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Sur la ressource touristique

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ur La ressource tourIstIque

Qu’est-ce qu’une ressource touristique  ? Cette question de la ressource touristique s’est posée dès les premières interrogations en géogra-phie du tourisme. Si j’exhume mon mémoire de maîtrise (1987 !), il s’ouvre sur cette citation de P. Defert : « Qu’est-ce qu’une ressource touris-tique ? Tout et n’importe quoi, n’importe quelle chose, pourvu qu’on lui décerne une fonction de délassement, de divertissement ou de développe-ment » (1972, p. 42). Il s’agissait bien de poser, exactement comme pour le patrimoine, que ce n’était pas l’objet qui faisait la ressource tou-ristique, mais bien sa perception, son usage et ses fonctions. Outre la dimension subjective présente dans cette approche, cette définition lie étroitement la ressource touristique à la dimension temporelle, car si le Mont-Blanc ou les pyramides d’Egypte sont là de toute éternité, leur aptitude à fixer les fonctions susdites a été beaucoup plus évolutive  : la notion même de ressource touristique croise nécessairement le lieu et le temps.

Il en va ainsi de toutes les ressources : elles ne deviennent telles que par une combinaison féconde, et plus ou moins durable, de disponi-bilité, d’usages et de techniques de valorisation. Ressources minérales, animales ou végétales, comme les ressources immatérielles, toute l’éco-nomie et la géographie des ressources reposent sur cette équation. La ressource n’est telle qu’à partir du moment où elle est révélée, activée et valorisée, et la récente littérature sur les res-sources territoriales repose sur ces notions.

Comme d’autres ressources, la ressource touristique peut s’épuiser physiquement, si l’usage qui en est fait est consomptible, ce qui renvoie à un défaut d’aménagement ou de gestion. A l’extrême, tel est le cas des cavernes qui ont été pillées de tous leurs ornements. Mais l’épuisement de la ressource rend plus souvent compte d’une obsolescence ou d’une inadéqua-tion entre les infrastructures, les pratiques et les représentations.

Quelles sont alors les spécificités des res-sources touristiques  ? Comment les définir plus précisément  ? Et dans quelle mesure la place croissante des patrimoines peut amener à affiner ces définitions ? Les recherches menées ces dernières années se sont centrées sur le tourisme comme activité et sur les touristes comme acteurs, sur leurs motivations, plus que sur ce qui peut fonder l’attractivité touristique elle-même.

La question m’a souvent été posée de savoir ce qui constituait le monde souterrain en ressource touristique  : comment les grottes sont-elles devenues des ressources touristiques (colloque de la Rochelle en 2000, avec V. Biot) ? A quelles conditions la ressource a-t-elle pu et peut-elle encore se pérenniser (article dans le bulletin de la société Ramond, 2000, ou dans Karstologia n° 45) ? On sent intuitivement qu’entrent ici en jeu la perception du beau et la compréhension du sens, le tout rendu possible par des aména-gements d’accessibilité au sens large. Est-ce que cela peut suffire pour autant ?

I. Une notion délicate à définir :

Lorsque l’on a dit de la ressource touristique qu’il s’agit d’une construction sociale, on n’a pas énormément avancé. Quelle part prennent les lieux dans cette construction ? Pourquoi là ? Pourquoi pas ailleurs ? Excès de déterminisme d’un côté ou abus d’indétermination de l’autre, quelle place pour une conciliation de ces deux points de vue ?

J.-M. Dewailly tranche dans le seul sens qui peut, me semble-t-il, soutenir l’intérêt du géographe lorsqu’il affirme : « Il semble difficile de nier un rapport de causalité [entre le lieu et la fonction], le tout est de voir comment il s’établit et comment il fonctionne » (2006, p. 46). Car la ressource touristique, si elle existe, pose de multiples questions et amène à envisager plusieurs distinctions sur des plans différents :

1. Il faut commencer par distinguer la ressource qui motive le voyage touristique et la ressource qui fournit aux touristes le programme des activités une fois qu’ils sont sur place. Plus le niveau d’information et de préparation est élevé, plus les deux niveaux de ressource se superposent. La destination peut également être choisie sur une impression très générale et l’offre de visite se découvre ensuite et se complète au fur et à mesure. L’impression très générale ne caractérise pas avec précision les différentes des-tinations, qui restent en partie interchangeables. Plus le voyage est préparé, plus il mobilise la ressource touristique spécifique.

2. Il faut ensuite distinguer la ressource qui motive le premier voyage vers une des-tination, qui est liée à la curiosité et à la soif de découverte ; de la ressource qui amènera les touristes à revenir sur place une deuxième, une troisième fois ou plus… Tous les professionnels du tourisme rêvent de fidéliser leurs clientèles, à la fois pour les devises qu’ils amènent et pour les économies qu’ils peuvent réaliser dans la recherche de prospects… Ainsi la ressource tou-ristique fonctionne-t-elle a priori sur un registre de la découverte et a posteriori sur la satisfaction et l’attachement.

3. Enfin, on distingue aussi d’une part la

ressource qui préexiste à l’activité touristique et qui est léguée par d’autres usages, que ceux-ci se soient perpétués ou non ; d’autre part la ressource créée expressément pour le tourisme ou émergée dans un second temps, qu’il s’agisse de l’offre d’hébergement ou de l’équipement culturel. La façon dont le tourisme peut se saisir d’une ressource peut réserver quelques surprises : ni le stade de France ni le viaduc de Millau (travaux en cours de Nicolas Sénil) n’ont été conçus comme des lieux de tourisme, et pourtant ils le sont devenus, parfois avant même leur inauguration. La curiosité peut être sollicitée, elle reste peu canalisable et se porte sur toutes sortes d’objets. On ne peut donc pas se satisfaire d’une vision dans laquelle la ressource préexisterait toujours au tourisme qui naîtrait d’elle, mais que dans bien des cas, c’est également le tourisme qui suscite la ressource, qui la fait émerger en tant que telle. Nous l’avons évoqué ce cas de figure dans l’évocation des stations thermales (chapitre 1C).

De ce point de vue, des objets comparables procèdent de trajectoires tout à fait différentes : le Louvre n’a pas été construit pour être un musée, et n’a pas non plus été transformé en musée au 19ème siècle pour être une ressource touristique et l’est devenu après coup, alors que le Musée des Arts premiers, par exemple, a été conçu comme un élément de l’offre touristique de Paris. Quant à la gare d’Orsay, elle a dû d’abord cesser d’être une gare avant de devenir un musée ! Les mêmes questions ont été posées à propos de la patrimonialisation, et de l’étape, nécessaire ou non, de la défonctionnalisation du bien.

Ces trois distinctions se combinent entre elles, et n’ont pas toutes les trois la même significa-tion. Si l’on s’en tient aux ressources qui existent en amont de la mise en tourisme, P. Defert en a proposé jadis une typologie (1972) que les géographes du tourisme ont rarement reprise à leur compte pour différentes raisons : sans doute parce qu’elle reposait uniquement sur des objets, parce qu’elle proposait des néologismes assez peu euphoniques et qu’elle était exposée de façon très énumérative. P. Defert identifiait en effet quatre familles de biens susceptibles d’être mis

en tourisme : le lithôme, c’est-à-dire les vestiges historiques, les vieilles pierres ; le phytôme, ou les objets liés à la nature ; l’hydrôme, autrement dit ce qui a trait à l’eau sous toutes ses formes ; et l’anthropôme qui réunit tous les faits sociaux et cultuels des sociétés présentes. Plus tard, il en ajouta un cinquième, le mnémôme, c’est-à-dire la ressource liée à la mémoire (1982).

A l’opposé, d’autres auteurs ont cherché à extraire radicalement la ressource du lieu dans lequel elle prend place, et lui ont en général substitué une approche qui mettait l’accent sur les aspirations des touristes eux-mêmes, c’est-à-dire, à l’opposé de l’approche par les objets, sur la subjectivité et les représentations.

La typologie de Defert est certainement réductrice et elle minimisait la complexité du système touristique ; pour autant, faut-il la jeter aux orties ou plutôt, puisque c’est bien ce qui s’est passé, n’est-il pas possible d’aller la retirer de l’ornière ? Seule, elle n’est pas satisfaisante, parce qu’elle objective trop la ressource, mais cette part d’objectivation ne peut-elle pas rentrer en composition avec d’autres angles de lecture ? Il faut considérer la ressource touristique comme l’ensemble des éléments sur lesquelles reposent l’attractivité et la fonctionnalité du système touristique.

Il convient donc d’essayer de croiser :

- la typologie des biens susceptibles d’être mis en tourisme, et sur ce plan il est possible de suivre P. Defert, qui proposait une entrée médiale mettant en avant les ressources du territoire préexistantes au tourisme et activées par et pour lui ; - les infrastructures d’équipements

touris-tiques (hébergement, aménagements) et de commercialisation comme piliers de la fonctionnalité ;

- les représentations liées à la destination, surtout lorsqu’elles sont complexes et parfois contradictoires, avec une part d’héritages souvent déterminante ; et - les pratiques et les usages associés  :

sportifs, ludiques, conviviaux, contem-platifs, culturels…

Les quatre composantes de la ressource doivent être réunies pour que l’ensemble fonc-tionne. Autrement dit, ni la neige en montagne, ni l’arc de triomphe, ni le souk de Marrakech ne sont des ressources touristiques en soi, il a fallu les construire et les maintenir comme telles. La question de la construction de la ressource touristique rejoint parfois celle de l’invention de la tradition : le carnaval de Nice ou le costume « typique » basque ont ainsi été inventés pour la joie des touristes, et ensuite appropriés au niveau local.

Ces quatre entrées interagissent, et leur importance respective peut différer selon les cas et évoluer selon les époques, sans qu’il y ait de hiérarchie absolue et permanente.

II. L’exemple de la montagne et des stations de sports d’hiver

Or, il semble que le tourisme de sports d’hiver, tel qu’il s’est développé, ait reposé sur une combinatoire particulièrement pauvre  : phytôme/hydrôme, activités sportives et équi-pements spécialisés et standardisés. La notion d’activité mature souvent évoquée renverrait alors au caractère étriqué et peu évolutif de cette combinatoire.

D’où un tourisme caractérisé par . une forte spécificité,

. une faible flexibilité, . une forte vulnérabilité et . une faible résilience.

Dans ce contexte, l’évolution la plus insi-gnifiante fait figure de révolution porteuse d’un énorme potentiel de renouvellement (par exemple lorsqu’une partie de la clientèle passer du ski au snow-board ou aux nouvelles glisses !), ou bien au contraire elle est mal vécue parce qu’elle remet en cause ce modèle et tout ce qu’il implique (par exemple lorsque l’on passe du sportif au ludique). Ou bien elle est impossible à mettre en œuvre du fait de la nature même des lieux de destination  : dès les années 1970, les stations intégrées ont cherché à renforcer leur saison d’été, et le pari est relancé à intervalles