• Aucun résultat trouvé

Joël Lebeaume

2. DIDACTIQUE DE LA TECHNOLOGIE

2.1. Problèmes de construction et d’organisation d’un enseignement

Comment construire et organiser un enseignement prenant référence sur les pratiques sociotechniques de l'industrie et des sciences et s'insérant dans l'enseignement général est un thème central des travaux du GDSTC. Dans la lignée des recherches prospectives antérieures contribuant à l’invention de la technologie pour l’école moyenne, Martinand (1994)3 s'est attaché

tout particulièrement à l'élaboration de la structure possible de la matrice curriculaire de cette discipline en examinant les justifications et les principes de construction. Ces études ont soutenu la reconstruction du programme de technologie collège (1996-1998) ; elles en ont été en retour fortement stimulées (Lebeaume & Martinand, 1998)4

Centrée sur les problèmes de construction de l’éducation technologique, la rétrospective critique de l’organisation et de l’existence du travail manuel pour les garçons et les filles (1880-1990), des enseignements scientifiques et pratiques de l’école primaire (administration domestique, agriculture, 1880-1923), des connaissances usuelles et des travaux manuels à l’école maternelle (1880-1995) ainsi que de la technologie pour le collège (1960- 1995), a contribué à l’identification des fondements et de l’organisation d’un enseignement général prenant référence sur les pratiques socio- techniques (Lebeaume, 1999)5. Le point de vue épistémologique porté sur

3 MARTINAND, J.-L. (1994). La technologie dans l’enseignement général : les

enjeux de la conception et de la mise en œuvre. Paris : Unesco. – IIPE, 38 p.

4 LEBEAUME, J. & MARTINAND, J.-L. (Coord.) (1998). Enseigner la technologie

au collège. Paris : Hachette.

5 LEBEAUME, J. (1999). Perspectives curriculaires en éducation technologique.

ces enseignements précise les formes scolaires stabilisées en « méthodes ». Ces « méthodes » sont définies selon des ensembles de situations d’enseignement-apprentissage structurés par la cohérence entre les tâches des élèves, leurs visées éducatives et leurs références. Les périodisations proposées révèlent l’alternance permanente des tentatives d’organisation des contenus selon des « méthodes globales » organisées autour d’activités techniques significatives et des « méthodes syllabiques » construites sur les gestes, les notions élémentaires, les éléments de la qualité…

L’examen historique et comparé de ces enseignements a mis en évidence trois questions fondamentales pour fixer la cohérence d’un enseignement élémentaire, général, authentique et scolaire :

• Comment rendre compte de l’unité parmi la diversité des pratiques techniques ?

• Comment structurer une discipline de raisonnement et d’action ?

• Comment maintenir les relations avec les pratiques pour offrir aux élèves des interprétations authentiques de la réalité qui leur est donnée à saisir dans le cadre scolaire d’enseignement ?

Ces travaux « sur » l’éducation technologique et l’histoire de ses formes scolaires ont été associés à des recherches « pour » l’éducation technologique. En effet, l’élaboration des programmes est une intervention essentielle sur une discipline puisqu’elle la construit et lui donne forme. Elle rencontre les problèmes fondamentaux précédents. Mais considérant l’enseignement comme une production sociale, les points essentiels de décisions sur la structure de la discipline correspondent aux décisions des enseignants lors de sa mise en œuvre : définition et organisation des tâches, choix des références et évaluation. Ces aspects de la professionnalité enseignante définissent alors les contenus de leur formation professionnelle dans sa dimension critique, projective et inventive permettant à la fois de contrôler la signification des activités techniques scolaires et la pertinence des contenus enseignés, de développer les innovations, en somme de délibérer avec la matière.

Objectiver l’éducation technologique pour penser les interventions est un des enjeux de ces propositions. Considérée à l’échelle de la scolarité d’un élève, c’est-à-dire sur la douzaine d’années qui sépare la petite section de la fin du collège, l’éducation technologique est un « curriculum disciplinaire ». Son élaboration pose trois problèmes majeurs : ceux de ses fondements, de sa construction et de son développement. Sa conception suppose des macro-décisions sur ses fondements, à la fois quant à ses visées

LEBAUME, J. (2000). L'Éducation Technologique - Histoires et Méthodes. Paris, ESF.

éducatives en fin de scolarité, à la parcelle du monde de la technique sélec- tionnée en tant que références ainsi qu’à la nature des « rencontres » proposées aux élèves fixant ainsi leur rapport au monde de la technique. À l’échelle de la scolarité, l’organisation du curriculum disciplinaire correspond à la construction du parcours éducatif finalisé, à sa segmentation en étapes et à la conception de sa figure d’ensemble. Cette élaboration qui sélectionne des expériences éducatives implique de définir les continuités et les discontinuités sur les visées, les tâches et les références à partir des multiples modalités permettant d’organiser un enseignement élémentaire et progressif. À cet égard, l’examen systématique des divers principes de cette « élémentarisation » a révélé de multiples solutions envisageables. Ainsi les visées offrent-elles des éducations technologiques organisées selon des compétences générales (résolution de problèmes, créativité…) ou des performances particulières (gestes, notions…). De même, le monde de la technique propose-t-il des éducations technologiques centrées sur l’unité parmi la diversité des domaines techniques, des secteurs d’activités, des pratiques contemporaines, anciennes… Les rencontres des élèves peuvent également être distinguées selon des approches de réalisation, d’usage, d’exploration, d’analyse, de présentation, de détournement… définissant ainsi des éducations technologiques expérimentales, réalisatrices, utilisatrices, inventrices… Les solutions disponibles dépendent de ces possibilités et de leur association ou combinaison. L’examen systématique des modalités pour rendre l’enseignement progressif suggère lui aussi différentes éducations technologiques plus ou moins spécialisées et plus ou moins ouvertes, selon leur organisation sur la répétition, l’extension, la complication, la différenciation… et selon les registres intégrant l’action pratique sur le monde, la lecture ou l’interprétation du monde et la projection des actions. L’enseignement élémentaire et progressif dépend donc des choix décisifs portant sur ces aspects et déterminant soit des « méthodes syllabiques » supposant approche déductive et extension synthétique, soit des « méthodes globales » impliquant décomposition analytique et recomposition synthétique. Les contraintes d’organisation pédagogique imposent également d’établir les durées de ces étapes, leurs visées intermédiaires, leurs relations, leurs détours et le cas échéant leurs différenciations et leurs cristallisations en disciplines.

2.2. Pratiques enseignantes en technologie au collège

2.2.1. Discipline scolaire et prise en charge de l’hétérogénéité

Cette recherche a été conduite à partir de plusieurs études et enquêtes visant à identifier les conceptions des formateurs et des enseignants de la technologie dans les académies de Lille, de Créteil et de Versailles ; les

modalités réelles et potentielles d’adaptation de l’enseignement à l’hétérogénéité des publics et à la diversité des contextes pour les enseignants-formateurs des académies de Lille, Paris, Versailles, Poitiers, Lyon, Nancy-Metz et Orléans-Tours ; les réponses des enseignants adressées lors de la consultation nationale sur les projets de programme de technologie pour les classes de 3e.

L’analyse de cet ensemble de données a révélé une appropriation partielle de la structure de la discipline et de ses principes fondateurs et constructifs c’est-à-dire de sa matrice. Par conséquent les modalités d’adaptation n’utilisent pas la flexibilité qu’offre l’architecture de la discipline et la large palette d’activités qui lui est associée, en « jouant » sur des tâches, des rôles, des exigences variées qui peuvent être ajustées à chaque élève dans des programmations individuelles ou collectives. L’hypothèse que la mise en œuvre de toutes les potentialités de la technologie permettait d’adapter la gestion des activités et des apprentissages aux disponibilités des contextes et aux disparités des élèves a ainsi été infirmée par les données des enquêtes. Les pratiques enseignantes qui s’avèrent inscrites dans un registre essentiellement pédagogique s’appuient par ailleurs sur une conception normative des programmes et une faible préoccupation pour l’hétérogénéité des élèves. Selon les conceptions de chacun des enseignants, les différentes organisations pédagogiques des activités en groupes restreints, sont les moyens essentiels mis en œuvre pour la prise en charge de l’hétérogénéité des publics. Quatre organisations peuvent être distinguées selon la posture des enseignants, variable selon leur centration plus ou moins forte sur le rapport programme/élèves et sur le rapport individus/classe. À chacune des organisations que sont les « ateliers tournants », les « groupes de travail », les « groupes d’aide » et les « équipes » sont associées des pratiques distinctes selon les modalités de constitution des groupes, les orientations pédagogiques, la régulation par l’enseignant, les obstacles, l’enjeu pour les élèves. Pour chacune de ces organisations, la prise en charge de l’hétérogénéité est alors nuancée. Elle est respectivement niée ou omise, constatée ou masquée, diagnostiquée et enfin valorisée. Ces modalités d’adaptation utilisent les potentialités pédagogiques de la discipline mais sans réellement prendre en compte les contenus enseignés. Leur choix apparaît aussi tributaire des conditions matérielles de l’enseignement mais aussi de la distinction des publics scolaires. En ce sens, l’organisation des travaux d’équipes pour laquelle l’hétérogénéité est considérée comme une richesse, s’avère réservée aux élèves qui répondent au mieux à l’anticipation qu’en fait le système scolaire.

La reconstruction de la cohérence des pratiques individuelles de chacun des professeurs-formateurs permet de les situer sur une « rose des pratiques ». À la variabilité de ces pratiques d’enseignement est associé un ensemble de

« méthodes » singulières. L’examen des orientations extrêmes de ces « méthodes » dans les adaptations à l’hétérogénéité des publics scolaires et à la diversité des contextes permet de repérer les cas limites de flexibilité de la technologie. Ceux-ci sont manifestes lorsque la cohérence entre les tâches, les visées et les références disparaît, impliquant la dénaturation de la discipline. Mais ces situations limites contribuent à localiser dans l’ensemble des pratiques enseignantes la zone de flexibilité de la discipline qui constitue un élément fondamental de sa matrice (Lebeaume, dir., 1999)6.

La technologie considérée comme modèle d’étude des pratiques enseignantes face à l’hétérogénéité au collège révèle sans doute des pratiques assez générales dans les autres disciplines et dans l’enseignement obligatoire. À cet égard, deux implications de ces résultats semblent essentielles. La première concerne la formation des formateurs et plus généralement la formation des maîtres sur l’épistémologie des curriculums disciplinaires et sur les relations entre discipline et programme. Le rapport des enseignants à la norme scolaire apparaît particulièrement complexe dans le processus de légitimation des décisions prises pour la mise en œuvre de l’enseignement. Les quelques suggestions proposées par les enseignants semblent en effet se heurter à l’obligation présumée « d’appliquer » les programmes ce qui ne permet pas une véritable délibération avec la discipline. La seconde concerne la construction des programmes et des textes prescriptifs ainsi que la lisibilité de la matrice du curriculum disciplinaire, en particulier des espaces de décision des professeurs et des contrôles nécessaires au maintien dans sa zone de flexibilité. Mais ces deux implications sont fondamentalement associées.

2.2.2. Décisions des enseignants concernant les productions-réalisations et les objets-produits

Pour l’enseignement de la technologie au collège, fondé sur des activités de production, le choix des objets-produits est laissé à l’initiative des enseignants par l’incomplétude des programmes. Ce choix est une action anticipatrice. Il détermine en effet les activités des élèves et les projets techniques. Cette décision constitue aussi une intervention sur la technologie elle-même et sur son développement. Si elle est contextualisée, elle est également contextualisatrice. Dans la dynamique du fonctionnement scolaire, l’intervention sur la discipline est une action sur le milieu scolaire