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Bernard Hostein

4. RETOURS SUR LES RÉSULTATS

Même si les recherches constituent des investissements, les retours proposés ici sur les résultats dégagent plus d'appels à approfondissements que de bénéfices immédiatement assurés. Tentons pourtant quelques pas dans les trois directions d'investigations élaborées ci-dessus : celle des conditions didactiques favorisant une éducation technologique, celle des logiques d'activités offertes par les constructions de situations didactiques observées, avant d'ouvrir la voie, à peine explorée, des caractéristiques de l'expérience technologique personnelle, telle que les élèves parviennent à la développer à travers des activités construites à cet effet.

4.1. Forme scolaire et authenticités technologiques

La forme scolaire des apprentissages offre toujours le risque de se contenter d'enregistrer la présence plus ou moins assurée de savoirs propositionnels,

obturant l'accès des élèves aussi bien à de vraies connaissances théoriques qu'à des compétences se traduisant par des savoir-faire transférables hors d'évaluations scolaires. Ce danger, souligné abondamment à propos des disciplines « classiques », guette aussi les enseignements des techniques. La scolarisation des techniques, l'apprentissage des manipulations ramenées à des recettes gestuelles (le cas des « réalisateurs », 21 ; des enfants soumis à des « gammes de fabrication » 39), comme les apprentissages cloisonnés de langages techniques (44), réduisent les artefacts réels et leurs modélisations à des objets scolaires, alors dépouillés de leur pouvoir d'instrumentation et de leur référence à des entités techniques authentiques qui puissent faire sens au-delà d'épreuves docilement répétitives. Le sens des artefacts traités dans des situations didactiques n'apparaît que dans l'articulation sans cesse redoublée entre les objets, leurs divers modes de symbolisation dont la justification n'est perçue que dans la perspective des compréhensions ou conduites visées, et dans la perception de leurs portées sociales. En cela, quels que soient le niveau ou les formes de l'enseignement — élémentaire ou supérieur, technologique, technique ou professionnel —, seules les insistances sont susceptibles de variations, mais aucun des trois aspects ne doit être totalement absent (13). D'un autre côté, les phases de l'alternance vécues dans les entreprises présentent les dangers opposés et symétriques, l'institution entrepreneuriale ne garantissant nullement des contacts d'apprentissages mieux équilibrés avec les artefacts et leurs contextes cognitifs et sociaux (9, 11).

C'est par l'accès à la modélisation, et donc par son apprentissage modulé suivant les niveaux et les types d'enseignement, que les élèves peuvent éviter les pièges de l'imaginaire laissé à lui seul, les dangers du pur virtuel, comme la précipitation aveuglée dans le réel « concret » (13, 30).

Mieux sans doute que les disciplines bizarrement qualifiées de « générales », et en tous cas différemment, la technologie conduit l'élève à échapper aux cloisonnements disciplinaires ; et ce n'est pas, pour certains, une prise de conscience spontanée et indolore que ce changement de cadre scolaire habituel, parce qu'il invite à plus d'engagement et de prises de risques autonomes (13). La conscience de l'exacte distance à la référence, et des positions que celle-ci induit dans les activités scolaires, facilite alors la qualité des apprentissages (1). L'authenticité technologique des activités à développer permet d'échapper à l'artificialisme toujours menaçant de la forme scolaire.

4.2. Des positions aux réalisations

Les diverses positions, qui prennent leur référence dans des logiques caractéristiques des activités industrieuses, et dans lesquelles les situations didactiques placent les élèves, favorisent, chacune, l'activation d'un

ensemble particulier de compétences (20, 21, 32, 40). Mais ces positions ne sont que des fictions idéaltypiques, d'une part ; et d'autre part, les élèves ne perçoivent pas l'enfermement éventuel dans lequel les circonscrive leur habitude de privilégier l'une ou l'autre. Les interactions dans la classe, avec le professeur entre autres, mais aussi avec les pairs, sont à considérer, pour que la prise de conscience conduise les élèves à varier et adapter leurs positions privilégiées (21, 23).

Il s'agit aussi de relativiser ces positions, largement inspirées d'une forme sociétale de partage des tâches. Certes, leurs différenciations favorisent la prise de conscience de ce que font les élèves dans leurs activités technologiques en situation scolaire ; et ceci autant de la part des professeurs que des élèves. Mais chacune de ces positions, prise en elle- même, contribue à renforcer des profils antérieurement privilégiés par l'histoire des individus, dans leurs aspects les moins dynamiques. Les formes d'activités, actuellement en émergence dans les descriptions des laboratoires de recherche sur l'organisation des conceptions ou les analyses du travail, rencontrent des constats possibles dans les classes (30) : le fonctionnement des élèves, quand il reste trop statiquement fixé dans le formel, le virtuel (15), ou le réel, comporte plus de risques de stérilité des activités, que lorsque celles-ci se caractérisent par les mouvements qui vont, dans une dialogique entre ces directions, mettre en œuvre concomitamment la formalisation, la virtualisation, et ceci dans la perspective, fondamentale en technologie, de la réalisation ; cette dernière favorise, et nécessite également, la mise en place dans les actes et l'esprit des élèves, de représentations articulées entre espaces d'objets, espaces graphique et cognitif (44).

4.3. Des savoirs à l'expérience technologique

La technologie renvoie à des aspects dominants de l'expérience humaine (principalement du monde contemporain, pensent certains). Il semblerait, et c'est une piste de recherche à explorer, que les travaux sur l'apprentissage expérientiel, déjà anciens et toujours poursuivis actuellement surtout en formation d'adultes, pourraient favoriser de fructueuses avancées de nos connaissances sur les orientations didactiques nécessaires en éducation technologique. On peut, en l'état actuel de notre connaissance de celle-ci, faire l'hypothèse que des situations favorisant le développement de la réalisation accroît ce versant expérientiel de la technologie chez les élèves (30).

CONCLUSION

Est-ce à l'auteur de ce bilan de conclure ? La seule manière de le faire consisterait à formuler les nouvelles questions nées de l'état provisoire des connaissances que l'on croit pouvoir proposer. Je laisse aux lecteurs l'activité stimulante de les retrouver dans l'implicite fréquemment suggéré au cours des pages précédentes !

Je formulerai un regret : celui de n'avoir pas pu, pour des raisons conjoncturelles mal maîtrisées, étudier ce qui se passe au niveau intermédiaire du Collège. Certes, des collègues continuent de le faire, et leur lecture est passionnante. Mais si le Collège est réputé le « maillon faible » du système éducatif français, c'est sans doute qu'à cet âge l'adolescent a besoin d'autres apprentissages que ceux offerts sous la forme scolaire la plus rigide. Et les espoirs des « classes technologiques » sont vite retombés avec les récupérations institutionnelles et idéologiques habituelles. Que de nouveaux « psychopédagogues », mutants, adaptés à ces nouveaux chantiers, se lèvent pour y labourer, si l'espèce mérite une survie !