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Bernard Hostein

2. L’ÉTAYAGE DES PROBLÉMATIQUES

Les quelques dialogues possibles avec les autres centres français de recherche en didactique de la technologie ont bien sûr contribué à transformer toutes ces questions en termes de recherches mieux opérationnalisables. Mais ce sont surtout les séminaires pluridisciplinaires au sein du LADIST qui orientèrent les problématiques construites et remodelées au fur et à mesure des recherches entreprises.

2.1. La technologie comme objet des apprentissages

La réflexion sur les programmes fixant la technologie à enseigner n'a été que rarement l'objet de recherches dans notre équipe (35, 39). Dans les premières années, nous avons tenté de mieux expliciter ce que les professeurs attendaient de la technologie enseignée. À travers le discours recueilli chez les professeurs d'école, comment interpréter la rareté de leurs pratiques d'enseignement de la technologie, allant de pair avec des discours encourageant sur le rôle éducatif reconnu à celle-ci. Ce qui en est ressorti, c'est la difficulté de cerner exactement des problèmes didactiques à travers les seules expressions des acteurs (37).

Le quotidien des classes ordinaires devint alors notre champ privilégié d'investigation. À chacun des niveaux qui intéressait les chercheurs de notre équipe, des « apprenants » (44) se trouvaient confrontés à des contextes supposés entraîner leurs compétences et présenter des savoirs

technologiques. Les longues années de fréquentation assidue des didacticiens des mathématiques à l'école Michelet nous a permis de poursuivre notre pratique des observations didactiques. Le dispositif particulièrement ingénieux des didacticiens des mathématiques permettait de confronter leurs observations à des analyses a priori conformes aux contextes théoriques à étudier. Nous ne disposions que de classes bénévoles dont les professeurs acceptaient de fournir un terrain standard à nos recherches, ou des élèves, professionnellement pris en charge par le chercheur lui-même.

Dans ces contextes, un accord sur les domaines et les modes de recherches à employer rendait encore plus sensible la nécessité de préciser les objets et de définir les questions de recherche spécifiques que nous entendions poursuivre en didactique de la technologie. Centrés sur les activités des élèves, nous devions relever les composantes de celles-ci, qui deviendraient à nos yeux significatives de leurs apprentissages. Comment transposer les concepts de « situation », de « milieu » ? L'action d'un élève peut-elle se lire dans les interventions qu'il est conduit à faire sur des artefacts, et la dévolution se joue-t-elle fatalement par le biais de l'autonomie qui lui est proposée dans leur manipulation ? La compréhension d'une entité technique se traduit-elle à travers les schématisations d'un fonctionnement ? Si l'on admet, avec les philosophes pragmatistes et les ergonomes, que l'intention est inséparable de l'action, n'est-il pas utile de compléter les traces de l'activité par l'expression qui manifeste la prise de conscience, spontanée ou provoquée, que l'apprenant réalise dans les situations d'apprentissages proposées (23, pp. 97-98) ?

En privilégiant l'étude des situations et des milieux, la recherche didactique n'exclut pas les approches des conduites psychologiques des acteurs (21, 23 pp. 93-97, 31), mais focalise ses explications sur l'analyse des influences jouées par les types de situations et les fonctions structurantes recherchées par le biais des milieux didactiquement construits.

2.2. La triple instrumentation comme mode d'apprentissage

Contrairement aux opinions multiformes émises dans la plupart des discours sur les enseignements des techniques, la confrontation aux objets matériels n'est pas en soi porteuse de facilitation des apprentissages. Seuls les esprits « abstraits » dissertent gracieusement sur la condamnation des esprits « concrets » à apprendre par le biais « simple » des manipulations des artefacts. Il peut y avoir une « instrumentalisation » des apprenants, par une imposition d'emplois réglés en dehors d'eux ; les conditionnements sont à l'opposé des apprentissages. L'instrumentation met l'accent sur les activités d'appropriation des artefacts, dont le sujet technicien découvre les modes d'usages, à la fois prescrits (par leur destination d'origine inscrite

dans leurs caractéristiques structurelles), et réels (au fur et à mesure des expériences de leurs usages au cours de contextualisations multiples).

Cette instrumentation passe par l'usage des artefacts réels, toujours peu ou prou matérialisés. Et cet usage impose des apprentissages, dont l'attirance spontanée est étrangement de moins en moins facilitée au fur et à mesure que la société développe des engins sophistiqués (1, 21).

Indissociablement, cet apprentissage est le fruit d'interactions sociales, et celles-ci font rarement l'objet d'apprentissages explicites (1, 30, 44), alors que la pratique des travaux en groupes est universellement signalée dans les séances de technologie scolaire. Que gagnent les apprentissages quand cette forme d'instrumentation fait partie des objectifs des situations étudiées ? Sans cette dimension sociale, comment valider, dans l'activité des élèves, la fonction communicationnelle — que Walliser nomme « pédagogique » — des modèles ?

La forme que nous avons le plus fréquemment étudiée est celle des instrumentations symboliques (Entre autres, 12, 13, 23, 32, 34, 38, 43, 44). Les langages multiples qui saturent parfois les enseignements techniques ont fait le plus souvent l'objet d'apprentissages distincts (24, pp.159 ss), sans être reliés entre eux, ni avec les dispositifs techniques qu'ils expriment. Les langages restent alors imperméables aux élèves ; ils aveuglent, plus qu'ils n'éclairent la compréhension des élèves (13) et leur mise en œuvre des systèmes techniques ; et l'aide de leur modélisation à la compréhension des systèmes demeure insoupçonnée. Quels effets produisent, sur la qualité des savoirs et savoir-faire de l'élève, la mise en correspondance de ces langages, au sein de situations spécifiques d'enseignement, associant les divers modes de confrontation aux artefacts, et la découverte des valeurs de leurs traductions symboliques, par le biais des langages construits pour les communications sociales que nécessite leur pratique ?

Toutes ces formes langagières ne sont-elles pas les versants signifiants, qui contribuent à construire les signifiés correspondants dans la tête des élèves, comme ils sont l'expression des signifiés projetés par les techniciens ? Autrement dit, ils sont des modèles, et « le modèle n'est pas le système, comme le signifiant n'est pas le signifié » (13, p. 24). Sans démonter les processus de leur construction, comment l'élève apprendrait-il ce qu'il ne peut pas comprendre ? Seule, la pratique de la modélisation, avec ses tâtonnements, fournit le nœud de conjonction entre les espaces d'objets et cognitifs (23, p. 108). Est-il possible d'envisager une éducation technologique, qui ne se soucie pas d'abord d'apprendre à gérer ces modélisations, articulant les systèmes réalisateurs et les modèles formalisateurs, étant admis que l'activité technologique se définit par cette articulation continue entre l'action et la pensée, le fonctionnement des

modèles et des systèmes ? En quoi les situations observées et les expressions recueillies auprès des élèves attestent-elles des conditions didactiques favorisant cette dialogique ? Apprendre des modèles « parfaits » (qui n'existent pas !) que l'on peut réciter conduit-il à savoir modéliser, compétence indispensable à toute activité technologique, même « élémentaire » (12) ? Comment, alors, sous des formes adaptées, apprendre à modéliser dès l'école primaire (32, 40), la modélisation ne restant pas un procédé illustratif, mais une méthode, c'est-à-dire la trace d'un cheminement cognitif (13, p. 24) ?

2.3. Les logiques des actions techniques

Ce cadre problématique trop général appelle des modulations qui déclinent des apprentissages plus parcellaires. Reprenant les distinctions entre logiques d'utilisation, de production, de conception et d'investigation, nous nous sommes attachés à y faire correspondre des positions en correspondance avec des technicités de référence. Selon que la position dominante dans les activités proposées correspond à l'une des quatre logiques énumérées, quelles sont les formes d'activités privilégiées par les élèves, et dont les effets d'apprentissage paraissent les plus efficientes ? Les logiques de référence induisent, dans une analyse a priori, des formes d'action, de langages, de modèles, plus adéquates pour les apprentissages visés. Les professeurs sont-ils attentifs aux effets potentiels de ces arrangements réputés adéquats ? Les élèves tirent-ils bénéfice de ces dispositifs, s'y engagent-ils, en repèrent-ils les logiques, développent-ils des stratégies d'évitement ?