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LES ANNÉES 90 L’ALTERNANCE DANS LE CHAMP DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Colette Grandgérard

2. LES ANNÉES 90 L’ALTERNANCE DANS LE CHAMP DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Au cours des années 90, le questionnement des relations entre système éducatif et système productif s’est recentré sur l’alternance dans l’enseignement supérieur. Nous avons construit un programme de recherche visant à analyser l’alternance à travers des réformes et dispositifs initialisés par la puissance publique depuis la fin des années 80 et présentés comme majeurs : il s’agit des Nouvelles Filières de Formation d’Ingénieurs (1989), formations à bac + 5, des Instituts Universitaires Professionnalisés (1991), formations à bac + 4, et tout récemment de la licence professionnelle (1999). Le programme de recherche que nous avons élaboré traite de manière majoritaire de l’alternance dans l’enseignement supérieur mais il questionne également, de manière ponctuelle, l’alternance et les relations éducation/économie au niveau de l’enseignement secondaire professionnel : étude sur la Mobilité des jeunes et parcours européens par alternance commanditée en 1999 par la Commission européenne, réalisée en partenariat scientifique INRP/pôle universitaire européen de Nancy 2/Comité d’études sur les formations d’ingénieurs (CEFI). La définition de l’alternance que nous avons retenue correspond à deux critères : il s’agit d’expériences pédagogiques mettant en jeu séquences en situation de travail et séquences en situation scolaire, il s’agit d’expériences novatrices ou reconnues/présentées comme telles par les acteurs. Cette définition de l’alternance, notamment l’importance accordée à l’aspect novateur, expliquent pourquoi nos travaux ont porté sur des réformes référées à la

notion de professionnalisation de l’enseignement supérieur, présentées par leurs promoteurs comme pilotes et novatrices. En effet, avec les NFI les pouvoirs publics entendent promouvoir un contre-modèle au système hégémonique, élitiste, de formation des ingénieurs ; les IUP sont conçus comme le pivot d’une « renaissance de l’université » pour reprendre les termes de Claude Allègre qui en est le père fondateur ; avec la licence professionnelle il s’agit, en impulsant « une formation de type nouveau », d’inscrire la France dans le « concert européen ».

C’est en prenant appui sur nos travaux antérieurs relatifs aux politiques de formation continue en entreprises d’une part, sur les productions scientifiques dans le champ de la relation formation/emploi d’autre part que nous avons construit une problématique de l’alternance. Cette construction s’est réalisée par étapes, à travers un corps de travaux (études, recherches, thèse) articulés autour de la notion de professionnalisation dans l’enseignement supérieur. L’approche théorique qui est la nôtre n’est pas isolée, elle s’inscrit dans un courant de recherche qui appréhende l’articulation entre champ de l’éducation et champ du travail sous l’angle

d’analogies d’outils utilisés dans les établissements d’enseignement et dans l’entreprise (voir les travaux de Françoise Ropé et Lucie Tanguy sur

la notion de compétence transversale aux espaces éducatif et productif). Dans cette perspective, l’insistance est mise, à la différence d’autres approches – structurelle, sociétale – sur les processus, le rôle des acteurs, les déplacements de pouvoir, la nature des savoirs mobilisés et transmis par les nouvelle pratiques.

Quel est notre apport en matière de problématique à l’intérieur de ce courant ? Nous avons contribué au renouvellement des pratiques dans le champ de l’articulation entre système éducatif et système productif en approfondissant la notion de transfert analogique d’une champ à l’autre. Nous avons fait l’hypothèse que la relation entre sphère éducative et sphère productive se construisait autour de nouveaux mécanismes de régulation de la formation structurés autour de catégories telles que les « démarches et outils qualité », la notion de « relation client-fournisseur », la notion d’« organisation flexible et réactive ». Des notions et principes qui paraissent faire consensus dans le discours politique et social et qui structurent les différentes réformes de l’enseignement supérieur depuis dix ans :

• obligation de partenariat entre acteurs éducatifs et professionnels à toutes les étapes du processus de formation,

• enracinement de la formation dans les situations de travail,

• principe d’ajustement quantitatif et qualitatif des formations aux besoins des acteurs économiques et des formés…

Ces notions et principes ont fait l’objet d’une relecture de notre part et peuvent être saisis comme le transfert au champ de l’éducation d’une

logique de production.

En clair, en parallèle à des logiques de pilotage de la formation par l’offre et de pilotage de la formation par la demande pour reprendre la conceptualisation de Bernard charlot, s’instaurerait dans l’enseignement supérieur un mécanisme de pilotage de la formation par la

« commande », au plus près des besoins formulés par les acteurs

économiques. Avec le pilotage par la commande, les fonctions assurées traditionnellement par l’acteur pédagogique – fonctions de définition de filière, de production d’enseignement, d’évaluation et de délivrance du diplôme seraient coassurées par les acteurs pédagogiques et par les entreprises. Ainsi, les réformes de l’enseignement supérieur dont j’ai fait état, annonceraient l’émergence de nouvelles configurations éducatives autour d’une recomposition des rapports entre instance éducative et instance économique, une redistribution des rôles entre instances nationales et instances locales tout à fait inédite à ce niveau d’enseignement en vue d’un ajustement quantitatif et qualitatif de la formation aux « besoins » formulés par les acteurs professionnels. C’est la forme partenariale qui institutionnellement permet d’organiser une nouvelle répartition des pouvoirs entre instances économiques et éducatives. La forme partenariale, articulée au principe d’enracinement professionnel par l’alternance, autorise à chaque étape des cursus la diversification et la flexibilité nécessaires à l’ajustement entre offre de formation et commande du travail, entre offre de formation et besoins économiques. Elle instaure, lorsque l’acteur professionnel pèse de tout son poids, de véritables relations client/fournisseur et introduit, dans l’enseignement supérieur, la notion de service appliquée à la formation.

Quels outils méthodologiques pour analyser l’alternance et les relations entre les deux sphères ? Les réformes ont été appréhendées à différents

niveaux de construction de la relation, niveaux interagissant entre eux :

• Le niveau institutionnel national c’est-à-dire celui des politiques éducatives – analyse des textes fondateurs des réformes, cadres produits qui visent à rapprocher sphère éducative et sphère productive ;

• Le niveau des pratiques de coopération au niveau local, celui des dispositifs concrets mis en œuvre dans les établissements.

À ces différents niveaux, l’analyse porte non seulement sur les cadres et règles formels et institutionnels mais aussi sur les stratégies des acteurs, les rapports de pouvoirs, les objets de négociation. Les questions qui sont au cœur des stratégies concernent :

• les profils recherchés, les compétences requises, • l’évaluation des « besoins » économiques,

• les outils de l’articulation et l’organisation de l’alternance,

• les contenus et savoirs mobilisés en institution scolaire et en situation de travail,

• les mécanismes d’évaluation et de sanction de la formation,

• la distribution des rôles entre acteurs pédagogiques et professionnels. Le questionnement de l’alternance et du lien entre système éducatif et système productif suppose nécessairement des approches plurielles et puise dans différents champs disciplinaires relatifs au champ de l’éducation et du travail. C’est la nécessaire complémentarité d’approches qui a fondé la collaboration scientifique entre l’équipe de recherche et des partenaires d’autres disciplines dans le cadre de différentes études :

• Collaboration avec l’APST recherche de l’université Aix-Marseille, laboratoire d’Yves Schwartz dans le cadre de la recherche Nouvelle professionnalité de l'ingénieur, politique de l'entreprise et nouveaux dispositifs de formation. Appel d'offres du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, 63 p. Co-publication INRP, université Aix- Marseille 1, Cidécos, 1994.

• Les Instituts Universitaires Professionnalisés (IUP) - Bilan et perspectives après sept années de fonctionnement. 82 p. Co-publication INRP/CEFI. Convention CEFI-INRP. Publication Dossiers du CEFI, 1998.

• Professionnalisation dans l’enseignement supérieur : la licence professionnelle. Étude en cours, collaboration avec une équipe du département travail et formation du Céreq.

Ces partenariats de recherche ont permis d’articuler des approches plurielles mais aussi approche quantitative et approche qualitative sur les objets retenus.

Le travail de thèse que nous avons soutenu en 1996 sur les Nouvelles Filières de Formation d’Ingénieurs - voie de la formation continue (Bousquet Nelly) et voie de l’apprentissage (Grandgérard Colette) - participe de cette démarche pluridisciplinaire. Il a été validé par un jury pluridisciplinaire (sciences de l’éducation, économie, spécialiste de l’histoire et de la sociologie des ingénieurs).