négatives, et ceci de façon délibérée » (Larson & Chastain, 1990, p.440)1. Pour ces auteurs, le self-concelament implique l’inhibition (concealment) consciente des

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informations personnelles (pensées, sentiments, actions ou événements) qui sont très intimes et d’une haute valence négative.

Le fait de garder des secrets ou de maintenir des informations secrètes, veut dire que l’individu, de façon délibérée, cache de l’information aux autres personnes (Kelly, 2002). Le maintien des secrets a aussi été qualifié comme l’inhibition active de la révélation (Pennebaker, 1989). En conséquence, le fait de maintenir des secrets constitue une expérience stressante et lourde (Pennebaker, 1989, 1997a). Contrairement au choix de ne pas s’engager dans la confidence sur soi-même (self-disclosure) (e.g., Omarzu, 2000), le fait de maintenir des secrets implique des ressources cognitives et émotionnelles très importantes et assez coûteuses en énergie (Wegner, 1994 ; Wegner, Lane & Dimitri, 1994). Alors que, le fait de ne pas s’engager dans la confidence sur soi-même, n’entraîne pas d’efforts cognitifs et émotionnels.

Une particularité importante des secrets est leur caractère éminemment social. Le maintien délibéré des informations personnelles à l’écart des autres se distingue fortement de la répression (Kelly, 2002). En effet, cette dernière implique le maintien des secrets à-vis de soi-même de façon non-délibérée (Kelly, 2002). Le maintien des secrets vis-à-vis des autres personnes ou la prédisposition à ceci (Larson & Chastain, 1990) constitue un comportement délibéré et conscient (Kelly, 2002).

Une autre distinction importante à soulever est celle entre : (1) le maintien des secrets et (2) la préservation de la vie privée (privacy). Cette dernière souligne les attentes chez les individus du fait de bénéficier librement de la non-intrusion de la part des autres (Petronio, 2002). Les informations privées constituent des informations personnelles auxquelles les autres personnes n’ont pas normalement accès, mais qui ne sont pas mises à l’écart des autres de façon délibérée (Petronio, 2002). Alors que le maintien des secrets, implique l’inhibition délibérée et active des informations personnelles. Dès lors, la préservation de la vie privée et le maintien des secrets sont caractérisés par l’interaction sociale, entre, à minima, deux personnes. Ce caractère social des informations secrètes et des informations privées, déterminera si les informations privées seront maintenues secrètes ou si elles seront révélées dans le cadre d’une relation interpersonnelle spécifique (Kelly, 2002). Un exemple très pertinent à cet égard est celui de la séropositivité au VIH, cette information à caractère très privée peut être maintenue secrète, mais peut

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susciter la révélation dans le cas d’une relation interpersonnelle spécifique, comme par exemple le partenaire sexuel (Greene et al., 2003).

Dans sa thèse de doctorat, Finkenauer (1998) a rapporté les résultats sa recherche avec Baumeister. Par le biais d’une question ouverte, ces auteurs ont interrogé 235 adultes tout-venant sur les raisons pour lesquelles ils ont maintenu un secret dans leur vie courante. Les réponses ont été classées selon 4 catégories : (1) pour ne pas faire du mal à quelqu’un (22,6% des participants), (2) pour préserver l’image de soi aux yeux des autres (21,7% des participants), (3) pour protéger l’espace privé (17,4% des participants) et (4) pour s’auto-protéger (16,2% des participants). Par ailleurs, Kelly (2002) a proposé une typologie portant sur le contenu des secrets normalement tenus par les personnes : (1) les secrets liés au comportement sexuel, (2) les secrets portant sur les situations qui peuvent faire que les personnes soient perçues comme étant déviantes (ex. la maladie mentale, l’échec), et (3) les situations honteuses, suscitant de la culpabilité et de l’embarras. En effet, les résultats des plusieurs recherches (pour une revue voir Kelly ,2002), auprès de populations cliniques et de populations tout-venant, sont convergents et montrent que dans leur majorité les informations gardées secrètes sont liées au comportement sexuel (ex. viol, orientation sexuelle).

Kelly (2002) explique que, souvent, les informations gardées secrètes sont des informations pouvant faire que les personnes soient mal vues par les autres ou des informations qui ne permettent pas d’être à la hauteur des expectatives des autres. Par conséquent, la révélation de ce genre d’information personnelle peut aboutir au rejet et l’ostracisme du groupe social. Dès lors, une des motivations pour lesquelles les personnes maintiennent des secrets est le besoin humain fondamental d’appartenance (Baumeister & Leary, 1995).

La thèse du besoin humain fondamental d’appartenir a été avancée par Baumeister et Leary (1995). Ces auteurs soutiennent que les personnes ont un besoin de maintenir des liens interpersonnels solides et stables. Ce besoin fondamental constitue une motivation forte ayant des effets importants sur les processus émotionnels et cognitifs. Du fait de ce besoin fondamental d’appartenir, Kelly (2002) propose que les personnes s’engagent dans la non-révélation des secrets stigmatisants pour protéger leur appartenance et leurs liens d’attachement avec les autres personnes. A travers les secrets, le rejet social serait évité et les liens relationnels seraient préservés. Toutefois, ce même besoin fondamental

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d’appartenance, pourrait constituer une motivation pour révéler les informations secrètes dans le but de solidifier les liens d’attachement dans une relation spécifique (Kelly, 2002). Par ailleurs, Rimé (2005) argumente que le fait de garder secrètes des informations souvent chargées émotionnellement entraine une mise à l’écart de l’individu de son milieu social. En effet, un des coûts du non-PSE serait l’isolement social. Dès lors, la motivation pour conserver des secrets, qui est la protection de l’intégration sociale, peut avoir comme conséquence paradoxale l’isolement social.

Auparavant, les caractéristiques interpersonnelles des secrets ont été discutées à partir de données empiriques et théoriques. Ces dernières lignes seront consacrées à avancer, brièvement, les implications intrapersonnelles des informations gardées secrètes. Le maintien des secrets implique l’inhibition active et délibérée d’informations personnelles, et ceci dans le but d’occulter ces informations aux autres (Kelly, 2002). Cette inhibition est très coûteuse en énergie pour la personne qui s’engage dans ce choix. D’une part, l’individu est constamment confronté à la décision de révéler ou ne pas révéler le secret. D’autre part l’individu doit contrôler que l’information secrète n’émerge pas de sa pensée (Wegner et al., 1994).

Plusieurs recherches précédentes ont prouvé que les informations soumises au secret impliquent l’inhibition active des pensées et des sentiments (e.g., Pennebaker, 1989). Par exemple, Finkenauer et Rimé (1998) ont mis en évidence que les épisodes émotionnels non-partagés ont eu comme conséquence des efforts supérieurs de recherche de sens par comparaison aux épisodes partagés. En outre, Wegner (1994) a montré un effet de rebond concernant la suppression de pensées: quand une pensée fait objet d’efforts délibérés de suppression, celle-ci et d’autres lui étant associées réapparaissent davantage. De ce fait, le maintien des secrets constitue pour l’individu une source de stress importante ainsi qu’un grand coût cognitif. En outre, l’inhibition active de la verbalisation des émotions a des effets néfastes sur la santé (e.g., Temoshok, 1983; Larson & Chastain, 1990 ; Pennebaker, 1997a). Les travaux portant sur les effets de la non-verbalisation des émotions sur la santé physique et psychologique seront présentés ultérieurement.