• Aucun résultat trouvé

4. (NON) PARTAGE SOCIAL DE LA HONTE ET LA CULPABILITE

4.1 Honte et culpabilité : Emotions autoconscientes

Selon Tangney et Dearing (2002) la honte et la culpabilité sont des émotions de valence négative, qui ont une fonction importante chez les personnes tant au niveau individuel qu’au niveau relationnel. Elles ont une influence dans l’auto-évaluation et peuvent guider la conduite de l’individu face aux autres personnes. Ces auteures soulignent la dualité de ces émotions, elles sont à la fois des émotions autoconscientes et des émotions ayant une composante morale. La honte et la culpabilité sont considérées

Chapitre 1 : Expression et inhibition des expériences émotionnelles négatives

28

comme étant des émotions autoconscientes car elles impliquent que le soi se tourne vers le soi dans un rôle d’évaluation et de jugement face à la transgression ou à l’erreur. Elles sont notamment considérées comme étant des émotions ayant une composante morale, car elles impliquent le comportement moral. Ces deux émotions, de façon vraisemblable, représentent de fortes sanctions internes contre les comportements socialement et moralement inacceptables (Tangney & Dearing, 2002).

Les émotions autoconscientes (ex. honte, culpabilité, fierté et embarras) impliquent des processus importants d’auto-évaluation (Tracy & Robins, 2004). L’individu est amené à réfléchir sur ses autoreprésentations du soi et à les mettre en lien avec l’évènement déclencheur de l’émotion. Dans le cas des émotions autoconscientes négatives, comme la honte et la culpabilité, Tracy et Robins (2004) proposent que celles-ci soient le résultat du conflit entre l’identité de soi et l’idéal de soi imaginé par l’individu. Dès lors, ces émotions autoconscientes négatives mettent l’individu dans la difficulté d’accepter l’événement négatif, alors même qu’il tente de maintenir l’intégrité de son identité. De plus, la honte et la culpabilité sont caractérisées par des tendances à l’action telles que : désir de se cacher, vouloir disparaître ou vouloir se débarrasser de soi-même (Lewis, 2000).

Comme nous l’avons évoqué antérieurement, la honte et la culpabilité sont à la fois des émotions autoconscientes et des émotions à forte connotation morale. Cependant, quelle est la différence entre ces deux émotions ? Tangney et Dearing (2002) mettent en avant que ces deux émotions ne se différencient pas par la structure des situations qui les engendrent. Pour ces auteures, la différence entre la honte et la culpabilité subsiste dans la manière dont l’individu interprète l’événement négatif, et ceci en lien avec le soi. En effet, la différence entre ces deux émotions repose sur le rôle du soi : globalement la honte implique une évaluation négative du soi alors que la culpabilité implique une sanction d’un comportement spécifique (Tangney & Dearing, 2002). Ceci rejoint les conclusions de Baumeister, Vohs, DeWall et Zhang (2007) pour lesquels la culpabilité est une émotion introspective qui résulte de l’association entre le soi et l’événement négatif. A titre d’illustration, la honte engagerait « qui je suis » et la culpabilité engagerait « ce que j’ai fait ».

Il a été noté auparavant l’importance de la honte et de la culpabilité au niveau interpersonnel. Selon Tangney et Dearing (2002), chez l’individu, les expériences de

Revue de la Littérature

29

honte sont caractérisées par la préoccupation de l’évaluation du soi faite par autrui et impliquent les schémas supposés d’autrui (e.g., Festinguer, 1954). Tandis que, les expériences de culpabilité mettent davantage en jeu les préoccupations de l’individu concernant les effets de son propre comportement (négatif) chez les autres personnes.

Dans l’étude de la honte et de la culpabilité, il est intéressant de faire un lien avec la recherche de sens des événements négatifs (Tangney & Dearing, 2002). Selon la théorie attributionnelle (Weiner, 1986), les personnes sont à la recherche d’explications à tout ce qui leur arrive. Par exemple, dans le but de comprendre les événements négatifs, les attributions de causalité ou de blâme peuvent être : les autres personnes, des éléments de la situation elle-même, la fatalité, ou nous-mêmes. Quand l’attribution du blâme est dirigée contre nous même, l’émergence des sentiments de honte et de culpabilité est très probable (Tangney & Dearing, 2002). De ce fait, la honte et la culpabilité constituent notamment des émotions d’auto-blâme ; elles sont très liées aux attributions internes faites par l’individu face aux événements négatifs. Dans cet ordre d’idées, un parallèle peut être fait avec la distinction avancée par Janoff-Bulman (1978) entre l’auto-blâme caractérologique et l’auto-blâme comportemental. Pour Tangney et Dearing (2002), les sentiments de honte seraient proches de l’auto-blâme caractérologique (lié au soi), alors que les sentiments de culpabilité seraient associés à l’auto-blâme comportemental (lié au comportement).

Dans l’approche théorique de la honte et de la culpabilité, il est important de soulever le continuum trait-état. Par exemple, dans les travaux portant sur le partage social des épisodes de honte et de culpabilité, il s’agit des états de honte et de culpabilité associés à des situations spécifiques. A cet égard, la honte et la culpabilité situationnelles (état) constituent une capacité humaine, existant chez les sujets tout-venant (Tangney & Dearing, 2002). Cependant, il est à noter que toute une série d’études s’est intéressée aux dispositions émotionnelles (trait) à ressentir de la honte ou de la culpabilité (Tangney & Dearing, 2002). Dans ce cas, l’intérêt se situe sur l’appréciation des différences individuelles et plus particulièrement sur la disposition des individus à réagir avec de la honte ou de la culpabilité.

En résumé, pour les épisodes émotionnels de honte et de culpabilité le partage social se voit nettement diminué, et ceci s’est avéré présent même au niveau interculturel. Suite à un événement négatif, les émotions autoconscientes, morales et d’auto-blâme, ont

Chapitre 1 : Expression et inhibition des expériences émotionnelles négatives

30

des implications intra et interpersonnelles chez l’individu sur ses autoreprésentations du soi et de ses comportements (Tangney & Dearing, 2002). De plus, ces émotions sont accompagnées de tendances à l’action impliquant le désir de se cacher. De ce fait, le non-partage social de la honte et la culpabilité n’est pas si surprenant. Comme avancé par Rimé (2005), à l’opposé de la révélation de soi attachée au partage social, ces émotions promeuvent plutôt des dispositions à l’inhibition de soi.