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4. (NON) PARTAGE SOCIAL DE LA HONTE ET LA CULPABILITE

5. LES BENEFICES EFFECTIFS DU PSE

Suite à une expérience émotionnelle négative, la croyance populaire promeut la notion du pouvoir libératoire de la parole : la verbalisation des émotions jouerait un rôle cathartique et amènerait à la récupération émotionnelle de l’épisode. Cette croyance serait fortement en accord avec le caractère répétitif et récurent du PSE. Toutefois, du point de vue scientifique, l’hypothèse sur le pouvoir libératoire de l’expression des émotions n’a pas été confirmé empiriquement de façon systématique : les bienfaits de la verbalisation de la détresse émotionnelle sont nuancés par des facteurs situationnels, ainsi que par des facteurs inter et intra personnels (Kennedy-Moore & Watson, 1999). Alors, suite à un épisode négatif, pourquoi les gens s’engagent-ils de façon répétitive dans la verbalisation des émotions même si celle-ci n’amène pas toujours une diminution de l’impact émotionnel?

5.1 Partage social: récupération émotionnelle et évolution temporelle

Zech (2000) a mené une enquête dans le but de connaitre la prédominance de la croyance populaire sur les qualités libératrices de la parole. Ses résultats ont démontré qu’autant de répondants européens (belges) que de répondants asiatiques (hongkongais) partageaient la croyance sur les bienfaits de la verbalisation émotionnelle. Pourtant, une bonne partie des études sur le partage social (eg. Zech & Rimé, 2005; Finkenauer & Rimé, 1998 ; Rimé et al., 1991) n’a pas démontré que celui-ci soit associé à la récupération émotionnelle. De façon systématique, aucun lien n’a été mis en évidence entre le partage social et la récupération émotionnelle, ni dans les études employant la méthode du rappel autobiographique ni dans les études expérimentales.

Par exemple, dans l’étude de Finkenauer et Rimé (1998), comparant des épisodes émotionnels partagés et des épisodes émotionnels gardés secrets, aucune différence n’a été trouvée quant à l’impact émotionnel de l’épisode au moment de l’étude. De ce fait, la récupération émotionnelle s’est avérée indépendante du fait de partager on non l’épisode.

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Par ailleurs, Zech et Rimé (2005) se sont intéressés au lien entre le partage social et la récupération émotionnelle en employant un protocole expérimental. Dans deux études différentes, les participants ont été invités à se remémorer un épisode émotionnel négatif ayant eu lieu dans leur passé. Ensuite, ils ont parlé à l’expérimentateur selon différentes conditions, comme par exemple: une condition de verbalisation factuelle, une condition de verbalisation émotionnelle et une condition contrôle (où les participants ont parlé de choses triviales). Un suivi longitudinal a eu lieu, et les résultats ont montré une diminution de l’impact émotionnel de l’épisode dans toutes les conditions de verbalisation; celle-ci étant alors liée à l’évolution du temps. En comparaison aux participants dans les autres conditions, les participants dans la condition de verbalisation émotionnelle n’ont pas démontré un accroissement de la récupération émotionnelle. Cependant, les participants dans la condition de verbalisation émotionnelle se sont différenciés des autres participants quant à la perception des bénéfices subjectifs attachés à la séance de partage : sentiment d’être compris, sentiment de soulagement émotionnel et sentiment d’être soutenu.

Ultérieurement, la question du lien entre le partage social et la récupération émotionnelle a été abordée par Nils et Rimé (2012) dans une autre étude expérimentale. Dans cette étude, l’hypothèse suivante a été testée : les bénéfices du partage social, notamment la récupération émotionnelle, dépendraient du type des réponses produites par le partenaire du partage social. Suite à l’induction émotionnelle (par le biais d’une vidéo de valence négative), les auteurs ont testé l’effet de deux types de réponses sur la récupération émotionnelle: des réponses socio-affectives et des réponses de restructuration cognitive. Les réponses de type socio-affectives sont caractérisées par le soutien émotionnel et l’empathie. Les réponses de type restructuration cognitive correspondent à l’incitation, de la part du partenaire du partage, à la réévaluation des cognitions et des croyances associées à l’événement émotionnel.

Les résultats de l’étude de Nils et Rimé (2012) ont démontré que la récupération émotionnelle a eu lieu de façon exclusive dans la condition de restructuration cognitive. De même, les variables cognitives, telles que l’impact de l’épisode émotionnel sur les croyances de base, ont été modifiées de façon positive dans la condition de restructuration cognitive. Alors que, les participants ayant reçu des réponses de type socio-affectives de la part de leurs partenaires, ont témoigné davantage d’indices d’intégration sociale et une

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impression de bien-être accrue. Ces résultats corroborent une étude antérieure (Lepore, Fernandez-Berrocal, Ragan & Ramos, 2004) où seuls les participants dans la condition de verbalisation avec un partenaire adoptant des réponses du type de restructuration cognitive, ont démontré des indices de récupération émotionnelle.

Par ailleurs, plusieurs études ont confirmé que plus l’émotion est intense, plus elle suscitera le partage social, et ceci pendant une période de temps plus étendue (Rimé et al., 1998 ; Luminet et al., 2000). Malgré cela, une extinction éventuelle de la verbalisation émotionnelle est l’issue finale du partage social (Rimé, Paez, Basabe & Martinez, 2010; Pennebaker & Harber, 1993). A cet égard, un des arguments avancé par Rimé (2009) est le suivant: l’extinction a lieu, en partie, parce que de nouvelles expériences surviennent dans la vie de l’individu, et de ce fait ses ressources attentionnelles se déplacent des anciens souvenirs vers de nouveaux souvenirs. Dès lors, l’épisode émotionnel devient dormant : il serait récupéré en mémoire seulement suite à des indices pertinents. Cependant, Rimé et al. (1998) ont aussi noté que, même après une longue période, certains épisodes continuent à susciter des émotions de haute intensité et donc le besoin de partage social. Une explication à la chronicité du partage social, pourrait être le caractère irrésolu de l’épisode (Rachman, 1980 ; Curci & Rimé, 2012).

Dans une approche longitudinale, Curci et Rimé (2012) ont étudié la question de l’évolution temporelle du partage social ainsi que ses conséquences sur la récupération émotionnelle. Ces auteurs ont suivi 102 femmes enceintes. Des mesures sur l’intensité émotionnelle de l’expérience de la grossesse ainsi que des mesures sur le PSE liées à cette dernière, ont été recueillies à trois reprises : pendant le deuxième et troisième trimestre de la grossesse, et peu de temps après l’accouchement. Les résultats ont montré qu’avec l’écoulement du temps le partage social s’estompe, donnant un sentiment subjectif de récupération émotionnelle. Par ailleurs, une analyse par le biais des équations

structurelles a permis de conclure que d’une part, le partage social prolongé de façon

perpétuelle constitue une conséquence mal-adaptive de l’expérience émotionnelle, et que d’autre part, une faible récupération émotionnelle constitue une conséquence directe du partage social perpétuel. Les explications plausibles avancées par les auteurs pour expliquer la perpétuité du partage social concernent les différences individuelles (motivations, traits) dans la perception des réponses de l’entourage, ainsi que les caractéristiques de l’évènement émotionnel.

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En premier lieu, l’ensemble de travaux présentés ci-dessus offre des pistes importantes sur les deux types de bénéfices pouvant résulter du partage social suite à un épisode émotionnel. D’une part, nous avons les bénéfices cognitifs et d’autre part les bénéfices d’ordre interpersonnel et socio-affectif. La récupération émotionnelle résulterait exclusivement des bénéfices liés à la restructuration cognitive. Toutefois, les issues du partage social sont fortement liées aux modalités de réponses évoquées par l’auditeur du partage social. De plus, avec le temps, le partage social s’estompe, et ceci a comme résultat un sentiment de récupération émotionnelle. Il semblerait que la durée perpétuelle du partage social ne soit pas exclusivement liée à l’intensité de l’émotion, mais aux traits individuels, au contexte de l’épisode, ainsi qu’à la perception des réponses de l’entourage.

Le rôle de l’auditeur serait donc décisif dans l’effet du partage social sur la récupération émotionnelle suite à un épisode négatif. Ceci renvoie au travail mené par Christophe et Rimé (1997) portant sur la dynamique du partage social, et notamment sur les réponses et réactions de l’auditeur. En effet, les données recueillies montrent qu’avec l’accroissement de l’intensité émotionnelle de l’évènement, le recours à la parole chez l’auditeur diminue. En conséquence, les manifestations non-verbales chez l’auditeur, telles que le rapprochement physique, augmenteraient avec l’intensité du récit émotionnel. Face à un épisode émotionnel négatif et de forte intensité, l’individu profite davantage des réponses d’ordre socio-affectives de la part de son auditeur. Dès lors, dans ce cas, l’incitation au travail de restructuration cognitive de la part de l’auditeur se voit compromise, laissant la place à la dynamique socio-affective du partage. Ces bénéfices subjectifs et socio affectifs du partage social seront développés ci-dessous.

5.2 Bénéfices socio-affectifs du PSE

Le processus du PSE génère chez le sujet et chez son auditeur des bénéfices subjectifs d’ordre interpersonnel et intrapersonnel, notamment le sentiment de cohésion et d’appartenance sociale (Rimé, 2005; 2009). Par exemple, l’étude expérimentale menée par Zech et Rimé (2005) a montré que, par comparaison avec les participants des conditions contrôle, les participants dans les conditions de verbalisation émotionnelle ont exprimé davantage de bénéfices subjectifs. Parmi les bénéfices rapportés par les participants se trouvent : (1) les bénéfices généraux, (2) le soulagement, (3) les bénéfices cognitifs et (4) les bénéfices interpersonnels (ex. le sentiment d’être compris). En effet, les bénéfices socio-affectifs du PSE contribuent à soulager l’impact émotionnel négatif au

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moment de la verbalisation, même si ce soulagement ne perdure pas dans le long terme (Rimé, 2009). Le soulagement immédiat expliquerait la propension répétitive au partage social ainsi que les brefs délais dans lesquels le partage a lieu. Dès lors, l’individu bénéficie d’un apaisement émotionnel à court terme fourni par la dynamique socio-affective du partage social.

Les bénéfices socio-affectifs du partage social ont aussi été étudiés dans le cadre de la psychologie de la santé. Dans sa thèse de doctorat, Camilo (2011) s’est intéressée aux effets du partage social suite aux émotions négatives suscitées par la perception des risques de santé. D’abord, ses travaux ont permis d’établir et de confirmer que la perception des risques de santé génère chez l’individu des émotions négatives telles que la peur et la tristesse (l’impact émotionnel s’accroit avec la gravité du risque de santé). Ensuite, par le biais d’une manipulation expérimentale (Study 4, p. 113), une étude a été menée où une vidéo exposant des informations et des risques à propos d’une de trois maladies (grippe, diabète ou cancer) a été présentée aux participants. Dans un premier temps, les participants ont été répartis selon trois conditions : (1) visionnage de la vidéo seul, puis verbalisation libre avec un ami, (2) visionnage de la vidéo avec un ami, puis aucune verbalisation, et (3) visionnage de la vidéo en groupe sans verbalisation (condition contrôle). Par le biais d’un questionnaire, des mesures ont été prises concernant l’intensité émotionnelle et les types d’émotions suscitées par la vidéo, ainsi que sur le besoin de partage social. Les résultats ont démontré qu’après la visualisation du clip vidéo détaillant les risques encourus, les participants dans la condition de verbalisation ont rapporté moins de détresse que ceux placés dans les deux conditions de non-verbalisation. En effet, il s’est avéré que le partage social a eu un effet tampon sur la détresse émotionnelle résultant de la perception du risque de santé (Camilo, 2011).

Rimé (2009) a dressé un tableau synthétique regroupant les motivations incitant le partage social chez les individus. Ces motivations relevées de données empiriques rapportées par les sujets tout-venants, nous indiquent les fonctions socio-affectives du partage social (Rimé, 2009). Le PSE permet à l’individu de gagner l’attention de la part des cibles du partage ainsi qu’à susciter l’empathie. De plus, le PSE apparait comme un moteur dynamique qui renforce les liens sociaux et les liens d’attachement (Rimé, 2009). En outre, les motivations rapportées par les sujets tout-venant (Rimé 2007), nous indiquent que le partage social des expériences négatives à comme finalité pour l’individu

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l’obtention de comportements d’aide de la part des cibles du partage, comme par exemple : l’aide matérielle, le soutien moral, le réconfort, la consolation, la légitimation et la validation de la détresse, ainsi que l’apport de conseils et de solutions. A cet égard, le partage social renforce l’intégration et la cohésion sociale, et ceci tant au niveau individuel qu’au niveau collectif. Les bienfaits de l’intégration sociale sur la santé seront évoqués au Chapitre 2.

6. LA (NON) EXPRESSION DES EMOTIONS ET SES EFFETS SUR LA SANTE